« Navin Ramgoolam doit jouer et agir prudemment face au MMM-MSM »
|Interview : Jocelyn Chan Low
« Si SAJ n’arrive pas à ‘deliver the goods’ on peut s’attendre à d’autres développements politiques majeurs dans le pays »
« Je ne crois trop que le gouvernement va tomber et que l’opposition va mettre le gouvernement en minorité, à moins qu’il y ait un tsunami politique »
Dans une interview accordée au Mauritius Times, l’historien et Doyen de la Faculté des Sciences Sociales et Humaines à l’Université de Maurice, Jocelyn Chan Low affirme que notre système politique a montré ses limites, on est en train de tourner en rond, dit-il. Il soutient également qu’une réforme électorale et constitutionnelle est plus que nécessaire. Par ailleurs, l’historien laisse entendre que l’alliance MMM-MSM est en état de gestation et ajoute que vu que le remake n’est pas encore ratifié par l’Assemblée des délégués des ‘mauves’ on ne peut se prononcer définitivement sur toute cette question…
Mauritius Times : On se souvient qu’après la défaite du MMM-MSM lors des élections générales, le leader du MMM, Paul Bérenger, avait énergiquement critiqué le MMM, allant jusqu’à réduire le MSM au niveau d’un groupuscule ne représentant qu’un très faible électorat. Mais revoilà le MMM dans une nouvelle disposition à concrétiser une énième alliance avec ce même MSM. Qu’est-ce cela signifie à votre avis ?
Premièrement, je dirais qu’il faut, à la fois, faire une analyse structurelle et conjoncturelle. Si on étudie les élections (depuis que Maurice a obtenu l’indépendance), on pourrait affirmer que c’est le jeu des alliances qui déterminent l’issu des élections générales. On gagne ou on perd les élections générales bien avant le scrutin. Suffit qu’on fasse une bonne alliance et on gagne ; au cas contraire on sort perdant. Par exemple de 1983 à 1995, sir Anerood Jugnauth est resté au pouvoir grâce à des alliances. Par la suite il perd le pouvoir en raison de l’alliance contractée avec le RMM, ce qui n’a pas fait le poids face au PTr-MMM. C’est donc le jeu des alliances qui reste déterminant. Même en 2000, Navin Ramgoolam avait perdu les élections suite au jeu des alliances de son adversaire.
La raison d’être des alliances politiques est structurelle et découle du mécanisme de ‘First-Past-The-Post’, ce qui entraîne la bipolarisation aux élections générales. Le nombre de sièges que le vainqueur obtient à l’Assemblée nationale est amplifié par rapport au nombre de votes obtenus. L’alliance ou le parti qui sort en deuxième position ne récolte que des miettes. Et le troisième parti n’obtient absolument rien.
Ainsi les alliances sont incontournables à Maurice. Tous les grands partis, à savoir, le PTr, le MMM, le MSM et le PMSD sont condamnés à faire des alliances, souvent contre-nature pour gagner les élections. Le jeu des alliances est donc le plat principal de la vie politique à Maurice, mais cela entraîne des contorsions, des acrobaties, des reniements, des retrouvailles, des ‘remakes’ et des ‘unremakes’ qui finissent par dérouter et dégoûter l’électorat.
De manière conjoncturelle, Paul Bérenger a bien précisé qu’il est hors de question de conclure une alliance avec le MSM sous le leadership de Pravind Jugnauth. Car il me semble que l’analyse que le MMM avait faite sur la défaite de 2005 n’a guère changé — c’est-à-dire que Pravind Jugnauth n’arrive pas à fédérer une partie de l’électorat rural nécessaire pour porter le MMM au pouvoir. Au contraire avec l’affaire MedPoint, le MSM traîne derrière lui ‘ène laqueue ferblanc’.
Ainsi, le MMM a mis toute une stratégie en place pour concrétiser un remake 2000 avec le retour de SAJ sur l’arène politique, sachant que ce dernier représente un symbole dans la vie politique de Maurice. Donc, on ne peut dire qu’on va concrétiser une alliance MMM-MSM, mais plutôt une alliance à l’israélienne entre Paul Bérenger et SAJ. Ce sont deux équations complètement différentes.
Cependant, s’il n’y a pas de défections dans la majorité gouvernementale et que si les élections générales ne sont pas de si tôt et que SAJ n’arrive pas à ‘deliver the goods’ en suscitant une mobilisation forte de son électorat autour de lui, on peut s’attendre à d’autres développements majeurs dans le pays.
* Sir Anerood Jugnauth et Paul Bérenger pourront réussir leur coup politique s’ils parviennent à convaincre certains « transfuges-patriotes » à faire le saut. Selon vous, pourront-ils réussir ?
L’histoire de Maurice a démontré qu’aucun gouvernement n’a perdu le pouvoir suite à une motion de censure. On a plutôt vu l’inverse — un gouvernement, numériquement faible, consolidant sa majorité à travers le débauchage des députés de l’opposition. D’ailleurs c’est pour cela qu’on a autant de postes de ministres et de PPS qui peuvent servir d’appâts pour « faire mordre le poisson ».
Donc, sincèrement je ne crois pas que le gouvernement va tomber et que l’opposition parviendra à mettre le gouvernement en minorité, à moins qu’il y ait un tsunami politique, provoqué par un scandale et des révélations-chocs.
* Au fait, les deux blocs politiques se trouvent en face d’énormes défis. Pour l’alliance PTr-PMSD, il s’agit de préserver sa majorité et maintenir la croissance économique ; l’alliance MMM-MSM devra, de son côté, tout faire pour garder telle quelle cette alliance jusqu’à 2015, faute de pouvoir renverser le gouvernement dans l’immédiat. « Tall orders » pour les deux camps, n’est-ce pas ?
Je vois la configuration politique actuelle différemment. Je pense que Paul Bérenger a joué en fin stratège. Il faut dire qu’au départ même, l’Alliance de l’Avenir (PTr-MSM-PMSD) contenait des germes d’instabilité politique et institutionnelle. D’ailleurs, je l’avais dit publiquement à l’époque.
On avait mis le roi et le prince héritier dans la même structure du pouvoir. En outre, le prince héritier disposait d’un nombre important de députés à l’Assemblée nationale. Et, il était le fils de l’empereur qui se trouvait dans une position inamovible et stratégique dans son Château à Réduit.
Cette Alliance de l’Avenir était condamnée à moyen terme, vu les ambitions politiques de certains. Paul Bérenger a utilisé l’affaire MedPoint comme un ‘time bomb’ pour accélérer la désagrégation de l’Alliance de l’Avenir. Mais peu après, Paul Bérenger s’est mis au point une position d’équilibre de la situation en sauvant le MSM du naufrage politique en se rapprochant de ce parti. Et pour couronner le tout, Paul Bérenger a ressuscité SAJ et la formule de 2000. Mais est-ce que les jeux sont faits ? Le temps nous le dira.
Il faut se souvenir de ce qui s’est passé avec la Fédération MMM-MSM. Cette Fédération avait été très vite abandonnée suite à la défaite de cette alliance lors de l’élection partielle de Beau Bassin en 1999. Cela dit, je pense que l’alliance MMM-MSM doit pouvoir faire ses preuves jusqu’à 2015 pour continuer d’exister. Tandis que du côté du gouvernement PTr-PMSD, Navin Ramgoolam gère le pays avec une faible majorité et ce dans un contexte économique difficile.
En outre, la rue va commencer à bouger après la concrétisation officielle des alliances. De plus, je dirais que le gouvernement est et sera dans une situation inconfortable si la crise économique se détériore davantage.
* Par ailleurs, au-delà du souci du leader du MMM de souscrire à une assurance- MSM pour les élections générales, il se pourrait également que Paul Bérenger ne souhaiterait pas assumer le pouvoir seul, eu égard au contexte particulier de Maurice par rapport à sa composition ethnique et ce qu’en découle sur le plan des rapports de force. Qu’en pensez-vous ?
Je crois que le MMM a toujours eu le souci de représentation symbolique au plus haut sommet de l’Etat. L’expérience de 1983 a profondément marqué Paul Bérenger car certains qui lui disaient « Ton Paul » en 1982 ne le regardaient qu’avec des yeux de haine en 1983.
Depuis, Paul Bérenger n’a pas voulu cette bipolarisation ethnique. En 2010, ce n’est que suite au refus de Navin Ramgoolam de contracter une alliance avec le MMM que Paul Bérenger s’est présenté comme un Premier ministre alternatif. Paul Bérenger a une continuité dans ses actions.
* En d’autres mots, un membre issu de la communauté majoritaire lui faciliterait la tâche de gérer le pouvoir…
Je crois qu’une alliance à l’israélienne ou un partage de pouvoirs entre le Président de la République et le Premier ministre, dans le cadre d’une nouvelle République, « would be suitable for Paul Bérenger », ce qui va également faciliter la gestion du pays qui est certes pas de tout repos. Ce qui est encore plus difficile lorsque la politique entraîne une cassure du pays en deux blocs distincts. Vous pouvez facilement imaginer comment cette gestion est davantage plus difficile lorsque Maurice doit faire face à des défis économiques énormes à relever.
* « Je reste le leader du MSM. Sir Anerood Jugnauth sera le leader de l’alliance MMM-MSM. Toutes les décisions de l’alliance se feront entre Paul Bérenger et moi et ce en concertation avec SAJ… » C’est Pravind Jugnauth qui l’affirme lors de sa conférence de presse, vendredi dernier. Evidemment, il n’est pas très confortable dans la position actuelle, mais Pravind Jugnauth n’a pas le choix. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
Pravind Jugnauth n’a évidemment pas le choix. Avec l’affaire MedPoint, il risque d’être totalement marginalisé. Mais on connaît les ambitions premières ministérielles de Pravind Jugnauth. Ce dernier aura à concilier le retour de SAJ dans l’arène politique de même que ses plans politiques à court terme. Il y un proverbe chinois qui dit : « Dans un étang, il n’y a pas de place pour deux dragons». Alors mettre trois… !
* Pensez-vous que Pravind Jugnauth a mal joué ses cartes à tel point qu’il se voit aujourd’hui obligé de s’effacer au profit de l’ancien leader de son parti ?
Personnellement, je pense qu’il est coincé par l’affaire MedPoint. D’ailleurs, il avait lui-même déclaré qu’on lui avait tendu un piège et que son allié voulait l’asphyxier politiquement. C’est pour cela que les ministres et les députés ont claqué la porte du gouvernement, selon lui. Seulement, ce qu’on n’avait pas prévu, c’était la stratégie du MMM de faire revivre SAJ. C’est à partir de là que Pravind Jugnauth aura à trouver une nouvelle stratégie pour se maintenir au-devant de la scène politique pour ne pas être éclipsé par la personnalité de son père.
* Ce nouveau positionnement de Pravind Jugnauth sera toutefois conjoncturel, le pensez-vous ?
Comme je le dis auparavant, dès le départ, le MMM a joué à l’équilibriste, eu égard à la situation politique présentement. Mais la question demeure: est-ce que le choix final en termes de jeu d’alliance a été fait ? Est-ce que le MMM a fermé toutes les options ou est-ce que le choix se fera à la veille des élections générales en fonction du maximum gain pour un minimum risque ? Attendons voir.
* Lors de son ‘statement’ à la presse pour annoncer sa démission de la présidence, Sir Anerood Jugnauth a fait état de plusieurs thèmes qui font l’actualité. Or, ses points de vue ont été diversement accueillis par les politiciens, y compris par le Dr Navin Ramgoolam, les ministres et députés ‘rouges’ mais aussi par la population. Personnellement comment accueillez-vous ses commentaires ?
Je constate que sans doute il y a une très grande part de vérité dans ses déclarations à la presse. Mais ce qui le rend suspect, c’est pourquoi l’avoir fait maintenant ? Car les problèmes qu’a évoqués l’ex-Président de la République, Sir Anerood Jugnauth, ne datent pas d’aujourd’hui. Le jeu des alliances – pont d’Avignon – se fait et se défait et entraîne des acrobaties dans les discours qui finissent par dévaloriser la classe politique mauricienne au niveau de jeunes, tout au moins. Et bon nombre de Mauriciens s’y perdent. Or, il est grand temps de réfléchir sur notre système électoral pour en finir avec tout cela.
* Pensez-vous que la démission de Sir Anerood Jugnauth, qui est âgé de 82 ans, pour faire un comeback politique aura un impact sur la population mauricienne ?
Il a déjà créé un certain impact. Mais on se demande si Sir Anerood Jugnauth pourra maintenir le tempo. Est-ce que c’est un cyclone qui s’est levé ou une petite brise ? Seule le temps nous le dira. Mais son comeback politique entraînera des conséquences majeures pour l’avenir du MSM. Pour moi, « the MSM is condemned to perform ».
* Estimez-vous cette nouvelle alliance MMM-MSM, au cas où elle est définitivement concrétisée, capable de relever les défis qui guettent le pays, de transformer le pays et d’améliorer davantage la qualité de la vie des Mauriciens ?
Valeur du jour, il est trop tôt de faire une évaluation. L’alliance MMM-MSM n’est pas encore ratifiée par l’Assemblé des délégués des ‘mauves’. On ne connaît pas à ce stade ni le rôle qu’assumerait chacun de ses principaux dirigeants ni même celui des lieutenants qui vont éventuellement diriger le pays en cas de victoire, ni le programme de ces deux partis. Il y a beaucoup de zones d’ombres concernant le remake de 2000. Il est difficile de se prononcer davantage à ce stade.
* Vous disiez auparavant qu’un partage de pouvoirs entre le Président de la République et le Premier ministre dans le cadre d’une nouvelle République sied aux ambitions des leaders du PTr et du MMM. Mais y a-t-il vraiment nécessité de créer une deuxième République et de procéder à un partage de pouvoirs entre le Président et le Premier ministre ? Quel est, à votre avis, le modèle à adopter : le modèle français ou indien ?
Le Prof Carcassonne a déclaré que le système parlementaire westminstérien est meilleur qu’un régime présidentiel dans le contexte mauricien. Cependant, l’histoire politique démontre qu’il y a eu une présidentialisation du poste du Premier ministre depuis l’indépendance. Donc, une République qui entraînerait un partage de pouvoirs serait le bienvenu. Mais, il y a d’autres réformes à apporter pour ‘empower’ les citoyens. Par exemple, notre préambule à la Constitution ne contient que la première génération des droits humains. Or, nous faisons partie de la troisième génération. Il est temps de moderniser tout cela et introduire une dose de proportionnelle dans notre système électoral et en finir la classification ethnique dans notre Constitution.
De même, il y a nécessité de diminuer le poids des lobbies sectaires et autres groupuscules dans la gestion du pays st assainir l’administration publique.
* Yvan Martial nous disait la semaine dernière que « tout le cinéma se jouant actuellement entre ce qui reste du MMM et le MSM n’est peut-être qu’une façon mauve et militante d’aguicher Navin Ramgoolam, pour l’inviter à de futurs ‘coze cozé’ ». Vous y croyez également ?
Je ne partage pas l’avis de Yvan Martial. C’est une partition que Paul Bérenger est en train de jouer – ni plus ni moins. Si c’est la bonne et si ça marche, tant mieux. Et si ça ne marche pas, sans doute il s’en débarrassera un jour ou l’autre.
* Published in print edition on 6 April 2012
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