« Ramgoolam mène le jeu, mais où est sa vision, son projet de société ? »
|Interview: Jooneed Jeeroburkhan, Membre-fondateur du MMM, Journaliste
Tractations MMM-MSM, PTr-MMM :
« Un faux sinema nous cache la vraie crise »
« Si Bérenger croit vraiment que c’est une « occasion inouïe » pour lui « d’imposer sa réforme » à l’un ou à l’autre, il se met le doigt dans l’œil
Pravind Jugnauth a-t-il la vision et le courage de repartir à zéro ? On en doute, vu la maladresse dont il a fait preuve en rompant avec Ramgoolam.
Affaire MedPoint et ses retombées politiques : Tel est le sujet qu’aborde Jooneed Jeeroburkhan, membre-fondateur du MMM et journaliste, cette semaine. A quel jeu jouent nos politiciens ? Pensent-ils que les citoyens ordinaires ne comprennent pas leurs tractations et autres démarches ? Veulent-ils parler de la réforme électorale entre eux pour servir le peuple ou mieux se servir eux-mêmes ? Jooneed Jeeroburkhan jette un regard critique sur les événements qui ont marqué le paysage politique récemment…
Mauritius Times : Les récriminations fusent de part et d’autre, l’opération « débauchage » continue, la dernière étant Mireille Martin qui a fait le choix de demeurer au sein de l’Alliance de l’Avenir, alors que ses anciens amis du MSM ont, selon Paul Bérenger, rejoint le camp des « dimounes sérieux »… sans aucune promesse d’alliance arrachée par le MSM du MMM puisque « la question n’a pas été abordée » (Bérenger dixit). Qu’est-ce que tout ce « cinéma » vous inspire ?
Jooneed Jeeroburkhan : Dégoût et lassitude. D’autant que ce stérile sport politique « des ligues mineures » continue d’exciter un certain public au sein du bon peuple mauricien, avec le concours empressé, et intéressé, de nos médias privés, l’œil rivé bien sûr sur l’audimètre et le « lectomètre », donc sur les revenus publicitaires et les profits. En fait, ce sinema, comme vous l’appelez, ce mauvais natak, selon l’expression imagée bien de chez nous, détourne et dévoie et le public, et le gouvernement, et l’opposition, et les médias, qui devraient plutôt concentrer toute leur attention sur la crise économique et financière qui menace la planète entière avec l’énergie destructrice d’un tsunami.
Le public vit la crise dans sa chair au niveau du budget familial, de la santé, de l’éducation, du chômage de ses enfants, et le plus souvent, il ne peut appréhender la crise dans sa globalité. Et les élites, qui savent pourtant mieux que le grand public, préfèrent s’en détourner carrément, comme si elles avaient jeté l’éponge, convaincues d’être impuissantes à l’approche du cyclone. Alors on se barricade, on tue le poulet, on fait des farata, on sort les dominos et les cartes, on attend que le pire passe… Manz pistas, get sinema. Deux générations après l’indépendance, nous en sommes encore à nos vieux réflexes de colonisés… « Dimounn serye », mon œil !
* Paul Bérenger s’est mis à remettre à l’ordre du jour politique la réforme électorale et dans un deuxième temps l’instauration d’une deuxième République, et il a trouvé deux interlocuteurs : les leaders du PTr et du MSM respectivement. Pravind Jugnauth n’a pas vraiment de choix, « given his circumstances », et la position de Navin Ramgoolam paraît assez ambiguë. Bérenger est-il vraiment devenu le maître du jeu politique présentement – comme il semble le croire ?
Il n’est pas le seul à le croire. Il y a aussi des soi-disant analystes que les médias privés interrogent au moindre prétexte pour attiser la curiosité malsaine et alimenter la fausse tension. Ils sont, sans doute, du groupe dimounn serye cher à Bérenger ! L’insignifiant et vieillissant caudillo du MMM : « maître du jeu » ? De quel « jeu » s’agit-il au fait ? Celui de vaines gesticulations, de menaces creuses et de faux débats ? Condamné au karo kann à perpétuité, et récalcitrant dans son rôle d’opposant éternel, il a au moins bien maîtrisé ce jeu-là !
Vous dites qu’il a trouvé deux interlocuteurs. Pouvait-il en trouver d’autres ? Ils ne sont que trois joueurs de taille sur notre petit carré de sable, arithmétique parlementaire oblige. Et c’est Navin Ramgoolam qui reste le maître du jeu politique. L’addition des élus MMM et MSM ne fait pas le poids. Leur force de gravité faiblit même, et au bénéfice du PM, avec le passage de Jim Seetaram et Mireille Martin à la majorité menée par le PTr – sans oublier celui du conseiller MSM, Nitin Soonarane, au PTr à Beau-Bassin-Rose-Hill ! Cela me rappelle une blague que j’ai entendu mon père, qui était pourtant un imam austère, raconter un jour pour illustrer la vanité et la bêtise : une fourmi gambadait parmi des brins d’herbe dans la poussière et une vache s’est arrêtée pour uriner, créant un petit cours d’eau sur lequel la paille s’est mise à flotter ; la fourmi, perchée sur sa brindille, a lancé, ivre de pouvoir : je suis le maître à bord !
* On ne sait si la population est abasourdie par ce soudain revirement, à entendre les propos de Paul Bérenger selon lesquels il s’est senti « à l’aise aux côtés de Pravind Jugnauth » lors de leur dernière rencontre. Mais que recherche, selon vous, le leader du MMM : éviter la décomposition du MSM afin que les Travaillistes ne gagnent en puissance, ou se sert-il de Jugnauth comme ‘bargaining chip’ afin de consolider sa position dans d’éventuelles négociations avec le PTr ?
Bérenger recherche Et l’un Et l’autre. On comprend qu’il trouve « triste et dégoûtant » la décision de Mireille Martin (et de Jim Seetaram) de rester dans l’Alliance de l’Avenir dont le programme commun a servi de base politique à leur élection en 2010. Les transfuges, ce ne sont pas eux, a bien dit Ramgoolam. Chaque député que perd le MSM hypothèque un peu plus les propres chances de Bérenger de rassembler une coalition, sinon pour gouverner, du moins pour faire de l’obstructionnisme et épuiser la volonté du gouvernement. Il lui faut donc un MSM uni et fort au Parlement. D’où la métamorphose du ti-kretin en ti-frer ! Il réconciliera bientôt la famille Jugnauth, le neveu Pravind et son chacha Ashock. Gare au choc ! Il voudra aussi sans doute s’attirer les faveurs des loose cannons Guimbeau et Meeah. Mais pour triompher, il lui faudra en plus débaucher deux ou trois députés PTr et PMSD, ce que ni le MMM ni le MSM n’ont réussi à faire jusqu’ici.
On peut raboter comme on veut mais ça prend une masse critique de copeaux pour construire une majorité, aussi bancale soit-elle. Or, c’est plutôt les deux kretin, le grand et le petit, qui sont en train de se faire raboter. Parallèlement, le Gran-kretin escompte aussi accroître son pouvoir de marchandage vis-à-vis de Ramgoolam, qui, lui-même, place et déplace ses pions sur l’échiquier à la manière d’un Bobby Fischer ! J’espère, en tout cas, que la population ne se laissera pas abasourdir. La triste réalité, c’est que si la classe politique s’acharne à s’entre-couillonner ainsi en public, c’est qu’elle prend le peuple pour enn pli gran kouyon !
* Qu’est-ce qui explique l’empressement de Paul Bérenger de vouloir à tout prix et au plus vite cette réforme du système électoral et l’instauration d’une deuxième République — au-delà du fait que ses interlocuteurs se trouvent présentement fragilisés ?
Il n’y a que le MSM qui soit présentement fragilisé, comme vous dites. Arcbouté sur l’Alliance de l’Avenir, le PTr, l’autre interlocuteur de Paul Bérenger, se renforce plutôt à la faveur de l’évasion du MSM. Bérenger veut la proportionnelle parce qu’il semble enfin convaincu que son MMM, même sous son avatar d’Alliance du Cœur, est voué à plafonner à 43-44% de l’électorat. En 2010, avec 44% des voix, il a obtenu seulement 30% des sièges. Il aimerait bien 44% des sièges au Parlement. Ce serait une base solide pour envisager des combinaisons post-électorales. Sauf que le MSM refuse de lui faire un tel cadeau. On a compris que Pravind Jugnauth, lui, s’accommoderait d’une toute petite dose de proportionnelle, qui laisserait le système actuel (avec ses Best Losers) plus ou moins intact. Car il rêve, lui, de supplanter et de remplacer le PTr.
Quant au PTr, dont l’Alliance de l’Avenir a remporté près de 70% des sièges en 2010 avec 49% du suffrage populaire, a-t-il vraiment intérêt à prôner la proportionnelle que veut Bérenger ? Il est permis d’en douter. Mais tout prétexte est bon pour un koz-koze, qui est à la politique mauricienne ce que le flirt est à l’amour qui veut attiser la jalousie de l’amant à l’ardeur déclinante ! Voilà pourquoi Bérenger parle aussi de 2e République et de présidence « fortifiée », sachant que cela intéressera Ramgoolam plus que la proportionnelle elle-même. Mais attention, nous sommes dans un marché de dupes, où l’intérêt que laisse entrevoir le joueur Ramgoolam pour tel ou tel sujet n’est peut-être qu’une astuce visant à entretenir l’appétit de « l’interlocuteur » !
* Une réforme électorale et une deuxième République, taillées à sa mesure feront, dit-on, l’affaire du leader du MMM, ce qui va lui permettre, grâce à ses 44%, de contester les élections seul sans l’appui de quelque béquille — MSM ou MMSM… Qu’en pensez-vous ?
Effectivement. Comme je viens de le dire, le MMM/Alliance du Coeur peut aller seul aux élections s’il est assuré, statutairement, d’obtenir en termes de sièges au Parlement un pourcentage équivalent à la part du suffrage populaire qu’il aura recueillie. Il pourra ensuite, après le vote, envisager des alliances ou coalitions post-électorales. C’est là son calcul. Mais dites-vous bien que le MSM n’acceptera jamais une telle proportionnelle. Comme la grenouille de la fable qui voulait devenir grosse comme le bœuf, il veut remplacer le PTr sur la scène mauricienne. Mais d’ici là, il lui faudra d’abord égaler, voire supplanter, le MMM comme deuxième force du pays. C’est vrai que le MMM fait tout ce qu’il peut pour décliner inexorablement. Mais on ne voit encore aucun signe de maraudage de la part du MSM dans les plates-bandes du MMM, voire du MMSM. Et on imagine mal Bérenger et sa garde rapprochée, ou encore l’oncle Ashock Jugnauth, tolérer d’éventuelles velléités de ce genre.
* En d’autres mots, c’est une occasion inouïe qui s’est présentée devant Paul Bérenger, en raison de la présente vulnérabilité de ses rivaux politiques, de pouvoir imposer sa réforme. Voyez-vous Pravind Jugnauth ou Navin Ramgoolam se laisser faire ?
« Occasion inouïe » pour Bérenger « d’imposer sa réforme » ? Vous allez un peu vite en besogne. J’ai souvent dit dans votre journal que « le chat Navin veut avaler le serin Pravind ». En décidant de quitter le cabinet et ensuite l’Alliance de l’avenir elle-même, le serin Pravind a échappé de la gueule du chat Navin, il s’est évadé de la cage. J’ai parlé d’« évasion » auparavant. Quand il s’est plaint en public de « 15 mois de suffocation », j’ai entendu cela physiquement ! Mais le chat aime bien jouer avec sa proie et, parfois, il ne l’avale même pas. Le serin Pravind rôde désormais autour de la cage du chat Paul, dont il s’est déjà échappé une fois. Et le chat Navin les observe. Si Bérenger croit vraiment que c’est une « occasion inouïe » pour lui « d’imposer sa réforme » à l’un ou à l’autre, il se met le doigt dans l’œil … jusqu’au coude. Mais tout cela, c’est du sideshow, où la politique comme service du peuple ne trouve guère son compte. Comme on dit, ce sinema équivaut à redistribuer les chaises sur le pont du Titanic alors que le navire est en train de sombrer !
* On se disait auparavant que Pravind Jugnauth ne dispose pas d’une grande marge de manœuvre – il a dû se rapprocher du MMM pour rassurer ses troupes de la possibilité d’une éventuelle alliance avec le MMM, évitant ainsi l’implosion de son parti. Mais dispose-t-il, à votre avis, d’autres options politiques ?
Les options politiques ne manquent pas, ni au MSM ni aux autres partis, existants ou en devenir. Tout doit partir de la base, avec la construction du parti et de la démocratie interne du bas vers le haut. Le MSM ne l’a jamais fait. C’est un parti qui s’est formé à l’intérieur du MMM quand le MMM n’était plus une formation démocratique, mais avait plutôt pactisé avec la vieille culture politique en multipliant ses composantes communalistes, parachutées d’en haut.
J’avais conseillé à Anerood Jugnauth de retourner à la base et de rebâtir le MSM en l’enracinant dans le peuple. C’était en 1987 et il était alors premier ministre. Je lui avais aussi conseillé d’être « le premier ministre de tous les Mauriciens ». Il a fait semblant d’écouter. Son regard portait plutôt vers le Sun Trust comme centre de son pouvoir et de son MSM. Il m’avait même offert d’assurer la direction de son journal, une offre totalement inacceptable que j’ai déclinée avec diplomatie.
Le MSM aujourd’hui reste pris plus que jamais dans le vortex du Sun Trust, qui apparaît comme une « bande clanique » (hélas, pas la seule) après la saga MedPoint. Pravind Jugnauth a-t-il la vision et le courage de repartir à zéro ? On en doute, vu la maladresse dont il a fait preuve en rompant avec Ramgoolam pour se retrouver dans la gueule du gran frer. Il a quitté le navire de l’État au moment où l’économie va de mal en pis. Vu la toute-puissance du PMO, il n’avait pas les coudées franches comme ministre des Finances, Il peut donc souffler, pour lui-même, sinon pour le pays. Mais XL Duval a mauvaise grâce de tourner le couteau dans la plaie en disant que le pays n’avait pas de ministre des Finances depuis mai 2010. XLD vient d’être envoyé à l’abattoir par Ramgoolam, et il verra vite que lui non plus n’a pas une grande marge de manœuvre comme ministre des Finances. À défaut de Bérenger (ou de Sithanen), il est la nouvelle caution du pouvoir auprès du secteur privé et surtout de l’oligarchie. Quant à Pravind, il pourra toujours essayer de s’acoquiner son chacha, Guimbeau et Meeah, et la caisse du Sun Trust aidant, espérer débaucher quelques élus travaillistes, ce qui paraît fort improbable. Non, il n’y a pas de substitut à l’engagement et à la construction démocratiques.
* Qu’en est-il de Navin Ramgoolam ? C’est lui qui en fin de compte décidera s’il y aura réforme électorale ou pas – malgré l’empressement de Bérenger — même il s’est mis récemment à flatter la « culture politique » du MMM… ?
Navin Ramgoolam mène le jeu politique, mais c’est tout. Il sait jouer les uns contre les autres, et prévaloir. Mais prévaloir pour faire quoi ? Pour gérer le petit train-train de labutik et ré-éditer, budget après budget, les vieilles listes d’épicerie de dépenses et de revenus ? Il se targue d’assurer la « stabilité politique », mais ça ne saurait être une fin en soi.
On attend toujours sa vision, son projet de société, pour un État-archipel juste, durable, productif et écologique. Sa volonté de « démocratiser l’économie » a pris le chemin du « capitalisme du peuple » de Margaret Thatcher. Les bouleversements du 21e siècle n’attendront pas. – La nationalisation de mines, de banques, de propriétés agricoles, fait débat en Afrique du Sud, tout comme l’assurance-maladie publique, dans un secteur où l’assurance privée est devenue une industrie pour les riches (15% de la population).
Le couple franco-allemand veut une taxe sur les transactions financières pour financer la dette de la zone euro.
A la veille de sa retraite comme chef d’état-major interarmes, l’amiral Mike Mullen vient de rappeler que « les États-Unis ont des intérêts de sécurité vitaux en Asie du Sud », ce qui veut aussi dire l’Afrique de l’Est et l’océan Indien.
Le Nigeria limite la durée au pouvoir de son Président à deux mandats de quatre ans, et parle maintenant d’un seul mandat de six ans pour combattre la corruption endémique.
Mouvement inverse aux États-Unis : la Cour suprême vient de retirer toute limite sur le financement des élections par les compagnies, richissimes, et des analystes redoutent une nouvelle poussée de privatisation à la faveur de la crise.
Mais Maurice, État-archipel au potentiel énorme au cœur de l’océan Indien, pont naturel entre l’Asie et l’Afrique, reste prisonnier de son vieux modèle, régressif et dépassé, qui pollue et qui appauvrit, qui gaspille et qui corrompt, qui aliène et qui déshumanise. Dans le jeu politique, Ramgoolam a la haute main et le flair du vainqueur. La petite flatterie à l’égard de la « culture politique » du MMM fait partie de ce jeu, rien de plus. Enfoncer un coin entre le MMM et le MSM. Des chroniqueurs se sont longuement attardés là-dessus, ce qui ne m’a guère surpris, les médias mauriciens étant ce qu’ils sont…
* Navin Ramgoolam mise sur la carte Xavier Duval/PMSD d’où la promotion de ce dernier aux Finances. Le fils de Gaëtan Duval inspire confiance au sein du secteur privé et il est considéré comme étant un « performer ». Stratégie payante politiquement à long terme, selon vous ?
Dans le contexte de méga-crise économique qui menace, avec la décote des États-Unis et la menace qui pèse sur la France, Navin Ramgoolam avait le choix entre le PMSD et le MMM pour rassurer le secteur privé. Il a choisi de miser sur son fidèle allié, qui avait accepté sans broncher d’être muté du Tourisme à l’Intégration sociale. Ramgoolam n’a pas de projet audacieux, mais il a de bonnes antennes. Il a des conseillers et des ambassadeurs, et il se rend régulièrement en Europe pour être à l’écoute. Et il se tient bien sûr au courant de la situation à Maurice.
« Les pertes se succèdent dans l’hôtellerie, le sucre, l’assurance ou l’aérien », a écrit Patrick Pédel dans L’Express. « L’environnement (mondial) s’est sérieusement dégradé ces dernières semaines », a-t-il dit, ajoutant, par une litote : « Cet environnement n’est évidemment pas neutre pour Maurice ».
Xavier Duval est donc envoyé au front alors que le ministère des Finances est géré par le PMO. Si ça tourne mal, c’est Duval qui portera le titre de l’odieux et qui sera sacrifié. Stratégie politique payante pour Ramgoolam, oui, mais qu’en sera-t-il du peuple, de l’économie et du pays?
* Cehl Meeah, le leader du FSM, ne cesse de parler de ses contacts avec les Travaillistes. Celui qui avait voulu remplacer Xavier Duval à l’Intégration sociale, contrôle, dit-on, cette frange de l’électorat flottant à la Plaine Verte qui détermine la victoire dans 2/3 circonscriptions. Y a-t-il de la place pour lui au sein de l’Alliance de l’Avenir ?
L’Alliance de l’Avenir peut faire de la place à qui elle veut, mais à ses conditions propres. Cehl Meeah est le symbole d’une communauté échaudée qui ne veut pas mettre tous ses œufs dans le même panier. De Front Musulman, il s’est réincarné en Front Mauricien, comme à Karachi le MQM des Mohajir (immigrants musulmans venus de l’Inde à la partition) s’est transformé en mouvement Muttahida (Unifié), mais l’image de chef communaliste lui reste collée à la peau – tout comme le MQM n’arrive pas à s’implanter en dehors de son fief de Karachi. C’est la mouvance Beebeejaun au sein du PTr qui décidera si Cehl Meeah peut intégrer l’équipe de l’Alliance de l’Avenir. Et là, l’affaire tournera autour du vote musulman notamment à Plaine-Verte, et Vacoas-Phoenix. Le conservatisme social de Meeah lui ferme des portes, mais si l’Alliance de l’Avenir peut s’accommoder de la VOH, elle peut peut-être aussi travailler avec le FSM !
* Au-delà des calculs politiques des uns et des autres, pensez-vous qu’il y a effectivement lieu de réformer le système électoral et d’introduire une dose de proportionnelle ? Plusieurs observateurs citent l’exemple de Rodrigues, de Trinidad et Tobago, etc., pour affirmer que la représentation proportionnelle est vouée à l’échec…
La question de la proportionnelle reste malheureusement liée à Maurice (et à Trinidad) à la représentation communale, et plus récemment des femmes – quoique Trinidad vient d’élire une femme Premier ministre en la personne de Kamla Persad-Bissessar.
Après 43 années d’indépendance, et près de 20 ans de République, Maurice aurait dû transcender le communalisme et s’installer de plain-pied dans l’identité citoyenne et républicaine. Le Groupe des 104 a exprimé ce désir au scrutin de 2010, et le combat de Resistans ek Alternativ contre l’identification communaliste requise par la Loi électorale garde la question d’actualité.
Cependant, le débat sur la proportionnelle ne disparaîtrait pas pour autant. Dans des pays où le communalisme institutionnel n’a pas cours, comme au Canada par exemple, l’iniquité du système FPTP (First Past The Post) ramène régulièrement la question sur le tapis. Avec 39,6% des voix le 2 mai dernier, le Parti conservateur de Stephen Harper a obtenu une majorité de 166 sièges (sur 308, donc près de 54% des élus), sa première majorité en trois tentatives. Le NPD social-démocrate a détrôné les libéraux comme opposition officielle mais, avec 30,6% des voix, il a été limité à 103 élus. Pour la gauche, les Tories de Harper dirigent toujours « un gouvernement minoritaire » (avec moins de 40% d’appui populaire) ! Quant à la représentation des femmes, elle est traitée au niveau des partis, et le 2 mai dernier, il y a eu un record de 76 femmes qui sont entrées au Parlement canadien, même si ce nombre représente seulement 25% du total de 308 élus.
Ce qui importe à Maurice, c’est de régler une fois pour toutes, avec courage et vision, la question de la citoyenneté égale, pleine et entière. S’attarder sur la proportionnelle, c’est continuer d’entretenir le virus communaliste, et donc, ralentir et retarder la construction nationale.
* Paul Bérenger souhaiterait dans le cadre de l’instauration d’une deuxième République que le Président, avec pouvoirs accrus, soit élu par l’Assemblée nationale et non pas au suffrage universel. Est-ce acceptable ?
Un président honorifique, un chef de l’État symbolique, est élu par les législateurs, comme en Inde et au Pakistan. Alors qu’un Président exécutif est élu au suffrage universel direct comme en France ou indirect comme aux États-Unis (via le Collège électoral). Qu’est-ce qui est acceptable et qu’est-ce qui ne l’est pas, c’est au peuple et aux électeurs de décider, par des débats publics et par un référendum précédé d’une vaste campagne. Bérenger dit aussi vouloir mettre un holà au transfugisme – mais pour lui les transfuges sont les élus MSM qui ont choisi de rester fidèles à l’Alliance de l’Avenir qui les a fait élire, non pas ceux qui ont quitté l’Alliance de l’Avenir pour se jeter dans ses bras !
* Si réforme il doit y avoir, ne devrait-on pas aussi et par la même occasion, examiner la question de financement politique, renforcer les pouvoirs de la Electoral Supervisory Commission, introduire un code de conduite pour les politiques et approfondir la démocratie régionale ? Ne serait-il pas souhaitable de rechercher l’avis du citoyen par rapport à toutes ces propositions par le biais d’un référendum ?
Avec la question de l’identité citoyenne et de la construction nationale, la réforme électorale est fondamentale mais seulement si elle assainit et rend limpide et transparent le financement politique des partis et des élections, si elle impose un Code de conduite aux partis, si elle instaure les conditions d’un approfondissement de la démocratie à tous les niveaux, et cela dans un sens de plus en plus participatif.
Savez-vous que le rappel des élus, une idée vite abandonnée par le MMM, est pratiqué aux États-Unis au niveau des États ? Lors d’un vote de rappel au Wisconsin tenu la semaine dernière sur la base de pétitions signées par des milliers d’électeurs, deux sénateurs républicains ont été défaits : ils avaient soutenu la mesure du gouverneur Scott Walker qui a enlevé aux fonctionnaires leurs droits de négociation collective dans le cadre d’un vaste programme de coupures budgétaires dans le secteur public. Si un 3e sénateur républicain avait été « rappelé », cela aurait paralysé la gestion du gouverneur Walter !
C’est clair que l’input et la pleine participation du citoyen et de la citoyenne dans le débat autour de ces propositions, et d’autres idées semblables, sont non seulement « souhaitables », comme vous dites, mais sont essentiels et prioritaires dans une démocratie qui se respecte et qui veut avancer avec son époque. On a bien dit que la guerre est une chose trop sérieuse pour être laissée aux militaires. On peut aussi dire que la politique est bien trop sérieuse pour être laissée aux politiciens, surtout les mauvais bricoleurs et autres roder-bout qui nous gouvernent – ou rêvent de nous gouverner.
* Published in print edition on 19 August 2011
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