Le fast-food mauricien mis sur la sellette

Baisse du seuil d’enregistrement à la TVA

L’imposition d’une obligation fiscale aux PME est perçue comme inéquitable étant donné les larges exemptions d’impôts accordées aux propriétaires de villas de luxe et aux promoteurs des ‘Smart Cities’

Par Prakash Neerohoo

L’Association des Consommateurs de l’Ile Maurice (ACIM) a lancé un appel au boycott des aliments préparés (roti et dhollpuri) vendus par des marchands en signe de protestation contre la hausse des prix survenue dans la foulée de l’application de la TVA de 15% sur la nourriture préparée. Est-ce une démarche sage ou une démarche audacieuse qui ignore certaines réalités qui dépassent le simple cadre de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) ? L’ACIM a-t-elle pour rôle de défendre coûte que coûte les consommateurs sans tenir compte du contexte socio-économique du problème ? C’est un problème beaucoup plus complexe que ne le pense l’ACIM.

Dans notre édition précédente, sous le titre « Baisse du seuil d’enregistrement de la TVA : quelle rationalité économique ? », nous avions analysé l’impact de la nouvelle mesure fiscale sur les consommateurs, les petites et moyennes entreprises (PME) et la politique fiscale indirecte. Il est évident que la baisse du seuil d’enregistrement à la TVA de Rs 6 millions à Rs 3 millions de chiffre d’affaires annuel a pour résultat d’entrainer dans le filet de la TVA beaucoup de PME, y compris des marchands d’aliments préparés qui opèrent des étals dans les marchés publics ou des tricycles de vente ambulants.

Marge de profit

Ces marchands n’ont pas d’autre choix que de répercuter la TVA de 15% sur les prix de vente s’ils dépassent le seuil d’enregistrement. Ainsi, une paire de dhollpuris vendue à Rs 15 coûte désormais Rs 17,25 (Rs 15 + Rs 2,25 de taxe). Une paire vendue à Rs 20 coûte Rs 23 (Rs 20 + Rs 3 de taxe).

Le tableau 1 indique le montant de la TVA (VAT) qui serait collecté si un marchand a un chiffre d’affaires de Rs 3,6 millions.

L’ACIM pense que les consommateurs ne devraient pas payer plus de Rs 17 pour une paire de dhollpuris. Selon une déclaration du secrétaire général de cette association, tout prix supérieur n’est pas justifié parce que les marchands « réalisent des profits conséquents » (voir Le Mauricien du 14 octobre 2025). Une étude de l’ACIM aurait établi le coût de production d’une paire de dhollpuris à Rs 5,15, ce qui assure une marge de profit brute (« markup ») de Rs 14,85 (soit 74%) sur le prix de Rs 20. Nous supposons que ce coût de production inclut seulement les coûts directs tels que les matières premières (farine, huile comestible, légumes divers), le gaz ménager et la main d’œuvre. Si l’on devait inclure les coûts indirects (amortissement des outils et équipements, frais de transport, service de vente, frais d’étals, contributions à la CSG pour employés, etc.), la marge de profit descendra en-dessous de 50%.

Risques du boycott

Le boycott prôné par l’ACIM porte des risques sur plusieurs plans.

(1)  Il menacera l’existence des PME dans l’industrie du fast-food qui ont un chiffre d’affaires de plus de Rs 3 millions par an.

(2) Il éliminera des emplois dans cette industrie pour les travailleurs manuels.

(3) Il va tuer une industrie de fast-food relativement abordable à l’avantage des restaurants ou des chaines de restaurants qui vendent des aliments préparés à des prix plus élevés (pizzas et autres burgers).

(4) Il va sonner le glas d’une culture gastronomique locale qui s’est bâtie au fil des décennies grâce à l’ingéniosité et la sueur de petits entrepreneurs.

(5) Il mettra fin à une tradition intergénérationnelle du travail indépendant chez une communauté d’entrepreneurs qui ne dépendent pas de la générosité de l’État.

(6) Il découragera l’esprit d’entreprise dans une industrie qui ne requiert pas un gros capital en investissement à l’avantage de grosses sociétés de fast-food.

(7) Il ne permet pas une appréciation raisonnable de l’effort de petits entrepreneurs qui s’échinent au travail sept jours sur sept pour satisfaire leur clientèle.

Les PME qui voudront échapper au boycott ou à l’obligation de percevoir la TVA sur leurs ventes seront encouragés de garder leur chiffre d’affaires annuel sous le seuil d’enregistrement de Rs 3 millions. Ce qui éliminerait certains emplois chez les PME qui dépassaient ce seuil. Il faut souligner que le marchand est un agent qui collecte la TVA pour l’État. Le blâmer pour toute hausse de prix due à la TVA est un faux raisonnement. Le stigmatiser parce qu’il fait des bénéfices dans son entreprise est une attitude foncièrement anti-entrepreneuriale. Et le critiquer pour ne pas supposément déclarer tous ses revenus au fisc est une position simpliste.

Solution idéale

La solution idéale aux préoccupations des consommateurs est de détaxer le fast-food local en accordant aux aliments préparés, vendus en dehors d’un restaurant, le statut de « zero-rated supply » sous la loi de la VAT. Sans doute l’intention du gouvernement en baissant le seuil d’enregistrement à la TVA de Rs 6 millions à Rs 3 millions était d’élargir l’économie formelle du pays.

Cette intention peut toujours être accomplie avec le « zero-rated supply » parce que les PME, pour avoir droit au crédit de taxe sur les intrants (Input Tax Credit) utilisés dans leurs activités commerciales, devront soumettre une demande à la MRA avec une déclaration de VAT payée aux fournisseurs ainsi qu’une déclaration des revenus de vente.

La MRA serait alors en mesure de percevoir l’impôt sur le revenu net de l’entrepreneur indépendant (après déduction des charges) ou l’impôt sur les bénéfices d’une entreprise enregistrée comme une société au taux général de 15%.

Contexte plus large

Les considérations sous-tendant la nouvelle politique du gouvernement envers les PME (notamment l’élargissement de l’économie formelle et l’expansion de l’assiette de la TVA) devraient être placées dans le contexte plus large de la politique fiscale de l’État.

Certains pensent, à juste titre, qu’il n’est pas raisonnable d’imposer une obligation de perception fiscale sur les PME ayant un chiffre d’affaires annuel entre Rs 3 millions et Rs 6 millions au moment où le gouvernement est plus généreux envers d’autres contribuables plus riches. Par exemple, les propriétaires de villas de luxe sur la côte sont exemptés de toute taxe foncière (taxe immobilière et taxe sur les gains en capital) sous les plans de logement IRS/PDS (Integrated Resort Scheme/Property Development Scheme). Les sociétés qui développent les villes intelligentes (smart cities) sont exemptés de toutes les taxes (droits de cession foncière, droits de conversion de terres agricoles, VAT sur les intrants et équipements, impôt sur les bénéfices, etc.).

En ciblant une catégorie de petits entrepreneurs, l’ACIM fait une analyse simpliste des enjeux de la politique fiscale. Elle se trompe de cible carrément. Elle ferait mieux de voir les prix dans les supermarchés qui crèvent le plafond. Elle regarde l’arbre au lieu de voir la forêt.


Mauritius Times ePaper Friday 17 October 2025

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