Gen Z: “Il n’existe pas réellement de tradition révolutionnaire à Maurice…

… même nos pseudos révolutionnaires ont très vite été absorbés par le système”

Interview : Jocelyn Chan Low

 * ‘En cas de Rupture de l’Alliance : Paul Bérenger sera-t-il suivi par ses ministres et députés du MMM ?’

* ‘Il se pourrait que la révolte des Gen Z de 2025 ne soit qu’un « trailer » de choses à venir’

Dans un monde traversé par les inégalités, la corruption et les crises écologiques, une nouvelle génération se lève: la Génération Z. De l’Asie à l’Amérique latine, en passant par l’Afrique, ces jeunes nés à l’ombre du libéralisme triomphant des années 1990 refusent aujourd’hui l’héritage d’un système épuisé et moralement discrédité. Ils se révoltent non seulement contre la misère, la corruption ou le népotisme, mais contre une forme d’injustice systémique qui leur vole l’avenir. À travers les réseaux sociaux, leurs cris de colère deviennent viraux, leurs luttes locales prennent une dimension planétaire. Dans cet entretien avec Mauritius Times, Jocelyn Chan Low décrypte les raisons profondes de cette insurrection générationnelle et s’interroge sur son possible impact à Maurice.

Mauritius Times: Qu’est-ce qui, selon vous, pousse la Génération Z à se soulever aux quatre coins du monde ? Le constat général est que les problèmes spécifiques (comme les coupures d’eau et d’électricité à Madagascar) ne sont souvent que l’étincelle qui met le feu aux poudres car le mécontentement systémique bien plus profond. N’est-ce pas la corruption qui en est la racine principale ?

Jocelyn Chan Low: Si l’on se réfère aux slogans des divers mouvements qui agitent le drapeau pirate du manga “One Piece” d’Eiichiro Oda devenu aujourd’hui le symbole de la révolte des Gen Z, c’est effectivement contre la corruption généralisée des dirigeants de leurs pays respectifs qu’ils se dressent. Des Philippines à l’Indonésie, du Népal à Madagascar, du Pérou à l’Equateur, du Maroc à Timor Leste, c’est surtout contre les abus d’une caste de politiciens trop soucieux de leurs poches et de leurs proches que du bien-être de leur population.

Par exemple au Pérou, en juillet 2025, en pleine crise économique, la présidente Dina Boluarte avait doublé son salaire alors que le peuple plongeait dans la misère. On voit le même schéma en Indonésie où les députés, déjà grassement rémunérés, avaient voté une loi s’octroyant des augmentations de salaires en pleine crise économique.

À Timor Leste, c’est l’achat de SUVs à remettre aux députés qui avait provoqué de violentes manifestations, contraignant le parlement à mettre fin à la pension à vie pour députés et ministres.

Au Maroc, la protestation est liée à la décision de privilégier des dépenses liées à la coupe du monde alors que la situation dans les hôpitaux se dégrade provoquant le décès des femmes enceintes.

Aux Philippines, c’est le détournement de millions de dollars par des politiciens, contracteurs et officiels, souvent proches des dynasties politiques au pouvoir, incluant un proche du président actuel. Ces sommes devraient être allouées à des projets pour prévenir les inondations souvent meurtrières dans le pays, cequi a suscité l’outrage général, y compris celui du clergé de l’église catholique. Mais ce sont les jeunes qui ont été à l’avant-plan du mouvement.

Mais il y a quand même une dimension de classe dans la campagne dénonçant la corruption sur les réseaux sociaux, à travers une vigoureuse campagne contre les “Nepo Kids”, les enfants des dignitaires. Ces derniers exhibent d’une manière scandaleuse sur les réseaux sociaux leur train de vie fastueux au moment où la majorité de la population sombre dans la misère en raison de la crise économique et des effets néfastes du changement climatique.

À noter que parmi les dirigeants mis en cause, on retrouve des personnes qui étaient censées incarner l’espoir du renouveau à l’instar d’Andry Rajoelina,   Sharma Olidu Népal (ce dernier avait été associé à l’insurrection maoïste) ou même de Ina Boluarte qui se proclamait marxiste-léniniste au début de sa carrière pour finir associée aux partis de droite du pays…La trahison de leur engagement pour une refonte du système dans des pays marqués par une grande pauvreté et un grand écart de richesses fait aussi partie de l’équation.

* L’Histoire montre que la jeunesse est traditionnellement le moteur des changements sociaux, mais la Gen Z (ceux nés entre la fin des années 1990 et 2010) possède des caractéristiques uniques qui la placent en première ligne de ces mouvements mondiaux. Quelle analyse faites-vous de cette nouvelle donne?

Effectivement, à chaque moment de bascule de l’Histoire les jeunes ont été à l’avant-poste. La jeunesse représente la fougue, l’idéalisme, et les yeux tournés vers l’avenir; la jeunesse contestataire ne recule pas devant les obstacles et la répression. On n’a qu’à voir le bilan très lourd des manifestations de la Gen Z : à Madagascar, plus de 22 manifestants abattus par les forces de l’ordre ; au Népal, on décompte près de 71 morts, incluant des jeunes de 13-14 ans portant leur uniforme d’écoliers. Et les événements de Mai 68 et de mai 75 à Maurice ont été l’affaire de la jeunesse.

D’ailleurs, c’est à travers la mobilisation de la jeunesse que Mao Tse Tung lança la Révolution Culturelle à travers laquelle il voulait redynamiser la révolution chinoise.

Si l’on s’étonne de l’éruption de la Gen Z au-devant de la scène aujourd’hui, c’est surtout parce qu’il y a eu un moment où la jeunesse s’est effectivement endormie, notamment à partir des années 80-90.

Ralf Dahrendorf, éminent sociologue et vice-chancelier de la London School of Economics and Political Science, avait bien perçu cela à l’époque. Je me souviens d’une de ses conférences où il exprimait son appréhension face à cet état de choses. Selon lui, les jeunes de l’époque ne contestaient plus le système mais s’évertuaient à trouver leur place au soleil à l’intérieur du système. Or, la contestation est essentielle par rapport au progrès d’une société.

* Pouvez-vous élaborer à propos de l’endormissement des jeunes à partir des années 80-90 ?

Effectivement, à partir des années 1980, avec ce qu’on a décrit comme « la fin des idéologies » ou la « fin de l’Histoire » et le triomphe du libéralisme, il y a eu un optimisme béat. On pensait qu’avec le modèle libéral et la mondialisation, on entrait définitivement dans le meilleur des mondes où chaque jeune finalement trouverait sa place au soleil. A Maurice, on a vu le désengagement de la jeunesse, la montée de l’individualisme hédoniste, et le fait de devenir un yuppie étant le but recherché de la grande majorité. Mais les choses ont bien changé.

L’historien, en analysant les mouvements profonds, se tourne d’une manière générale d’abord vers la démographie historique. Effectivement, les pays où la Gen Z se fait entendre bruyamment ont une structure démographique où les jeunes sont largement majoritaires. À Maurice, c’était le cas dans une certaine mesure dans les années 70. Et c’est le cas dans la majeure partie du sud global, en Asie du Sud et du Sud Est, en Afrique et en Amérique Latine.

D’ailleurs la contestation Gen Z ne date pas de 2025. Déjà, en 2024, il y a eu le soulèvement de la Gen Z au Kenya contre le budget du Président Ruto et des manifestations monstres de la Gen Z contre la vie chère dans le Nigeria du Président Tinubu.

* Mais au-delà de l’aspect démographique, n’y a-t-il pas aussi la faillite, à la fois morale, économique et politique, du système en place ?

Effectivement. Le génocide à Gaza illustre parfaitement cela. Et c’est ainsi que la Gen Z s’est mobilisée massivement sur les campus de Harvard, de Columbia et d’autres universités américaines et européennes, où déjà les Critical Studies avaient un impact considérable. Pour la Gen Z du 21e siècle, la question palestinienne était ce que le Vietnam avait été pour les jeunes contestataires des années 60.

Mais il y a des différences entre les jeunes des années 1960, des années de croissance des « Trente Glorieuses », et la Gen Z. D’abord la Gen Z vit dans une situation où leur avenir est incertain. Les structures économiques dominées par la mondialisation – que ce soit en Occident ou dans le Sud Global – ne peuvent plus garantir leur réussite personnelle.

* Qu’en est-il de l’impact de l’internet et des réseaux sociaux ?

L’internet et les réseaux sociaux sont des espaces publics où circulent des informations libérées des contraintes et surtout de la propagande insidieuse pro-système des médias mainstream qui, quoi qu’on en dise, font partie d’un système et s’évertue à créer un large consensus pour son maintien.

Comme l’écrit Noam Chomsky, l’internet peut devenir un outil d’empowerment et de libération du citoyen. Et les réseaux sociaux peuvent se révéler être des outils formidables de partage des idées, d’organisation et de mobilisation. C’est aussi l’espace public privilégié des jeunes mais difficile à contrôler.

On a vu les résultats des tentatives de bâillonner les réseaux sociaux au Népal… Le gouvernement est tombé en 48 heures! De ce fait, il se pourrait que la révolte des Gen Z de 2025 ne soit qu’un « trailer » des choses à venir.

Par ailleurs, il faut aussi se rappeler que Trotsky disait que la guerre est la « véritable locomotive de l’Histoire », car elle met à mal les systèmes défaillants… Or, au 21e siècle, le changement climatique et ses conséquences pourraient se révéler être la vraie locomotive de l’Histoire.

Dans les pays qui font face déjà à des conditions climatiques difficiles et avec une jeunesse impatiente, comment vont naviguer ces vieux dictateurs, des pseudos démocrates qui survivent en noyautant le judiciaire et en se maintenant au pouvoir à travers des élections truquées, et grâce au soutien de puissances étrangères désireuses demain tenir le pays dans une situation de dépendance néocoloniale ?

* Donc, si la jeunesse a toujours été l’avant-garde des changements, la Gen Z, elle se distingue par sa capacité à transformer l’injustice économique et la corruption en un mouvement politique mondialisé grâce à la technologie. C’est ça?

Effectivement, plus que jamais, on peut suivre les actions de la Gen Z et leur révolte en « live and direct » sans se fier aux agences de presse internationales avec leur filtre et leur miroir déformant selon leurs agendas, et cela, grâce à des milliers de participants disposant d’un simple Smartphone.

L’intérêt que de telles vidéos de courte durée suscitent chez les populations concernées fait qu’elles deviennent virales et la nature des algorithmes notamment sur Tik Tok fait qu’elles le deviennent aussi au niveau mondial avec la possibilité de contagion.

* En ce qui concerne le rôle de la jeunesse en tant que force de contestation, il y a des parallèles frappants avec d’autres périodes historiques, même si l’outil de mobilisation diffère : Mai 68 en France, le Printemps de Prague (1968), les révolutions de 1989 en Europe de l’Est et les Printemps Arabes (2010-2012). Le changement recherché par ces générations de jeunes a-t-il eu des effets bénéfiques pour leurs sociétés respectives ?

Ce qui caractérise le mouvement Gen Z, c’est le manque d’organisation structurée, de leaders reconnus et d’objectifs bien élaborés si ce n’est le dégagisme face à un régime corrompu et discrédité. Le peuple dans la rue peut être perçu comme un exemple de démocratie directe et l’absence de leaders reconnus à la tête d’une organisation solide fait que la révolte est difficile à mater pour le pouvoir en place.

C’est pour cela d’ailleurs que des régimes (Madagascar, Népal) ou des Présidents (Pérou) sont tombés en quelques jours. Mais révolte ne veut pas dire révolution avec des réformes en profondeur d’un système qui est en fait responsable de la crise. Lénine avait bien prédit cela il y a plus d’un siècle dans son ouvrage ‘Que faire ?’, un classique de la littérature révolutionnaire.

Seul un parti structuré avec des objectifs clairs et bien définis et un programme élaboré peut transformer une révolte en révolution. En l’absence d’un tel parti, la révolte peut se transformer en contre-révolution où les tenants de l’ordre ancien reprennent le pouvoir mais déguisés en rénovateurs. Au Népal, certains s’interrogent sur le rôle de l’armée dont certains généraux sont liés aux monarchistes. À Madagascar, l’armée reste une énigme.

Au sujet du Printemps arabe, les résultats n’ont guère été probants, alors que dans certains pays de l’Europe de l’Est, la nostalgie de l’ère soviétique/communiste revient avec force, à l’instar de la partie orientale de l’Allemagne, de la Roumanie, de la Pologne, de la Hongrie, et de la Slovaquie, en raison du désenchantement post-révolutionnaire, comme l’indiquent les sondages.

Paradoxalement, c’est sur ce terreau que prospèrent des partis populistes d’extrême droite anti-Bruxelles, alors que ces révolutions anticommunistes avaient été faites au nom des « valeurs occidentales » et pour rejoindre l’Europe…

* La toute dernière révolte des jeunes s’est produite plus près de nous, à Madagascar, et on ne sait pas si le dénouement sera bénéfique sur le long terme, puisqu’en fin de compte, c’est l’armée qui s’est emparée du pouvoir. Cette situation soulève des interrogations quant aux motivations réelles des colonels des forces armées. Quelle analyse faites-vous de cette transition de la contestation civile au coup de force militaire?

À Madagascar, nous sommes en présence d’une crise de très longue durée qui ne date pas d’hier et qui se manifeste périodiquement par des éruptions politiques. En effet, Madagascar est l’unique pays au monde où le revenu national a chuté par deux au cours de ces 60 dernières années. Dans les années 1960, en terme économique, Madagascar était au même niveau que Maurice ou la Corée du Sud. Aujourd’hui, il suffit de se balader à Antananarivo ou à Toamasina pour constater la situation catastrophique de ce pays où plus de 75 % de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté.

Des chercheurs qui ont tenté d’analyser le phénomène en profondeur notamment ceux associés à l’Institut pour la Recherche et le Développement (à travers l’excellent ouvrage collectif ‘L’Enigme et le Paradoxe: Economie politique de Madagascar’ qu’on peut consulter sur le site de l’IRD) sont arrivés à la même conclusion implacable que nous disaient tout bas nos collègues universitaires malgaches depuis des années.

Cette situation est le résultat d’une petite élite dirigeante qui contrôle à la fois l’économie et l’administration du pays. Souvent binationaux, cette élite dirigeante prédatrice vampirise les ressources du pays à son profit sans se soucier du développement du pays et du bien-être de la population. Ils préfèrent garder le monopole des divers secteurs qu’ils contrôlent plutôt que de s’ouvrir à la concurrence, quitte à laisser le pays en stagnation.

Cette élite traverse tous les régimes qu’elle manipule d’ailleurs. Ainsi les divers changements de régime sont en fait du ‘political froth’. Beaucoup d’agitation à la surface comme l’écume sur un verre de bière, mais dans le fond rien ne change. C’est ainsi qu’il y a eu plusieurs crises à Madagascar, mais l’Histoire tourne en boucle, les vrais problèmes du pays ne sont guère résolus.

La solution réside dans une transformation radicale des structures sociales et économiques du pays, à l’instar de ce qui se fait au Burkina Faso par le capitaine Ibrahim Traore. Sinon la révolte des Gen Z n’aura servi à rien et quand la désillusion s’installera, nous serons repartis pour une nouvelle crise alors que Madagascar continuera de s’effondrer dans la pauvreté absolue.

Quant à la prise du pouvoir par le Capsat et l’armée, il est trop tôt pour se prononcer sur leurs intentions réelles. Comme le disait le Capitaine Jerry Rawlings, icône révolutionnaire du Ghana face à un régime corrompu qui massacre son peuple, l’armée est souvent le dernier recours. En outre, en dépit de la décision de l’Union Africaine de suspendre Madagascar, le fait demeure que, si l’on se fie au fil des événements, l’armée a pris le pouvoir après la destitution de Rajoelina par le Parlement, par une écrasante majorité, et cette prise de pouvoir a été avalisée par le Haut Conseil Constitutionnel en raison du vide au sommet de l’État.

Certes, des institutions clés ont été renvoyées, mais les militaires se sont donné deux ans pour une véritable remise en ordre. Évidemment, à ce stade, il est difficile de dire si c’est une remise en ordre à la fois révolutionnaire et anti-impérialiste ou une mascarade pour sauver les élites et leurs soutiens étrangers. Seul le temps nous le dira.

* Au-delà des facteurs classiquement liés aux révoltes ou aux mouvements de contestation – comme la corruption de la classe dirigeante ou de la bourgeoisie économique – ya-t-il de nouveaux éléments qui sont intervenus pour pousser les jeunes dans la rue?

C’est sans doute un effet de contagion, notamment l’influence de ce qui s’est passé au Népal, aux Philippines et surtout en Indonésie. On a tendance à oublier que les Malgaches constituent un peuple afro-asiatique dont une grande partie a des ancêtres originaires de l’Asie du Sud-Est.

Bien sûr, il y a des théories complotistes qui circulent inévitablement dans de telles situations, surtout que ces révoltes ressemblent dans certains aspects aux « colour revolutions » (révolutions de couleur) sponsorisées par les services secrets américains et le magnat américain Georges Soros. Au Népal, certains y voient la main des forces étrangères. En ce moment même au Népal, des membres de la Gen Z se posent des questions sur le rôle des « bikers » proches du mouvement Free Tibet dans les événements violents qui se sont déroulés à Katmandou.

On ne peut ignorer l’importance géostratégique de ces pays où la révolte des Gen Z s’est déroulée. Pourtant, des preuves concrètes n’ont pas été présentées pour étayer ces théories de manipulations de la Gen Z par des forces externes. Il est vrai, cependant, que des situations de chaos et d’instabilité ouvrent la voie à des tentatives de manipulation par des forces étrangères.

* Les événements chez notre voisin nous poussent à nous poser la question du potentiel de contestation à Maurice: les conditions socio-économiques et politiques sont-elles réunies pour pousser les jeunes dans la rue ?

Absolument pas. Certes, il y a des concordances avec la situation prévalant dans certains pays affectés par la contestation Gen z, notamment la persistance du contrôle de l’économie par quelques grandes familles, le sentiment que la vie politique est en train de tourner en boucle avec les mêmes anciens leaders, les mêmes dynasties politiques qui jouent au “musical chair” indéfiniment.

Il y a aussi les allégations de corruption qui traversent tous les régimes, le scandale du “Reward Money” qui éclabousse l’institution policière et aussi le népotisme et le clientélisme qui fait qu’un grand nombre de jeunes Mauriciens ont le sentiment de suffoquer sur une île déjà exigüe et où le transnational gentrification s’accélère et où les meilleurs places sont réservées aux expatriés tandis qu’au bas de l’échelle, il y a l’influx des travailleurs étrangers.

Mais si le jeune Mauricien se dit « I can’t breathe » à l’île Maurice et envisage surtout d’émigrer et de réussir ailleurs, il ne remet pas en cause le système comme le faisait la génération de Mai 75. En outre, pour bon nombre d’entre eux, les drogues synthétiques sont devenues le véritable « opium du peuple » pour parodier Karl Marx.

Il ne faut pas perdre de vue qu’à Maurice — à la différence du Népal, de Timor Leste des Philippines, de l’Indonésie ou du Pérou — il n’existe pas réellement de tradition révolutionnaire. Même nos pseudos révolutionnaires ont très vite été absorbés par le système. Il faut dire qu’à Maurice le constitutionnalisme a toujours dominé la vie politique du pays. Si changement de régime il y a, c’est toujours par le biais des urnes.

Et finalement Maurice n’est pas qu’une démocratie mais c’est surtout un “social democratic state” avec un “Welfare State” des plus élaborés de l’hémisphère sud. Conçu comme un mécanisme pour corriger les “historically inherited gross inequalities in wealth”, il donne aussi un filet de protection sociale qui empêche les personnes vulnérables de tomber dans la désespérance et la violence. C’est pour cela d’ailleurs qu’on ne saurait transiger sur le maintien de l’État-providence, le socle du modèle mauricien de développement dans la stabilité sociale et politique.

* L’atterrissage d’un jet privé à Maurice dans la nuit du samedi 11 octobre, à bord duquel se trouvaient l’ancien Premier ministre malgache et un homme d’affaires, proche conseiller du président Andry Rajoelina, a provoqué la colère de Paul Bérenger. C’est probablement la troisième fois que le DPM expose publiquement ses désaccords lors de conférences de presse en solo. Quel est son véritable agenda, selon vous ?

Je ne crois pas qu’il faut y faire une lecture de politique partisane de la réaction de Paul Bérenger. Il a parfaitement raison car l’atterrissage du jet privé et le débarquement de personnes controversées à Maurice a une très haute portée diplomatique mettant à mal la position mauricienne dans un cas de crise politique dans un pays membre de diverses organisations dont nous faisons partie et où Maurice a de gros intérêts financiers et économiques.

Effectivement si l’on se fie à ses propos au cours de la conférence de presse, ce pourrait être une énorme bévue commise par certains officiels et cela dans un mépris total des procédures prévues dans de telles circonstances. Cet incident pourrait avoir de fâcheuses conséquences quant à nos relations avec le nouveau pouvoir à Madagascar.

Déjà la GenZ à Madagascar demande à ce que ces personnes soient extradées vers Madagascar pour être jugées alors que l’Union Africaine ne reconnaît pas le nouveau pouvoir… On aurait pu se passer d’un tel imbroglio diplomatique si seulement ces passagers n’avaient pas été autorisés à débarquer.

La prise de position publique de Bérenger, non seulement par une déclaration mais par une conférence de presse, est importante pour atténuer les appréhensions de certains à Madagascar quant à la position de neutralité de Maurice dans la crise en cours à Madagascar. Elles tendent de faire ressortir que l’atterrissage et le débarquement de ces personnes est le résultat d’une grosse bévue administrative et non la volonté de l’état mauricien.

* Donc, vous ne pensez pas que ces interventions publiques de Paul Bérenger s’inscrivent dans une stratégie de rupture programmée, au cas où les choses n’évolueraient pas comme il l’aurait souhaité ou ne s’aligneraient pas avec ses objectifs politiques ?

Est-ce que Bérenger a une stratégie de rupture – comme le croient certains observateurs ? Il est vrai que le MMM doit se consolider pour survivre dans un futur pas si lointain après le retrait de son leader historique, alors que le « hard core » du parti s’est grandement effondré au cours de ces 20 ans que le parti a passés dans l’opposition.

Mais l’exercice du pouvoir dans un gouvernement pratiquant une politique d’austérité n’est guère propice à cette consolidation. Au contraire, la situation actuelle peut favoriser ces groupies extra parlementaires tels que En avant Moris de Patrick Belcourt ou du Reform Party de Roshi Bhadain qui grignotent dans l’électorat du MMM, notamment à Rose Hill et à Beau Bassin.

Une rupture de l’alliance du changement verra sans doute le leader du MMM ou son potentiel successeur prendre le poste de leader de l’opposition, mais combien de ministres et de députés du parti suivront le leader dans cette démarche? En outre, quelle sera la réaction des militants qui sont fatigués de la longue traversée du désert car le score de 60-0 fait que le PTr contrôle à lui seul une majorité au Parlement?

Finalement, le MSM étant hors-jeu en raison des allégations de scandales visant ces dirigeants clés, quelle alternative d’alliance existe-t-il pour le MMM pour affronter des élections notamment dans les régions rurales ?

Dans un tel contexte, une stratégie de rupture est un non-sens. Par contre, le MMM veut rappeler son existence et que le parti ne rentrera jamais dans une relation de vassalité avec le leader du PTr, à la différence du ML et d’autres ex militants vis-à-vis de Pravind Jugnauth.

* Il est à parier toutefois que Paul Bérenger restera en place tant qu’il n’aura pas obtenu la mise en œuvre d’une réforme électorale qui sert ses objectifs politiques et électoraux. Que pensez-vous de cette hypothèse?

A vrai dire, c’est le MMM qui a toujours milité pour une réforme électorale afin de réduire le trop grand déséquilibre entre le nombre de votes et le nombre de sièges obtenus entre les vainqueurs et les perdants à travers l’introduction d’une bonne dose de proportionnelle.

Dans les circonstances actuelles, pour un MMM qui s’est mué en un parti d’appoint, et qui aura à faire face tôt ou tard au problème de succession de son leader historique, la proportionnelle pourrait être un atout pour la survie même du parti dans un futur proche.

Par contre, l’histoire contemporaine révèle que le PTr s’est opposé farouchement à la proportionnelle en 1956 et ensuite pendant les débats sur le rapport Banwell. Il est quand même assez significatif que Navin Ramgoolam est revenu sur l’épisode Banwell récemment en précisant que, si le rapport avait été accepté, Maurice n’aurait pas obtenu l’indépendance… C’est une déclaration lourde de sens dans un contexte où l’électorat à la fois du MSM et du PTr au fond ne voit pas la nécessité d’une réforme électorale.

* Envisagez-vous le scénario de Navin Ramgoolam, qui se dit prêt pour une réforme du système électoral, laquelle devrait sans doute aussi servir les objectifs de son parti –suivant Paul Bérenger sur ce plan-là ?

La réforme électorale fait partie de l’accord entre les partis de l’alliance du changement et a été déterminant dans la décision de ReA de se joindre à l‘alliance En outre, elle figure à la fois dans le manifeste électoral et le discours programme d’un gouvernement qui détient plus de trois quarts de sièges requises pour modifier la Constitution.

En politique, la roue tourne très vite. Si une bonne réforme avait été adoptée, le MSM avec près de 27 % des votes obtenus ne se retrouverait pas avec un unique représentant au parlement. Navin Ramgoolam a connu presque la même situation en 1991… Mais tout dépendra du maintien et de la santé de l’alliance au pouvoir.


Mauritius Times ePaper Friday 17 October 2025

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