Baisse du seuil d’enregistrement de la TVA : quelle rationalité économique ?

Politique fiscale indirecte

Analyse

Toute mesure fiscale fait toujours des mécontents. Il s’agit pour le gouvernement de faire une analyse des coûts et bénéfices pour savoir si le jeu en vaut la chandelle.

Par Prakash Neerohoo

Depuis le 1er octobre, une mesure fiscale annoncée dans le budget 2025-26 est entrée en vigueur : l’abaissement du seuil d’enregistrement à la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) de Rs 6 millions à Rs 3 millions de chiffres d’affaires annuel. Cela signifie que les petites et moyennes entreprises (PME) devront percevoir la TVA de 15% sur leurs ventes de produits et services taxables à partir du moment qu’elles engrangent un chiffre d’affaires de Rs 3 millions.

Toutefois, avant le 1er octobre, les PME ayant un chiffre d’affaires inférieur à Rs 6 millions ne percevaient pas de TVA. Par conséquent, la nouvelle mesure n’est pas bien accueillie par des consommateurs aussi bien que les PME affectées. Les uns et les autres y voient beaucoup d’inconvénients. Au fond, quelle est la rationalité économique de cette nouvelle mesure ?

Il convient d’analyser la nouvelle mesure fiscale dans une perspective large en tenant compte de plusieurs facteurs :

(a) l’intention du législateur,
(b) l’impact sur le revenu fiscal indirect de l’État,
(c) l’élargissement de l’économie formelle,
(d) l’impact de la taxe indirecte sur l’inflation, et
(e) les nouvelles obligations de quelque 7 000 PME affectées par la nouvelle mesure.

Toute mesure fiscale a de profondes implications financières et économiques.

D’abord, voyons l’intention du législateur. Le gouvernement avait proposé la nouvelle mesure dans le cadre d’une consolidation fiscale visant à accroitre les revenus de l’État tout en limitant la croissance des dépenses publiques en vue de limiter le déficit budgétaire (6% du PIB). Il est estimé que la nouvelle mesure va générer environ Rs 2 milliards de recettes supplémentaires de TVA.

Au cours des dernières années, la TVA a représenté 40% en moyenne des revenus fiscaux de l’Etat. Le tableau 1 ci-dessous indique que toutes les taxes indirectes, y compris la TVA, représentent 66% des revenus fiscaux de l’État. En matière de fiscalité, la tendance chez nous a été de taxer la Consommation (produits et services) davantage que le Revenu (revenu individuel et des sociétés), le Capital (défiscalisation des gains en capital sur les avoirs) ou la Propriété (absence de taxe immobilière).

Taxes indirectes

Dans le dernier budget, le gouvernement a reculé sur certaines propositions d’augmenter les taxes directes (impôts sur les revenus) en raison d’une levéede boucliers de la part des contribuables (individus et sociétés). Ainsi, l’introduction d’un taux marginal d’imposition de 35% sur le revenu annuel de plus de Rs 12 millions a été limitée à trois ans (juillet 2025- juin 2028). Puisque les contribuables sont plus sensibles à une hausse de l’imposition directe, le gouvernement trouve plus facile de jouer sur le tableau de l’imposition indirecte. Toutefois, au lieu d’augmenter le taux de TVA, il a préféré élargir l’assiette de cette taxe en baissant le seuil d’enregistrement pour amener plus d’entreprises dans le filet de la TVA.

Il faut souligner qu’un seuil d’enregistrement de Rs 3 millions n’est pas exceptionnel si on le compare aux normes internationales. Au Canada, par exemple, le seuil d’enregistrement à la TVA est de $30 000 de chiffres d’affaires annuel, soit Rs 1 020 000 (au taux de change de Rs 34 par dollar canadien). On voit donc que le seuil est très bas au Canada où $30 000 est l’équivalent du salaire minimal.

L’expansion de l’assiette fiscale de la TVA répond à un autre impératif, celui d’élargir l’économie formelle en amenant plus d’opérateurs économiques dans le circuit monétaire. Nous savons que l’économie informelle, qui est une multitude de micro-entreprises et de travailleurs indépendants non-enregistrés sous aucune loi, à l’exception probablement de l’exigence d’un permis d’exploitation, est significative dans l’économie globale du pays.

Économie informelle

Contrairement à d’autres pays, Maurice n’évalue pas statistiquement l’économie informelle en proportion du Produit Intérieur Brut (PIB). Si elle l’avait fait, on aurait pu identifier les sources d’évasion fiscale et trouver les moyens de les éliminer. Or, les signes extérieurs de richesse dans le pays (propriétés mobilières et immobilières) démontrent l’existence d’une économie parallèle dominée par les transactions en cash, ce qui potentiellement implique l’évasion fiscale sur une grande échelle. En passant, il ne faut pas confondre l’économie informelle (activités non taxées et non-régulées) et l’économie illégale (trafic de drogue et paris illégaux). Il semble que la seconde soit plus importante que la première. En sachant que le Ratio Taxes/PIB est de 22% à Maurice comparée à la moyenne de 34% dans les pays de l’OCDE, on se rend compte que Maurice a encore du chemin à parcourir pour optimiser sa capacité fiscale.

L’abaissement du seuil d’enregistrement permettrait d’améliorer l’efficacité de la collecte de la TVA telle que mesurée par le « VAT Revenue Ratio – VRR », un indicateur qui mesure la TVA collectée en proportion de la TVA potentiellement percevable (taxe sur la consommation totale) s’il n’y avait ni évasion fiscale ni exemptions/remboursements de taxe. Comme indiqué au tableau 2, le « VAT Revenue Ratio » était de 0.71 en 2024, ce qui est conforme à la performance de nombreux pays dotés d’un système de TVA, mais indique quand même un potentiel inexploité de 0.29. En principe, un VRR inférieur à 1.00 indique une certaine mesure de non-conformité (évasion fiscale) et le poids des exemptions de taxe.

Théoriquement, Maurice a un déficit de VAT (VAT Gap) de Rs 25, 5 milliards, qui est la différence entre la TVA potentielle (fondée sur la consommation finale dans l’économie) et la TVA perçue. La baisse du seuil d’enregistrement à la TVA permettra de récupérer une partie du déficit car il y aura toujours des produits/services non-taxables (zero-rated supplies) et des produits/services exempts de taxe (exempt supplies).

Crédit de taxe

La nouvelle mesure fiscale aura définitivement un impact sur l’inflation, dont le taux était de 4,8% en 2024. Puisque ce sont les consommateurs qui paient la TVA, les commerçants ayant un chiffre d’affaires de Rs 3 millions au moins vont répercuter la TVA de 15% sur les prix de vente. Déjà, on apprend que des marchands de nourriture préparée (par exemple, un marchand de dhollpuris) qui dépassent le seuil de Rs 3 millions par an seront obligés de collecter la TVA sur leurs ventes.

Pour soulager les consommateurs, le gouvernement pourrait ajouter certains aliments préparés à la liste des produits non-taxables (zero-rated supplies). Si un produit est non-taxable,les commerçants peuvent toujours réclamer un crédit de taxe sur les intrants (Input TaxCredit) pour récupérer la taxe payée sur les achats liés à leur activité commerciale. En Ontario, au Canada, par exemple, les aliments préparés (preparedfood) sont non-taxables jusqu’au prix de $4.00 (Rs 136). Déjà dans le budget, le gouvernement a ajouté certains produits à la liste des produits non-taxables, notamment les fruits et légumes en purée pour bébés, certains légumes en boite et des légumes congelés emballés.

Puisque la TVA est une taxe régressive qui affecte les pauvres davantage que les riches, le gouvernement devrait considérer la possibilité d’accorder un crédit de TVA aux ménages économiquement faibles basé sur leur revenu annuel (disons, Rs 20 000 par mois x 13 = Rs 260 000). Ce crédit prendrait la forme d’un remboursement de la TVA payée par une famille moyenne en un an. Sous ce rapport, Maurice peut s’inspirer du modèle canadien. Au Canada, l’Etat verse un crédit de TVA annuel (Goods and Services Tax Rebate) de $ 349 (Rs 11 866) à une personne à bas revenu ($ 45 521 de revenu au maximum) plus le même montant à l’épouse de la personne et $184 pour chaque enfant du couple âgé de moins de 19 ans. Une famille moyenne touche donc $881 par an, soit Rs 29 554. Toutefois, la famille doit déposer une déclaration fiscale chaque année auprès du fisc pour avoir droit au crédit remboursable.

Il est concevable que beaucoup de PME qui dépassent légèrement le seuil de Rs 3 millions de chiffre d’affaires annuel veuillent réduire leurs ventes pour rester en-dessous du seuil. Cela causerait une compression de main-d’œuvre et de coûts d’exploitation. Autrement, l’enregistrement leur impose l’obligation de percevoir la TVA par le biais d’un système de comptabilité manuel ou informatisé. C’est la paperasse des reçus de vente et des déclarations fiscales périodiques qui leur causerait beaucoup d’ennuis. Les PME, qui luttent pour leur survie économique, n’ont sans aucun doute pas besoin d’une bureaucratie administrative supplémentaire.

Incitations fiscales

Pour venir en aide aux PME, le gouvernement pourrait introduire des incitations fiscales telles qu’un impôt préférentiel de 5% sur les bénéfices (les exportateurs paient déjà un impôt de 3%), l’amortissement accéléré des outils et équipements de production, des prêts avec un taux d’intérêt bonifié pour l’investissement, et l’importation en franchise de droits de douane des matières premières et d’équipements.

Toute mesure fiscale fait toujours des mécontents. Il s’agit pour le gouvernement de faire une analyse des coûts et bénéfices pour savoir si le jeu en vaut la chandelle. Est-ce que les rentrées de recettes supplémentaires justifient une extension de la bureaucratie fiscale ? Est-ce qu’une taxe invasive tue l’initiative privée ou l’entrave dans son développement ? Est-ce que la taxe prend la priorité sur la maîtrise de l’inflation ? Est-ce que la régulation accrue des activités commerciales est nécessaire pour réduire l’économie informelle ?

Autant de questions pertinentes à régler…


Mauritius Times ePaper Friday 10 October 2025

An Appeal

Dear Reader

65 years ago Mauritius Times was founded with a resolve to fight for justice and fairness and the advancement of the public good. It has never deviated from this principle no matter how daunting the challenges and how costly the price it has had to pay at different times of our history.

With print journalism struggling to keep afloat due to falling advertising revenues and the wide availability of free sources of information, it is crucially important for the Mauritius Times to survive and prosper. We can only continue doing it with the support of our readers.

The best way you can support our efforts is to take a subscription or by making a recurring donation through a Standing Order to our non-profit Foundation.
Thank you.

Add a Comment

Your email address will not be published. Required fields are marked *