Les voix de la place publique

Carnet Hebdo

Par Nita Chicooree-Mercier

La première semaine du mois signifie une ruée vers les supermarchés où les clients déambulent dans les divers rayons et scrutent toute une gamme d’articles que la production industrielle mondiale expédie aux quatre coins du monde. Une fois remplis, les caddies s’orientent vers la caisse et s’entrechoquent au passage, et là, ils sont accueillis par un sourire commercial qui les invite à se vider sur le tapis roulant sans plus tarder.

D’un geste mécanique, les clients exécutent et, aussi rapidement, la carte bancaire règle la facture car le client suivant s’impatiente. Hors de question de marchander ou de contester quoi que ce soit– une compétence exercée plutôt sur les plus faibles, les marchands des trottoirs et ceux des marchés.

“à partir du 20 du mois, la fréquentation des grandes surfaces se réduit à vue d’œil : le porte-monnaie appelle à la prudence en attendant la prochaine paie. C’est le même scénario qui se joue dans de nombreux pays connectés au commerce mondial, hormis la forêt amazonienne et les îles Andaman, où les lances et les flèches accueillent quiconque s’aventure à les mettre dans le droit chemin de la consommation matérielle et spirituelle…”

La troisième semaine, à partir du 20 du mois, la fréquentation des grandes surfaces se réduit à vue d’œil : le porte-monnaie appelle à la prudence en attendant la prochaine paie. C’est le même scénario qui se joue dans de nombreux pays connectés au commerce mondial, hormis la forêt amazonienne et les îles Andaman, où les lances et les flèches accueillent quiconque s’aventure à les mettre dans le droit chemin de la consommation matérielle et spirituelle.
– Et alors, quelles sont les nouvelles ? Et Maurice? lance Patricia de X en guise de salutation.

Je hausse les épaules. Par ce temps ensoleillé traversé par un vent froid, on s’arrête pour un brin de causette.

– Tu n’es pas bien couverte, tu n’as pas froid ? remarque-t-elle.
– On est souvent surpris par le temps une fois qu’on met le nez dehors, je lui réponds.

J’apprends qu’elle a fait un saut à Maurice pour assister à un événement familial le week-end dernier.
– Toujours pareil là-bas : la cherté de la vie, la grogne sourde. Comme ici, conclut-elle, en résumant l’humeur ambiante du pays.
Sauf qu’ici, les regards sont tournés vers Paris où le trône du pouvoir est devenu un siège éjectable, à un rythme inouï pour chaque locataire qui y prend place. À Maurice, le siège est bien vissé contre vents et marées.

Certains sont conscients des aléas des intempéries qui influent gravement sur l’agriculture et du contexte international qui n’arrange pas les choses. D’autres lancent des invectives contre le pouvoir central.

Le rapport que les gens entretiennent entre la production alimentaire et leurs besoins a bien changé depuis que le paysan chinois des romans de Pearl Buck levait les yeux au ciel et implorait sa bienveillance pour une bonne récolte. Dans les années 1930, des militants coiffés d’une casquette et un petit livre rouge à la main lui expliquèrent que le responsable de son malheur n’était pas le Ciel, mais une concentration de richesses entre les mains de quelques bourgeois dévoyés, menant grand train de vie aux dépens de braves gens qui labouraient la terre. La Russie de 1917 et, bien avant, la France de 1792 furent les illustres prédécesseurs du sort réservé à l’Empire du Milieu. Depuis, le tout politique est censé régler les problèmes du monde. Et les divers prétendants au pouvoir multiplient les surenchères pour accéder au trône et gérer les affaires de la Cité. Loin d’être de tout repos, leur Acropole est assiégée par une liste de réclamations et de revendications que le peuple dépose devant leur porte par l’intermédiaire des médias, des radios et des réseaux sociaux — tout ce qui constitue l’Agora moderne, un brouhaha permanent de voix discordantes.

En faisant quelques pas le long des allées du marché en plein air, on évoque pêle-mêle la santé des uns et des autres de nos connaissances, la qualité des produits agricoles et la nécessité de leur bon usage. Patricia raconte que, pour traiter certaines maladies graves, le conseil prodigué par la médecine ayurvédique est judicieux : d’abord, arrêter toute alimentation pendant deux ou trois jours.
— Eh bien, pas tout à fait un jeûne, mais changer d’alimentation au début de la moindre toux, rhume, grippe ou fièvre, c’est ce qu’on faisait dans de nombreux foyers à Maurice dans le passé et encore aujourd’hui, je lui rappelle. C’était l’usage populaire cautionné par les médecins dans le passé et aussi de nos jours.
J’ajoute que j’ai toujours été étonnée qu’en Europe les médecins n’interviennent jamais dans le type d’alimentation à proscrire pendant la durée d’une maladie. Si jamais on leur pose la question, la réponse est toujours : « Vous pouvez continuer à vous alimenter comme d’habitude. »

Une telle lacune m’a toujours laissée abasourdie. Je croyais que c’était du laxisme dans une société permissive à tout-va, mais, en fait, c’était de l’ignorance malgré toutes les avancées par ailleurs. Ce n’est que depuis quelques années que les médecins ont entrepris de conseiller sur le type d’alimentation à prendre ou à abandonner pendant la durée d’une maladie. Et encore, ils font l’impasse sur les problèmes de santé ordinaires.
– Socrate disait que le meilleur médicament se trouve dans la nourriture, remarque Patricia.

En balayant d’un revers de main les étals de légumes et de fruits, elle soulève la question que personne n’aime entendre.

– Ma chère, on se demande ce qui est consommable de nos jours.

C’est vrai que moult précautions sont à prendre à cause des pesticides, microplastiques et autres métaux lourds. Et l’eau en bouteille, n’en parlons pas !Bah ! Pour rigoler un peu,nous évoquons l’anecdote d’une Mauricienne de milieu modeste qui fait des kilomètres pour se procurer du fromage mauricien à 5 euros, ce qui est cher payé même pour un bon salaire !

Alors qu’à proximité, il y a toute une gamme de fromages français au goût exquis. Les goûts et les couleurs… c’est une affaire personnelle, dit-on. Tout comme l’addiction. Et c’est le sucre qui en fait les frais à en croire l’annonce faite sur le prix du chocolat par la MBC. Est-ce le souci de protéger la santé publique ou un subterfuge pour récolter des recettes par une taxe sur les produits non essentiels ? Et un père de famille, tout sourire, qui déclare ne pas priver ses enfants de chocolat pour la bonne raison qu’ils aiment le chocolat ! Quelle candeur ! Ce monsieur oublie que ce n’est pas aux enfants de dicter le choix des aliments aux parents. C’est le monde à l’envers ! Un enfant doit être éduqué. Un budget restreint impose des choix, et non pas un laisser-aller irresponsable.
– De toute façon, on a été mal éduqués, remarque Patricia.
Originaire de Curepipe, Patricia passait les vacances d’été au bord de mer dans un campement appartenant à ses grands-parents à Blue Bay. Tous les jours, les vacanciers suivaient la même routine. Les parents restaient sous la véranda, et à la grand-mère signalait le début de la fête :

— Allez, les enfants, allez jouer dehors !
– Et quand on rentrait au campement, on avait de cloques rouges partout sur tout le visage et le corps. Résultat : j’en subis les conséquences encore aujourd’hui, dit-elle en montrant les bras et jambes recouverts de vêtements longs.
– Ce n’était pas leur faute, il n’y avait pas de crème solaire à l’époque peut-être, je réponds pour épargner de peu ses ancêtres partis depuis longtemps.
De multiples voix s’entremêlent pour annoncer chacune une nouvelle : une voix se réjouit du retour de vacances d’un fils ; un compère commente l’odeur de soufre des guerres à venir sur la scène mondiale et les velléités des acropoles à se fortifier davantage ; une autre voix se plaint de la voiture qui déconne, et telle autre, du bruit des fêtards du week-end.

Un hélicoptère fait sa tournée habituelle dans le ciel bleu. L’agora se vide de ses passants, les voix s’éloignent tout doucement et s’éteignent.


Mauritius Times ePaper Friday 10 October 2025

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