Egypte : Journalistes en danger
Chronique de Jean-Baptiste Placca
Qui donc accepterait de se passer des images en provenance d’Egypte ? Celles des huit premiers jours, lorsque les manifestations étaient comme un immense festival, un « Woodstock » de la liberté et de la démocratie, mais aussi celles, édifiantes, de l’entrée en scène des partisans du président Moubarak, avec les Baltagueiya, ces jeunes hommes de main, recrutés pour semer la terreur.
Outre leurs concitoyens, qu’ils ont agressés, piétinés, blessés par centaines, à Tahrir Square, ces Baltagueiya cherchaient tout particulièrement à terroriser les journalistes des médias étrangers. Le président Moubarak a eu beau se dire affligé par ces scènes de violence, cela n’a pas empêché son vice-président de désigner, aussitôt après, les chaînes satellitaires comme responsables des troubles, juste après les Frères musulmans !
Si ceux qui ont attaqué les journalistes avaient eu besoin d’un ordre de mission, ils pouvaient aisément le trouver dans le discours officiel. Pour le pouvoir, le problème n’est pas l’absence de démocratie en Egypte, mais le fait d’en parler au monde. Comme s’il suffisait de faire silence sur l’arbitraire et les vexations que dénonce la foule des manifestants pour que le pays retrouve sa quiétude.
L’information, une denrée de première nécessité
Pendant que le chef de l’Etat multiplie les promesses de réformes, le harcèlement ne faiblit pas sur les journalistes égyptiens qui refusent de se mettre au service de la propagande officielle. L’un d’eux, atteint mercredi par une balle anonyme, a d’ailleurs succombé, le vendredi 4 février.
Se confiant à une star de la télévision américaine, Hosni Moubarak a laissé entendre que Barack Obama ne comprend rien au peuple égyptien. Il aurait pu ajouter que ce peuple n’a pas besoin de liberté et de démocratie mais d’un dirigeant autoritaire qui, après trente ans de pouvoir, doit être cru sur parole, lorsqu’il promet des réformes.
Vous en souvenez-vous ? Ben Ali aussi rendait les médias étrangers responsables du soulèvement dans son pays. Un de ses ambassadeurs a même affirmé que derrière les manifestants se cachaient, tenez-vous bien, des Bolchéviks ! Cela s’appelle l’angoisse de la perte du pouvoir.
Dans notre monde moderne, l’information est une denrée de première nécessité. Aucun peuple ne peut accepter d’en être sevré. Et les journalistes, pour être si souvent indésirables, n’en sont pas moins utiles. Aux dirigeants égyptiens, comme à tous les pouvoirs vacillants en quête de bouc émissaire, on a envie de dire : ne faites pas tirer sur les journalistes ! Vous en avez eu besoin hier, vous en aurez probablement encore besoin demain !
Jean-Baptiste Placca
MFI
* Published in print edition on 11 February 2011
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