Une bombe à retardement
|Pensions de vieillesse et finances publiques
Par Prakash Neerohoo
Décidément, la pension de vieillesse sera l’un des points forts de la campagne électorale en vue des élections générales qui devraient avoir lieu cette année. En révisant à la hausse le barème des pensions pour toutes les catégories de pensionnées avant le prochain budget, le gouvernement n’a-t-il pas signalé qu’il entend bien faire de cette question son dada ?
De son côté, l’opposition parlementaire ne veut pas laisser le gouvernement monopoliser cette thématique et elle a exprimé sa volonté de maintenir le nouveau barème des pensions s’il accède au pouvoir.
Le 31 décembre 2023, le gouvernement avait annoncé une augmentation de la pension de vieillesse de Rs 12 000 à Rs 13 500 pour les pensionnés âgés entre 75 et 89 ans à partir du 1er janvier 2024. Il laissait alors entendre que cette mesure serait étendue aux pensionnés de 60 à 74 ans dans le budget 2024-25 prévu pour fin mai/début juin.
Or, le 12 mars 2024, le gouvernement a annoncé que la pension de vieillesse de Rs 13 500 par mois sera accordée, à partir du 1er avril 2024, à tous les pensionnés âgés entre 60 et 74 ans.
Nouveau barème des pensions
Qu’est-ce qui a causé cet empressement pré-budgétaire ? Depuis l’annonce du 31 décembre 2023, une colère palpable s’était emparée des pensionnés de 60 à 74 ans, qui se croyaient victimes d’un traitement discriminatoire. Cette colère était sans doute en partie responsable de la faible assistance à la fête de l’indépendance le 12 mars.
Ayant reçu le message cinq sur cinq, le gouvernement a donc choisi d’avancer la date de la nouvelle mesure au 1er avril 2024 (au lieu du 1er juin) pour apaiser la colère des aînés face au coût élevé de la vie. En effet, le gouvernement a fait encore mieux en introduisant un nouveau barème de pensions qui accorde une augmentation de 21% en moyenne à tous les pensionnés, sans oublier les bénéficiaires d’autres prestations sociales tels que les orphelins, les invalides et les veuves (voir le Tableau 1).
Table 1: Social Benefits |
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Age (yrs) | Before April 1, 2024 | After March 31, 2024 | Increase Rs | Rate of increase | Annual Amount (Rs) |
Pensioners: | Monthly Rs | Monthly Rs | 13 months | ||
60-64 | 11,000 | 13,500 | 2,500 | 23% | 175,500 |
65-74 | 12,000 | 14,500 | 2,500 | 21% | 188,500 |
75-89 | 13,500 | 16,000 | 2,500 | 19% | 208,000 |
90-99 | 19,710 | 23,710 | 4,000 | 20% | 308,230 |
100 + | 23,710 | 28,710 | 5,000 | 21% | 373,230 |
Beneficiaries: | |||||
Orphans | 10,000 | 13,500 | 3,500 | 35% | 175,500 |
Invalids | 11,000 | 13,500 | 2,500 | 23% | 175,500 |
Widows | 11,000 | 13,500 | 2,500 | 23% | 175,500 |
C’est un signe que les élections générales ne sont pas loin. Selon toute probabilité, elles auront lieu après le prochain budget 2024-25 afin de permettre au gouvernement de capitaliser sur le sentiment de bien-être (feel-good factor) que la nouvelle mesure est censée apporter dans le pays.
Dans l’absolu, une augmentation des prestations sociales de 21% en moyenne n’est pas négligeable en ces temps de forte inflation, comme l’indiquent les prix élevés des produits de consommation courante sur le marché.
Mais il faut relativiser en comparant cette augmentation à l’inflation cumulative entre décembre 2019 et décembre 2023, période durant laquelle la pension de vieilles n’a pas été réajustée du tout, contrairement aux salaires, qui ont été compensés chaque année pour la hausse du coût de la vie. Pour rappel, au même moment, les salariés, eux, avaient reçu une compensation de la hausse du coût de la vie chaque année.
Inflation cumulative
Comme l’indique le Tableau 2, l’inflation cumulative de février 2019 à février 2024 a été de 30,3%. Par exemple, un article qui coûtait Rs 100 en février 2019 a vu son prix passer à Rs 132,76 en février 2024 sous l’effet de l’inflation cumulative. Cette inflation, rappelons-le, est principalement causée par la dépréciation de la roupie de 30% durant cette période par rapport aux devises étrangères. Les transactions pour nos importations sont libellées en devises étrangères. La roupie s’est dépréciée de 35% par rapport au dollar américain en cinq ans.
Lorsque l’on compare l’augmentation de 21% des prestations sociales au taux d’inflation cumulative, on se rend compte que le pouvoir d’achat n’est pas complètement rétabli.
À Maurice, la pension n’est pas indexée automatiquement sur l’inflation chaque année, contrairement aux salaires, qui sont réajustés par une compensation du coût de la vie. Si tel avait été le cas, comme dans d’autres pays où il existe un mécanisme de stabilisation des salaires et des pensions en fonction de la hausse du coût de la vie, il n’y aurait pas eu lieu de faire de la question des pensions une mesure électoraliste tous les cinq ans.
Table 2: Cumulative inflation |
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Feb | Feb | Feb | Feb | Feb | Feb | Increase | |
Year | 2019 | 2020 | 2021 | 2022 | 2023 | 2024 | |
Annualised rate % | 0.8 | 2.1 | 1.2 | 9 | 11 | 6.2 | 30.3 |
Price (Rs) | 100 | 102.1 | 103.33 | 112.62 | 125.01 | 132.76 | 32.8 |
Il n’y a aucune garantie que la dépréciation de la roupie cessera, puisqu’elle est un moyen d’accroître les gains en roupies de la Banque centrale sur ses réserves en devises étrangères, ce qui lui permet de créer des fonds mis à la disposition du gouvernement pour financer son déficit budgétaire (Rs 78 milliards transférées à l’État en deux ans). La dépréciation sert également les intérêts de l’État puisque le renchérissement des produits importés, qui comptent pour 90% de la consommation locale, entraîne une augmentation des recettes de la TVA sur les prix de vente. Ces mêmes recettes sont versées dans la caisse publique pour payer les prestations sociales (en sus de la CSG perçue comme une taxe sur les salaires dans le secteur privé).
Politique sociale
Il est sans doute au crédit de toute société de prendre soin de ses citoyens du troisième âge, mais encore faut-il avoir les moyens de sa politique sociale. Cette tâche devient ardue sans une maîtrise de l’inflation par la stabilisation de la roupie et par une politique de production locale de substitution d’importations dans la mesure du possible. Une politique sociale généreuse nécessite plus de ressources financières pour financer les prestations sociales. Avec le nouveau barème des prestations, le budget annuel de la Sécurité sociale s’élève à Rs 58,5 milliards pour 310 643 bénéficiaires (voir le tableau 3). Les augmentations des prestations sociales coûteront une somme additionnelle de Rs 10,2 milliards par année. Avant la hausse du 1er avril 2024, le budget social annuel était de Rs 48,3 milliards.
Table 3: Cost of Social Benefits | ||||
Category | Number | Pension Rs | Monthly amount (Rs) | Amount for 13 mths (Rs) |
Orphans | 248 | 13,500 | 3,348,000 | 43,524,000 |
Invalids | 28,086 | 13,500 | 379,161,000 | 4,929,093,000 |
Widows | 17,064 | 13,500 | 230,364,000 | 2,994,732,000 |
Subtotal A | 45,398 | 612,873,000 | 7,967,349,000 | |
Pensioners: | Rs | Rs | Rs | |
60-64 yrs | 82,692 | 13,500 | 1,116,342,000 | 14,512,446,000 |
65-74 yrs | 123,135 | 14,500 | 1,785,457,500 | 23,210,947,500 |
75-89 yrs | 54,818 | 16,000 | 877,088,000 | 11,402,144,000 |
90-99 yrs | 4,422 | 23,710 | 104,845,620 | 1,362,993,060 |
100 yrs + | 178 | 28,710 | 5,110,380 | 66,434,940 |
Subtotal B | 265,245 | 3,888,843,500 | 50,554,965,500 | |
Total A+B | 310,643 | 4,501,716,500 | 58,522,314,500 |
Les Rs 10,2 milliards supplémentaires s’ajoutent au déficit budgétaire de l’État, lequel est financé par des emprunts locaux sur le marché local (quand ce n’est pas la Banque centrale qui fournit les fonds par voie de paiement anticipé de dividendes à l’État). Le déficit budgétaire représente déjà 8% du Produit Intérieur Brut (PIB). Tout prochain gouvernement ne pourra pas porter ce fardeau financier sans faire preuve d’imagination. Il n’y a pas beaucoup d’options disponibles. Celles qui sont les plus faisables sont décrites ci-dessous.
(a) Il faudra augmenter les taxes directes (impôts sur les revenus) et indirectes (TVA) pour payer une facture sociale plus élevée. Cette option est fondée sur le postulat rationnel qu’il ne faut pas compter sur la Contribution Sociale Généralisée (CSG) pour financer la pension de vieillesse. Cette taxe sur les salaires devrait être mise dans une caisse de retraite séparée pour payer la pension de retraite aux employés du secteur privé. Il faudra la traiter comme un plan de pension contributif géré par un organisme indépendant du gouvernement, comme c’était le cas avec le Fonds National de Pension.
(b) Il faudra accorder la pension de vieillesse à partir de 65 ans (au lieu de 60 ans) en alignant l’âge d’éligibilité pour la pension sur l’âge de retraite du travail, comme c’est le cas dans la plupart des pays. Une exemption est souhaitable pour ceux qui ont pour seule source de revenu la pension de vieillesse après 60 ans. Ceux qui travaillent jusqu’à l’âge de 65 ans peuvent être dispensés de la pension de vieillesse jusqu’au moment de leur retrait de la vie professionnelle.
(c) Il faudra récupérer une partie de la pension de vieillesse par voie d’impôt sur le revenu auprès des bénéficiaires qui ont d’autres sources de revenu (exemples : la pension de retraite au travail, les dividendes ou le revenu de location), et ce, au-delà de l’exemption personnelle de Rs 390 000 par an.
Population vieillissante
Dans le contexte du vieillissement continu de la population, la pension de vieillesse est une bombe à retardement. La population mauricienne connaît un tassement avec l’émigration croissante des jeunes et la baisse du taux de natalité. La population mauricienne a baissé de 1 262 249 en juillet 2022 à 1 260 767 en juillet 2023, soit une diminution de 1 482 personnes. On prévoit une décroissance de la population dans les années à venir. La population économiquement active (15-64 ans) ne sera pas suffisante pour soutenir économiquement le nombre de bénéficiaires du troisième âge.
Le ratio de dépendance totale, qui mesure le nombre de personnes à charge (dépendants) en proportion de la population active (15-64 ans), est de 42% comme indiqué dans le Tableau 4. Cela signifie que pour chaque 100 personnes en âge de travailler, il y a 42 jeunes et retraités à soutenir financièrement.
Un ratio de dépendance élevé pour les retraités a des implications fiscales importantes dans la mesure où l’État doit mobiliser autant que possible la capacité contributive de l’économie (taxes et impôts divers) pour subvenir aux besoins d’une population vieillissante. Une faible capacité contributive ouvre la voie à l’endettement massif de l’État, lequel n’est pas soutenable dans le long terme. Déjà, la dette nationale de Rs 512 milliards représente plus de 80% du Produit Intérieur Brut (PIB).
Table 4: Population and Dependents July 2023 | |||
Age yrs | Number | ||
Dependents | Youth | 0-14 | 201,686 |
Dependents | Old Age | 65+ | 171,767 |
Non-Dependents | Active | 15-64 | 887,314 |
Population | All Ages | 1,260,767 | |
Dependency Ratio | Youth | 23% | |
Dependency Ratio | Old Age | 19% | |
Dependency Ratio | Total | 42% |
Mauritius Times ePaper Friday 15 March 2024
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