Quasi-certitudes et Incertitudes
|Législatives 2019/20
Dans une triangulaire, comme en 1976, une lutte serrée entre le MMM et le PTr est prévisible
Plusieurs indices montrent que les législatives auront lieu fin décembre 2019-début 2020, sauf si entretemps le MSM conclut une alliance avec le MMM. Ce cas de figure ne nous paraît pas évident eu égard aux déclarations du Premier ministre et du leader du MMM dont la base électorale est majoritairement hostile à toute alliance. Ainsi l’éventualité d’une triangulaire ou lutte « multi-cornered », plus de 40 ans après celle de 1976, mérite d’être prise au sérieux.
« Le MMM a, pour la première fois, un environnement externe favorable à une participation en solo à une grande finale électorale. Il faut dire qu’une triangulaire Lepep/MMM/PTr arrangerait le MMM dès lors que le MSM et le PTr « fish in the same pond ». En 1976 la participation du PMSD avait favorisé le PTr notamment dans certaines circonscriptions urbaines. Cette fois-ci, ce serait plutôt le MSM qui ferait le jeu du MMM. Néanmoins, pour que cela fonctionne, il ne faut pas que le MSM s’écroule sous 10% des inscrits (corps électoral), d’où l’opposition plutôt ‘bienveillante’ du MMM envers le MSM pour le maintenir à flot… »
Il convient, de prime abord, de situer brièvement le rapport des forces constaté à l’issue des législatives de 2014. Pour une meilleure appréciation des forces en présence, nous faisons apparaître l’abstentionnisme qui a doublé en importance depuis 1976. C’est un phénomène qui indique au demeurant un certain malaise. Nos chiffres sont ainsi exprimés principalement par rapport au nombre d’inscrits constituant l’ensemble du corps électoral.
Pour rappel, notre étude du 22 avril 2016 sur la volatilité électorale – le fait de changer de parti d’une élection à une autre -, parue dans ces mêmes colonnes, avait démontré que la configuration politique avait été profondément marquée par la crise de 1983 qui avait structuré le comportement électoral en deux camps distincts et à force égale, autour de 40% du corps électoral (CE), tout en étant relativement stables. Toutefois, à l’intérieur de ces deux camps, le phénomène de vases communicants se manifeste, notamment entre le PTr et le MSM.
A l’issue des législatives de 2014, le rapport des forces était le suivant :
– L’Alliance Lepep (MSM-PMSD-ML) : 37% du CE
(soit 50% du total des suffrages exprimés)
– L’Alliance PTr-MMM : 29% du CE
(soit 39% des suffrages exprimés)
– Autres : 8% du CE
– Abstention : 26%
Selon nos estimations, les différentes performances étaient, pour l’Alliance Lepep :
– MSM : 24% du corps électoral (CE) ;
– PMSD : 8% CE ;
– ML : 5% CE.
S’agissant de l’Alliance rouge-mauve, le PTr et le MMM, ayant baissé dans plus ou moins la même proportion, ils tournaient autour de 14-15% du corps électoral.
Compte-tenu de la performance du PTr lors des précédentes consultations et, notamment celle de 2010, nous créditons à environ 35% du corps électoral le potentiel électoral du PTr.
- En 2014 il y eu le déplacement du segment volatile travailliste — autour de 20% du corps électoral — vers le MSM principalement et l’abstention protestataire.
- Quant au MMM que nous situons à 33% du corps électoral – sa performance de 2010 –, la déperdition s’élève à 18% profitant au PMSD, au ML et autres formations de la gauche radicale, et à l’abstention protestataire.
Dans la perspective des prochaines législatives, l’évolution du rapport des forces marquée par le changement du comportement électoral, l’instabilité interne des deux camps électoraux, les difficultés gouvernementales, les dissidences touchant le MMM — un parti ‘mainstream’ –, laisse présager une recomposition voire un bouleversement du paysage politique.
Dans ce contexte, nous voyons – qu’à côté de quelques quasi-certitudes – de profondes incertitudes sur l’échiquier demeurent. L’analyse qui suit part bien évidemment de l’hypothèse d’une issue plus ou moins heureuse et pour le Premier ministre et le leader du PTr dans les affaires judiciaires en cours, en tout cas de nature à ne pas remettre en question leur position respective.
“ Le PTr briguerait seul les suffrages lors des prochaines législatives. En tout cas c’est ce qu’affirme avec force son leader qui exclut toute alliance… Sur le plan électoral, c’est une option à priori intéressante. En effet le bilan gouvernemental décrit plus haut profite en grande partie au PTr eu égard à la porosité électorale PTr-MSM. Les résultats de la partielle au No. 18 ont révélé un certain « réviré mam » des électeurs travaillistes de 2010 ayant choisi le MSM en 2014 vers le PTr. Un mouvement, certes faible – attribué en partie au « fear factor » — mais significatif sur le plan de la dynamique électorale…”
Les quasi-certitudes
1. L’Alliance Lepep (MSM, ML) ne pourrait gagner sans l’apport d’un partenaire de poids. En effet, l’Alliance Lepep est fragilisée par le départ du PMSD et par son bilan à deux ans de l’échéance électorale. Pour rappel l’Alliance Lepep avait axé, avec succès certes, sa campagne électorale sur principalement deux thèmes principaux : l’éthique/moralité politiques et le « miracle économique ».
S’agissant du premier, le bilan est loin d’être positif eu égard aux « affaires », aux nominations, au népotisme, aux dérapages divers, etc. Quant au « miracle » économique, cela reste une utopie au regard d’un taux de croissance coincé à moins de 4%, de l’explosion de la dette publique, de la baisse du pouvoir d’achat, des inégalités de plus en plus criantes…
Par conséquent, l’Alliance Lepep ne peut prétendre à une audience équivalente à sa performance de 2014. Sans le PMSD et avec un bilan inférieur aux objectifs fixés, l’Alliance Lepep se situe, selon nos estimations, à moins de 20% du corps électoral, ce qui explique en substance leur non-participation à la partielle de décembre 2017.
2. Une alliance MSM-ML avec le PTr est inconcevable. La diabolisation implacable du PTr par l’Alliance Lepep lors de la campagne électorale, qui n’a du reste jamais cessé, avec les attaques ciblées sur la personne même du leader travailliste, excluent ce scénario.
3. Une alliance MMM avec un PTr dirigé par navin Ramgoolam, selon le leader mauve, est impensable. Pour rappel, une telle alliance avait été rejetée massivement en 2014.
“Une triangulaire est attendue lors des prochaines législatives. En tout cas, c’est ce que souhaitent ardemment les leaders des deux principaux partis en termes de potentiel électoral. Il faut dire que la base électorale MMM est foncièrement opposée à toute alliance. Elle a rejeté l’alliance de 2014 et boudé les urnes lors de la partielle au No. 18 suite à une simple rumeur de « koz kozé » avec le MSM. Quant au PTr, le leader ne veut pas d’alliance afin de ne pas être gêné dans l’application d’un programme travailliste qui se veut ‘radical’…”
Les incertitudes
1. Une triangulaire est attendue lors des prochaines législatives. En tout cas, c’est ce que souhaitent ardemment les leaders des deux principaux partis en termes de potentiel électoral. Il faut dire que la base électorale MMM est foncièrement opposée à toute alliance. Elle a rejeté l’alliance de 2014 et boudé les urnes lors de la partielle au No. 18 suite à une simple rumeur de « koz kozé » avec le MSM.
Quant au PTr, le leader ne veut pas d’alliance afin de ne pas être gêné dans l’application d’un programme travailliste qui se veut ‘radical’.
Notre pays a déjà expérimenté en 1976 un scrutin « 3-cornered » avec la participation de l’Independence Party (PTr et CAM), du MMM et du PMSD. Le premier avait recueilli 38% des suffrages exprimés, le deuxième 39%, le troisième 16%. L’abstention s’était établie à 13%. Sur l’ensemble du corps électoral, le score de l’Independence Party s’élevait à 33%, le MMM 34%, le PMSD 14%, autres ‘fence sitters’ 7%.
En cas de triangulaire lors du prochain scrutin, nous pouvons raisonnablement avancer que l’abstention et le vote ‘fence sitter’ toucheraient 35% de l’électorat, laissant ainsi 65% du corps électoral aux trois partis : le MMM, le PTr et le MSM. Le score gagnant peut donc se trouver autour de 25-30% des inscrits, barre à la portée du MMM et du PTr, ce qui pousse ces deux partis à envisager sérieusement l’option « multi-cornered ».
2. Le MMM a, pour la première fois, un environnement externe favorable à une participation en solo à une grande finale électorale. Le scénario que le MMM espérait tant en 2010 est bien plus probable, et notamment la quasi-certitude qu’il ne peut y avoir une alliance MSM-PTr. Il faut dire qu’une triangulaire Lepep/MMM/PTr arrangerait le MMM dès lors que le MSM et le PTr « fish in the same pond ». En 1976 la participation du PMSD avait favorisé le PTr notamment dans certaines circonscriptions urbaines. Cette fois-ci, ce serait plutôt le MSM qui ferait le jeu du MMM.
Néanmoins, pour que cela fonctionne, il ne faut pas que le MSM s’écroule sous 10% des inscrits (corps électoral), d’où l’opposition plutôt ‘bienveillante’ du MMM envers le MSM pour le maintenir à flot, et son peu d’enthousiasme à des élections anticipées, laissant ainsi au MSM la possibilité de remonter la pente.
En dépit de la cuisante défaite du MMM à la partielle du No. 18, le parti mauve peut se satisfaire du fait que son électorat rebelle n’avait pas migré ailleurs et avait plutôt choisi massivement de s’abstenir. La grogne était attribuée en grande partie à la rumeur d’alliance avec le MSM. Par conséquent, dès lors qu’il se présente sans alliance, le MMM peut nourrir l’espoir de retrouver cet électorat mécontent. En outre, comme nous l’avions démontré dans une précédente étude, le MMM rebondit et réalise ses meilleurs scores lorsqu’il se présente seul devant l’électorat (comme en 1983, 1987, ou en 2010).
Quant à la menace des formations qui « fish in the same pond », le MMM, au regard des résultats de la partielle au N° 18, ne semble pas s’en inquiéter outre mesure. Le PMSD a été incapable de fidéliser les électeurs mauves les ayant rejoint en 2014. Alors que le Mouvement Patriotique a présenté une candidate brillante, jeune de surcroît, ce parti a réalisé un bien faible score et n’a pas réussi à mordre sur l’électorat mauve, le seul réservoir qui lui est accessible.
La gauche radicale, bien qu’ayant surclassé le PMSD et le MP, n’a pas non plus fait une percée notable dans cet électorat. Au fond, c’est l’abstentionnisme protestataire – contre les alliances – qui avait nui cruellement au MMM.
Sous l’angle purement mathématique, si le MMM retrouve une grande partie de son audience de 2010, qui se situe autour de 25-30% du corps électoral, et si le MSM se maintient autour de 15%, pénalisant ainsi le PTr dans certaines circonscriptions (les No. 5, 6, 10, 12, 13, 14, 15, 16), alors le MMM peut espérer une victoire.
Si les conditions ‘externes’ semblent favorables au MMM dans une configuration triangulaire, en revanche, c’est bien en interne que cela se complique avec les dissidences en cascade. Il faut dire que le MMM a connu bien des turbulences au cours de son existence, sans que – pour autant – cela n’entraîne des dégâts significatifs.
On se souvient notamment celle de 1993 lorsqu’une majorité des dirigeants avaient quitté le MMM pour former le RMM (Renouveau Militant Mauricien) qui avait été balayé par la suite. Mais il est à noter que, dans la foulée, le MMM avait conclu une alliance avec le PTr. Même si, contrairement à 1995, la base électorale mauve est particulièrement hostile à une alliance et pourrait sanctionner de nouveau leur parti – comme en 2014 et 2017 -, le MMM n’écarte pas pour autant l’option Remake 2000. Mais ce sera à ses conditions.
3. Dans l’hypothèse d’une négociation d’alliance avec le MSM, là aussi la situation lui est somme toute accommodante. En effet, compte tenu de la quasi-certitude que le MSM ne s’entendra pas avec le PTr, le MMM se trouve en nette position de force. Conscient de cela, le MMM peut se montrer intransigeant, à l’image de son leader, quant à ses exigences : notamment, une liste noire incluant le ML, 30 tickets, partage du prime ministership, une réforme électorale satisfaisante du point de vue mauve, etc.
En tout cas le MMM ne peut éviter de placer la barre des conditions très haut, afin de convaincre sa base électorale résolument anti-alliance. Le risque : celui de bloquer le processus.
4. Le PTr briguerait seul les suffrages lors des prochaines législatives. En tout cas c’est ce qu’affirme avec force son leader qui exclut toute alliance afin de pouvoir, en cas de retour aux affaires, appliquer sans concessions le programme résolument travailliste. Cela répondrait également à la volonté affichée de faciliter le renouveau, impliquer davantage des jeunes et des femmes tout en renforçant l’image national du PTr.
Sur le plan électoral, c’est une option à priori intéressante. En effet le bilan gouvernemental décrit plus haut profite en grande partie au PTr eu égard à la porosité électorale PTr-MSM. Comme nous l’avions étudiée précédemment, en moyenne 15% de l’ensemble de l’électorat oscille entre les deux. Les résultats de la partielle au No. 18 ont révélé un certain « réviré mam » des électeurs travaillistes de 2010 ayant choisi le MSM en 2014 vers le PTr. Un mouvement, certes faible – attribué en partie au « fear factor » — mais significatif sur le plan de la dynamique électorale.
On peut raisonnablement avancer qu’à l’heure actuelle le PTr a consolidé son « hard core » de 2014 – soit 15% -, au demeurant obtenus dans des circonstances particulièrement défavorables. Selon nos observations, il aurait déjà capté 5% provenant de son électorat mobile.
En vue d’une triangulaire, il lui reste cependant à capter une dizaine de points supplémentaires pour prétendre à une victoire. Cette démarche n’est certes pas aisée car ces points manquants se trouvent principalement chez le MSM au pouvoir. Il n’en reste pas moins que cet objectif est réalisable dès lors que, d’une part, l’électorat ciblé est particulièrement mobile, l’ayant démontré en plusieurs élections.
D’autre part, l’occupation du terrain électoral est plus facile lorsqu’on est dans l’opposition. De plus, le Gouvernement – eu égard en grande partie à son bilan sur l’éthique et le « miracle » économique – est en situation bien inconfortable sur le terrain. Ceci explique la stratégie « play it presidential » de l’Alliance gouvernementale visant un rassemblement derrière la figure premier ministérielle.
Briguer seul les suffrages est donc plausible pour le PTr à condition que son principal concurrent, le MMM, choisisse également cette voie. Mais ce serait une voie hasardeuse s’il y a un Remake 2000, auquel cas le PTr répondrait vraisemblablement par un Remake 2005 : une alliance avec le PMSD qui a un socle plancher « duvaliste » certain, de l’ordre de 3-4% du corps électoral. Il serait alors possible d’adjoindre éventuellement les quelques dissidents du MMM qui attestent d’une réelle et solide assise dans leur circonscription respective.
5. Enfin, tout étant possible en politique à Maurice, surtout lorsque le clivage politique ne se manifeste pas au niveau de projet ou d’idées de fond, un retour du PMSD au sein de l’Alliance Lepep n’est pas à écarter, ni le retour au bercail MMM de certains dissidents mauves, ni un ralliement de ces mêmes mauves qui peuvent également se tourner vers le Mouvement Libérater.
En définitive, malgré les quasi-certitudes caractérisant le paysage politique en vue des prochaines législatives, il demeure une forte imprévisibilité tenant à sa configuration : un jeu d’alliances devenu pratique traditionnelle ou une lutte ‘multi-cornered’.
En dernière analyse, une triangulaire nous semble cependant plus probable, avec un MMM et un PTr en pôle position. Reste que la prudence est de mise – eu égard à la colossale incertitude liée au dénouement très attendu des affaires judiciaires concernant le Premier ministre et le leader du PTr – qui risque in fine de tout bouleverser.
O.R.A.C.
(Opinion Research Analysis Consult)
* Published in print edition on 1 June 2018
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