Monseigneur Jean-Michaël Durhône, nouvel évêque de Port-Louis
Eclairages
Voyons-nous un processus d’émancipation se mettre en place à Maurice ?
Par A. Bartleby
La nouvelle est tombée en fin de semaine dernière : Monseigneur Jean-MichaëlDurhône est le nouvel évêque de Port-Louis et remplacera Monseigneur Piat.
Cette nomination est un évènement à bien des égards. Tout d’abord,c’est la première fois depuis que l’Église catholique est implantée à Maurice – soit depuis le début de la colonisation française – qu’un évêque ne sera pas issu de la communauté franco-mauricienne. Et ce n’est absolument pas anodin.
Monseigneur Jean-MichaëlDurhône, le nouvel évêque de Port-Louis en remplacement de Monseigneur Piat. P – MBC
Les prises de position récentes de Monseigneur Piat à l’encontre du gouvernement parlaient ouvertement d’inégalités structurelles qu’il fallait résorber, et la nomination de Monseigneur Durhône doit se comprendre comme s’inscrivant directement dans cette ligne de pensée. En effet, Monseigneur Piat avait surpris plus d’un en prenant position ouvertement alors que les questions d’inégalités structurelles hantent aussi l’Église depuis des siècles. Après tout, ne faudrait-il pas mettre de l’ordre dans sa propre maison avant de critiquer les autres ? entend-on les échos ici et là…
Est-ce que c’est maintenant chose faite ? Le symbole est certes moderne et envoie un message fort, mais il faudra attendre de voir comment Monseigneur Durhône s’y prendra pour moderniser l’Église catholique à Maurice. Monseigneur Piat avait parfaitement raison lorsqu’il parlait d’inégalités structurelles, et toute personne qui s’intéresse un peu à l’histoire de l’esclavage sait parfaitement bien que le rôle de l’Églisefut ambiguë.
D’un silence éloquent au début, cela a pris plusieurs décennies de traite esclavagiste afin que l’institution romaine commence à réagir, avant de se ranger du côté des abolitionnistes. Mais ce processus fut long et le rôle central de l’Église pour l’incorporation des esclaves dans la hiérarchie de la société plantocratique (à travers l’évangélisation requise par le Code Noir) fait partie intégrante de la constitution des rapports de pouvoir entre les dominants et les dominés à Maurice. Rapports de pouvoir qui perdurent toujoursaujourd’hui par la division du capital et la division du travail à Maurice.
Ce constat se traduit de manière simple : jusqu’à la nomination de Monseigneur Durhône, l’évêque de Port-Louis n’était pas représentatif de la majorité des fidèles de l’Eglise catholique à Maurice. Cela constituait une anomalie profonde dans un pays obsédé par la représentativité, et le fameux “malaise créole” trouvait tout autant sa source dans ce défaut de représentation au sein de l’Église, que dans les inégalités socio-économiques présentes dans le pays.
Processus d’émancipation
Monseigneur Durhône se trouve donc en face d’une immense responsabilité : celle d’être le premier évêque de l’île Maurice indépendante qui ne soit pas issu de la classe des dominants mais de celle des dominés. Voyons-nous un processus d’émancipation enfin se mettre en place à Maurice ? Seul le temps le dira, surtout que nous ne savons en réalité pas grand-chose de Monseigneur Durhône.
Contrairement à un certain nombre de prêtres extrêmement vocaux et revendiquant la théologie de la libération, Monseigneur Durhône est connu pour être un homme timide et discret. Et, contrairement à d’autres prêtres, Monseigneur Durhône n’a jamais pris position sur des questions sociales ou économiques à Maurice. Nous verrons donc bientôt ses positions et ses combats, au fur et à mesure que nous apprendrons à connaître l’homme.
À Monseigneur Durhône, toutes nos félicitations pour sa nomination et tous nos vœux de courage et de résilience pour l’immense tâche qui l’attend.
* * *
Élections présidentielles en Turquie: sacrée gymnastique politique d’Erdogan
Recep Tayyip Erdogan brigue actuellement un troisième mandat à la présidence de la République de Turquie. C’est la première fois qu’il n’a pas été élu au premier tour de l’élection présidentielle, devant batailler pour un deuxième tour, depuis 2014. Mais le président sortant reste en position de force même s’il n’a pas passé la barre des 50% au premier tour de l’élection présidentielle.
Cela constituait déjà un évènement dans la sphère politique turque, démontrant une érosion du pouvoir d’Erdogan. Mais les choses ne sont pas aussi simples que cela. Déjà, le parti du président sortant a été reconduit avec une majorité confortable au parlement turc, ce qui laisse à penser que les Turcs ne prendront pas le risque d’une cohabitation entre gouvernement et présidence. De plus, le candidat d’extrême-droite SinanOgan a appelé à un report de ses voix en soutien à Erdogan.
Tour laisse donc penser que le président sortant sera reconduit pour un troisième mandat ce dimanche, ce qui relève d’une sacrée gymnastique politique.
Tout d’abord, au vu de la situation actuelle de la Turquie, tout pouvait laisser penser qu’Erdogan n’aurait aucune chance de remporter cette élection. L’économie turque est dans une impasse, avec un taux d’inflation avoisinant les 45%. Le pays se relève à peine d’une série meurtrière de tremblements de terre qui ont exposé les limites de la gestion publique en matière de catastrophes naturelles. Et le régime d’Erdogan est perçu comme étant gangrené par la corruption et le népotisme clanique.
Et pourtant, sauf accident, Erdogan se dirige relativement facilement vers un troisième mandat. Comment expliquer ce phénomène, notamment dans un pays connu pour sa tradition politique laïque et démocratique ?
En fait, l’exemple d’Erdogan démontre un certain changement de culture politique où les enjeux chers au peuple ne sont pas ceux que les partis de l’opposition brandissent comme des armes contre le pouvoir.
Recep Tayyip Erdogan porte une vision de son pays et tient une rhétorique qui touche les masses et les classes populaires, quelle que soit la situation économique ou sociale. Il a réussi à capter l’imaginaire d’une partie importante de la population quant aux projets actuels du pays et quantau positionnement idéologique et identitaire de la Turquie dans le monde. De ce point de vue, il s’inscrit directement dans la lignée des gouvernants comme Modi ou Netanyahou qui utilisent des outils similaires : un nationalisme jouant sur la frontière entre la démocratie et l’illibéralisme.
Ce positionnement parle au peuple et répond à ses aspirations de puissance et de progrès, même si les faits de la gouvernance politique ne suivent pas forcément. Ainsi Erdogan a compris quelque chose que ses adversaires ont toujours du mal à saisir : ce n’est pas dans la rationalité que se trouvent les avenues de la prise du pouvoir, mais dans l’émotion et l’affectivité de l’électorat.
Et Erdogan est passé maître dans ce domaine, ce qui explique qu’il sera sans doute réélu à la présidence de la République de la Turquie ce dimanche, et ce, malgré une opposition qui aura su se mobiliser et faire front.
Est-ce que cela vous fait penser aux prochaines élections à Maurice?
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Le DPP recommande l’inculpation de YogidaSawmynaden
Alors que la deuxième privateprosecution de Simla Kistnenavait été rayé le 27 mai 2021, le bureau du DPP n’est pas resté inactif dans l’affaire de l’emploi fictif. En effet, le DPP a recommandé depuis novembre 2022 la mise en inculpation de YogidaSawmynaden dans cette affaire.
Cette demande d’inculpation pose un problème quant à une arrestation possible d’un membre de l’Assemblée nationale. Bien qu’il bénéficie actuellement de la présomption d’innocence, une arrestation changerait la donne pour le colistier de PravindJugnauth.
L’article 34 (h) de la Constitution indique, par exemple, qu’aucune personne ne pourrait être qualifié pour siéger au Parlement s’il se trouve dans une situation délictueuse par rapport aux lois lui permettant de siéger au Parlement. En d’autres termes, si YogidaSawmynadenest jugé coupable dans l’affaire de l’emploi fictif, alors celaentraînerait sa disqualification en tant que membre du Parlement, appelant naturellement à une élection partielle dans la circonscription numéro 8.
Nous ne sommes pas encore dans ce cas de figure, mais cette affaire vient s’ajouter au cas de SurenDayalcontre le Premier ministre lui-même et qui pourrait voir une disqualification de ce dernier à l’issue de la décision du Privy Councilattendue en juillet.
Que ferait alors le chef du gouvernement ? Serait-il dans l’obligation d’une dissolution de l’Assemblée nationale, avec des élections générales anticipées ? Ou bien sortira-t-il un autre lapin de son chapeau ?Avec le renvoi des élections municipales, il semble clair que PravindJugnauth se prépare à toute éventualité. Il sait que le terrain est actuellement glissant pour lui, avec les affaires qui s’empilent. Il navigue ainsi en eaux troubles, et – de mémoire – il n’y a pas de précédents réels à la situation politique actuelle.
En effet, un échec du MSM aux élections municipales pourrait sonner le glas du gouvernement s’il devait tout de suite se lancer dans une bataille électorale nationale. Mais ne pas organiser les élections municipales, cela envoie également le message que le gouvernement prépare les élections générales anticipées, si la séquence qui le mènera au mois de juillet devait être négatif pour lui.
Le gouvernement semble donc jouer son va-tout sur les prochains mois, qui s’annoncent compliqués, et la fenêtre de tir n’a jamais été aussi opportune pour l’opposition. Mais est-ce que cette dernière est prête à relever le défi d’une séquence qui pourrait se dérouler à vitesse grand V, ou bien resteront-ils dans les starting blocks quand les courses seront lâchées ?
Ce qui est sûr, c’est que l’alliance des partis de l’opposition tant attendue continue à se faire attendre, ce qui permet au Premier ministre de naviguer comme bon lui semble et sans aucune pression politique réelle.
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Dette chinoise et crise économique
Le cas du Sri Lanka avait interpellé, il y a quelque temps de cela. Ce pays s’était endetté à des niveaux inouïs auprès de la Chine afin d’investir dans d’immenses projets d’infrastructures (port, autoroutes, facilités sportives grandioses,etc) sur son territoire. Tout avait très biencommencé et la coopération avec la Chine fut vantée comme une alternative enfin crédible face au FMI et aux pays occidentaux. Mais le pays connut un glissement économique qui le mena vers une crise économique et politique sans précédent depuis maintenant plus de deux ans.
Se retrouvant dans l’incapacité d’honorer son loanservicing, le gouvernement sri-lankais a dû abandonner la gestion de son port à la Chine et le pays se retrouva plongé dans la spirale infernale de devoir augmenter les taxes pour pouvoir honorer ses dettes. Cela avait produit un impact immédiat sur le niveau de vie de la population sri-lankaise, en faisant basculer les classes populaires dans une pauvreté immédiate.
Ce cas aurait pu sembler isolé, mais c’est loin d’être le cas. En effet, de plus en plus de pays ayant contracté des dettes auprès de la Chine se retrouvent dans une situation extrêmement délicate, et notamment le Pakistan, le Kenya, la Zambie, le Laos, la Mongolie, la Serbie et le Monténégro. La Chine a commencé à rappeler certains de ses prêts auprès de ses pays, ce qui les force à réorienter leurs dépenses budgétaires vers leurloanservicing, ainsi que des coupes budgétaires sur leurs dépenses domestiques (dépenses énergétiques, sociales, alimentaires,etc).
C’est exactement comme cela que la spirale d’un effondrement économique rapide peut se mettre en place et mettre des populations entières à genou. Mais pourquoi un rappel des dettes maintenant ?
Belt and Road Initiative
Il faut comprendre le contexte dans lequel la Chine prêtait de manière aussi généreuse, mais avec des conditions extrêmement dures. C’est la mise en place du projet des nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative – BRI) qui poussa le gouvernement chinois à pratiquer une politique de coopération internationale importante.
Il était essentiel pour la Chine d’élargir sa sphère d’influence diplomatique afin de négocier l’implémentation de mégaprojets permettant l’acheminement du “Made in China” sur une partie de plus en plus importante du globe. Autoroutes, aménagements portuaires, chemins de fer… Tout était pensé pour permettre une accélération de la circulation des biens et des personnes. Mais l’accélération des biens et des personnes n’est possible que dans le cadre d’une accélération des capitaux eux-mêmes. Il s’agit là du fondement même du principe de la mise en place des outils de la mondialisation.
Car c’est bien cela qui est en jeu pour la Chine : construire une alternative à la mondialisation occidentale. Une nouvelle voie au monde unipolaire de l’après-guerre froide en quelque sorte. Pour cela, la diplomatie chinoise a su profiter de la montée d’un sentiment anti-occidental de plus en plus palpable, notamment sur le continent africain, dans le Golfe arabe, dans les Balkans et l’Asie Mineure et dans certaines régions d’Amérique latine. Certains de ces pays, comme le Sri Lanka, se sont même jetés à corps perdu dans le projet chinois, en y voyant un moyen d’accélérer leur développement.
Sauf que les choses, qui pouvaient sembler idylliques au début, ne l’étaient absolument pas. Et au fur et à mesure de l’avancée des projets du BRI, les problèmes ont commencé à surgir. Retard de chantier, projets mal aboutis (voire même à l’arrêt), corruption importante des élites politiques, postures extrêmement dures de la Chine dans les contrats… Il serait possible de comparer cela à un piège qui commencerait à se refermer sur certains des pays qui avaient contracté le plus de dettes. Et il est maintenant temps de passer à la caisse, sans que les projets du BRI soient viables, économiquement.
Est-ce que cela signifie que le BRI tant vanté par la Chine est un immense éléphant blanc qui ne fonctionnera jamais de la manière qui était promis ? Il est difficile de le dire à ce stade, mais il est certain que nous sommes loin de cette nouvelle mondialisation heureuse que voulait nous vendre Xi Jiping.
Quant à Maurice, avec le recul des années, il est clair que ne pas être signataire du BRI était une décision sage et courageuse. Imaginons nous un moment dans la même situation du Sri Lanka…Voilà un fait qu’il faut signaler dans un pays où on a parfois l’impression que toutes les décisions nationales relèvent de la catastrophe.
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Maurice au cœur du jeu de pouvoir mondial ?
Maurice a fait parler d’elle cette semaine dans le Daily Mail en Grande Bretagne. En effet, un article qualifienotre pays de “the unlikely centre of a chilling power struggle between the US and China”.
Les raisons de cette posture : le fait, selon l’auteur de l’article, que Xi Jinping souhaiterait récupérer les facilités militaires de Diego Garcia afin d’y installer une base chinoise une fois que Maurice aura récupéré l’Archipel des Chagos.
Cela fait un moment que la menace chinoise est brandie en Grande Bretagne afin de tenter de déstabiliser les négociations pour le retour des Chagos à Maurice. On se souvient qu’un député avait même soulevé ce point au ‘House of Commons’, ce qui avait forcé la diplomatie mauricienne à réagir et à rassurer qu’aucune négociation n’était ouverte avec la Chine pour l’installation de facilités militaires sur nos territoires.
En fait, une analyse rapide de la situation régionale nous permet de comprendre que Maurice n’a absolument pas intérêt à négocier un tel accord avec le gouvernement chinois. Nous ne sommes pas signataire du ‘Belt and Road Initiative’, même si nous gardons de très bons rapports avec notre partenaire chinois. Et ce dernier est en négociations avancées avec le gouvernement malgache pour l’installation d’une base militaire d’envergure sur la Grande Île. Cette base, si la négociation aboutit, va renforcer la présence chinoise à l’est du continent africain, avec une base déjà opérationnelle à Djibouti.
Maurice a toujours pratiqué la diplomatie de la voie du milieu – si chère au gouvernement indien par exemple – ce qui nous permet de travailleravec un maximum de partenaires hautement stratégiques pour nos intérêts sécuritaires et économiques. D’ailleurs, le gouvernement mauricien a souvent fait savoir (par le biais de son ambassade aux Nations-Unies) que la posture du pays par rapport à la question de la base américaine à Diego Garcia était simple : nous sommes ouverts à une renégociation du bail afin de toucher la rente rattachée à la location de l’île.
Pourquoi donc un tel article, qui fait écho à une posture dont la véracité reste à être prouvée ? Il est clair que nous sommes – ici – dans le domaine de la propagande et de la désinformation, et qu’un seulpays a un intérêt à brouiller les pistes et à remuer la boue dans une négociation qui semble avancer bien : la Grande Bretagne.
Mauritius Times ePaper Friday 26 May 2023
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