Le Regard des Autres

Par Nita Chicooree-Mercier

Les gens s’arrêtent devant les échoppes, inspectent les fruits et légumes et continuent leur chemin. Les plus pressés sortent les pièces, paient et repartent. Mais c’est avant tout un lieu en plein air, un marché où il fait bon de prendre son temps et d’entamer un brin de causette avec vendeuses ou gens du quartier. Installée depuis des années dans l’île, Mala, et, plus loin, Josiane, sont deux Mauriciennes qui confectionnent des sachets de diverses épices qu’elles proposent sur un étal bien garni, avec aussi de fruits de leur cour. Avec Mala, l’échange commence toujours par une salutation.

– Namasté. Quelles sont les nouvelles ? Que se passe-t-il là-bas (Maurice) ?

Ce sont les phrases habituelles qu’elle lance dans ces conversations de circonstance.
Mais cette fois-ci, elle est très remontée.

– Tu as vu ça ? Même ici, les gens ne comprennent pas ce qui s’est passé là-bas.
En échange d’une banane qu’elle m’offre en plus de mes achats chez elle, je lui donne quelques fraises juteuses.

Bien entendu, il s’agit des élections. On évoque les stratégies qui ont abouti à ces résultats… Son mari tamoul ajoute son grain de sel à la conversation et renchérit : beaucoup de palabres et du cinéma, tout ça… Lorsqu’elle s’énerve, ou pour que les autres ne comprennent pas, Mala passe au bhojpuri. C’est tout le peuple de Maurice qu’elle maudit cette fois, et le vocabulaire ne fait pas dans la dentelle.

Moi, j’ai dit à mes neveux et nièces sous le choc à Terre Rouge : faites votre travail, vivez votre vie. Plus tard, on verra.

Les ananas cultivés sans hormones en cette saison dégagent un parfum d’été. Comme d’autres commerçants, Mala se plaint de la concurrence mauricienne qui a eu le toupet de copier sur la marque réunionnaise Victoria pour que ce fruit soit vendu moins cher en Europe.

Ils sont sans scrupules là-bas. Ce n’est pas honnête, déplore le mari.

– Il est vrai que la filouterie est érigée en art à Maurice. Quant à l’honnêteté, il faudra repasser…
– Nous aussi, nous avons une tradition agricole à transmettre à nos enfants, rajoute Mala.

Elle s’assoit sur le tabouret derrière son étal, arborant cet air dégoûté à chaque fois qu’elle évoque la situation ici, là-bas et ailleurs dans le monde.

Patricia, une Mauricienne du quartier, arrive vers nous.

– Tu as un beau chapeau, me lance-t-elle.
– Et toi, tu portes des robes longues maintenant ?
– Un problème de peau, ma chère, explique-t-elle. Vaut mieux ne pas montrer les jambes.

Nous faisons quelques pas ensemble le long des passages. Elle a passé un week-end à Maurice juste pour un événement familial. Sinon, le pays natal a perdu tout attrait pour elle depuis belle lurette. Trop de préjugés, son milieu de fréquentation englué dans le passé… Maurice n’est plus sa tasse de thé.

– Ici, je fréquente tout le monde et je n’ai de compte à rendre à personne, a-t-elle souvent répété.

Avec un nom à rallonge, Patricia de X a franchi les barrières sociales avant même ses vingt ans à Maurice, à l’époque où je l’ai connue. La liberté se prend, elle ne nous est pas donnée, car elle est inhérente à notre nature. Le café commence à se remplir de monde. Les uns s’arrêtent avec poussette et bébé, tandis que d’autres posent leur sac par terre et s’attablent pour un verre. À bâtons rompus, nous évoquons la famille, les enfants, la politique et le temps qui passe.

– Tu sais, la politique à Maurice, pour moi, c’est entre la peste et le choléra…, pff ! fit-elle en haussant les épaules.
– Ben voyons ! Maurice s’en tire pas mal comparé à d’autres pays malgré la Covid et la guerre, j’insiste. La France croule sous les dettes, pire que les autres pays européens. La pauvreté progresse à grands pas en Grande-Bretagne.

Issue d’un milieu très riche, Patricia n’a pas eu grand mal à présenter sa fille aînée dans le milieu des affaires à Maurice où elle a décroché des contrats et a eu une expérience professionnelle pendant quelques années, assez longtemps pour qu’elle en soit dégoûtée pour de bon. Un cas classique de ceux qui sont éduqués ailleurs que dans une société clivagée où les couloirs invisibles orientent chacun à sa place. La jeune femme plia bagages et partit s’installer à Paris. L’époux français développa une allergie épidermique à l’île natale de sa femme, tandis que la fille cadette déteste l’île depuis son adolescence. Hmm !Read More… Become a Subscriber


Mauritius Times ePaper Friday 13 December 2024

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