Est-ce un nouveau souffle pour la FCC ?
Analyse
Contrôle des crimes financiers
Par Prakash Neerohoo
La Financial Crimes Commission (FCC), une institution qui a remplacé l’ICAC dans le combat contre les crimes financiers, semble avoir pris un nouveau départ. Ces derniers jours, elle a frappé deux grands coups.
- Primo, l’arrestation des frères Gooljaury sous une charge de blanchiment d’argent relativement à des prêts bancaires de Rs 1,1 milliard obtenus d’une banque d’Etat (l’ex-Mauritius Post & Cooperative Bank Ltd, aujourd’hui connue sous le nom de Maubank) et rayés par la suite. Cette charge tombe sous les articles 3 et 6 de la Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act (FIAMLA) ;
- Secundo, l’arrestation de deux hommes d’affaires et de l’ancien Premier ministre Pravind Jugnauth sous une charge provisoire de blanchiment d’argent sous les articles 36(1)(b) et 38(3) de la Financial Crimes Commission Act. La charge est fondée sur la saisie de quatre valises remplies de billets en diverses devises pour une somme totale de Rs 114 millions.
Aussi impressionnantes soient-elles par leur audace et leur célérité, ces dernières actions de la FCC sont-elles de bon augure pour la lutte contre les crimes financiers à Maurice ? La FCC pourra-t-elle accomplir ses actions (perquisitions, arrestations et poursuites) à un rythme soutenu afin de justifier sa raison d’être auprès du public ? Saura-t-elle répondre aux attentes du public concernant une moralisation des mœurs du pays après dix ans de corruption généralisée ?
Du jamais vu
Le succès ultime de ces deux actions dépendra éventuellement de la qualité du dossier de poursuite monté par la FCC, lequel dossier sera piloté par le Directeur des Poursuites Publiques (DPP) devant une Cour de justice s’il est convaincu de ses éléments probants. Il faut s’attendre à une défense vigoureuse des suspects arrêtés par leurs avocats bien payés, que ce soit au niveau de la Cour de première instance ou de la Cour d’appel si jamais un verdict de culpabilité émis par la première est contesté devant la seconde.
Déjà, en ce qui concerne la deuxième action de la FCC, un suspect (l’ancien PM) a gagné une première manche en obtenant la libération sous caution devant une Cour de justice (Bail and Remand Court) qui a tenu une séance jusqu’à fort tard dimanche le 16 février pour débattre de la motion de remise en liberté.
Voir une Cour de justice siéger un dimanche pour écouter une motion et livrer sa décision le même jour, c’est du jamais vu dans les annales judiciaires. Normalement n’importe quel quidam ne peut obtenir qu’un magistrat écoute une motion de remise en liberté un dimanche. En général, un suspect arrêté un vendredi doit rester en cellule jusqu’au lundi suivant pour avoir accès aux services d’un magistrat. L’ancien Premier ministre peut s’estimer chanceux.
Si cette séance dominicale de la Cour est un précèdent, espérons qu’elle se répètera à l’avenir pour d’autres suspects qui auront le malheur d’être arrêtés un vendredi. Autrement, on ne pourra pas empêcher le public d’avoir l’impression d’une justice à deux vitesses ou le sentiment que « bail is for the rich and jail is for the poor ».
Sous l’ancien gouvernement, la FCC n’était pas différente (en termes d’efficacité) de l’ICAC, une agence d’investigation connue notoirement pour son incompétence, sinon sa complicité dans le maquillage des crimes financiers, grâce à ses enquêtes bidon. Dès sa création en novembre 2023, la FCC avait fait l’objet de vives critiques en raison de l’usurpation des pouvoirs de poursuite du DPP en matière de crimes financiers. La concentration des pouvoirs d’enquête et de poursuite entre les mains d’une seule entité (FCC) violait l’esprit de la séparation des pouvoirs dans notre système juridique. A telle enseigne que le DPP avait été contraint de contester l’usurpation de ses pouvoirs devant la Cour suprême
FCC renforcée
Le nouveau gouvernement a été bien inspiré d’amender la loi régissant la FCC pour rendre au DPP ses pouvoirs de poursuite en matière de crimes financiers. Le projet de loi (Financial Crimes Commission Miscellaneous Provisions Bill No. 1 of 2025) voté à cet effet est une mesure ponctuelle visant à remettre la FCC sur les rails en attendant la création d’une nouvelle institution plus efficace (Serious Crime Office ou National Crime Agency) avec des pouvoirs élargis pour mieux combattre les crimes financiers (la corruption, la fraude, le blanchiment d’argent). Maurice n’a pas connu de succès à ce jour dans la lutte contre la corruption comme l’indique l’Indice de la Corruption pour 2024 publié par Transparency International. En effet, Maurice reste à la 56e place parmi 180 pays avec un score de 51 sur 100 points, soit la même qu’en 2023. Elle est devancée par les Seychelles qui fait un score de 72 points à la 18e place.
Avec la modification de la loi, la FCC est en mesure maintenant de traquer des criminels à col blanc et d’enquêter sur leurs affaires en toute indépendance. Elle ne sera plus juge et partie à la fois (enquêteur et procureur). Elle est obligée de référer ses rapports d’enquête au DPP aux fins de poursuite, ce qui empêchera tout abus de sa part. Sous l’ancienne loi, la FCC pouvait discontinuer une enquête ou poursuivre des suspects à sa guise. La garantie d’indépendance lui confère une obligation de résultats.
La nouvelle FCC ne peut plus se permettre de dormir sur les dossiers. En attendant la nomination d’un nouveau directeur général (en remplacement de l’ancien titulaire Navin Beekarry), les quatre nouveaux commissaires nommés à la FCC (les avocats Richard Rault, Nitish Hurnaum et Karim Namdarkhan, et la comptable Virginie Lennon) doivent lui donner un nouveau souffle en vue de faire des enquêtes avec diligence et méthode. Ils ont du pain sur la planche.
Relancer des enquêtes
D’abord, il faudra relancer les enquêtes qui ont tourné en eau de boudin dans le passé en raison d’une approche incompétente ou d’un refus d’aller au fond des choses. Le commissaire Karim Namdarkhan pourra apporter un éclairage sur ces enquêtes du fait de son expérience dans le domaine puisqu’il a été un directeur indépendant de la SBM en 2018-2020 et un membre du conseil d’administration de l’ICAC en 2021-2024, selon les informations publiées dans la presse.
Ces enquêtes concernent notamment :
- L’affaire Saint-Louis qui, selon la Banque Africaine de Développement (BAD), impliquerait le paiement d’un pot-de-vin de Rs 700 millions par une firme danoise (BWSC) pour fournir des moteurs à la station électrique de Saint-Louis du CEB. Cette affaire remonte à juin 2020. L’ancien ministre de l’Energie Ivan Collendavelloo fut révoqué du conseil des ministres en raison de la mention de son nom dans une lettre de la BAD citée alors par le Premier ministre. Mais il n’a jamais été inquiété par l’ICAC.
- Le contrat attribué à un importateur en décembre 2021 pour la fourniture d’un million d’unités d’un médicament anti-Covid (Molnupiravir) au prix surévalué de Rs 79 l’unité contre le prix initial de Rs 9. L’Etat a payé un excédent de Rs 70 millions. Un pharmacien de l’Etat poursuivi dans cette affaire fut acquitté par une Cour de justice, qui blâma l’ICAC pour les insuffisances de son enquête. La haute hiérarchie du ministère de la Santé, qui avait approuvé le contrat, n’a jamais été inquiétée par l’ICAC.
- Le « Stag Party Gate » où une entreprise a apparemment payé un pot-de-vin de Rs 3 millions à certains officiels pour obtenir un terrain à bail de 700 arpents dans le voisinage du lac de Grand Bassin.
- Les contrats d’approvisionnement d’urgence (sans appel d’offres) en médicaments et équipements médicaux alloués à des fournisseurs, y compris des bijouteries et des quincailleries, durant la pandémie de la Covid-19. L’enquête judiciaire sur la mort de Kistnen avait révélé un réseau de sociétés fictives ayant bénéficié de ces contrats.
Nouvelles enquêtes
Ensuite, il faudra ouvrir de nouvelles enquêtes sur certaines affaires qui se sont produites dans le passé mais qui n’ont jamais été au centre des préoccupations de l’ICAC. Il s’agit notamment de :
- La vente de quatre avions d’Air Mauritius durant la pandémie de la Covid-19 à des prix très bas (Rs 373 millions au total), causant une perte énorme à la compagnie (Rs 3, 3 milliards). Aussi liée à cette affaire est le paiement de Rs 100 millions aux administrateurs de la compagnie lorsqu’elle fut mise sous administration judiciaire. Est-ce que cette somme était raisonnable compte tenu des services rendus par les administrateurs et du plan de redressement proposé ? Un des deux administrateurs était Sattar Hajee Abdoula, un ancien président du conseil d’administration de SBM Holdings Ltd. Il était aussi l’administrateur chargé de restructurer les sociétés du conglomérat BAI après son démantèlement.
- La radiation des prêts sans garantie, accordés par la SBM à des clients étrangers, causant des pertes de Rs 7,6 milliards en trois ans avant 2020. Bien que la SBM soit une compagnie redevable envers ses actionnaires, elle est comptable de ses actions envers son actionnaire majoritaire, l’Etat. Il est important de savoir si les risques liés aux prêts furent évalués correctement.
- Le gaspillage de Rs 700 millions à la CWA sur le remplacement de tuyaux de distribution comme soulevé dans un rapport du département d’audit interne.
- La démolition éventuelle du réservoir de Cluny en raison de 25 fissures constatées dans son architecture, ce qui cause une perte sèche de Rs 75 millions à la CWA. Il y a lieu de savoir qui a conçu le plan d’ingénierie et si les travaux ont été effectués selon les normes.
- La faillite de la Silver Bank, qui a accordé des prêts toxiques de Rs 7 milliards à des sociétés étrangères et locales alors que l’Etat a perdu des centaines de millions de roupies en dépôts à travers ses organismes (ministères et corps paraétatiques) qui y avaient investi leur argent. La Banque centrale a permis à cette banque d’opérer dans des conditions troublantes. La nouvelle direction de la Banque centrale tente de démêler l’écheveau, avec peu de résultats à ce jour.
La FCC devrait se pencher sérieusement sur les enquêtes susmentionnées afin de sauvegarder la réputation du centre financier offshore de Maurice, dont dépend l’investissement étranger. Maurice devrait éviter toute nouvelle inscription sur la liste grise ou noire du Groupe d’Action Financière (GAFI) de l’OCDE pour cause de déficiences dans le régime AML/CFT (Anti-Money Laundering/Combatting the Financing of Terrorism).
Mauritius Times ePaper Friday 21 February 2025
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