« Le grand secteur privé mauricien ne cède sur les questions d’intérêt national que si on lui tord les bras…

Interview: Cader Sayed-Hossen

* « J’ai fait de la politique ma carrière et, surtout, je suis convaincu que le best loser system est une institution juste et méritoire » 

… c’est probablement vers ce genre de situation que nous nous acheminons »


Cader Sayed-Hossen, Président de la commission pour la démocratisation de l’économie regarde à la loupe la situation qui fait débat et nous éclaircit de point sur le social, l’économie, la politique, la langue, etc. N’importe-t-il pas de placer notre contexte dans un cadre plus large plutôt que de se contenter de bribes? Pourquoi vouloir un retour de manivelle alors que le pays a enclenché des programmes avec des résultats qu’on voit progressivement…? 


Mauritius Times: Budget de continuité ou budget de rupture avec le régime sithanien… Qu’attend le Président de la commission pour la démocratisation de l’économie du premier budget du ministre et leader du MSM Pravind Jugnauth ?

Cader Sayed-Hossen : Ce concept de continuité ou de rupture est un faux concept. La question de la continuité en termes absolus ou du changement en termes absolus en matière de politique économique ne peut se poser que dans la mesure où le système économique est en position de contrôler les différents facteurs, endogènes et surtout exogènes, qui déterminent son opération. Certains de ces facteurs sont, par exemple, la taille du marché interne, la valeur d’échange de sa monnaie, la détention relative de ressources importantes. Si nous avons une combinaison favorable de tels facteurs, alors le décideur politique a une marge de manœuvre assez confortable et décide de la continuité ou du changement. Autrement, il ne peut que s’adapter à l’environnement économique national et international et aux exigences sociales du pays.

En ce qui nous concerne, nous sommes malheureusement dans la catégorie des pays qui n’ont pas d’autre choix que de s’adapter à l’environnement qui nous confronte. L’intelligence et le courage en politique économique consistent à se rendre compte de ces contraintes et de continuer dans une orientation économique quand il le faut et de changer quand il le faut. En fait, c’est le changement qui demande du courage, même quand ce changement nous est dicté par des circonstances dont le contrôle nous échappe Toujours est-il qu’il ne nous faut pas oublier une chose: c’est le Premier ministre qui décide de l’orientation en matière de policy decisions. Et cela a été l’immense contribution de Navin Ramgoolam de reconnaître la nécessité pour un changement d’orientation économique et la nécessité pour un changement de modèle économique en 2005 et d’avoir choisi ce changement – en dépit du coût à court terme de ce changement. C’est cela le courage en politique.

C’est pour cela aussi qu’il est inexact de parler de régime ou d’esprit sithanien, comme vous le faites. Le changement opéré en 2005 est d’inspiration de Navin Ramgoolam, et Navin Ramgoolam est toujours le Premier ministre de ce pays. Ce changement d’orientation économique en 2005 a été dicté par deux facteurs très importants: la nouvelle configuration de l’économie mondiale et du commerce international et la volonté d’une intégration socio-économique beaucoup plus forte – la démocratisation de l’économie. Ces deux facteurs sont toujours présents et déterminants et, comme je vous l’ai dit, Navin Ramgoolam est toujours Premier ministre. Ce n’est pas parce que la République a maintenant un nouveau ministre des Finances que les choses vont fondamentalement changer.

Ce qu’attend le Président de la commission pour la démocratisation de l’économie du premier budget de Pravind Jugnauth ? Pour toutes les raisons que je viens de vous donner, je pense que nous n’avons pas d’autre choix qu’une grande dose de continuité dans la mesure où ce premier budget sera encore inspiré de la philosophie économique et sociale de Navin Ramgoolam et dans la mesure où, en dépit d’un environnement économique international difficile, la mise en marche des policy decisions issues de cette philosophie a donné de très bons résultats, que ce soit en termes macro-économiques qu’en termes de protection sociale.

* Le ministre des Finances dispose-t-il, à votre avis, d’une marge de manœuvre suffisamment grande pouvant lui permettre de répondre aux aspirations légitimes des Mauriciens ?

Justement non. Aucun gouvernement n’a jamais eu ce genre de marge de manœuvre en raison des contraintes structurelles de notre économie. Celle-ci est caractérisée par des facteurs tels qu’un manque cruel de ressources naturelles, notre dépendance alimentaire sur les importations, un éloignement pénible de nos principaux marchés d’exportation, une démographie faible qui interdit presque le développement d’une masse critique pour tout effort ou toute initiative économique, une population généralement peu formée et technologiquement peu avancée, une taille de notre marché interne qui nous oblige à avoir une économie désespérément tournée vers l’exportation, ce qui entraîne du point de vue économique une extraversion extrêmement difficile à gérer, et, comme conséquence de tout cela, une dépendance permanente sur les conditions de l’économie mondiale et du commerce international. Comment peut-on espérer, avec ce scénario, avoir une marge de manœuvre pour répondre à ce que vous appelez « les aspirations légitimes des Mauriciens » ? Autant ces aspirations sont légitimes, autant les moyens que nous avons pour y répondre favorablement sont limités.

Prenons tout simplement le ongoing debate sur le choix de politique monétaire. Roupie forte ou roupie faible ? La première protège dans une certaine mesure les consommateurs en réduisant, en termes de roupies, le coût des importations dont nous dépendons à plus de 90%. La seconde protège les exportateurs des biens et services et protège le maintien et la croissance dans nos principaux secteurs à l’exportation, le sucre et les produits de la canne, le textile et l’habillement et le tourisme. Nous devons protéger les consommateurs et nous devons aussi protéger les entreprises qui emploient notre population et qui lui permettent d’être des consommateurs. Où se trouve l’équilibre entre ces deux préoccupations aussi importantes, aussi stratégiques l’une que l’autre ? Notre problème fondamental demeure en fait que nous nous sommes engagés depuis une trentaine d’années environ dans une course en avant dans la consommation – une tendance qu’il est pratiquement impossible d’inverser maintenant ; et par conséquent, nous avons des besoins qui dépassent largement nos moyens. Je ne veux pas du tout dire par là qu’il nous faut nous serrer la ceinture – cela est un choix de vie personnel et individuel et ne relève pas de la politique.

Nous parlions de marge de manœuvre. Finalement, que peut faire un gouvernement, n’importe quel gouvernement, dans une société qui a fait le choix totalement consensuel d’un système économique libéral où existent la libre entreprise et le respect de la propriété privée, autre que mettre en place les législations, les structures et les institutions qui favorisent la croissance économique et les législations, les structures et les institutions qui assurent un juste partage des fruits de cette croissance ainsi que les opportunités d’accès à cette croissance pour le plus grand nombre ? C’est cette philosophie de démocratisation de l’économie et cette approche qui sous-tendent l’action politique de Navin Ramgoolam et de l’Alliance de l’Avenir.

* Selon ce que rapporte la presse, il semblerait que le ministère des Finances privilégierait une option 0% pour la compensation salariale pour 2011 avec un taux d’inflation estimé à 2,8% en 2010, ce qui laisse croire que le gouvernement ne disposerait pas d’une grande marge de manœuvre. L’opposition soutient le contraire et évoque les divers fonds non-utilisés et créés par Rama Sithanen. Qu’en pensez-vous ?

Comme d’habitude, l’opposition se vautre dans une basse démagogie, laquelle démagogie est en fait un bâton qui se retourne contre elle. Par la simple évocation de ces fonds l’opposition reconnaît et admet les difficultés de trésorerie auxquelles fait face le pays en raison de la situation économique mondiale et surtout de la situation économique dans les grands pays qui sont les marchés pour nos exportations. L’opposition sait de manière pertinente que ces fonds dont elle parle sont des fonds destinés au développement et non à la consommation. L’opposition sait pertinemment que ces fonds sont destinés à des projets de développement de petites et moyennes entreprises, au levelling des conditions économiques par la lutte contre la grande pauvreté et au soutien à de nouveaux entrepreneurs dans le cadre de la politique de démocratisation de l’économie – ce qui contribuera à pourvoir pour une croissance économique plus soutenue et plus broad based, ainsi qu’à l’amélioration de la justice sociale au niveau national.

Alors, évoquer l’existence de ces fonds et proposer leur utilisation dans le cadre de la compensation salariale relève d’un incroyable manque de responsabilité politique et d’un infantilisme risible dans la réflexion économique et sociale.

* Il semblerait également que la nouvelle formule de négociation tripartite dans le cadre du National Tripartite Forum ne ferait des heureux au sein de la classe syndicale ; on parle déjà d’énervement ; le National Pay Council de Sithanen était mieux dit-on… Votre opinion ?

 Qu’il s’agisse d’une formule de négociation ou de consultation ou qu’il s’agisse d’une autre formule ou encore d’une troisième ou d’une énième formule, il est illusoire d’espérer que les syndicats en seraient heureux. Si un représentant syndical, mandaté et rémunéré de la cotisation des travailleurs déclare qu’il est parfaitement heureux soit d’une formule de négociation décidée par l’Etat ou les employeurs, soit de l’issue de ces négociations, il perdrait immédiatement son job. Et ce serait normal. C’est comme si l’opposition décrétait demain qu’elle est satisfaite de la performance du gouvernement – cela équivaudrait à démissionner face à l’électorat. Par définition, les syndicats ne peuvent être satisfaits, comme l’opposition ne peut pas l’être.

Ceci dit, la formule, ou la nature du forum mis sur pied pour les négociations importe moins que l’issue des négociations. Quelle que soit la nature de ce forum, c’est l’issue qui compte. Et vu les jours difficiles que nous vivons, il est plus que naturel que les syndicats s’énervent, comme vous le dites. Les négociations, les consultations, les protestations et encore les manifestations ou les grèves font partie de la règle du jeu démocratique en matière de coexistence industrielle. Elles sont l’expression de libertés acquises au fil de longues années de lutte syndicale et elles doivent être éminemment respectées. Mais tout n’est pas toujours possible et je suis convaincu que chaque citoyen, chaque Mauricien se rend tout à fait compte que toutes les demandes ne peuvent être satisfaites. Comme en toutes choses, une économie nationale connaît des jours fastes et parfois des jours maigres. Ce qui est dommage, c’est que les friandises distribuées dans les jours fastes, comme l’augmentation salariale de plus de 40% décrétée par le PRB en 2008, sont vite oubliées et que les revendications sont permanentes – indépendamment de la situation économique

* On a abordé cette question à plusieurs reprises, et il semblerait qu’on est toujours à la case départ : où en est-on avec le dossier concernant les Independent Power Producers (IPPs) ? La révision des « contrats-béton » liant le CEB aux IPP est-elle toujours envisageable ? Ça devient frustrant pour tout le camp gouvernemental, n’est-ce pas ? D’où l’arme du veto gouvernemental à tout projet d’expansion des opérations des IPP?

 Evidemment que les fameux contrats en béton peuvent et doivent être revus. Il est tout simplement malheureux – et cela a toujours été le cas dans notre histoire depuis l’indépendance – que le grand secteur privé confond toujours l’intérêt national avec ses propres intérêts. Prenons l’exemple récent des mesures préconisées par le Premier ministre pour démocratiser la détention des avoirs économiques dans l’industrie de la canne à sucre en parallèle avec la reforme de ce secteur en 2008. Le Premier ministre avait posé comme condition pour la mise en marche de ces reformes un certain nombre de concessions du patronat sucrier en faveur des petits planteurs, laboureurs et artisans. Le patronat sucrier est resté campé sur une position de refus catégorique et a choisi le conflit plutôt que la négociation dans l’intérêt national. En fin de compte, ce patronat sucrier a été obligé de céder et de s’aligner en majeure partie sur la demande du Premier ministre. Le pays en est sorti gagnant et le patronat sucrier y a perdu une partie de sa crédibilité.

En ce qui concerne les IPP, le gouvernement de l’Alliance Sociale a accepté le choix fait par la MSPA de nommer les consultants Hunton and Williams pour faire des recommandations dans cette affaire. Et comme vous le savez, la MSPA refuse maintenant d’accepter ces recommandations qu’elle s’était engagée à respecter à la signature de l’accord avec le gouvernement. Comme j’ai eu l’occasion de vous le dire, le Premier ministre est le chef du gouvernement et décidera de la marche à suivre, mais mon avis personnel est que la MSPA et les Independent Power Producers n’ont et n’auront d’autre choix que de respecter les recommandations de Hunton and Williams – et je le répète – qu’ils s’étaient engagés à respecter de toute manière.

De manière plus générale, en raison du fait que l’économie de l’île Maurice moderne est héritière directe de l’économie de plantation qui a caractérisé le système pendant deux siècles et demi de colonisation – période pendant laquelle la fortune du patronat contemporain, des plus riches des familles mauriciennes a été bâtie sur l’accès, non seulement préférentiel mais aussi racialement discriminatoire, à la terre et sur le travail des esclaves non-rémunérés et des coolies misérablement rémunérés – il serait plus que normal que ce patronat comprenne qu’il est lourdement redevable à la population de ce pays. Mais tel n’est pas le cas. Le grand secteur privé mauricien, y inclus les IPP, ne cède sur les questions d’intérêt national que si on lui tord les bras. C’est probablement vers ce genre de situation que nous nous acheminons. C’est certainement dommage, mais l’Etat ne peut pas céder sur une question aussi stratégique.

* C’est également frustrant, n’est-ce pas, que de constater la lenteur avec laquelle on traite le dossier des 2000 arpents de terre négociés avec le sucrier ?

Ce dossier est en bien bonne voie. Mais prendre possession des 2000 arpents n’est pas une procédure particulièrement simple.

Premièrement, ce serait irresponsable et criminel de prendre des terres sur lesquelles la canne est en pleine pousse et n’a pas été récoltée encore. Donc à chaque fois, nous attendons que la canne soit récoltée. Deuxièmement, la cession de terres se fait après l’arpentage des terres en question, lequel arpentage ne peut se faire encore une fois qu’après la récolte de la canne, une fois le terrain libre de tout encombrement. Troisièmement, avant de prendre possession d’un terrain, l’Etat doit s’assurer, par l’examen et l’analyse du dit terrain, de son adequacy en fonction de l’usage qu’il est prévu d’en faire – la construction de logements sociaux, avec des critères d’acceptabilité bien précis, ou l’agriculture, dans lequel cas il faut que les caractéristiques physiques et chimiques du terrain en question soient propices au type d’activité agricole qu’il est prévu d’y mettre en marche. Quatrièmement, les procédures légales nécessaires, le passage par les bureaux de notaire, la vérification par le State Law Office, etc. Cinquièmement, les « missed attempts », c.à.d. le temps pris par des procédures déjà entamées et que nous devons stopper pour diverses raisons, dont principalement la non-adéquation d’un terrain donné par rapport à l’usage que nous prévoyons d’en faire. Vous voyez, tout cela prend du temps.

J’ai eu l’occasion de vous le dire et je le redis: toutes les procédures sont complétées ou en voie d’être complétées pour plus de 300 arpents et l’allocation des lots en location sera faite très bientôt en ce qui concerne les terres à vocation agricole.

* On s’attendait à ce que le gouvernement ait, sous l’impulsion de la Commission pour la démocratisation de l’économie, lancé la deuxième phase du programme de démocratisation, cela dans le secteur touristique en particulier. A-t-on changé d’avis à ce propos ? Ou faut-il croire que certains ministres n’ont toujours pas compris cette volonté du PM en faveur de la démocratisation de l’économie ?

Ni l’un ni l’autre en fait. La Commission pour la démocratisation de l’économie travaille actuellement sur deux grands dossiers: la démocratisation de l’accès aux activités économiques dans le secteur dit touristique et la nécessaire transition agro-économique que doivent opérer des milliers de petits planteurs de canne à sucre afin qu’ils puissent survivre.

* Pourquoi dites-vous « secteur dit touristique » ?

Parce que nous n’avons pas d’industrie touristique à Maurice. Nous avons une industrie hôtelière, ou au mieux, une industrie touristique à l’état embryonnaire. C’est justement de cela qu’il s’agit. En 40 ans d’existence, les activités économiques liées au tourisme n’ont pas été en mesure de générer une réelle industrie touristique parce que les grands intérêts de ce secteur ont monopolisé l’ensemble de ces activités et les ont agglutinées autour des hôtels – qui deviennent ainsi le point focal, le noyau impénétrable de cette industrie au détriment des autres stakeholders, principalement des petits et moyens entrepreneurs dans des domaines aussi divers que le transport, le touring, la restauration, le commerce artisanal, la fourniture de biens et services requis par les touristes – des visiteurs de passage chez nous.

Il est très intéressant que vous me posiez cette question, car justement, la Commission pour la démocratisation de l’économie, en collaboration avec le ministère du Tourisme organise pour le jeudi 4 novembre un atelier de travail qui a pour thème « Integrating Small and Medium Enterprises in the Tourism Sector ». Les intervenants seront le ministre Nando Bodha et moi-même et l’Honorable Nita Deerpalsing, ainsi que M. Karl Mootoosamy de la MTPA, M. Rajiv Servansingh de la Competition Commission et M. Raj Makoond du JEC. Nous aborderons des thèmes tels que l’accès aux marchés pour les PME du secteur, la promotion des PME pour une compétition plus saine, le networking et les opportunités de coopération à l’intérieur du secteur ainsi que la recherche d’outils efficaces pour améliorer la performance des PME. L’objectif final est de dégager une stratégie collaborative à l’intérieur du secteur du tourisme pour que les PME y trouvent leur place.

* Vous avez aussi mentionné la transition agro-économique de milliers de petits planteurs. Que voulez-vous dire exactement ?

Vous savez certainement que depuis que la baisse de 36% du prix de vente de notre sucre à l’Union européenne est entrée totalement en vigueur, les recettes des petits planteurs avoisinent les Rs 12 700 par tonne de sucre, alors que ces petits planteurs n’arrivent pas à produire une tonne de sucre à un coût inferieur à Rs 15 000. Non seulement les prix de vente ont baissé, mais les prix de plusieurs intrants, dont l’énergie, les fertilisants, le transport et la main-d’œuvre ont augmenté. Cette inadéquation entre coût de production et prix de vente fait qu’entre 3 000 et 5 000 petits planteurs sont déjà asphyxiés et ne pourront pas survivre. Les mesures contenues dans le Multi-Annual Adaptation Strategy, la feuille de route de la réforme du secteur de la canne à sucre, n’ont pas donné en ce qui concerne les petits planteurs, y inclus les métayers, les résultats escomptés. Je suis en plus d’avis que toute initiative pour faire baisser les coûts de production ne donnera que des résultats marginaux et que, dans les circonstances actuelles, les petits planteurs n’ont aucune chance de survie dans la canne à sucre. Ainsi, il est impératif qu’à ces planteurs soient offertes des opportunités de transition et de reconversion vers d’autres activités agro-économiques. La survie de 3 000 à 5 000 familles de petits planteurs dépendra de cette transition et de cette reconversion.

Le ministère de l’Agro-Industrie et de la Sécurité Alimentaire et la Commission pour la démocratisation de l’économie travaillent en étroite collaboration depuis quelques semaines déjà pour dégager un plan pour cette reconversion. Je serai dans quelque temps en mesure de vous donner plus de détails sur cette question.

* Sur le plan politique, le leader du MMM dit publiquement ses regrets qu’on n’ait pas aboli les dispositions légales obligeant les candidats aux élections générales à préciser leur communauté comme préconisé par Banwell et demande au PM de venir de l’avant avec un amendement constitutionnel permettant aux candidats qui le souhaitent de ne pas indiquer leur communauté à la condition d’accepter qu’ils ne soient pas éligibles comme best losers. Il réclame aussi « une bonne reforme électorale » avec une dose de proportionnelle. Qu’en pensez-vous ?

Je laisse au leader du MMM ses regrets. Il relève de la prérogative du Premier ministre de déterminer et de fixer l’agenda du législatif – et cela inclut la décision ou non de venir de l’avant avec un projet d’amendement constitutionnel. Sauf qu’un projet d’amendement constitutionnel, surtout un amendement visant à modifier le mode électoral, ne peut pas être présenté de manière fractionnée, au coup par coup. Tout projet d’amendement constitutionnel, et particulièrement dans ce domaine-là, doit être un projet intégral, un projet d’ensemble – éventuellement avec une dose de proportionnelle. Mais il demeure la délicate question de la représentation adéquate et juste des minorités.

* Existe-il un consensus au sein du PTr en ce qui concerne l’introduction d’une dose de représentation proportionnelle et l’abolition du système Best Loser ?

Notre mode de scrutin actuel, basé sur le first past the post, est un système qui a ses avantages – dont le best loser system qui assure une représentation plus équilibrée des minorités – mais qui a aussi ses travers – dont principalement le profond déséquilibre qu’il peut engendrer entre le pourcentage de votes obtenus et la représentation réelle à l’Assemblée nationale pour le parti ou l’alliance de partis qui perd les élections. Le Parti travailliste est le parti qui a le plus souffert des travers de ce mode de scrutin. Souvenez-vous en. Aux élections générales de 1991, avec 40% des votes au niveau national, le Parti travailliste s’est retrouvé avec seulement 3 députés, soit 5% de représentation à l’Assemblée nationale. Tout homme ou toute femme politique de bon sens serait pour l’idée de trouver et de mettre en exécution un mode de scrutin qui débouche sur une représentation plus adéquate du vote populaire – et le Parti travailliste est rempli d’hommes et de femmes politiques de bon sens.

Techniquement, votre question devrait être adressée au Leader du Parti. Ma position personnelle est qu’il est important de trouver une solution durable à ce problème de déséquilibre entre le vote populaire et la représentation à l’Assemblée nationale, mais tout en assurant la protection de la représentation adéquate et juste des minorités. Depuis 1967, cette protection s’est effectuée de manière satisfaisante par le biais du best loser system – qui est une protection juridique gravée dans la Constitution. Nous ne pouvons pas préconiser l’abolition du best loser system, sauf si nous le remplaçons par un système qui soit meilleur. Jusqu’ à maintenant personne n’a été capable de proposer un meilleur système. Pour moi, aucun système autre qu’une garantie juridique, institutionnelle et constitutionnelle de la représentation équitable et juste des minorités n’est acceptable.

* Voyez-vous un bon nombre des candidats à la députation choisir de ne pas indiquer leur communauté et perdre du coup la possibilité de se faire repêcher par le système de « best losers » ? Le feriez-vous ?

Notre société est encore malheureusement caractérisée par des clivages ethniques, religieux et raciaux – qu’on le reconnaisse ou pas, qu’on l’admette ou pas, c’est un fait. Il en découle que le comportement électoral est aussi largement déterminé par les considérations issues de ces clivages. J’en connais un morceau, ayant moi-même subi les conséquences d’un tel comportement aux élections générales de 2005… Pour répondre plus directement à votre question, oui, je vois pas mal de citoyens mauriciens candidats à la députation qui accepteraient de ne pas indiquer leur communauté avec le risque que cela entraîne. En ce qui me concerne, je serai serein et honnête avec vous. Je ne suis pas un homme politique à temps partiel. J’ai fait de la politique ma carrière et, surtout, je suis convaincu que le best loser system est une institution juste et méritoire. Alors, ma réponse est non, je ne le ferais pas.

* Par ailleurs, un autre sujet qui fait débat, c’est la question de conversion. On a ainsi entendu les déclarations incendiaires et autres menaces venant de prêtres, prédicateurs et autres leaders des associations socioculturelles de « descende lors la rue ». Comment réagissez-vous face à ces agissements ?

C’est tout simplement un faux débat, même s’il prend des allures de Kulturkampf, de guerre de culture. La religion peut être aussi une institution qui régit dans certaines sociétés, ou dans des sections de sociétés, les relations des individus entre eux, mais beaucoup plus fondamentalement, la religion, telle que nous l’entendons, est une affaire de relation entre un être humain et Dieu. Et dans ce type de relation, aucun autre individu ne peut ni n’a le droit de s’immiscer. Personne n’a le droit de venir même suggérer d’interdire à une personne de se convertir à quelque religion qu’elle souhaite et personne n’a le droit d’interdire à des prédicateurs de quelque religion de partager avec les autres ce qu’il ou qu’elle croit être « la bonne parole ». En somme, toute cette affaire est du domaine de la vie privée et l’Etat ou les institutions publiques n’ont pas voix au chapitre.

* Que pensez-vous de cette poussée en faveur de l’introduction du Kreol en tant que médium d’instruction et en tant que matière ?

De quoi parle-t-on exactement ? De la langue kreol ou du kreol comme instrument identitaire ? On fait trop souvent l’amalgame entre les deux. Je suis évidemment en faveur de l’introduction formelle du kreol en tant que medium d’instruction afin de favoriser la compréhension, par des enfants dont la maîtrise de l’anglais ou du français est encore limitée, de matières telles que l’anglais, le français, les mathématiques, la science et l’histoire et la géographie. Jusqu’ à un moment, un point dans le développement des facultés de ces enfants, où cet enseignement peut être dispensé en anglais ou en français. En bref, le kreol en tant que medium d’instruction est nécessaire dans certains cas, mais il est souhaitable que ce soit uniquement un usage transitoire.

* Pourquoi transitoire ?

Parce que la langue kreol est une langue encore trop basique, qui n’est pas encore suffisamment mûre pour exprimer des idées et des concepts sophistiqués sans emprunter à d’autres langues, parce que l’expression en kreol de concepts plus sophistiqués ne peut se faire qu’avec l’emprunt massif de termes et de mots d’autres langues, dont principalement l’anglais, parce que quand on comprend les termes de l’anglais ou du français, ou encore de l’allemand technique, scientifique ou commercial pour exprimer des idées plus complexes, cela veut dire qu’on a déjà maîtrisé la langue en question. Je ne vois pas très bien la logique d’utilisation du kreol comme langue d’instruction autre que transitoire.

Et en tant que matière, oui, pourquoi pas ? Dans la mesure où nos autorités pédagogiques développent un cursus fait, entre autres, de langage, de littérature, de poésie et de chants pour cette matière, un cursus qui assure l’enrichissement intellectuel et l’épanouissement de nos enfants, comme cela se doit pour tout enseignement. Et il n’y a aucun biais culturel ou ethnique dans ma position. Ma position est honnête et morale. Je ne suis pas d’identité créole au sens ethnique, mais la langue kreol m’appartient pleinement autant qu’elle appartient à tout autre Mauricien, quelle que soit son identité culturelle ou ethnique.  


* Published in print edition on 4 November 2010

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