“Le scénario de la rupture est posé depuis un moment…

… c’est à la volonté du peuple de faire exploser le plafond de verre maintenant”

Interview : Dr Avinaash Munohur, Politologue

* « Si l’on étudie l’histoire des mafias, nous constatons que la mafia a toujours besoin de l’État pour exister, et elle procède par infiltration tentaculaire”

* ‘Au cas où une alliance PTr-MMM-PMSD-Autres remporte les élections, il ne faudra pas sous-estimer à quel point les problèmes seront compliqués à gérer’

* ‘Si le MSM revenait au pouvoir, il me semble que le PTr et le MMM seraient plongés dans une crise totale…’


Alors que nous célébrons cette semaine les 55 années de l’indépendance de notre pays, nous avons rencontré le Dr Avinaash Munohur, politologue, pour discuter de l’état actuel de l’économie et de la société mauricienne. Un entretien un peu éloigné de l’actualité mais qui touche à des thèmes profonds, qui animeront les prochaines années à Maurice.


Mauritius Times: On célèbrera dans quelques jours le 55e anniversaire de l’indépendance du pays. Ces commentaires proviennent d’un auteur anonyme : ‘Nous vivons dans un pays merveilleux où nous pouvons jouir de nombreuses opportunités et libertés, envers lesquelles nous manquons souvent d’égards…’. L’auteur résume en quelques mots son appréciation du vécu à Maurice. On pourrait ajouter à cela le fait que le ‘vivre ensemble’ n’est pas menacé jusqu’ici. Le vrai miracle se trouve là, n’est-ce pas?

Avinaash Munohur : Je vous rejoins sur un point : nous avons trop souvent tendance à penser que tout va mal à Maurice et que l’herbe est plus verte ailleurs. Pour avoir vécu 15 ans à l’étranger et pour travailler dans le domaine du conseil en stratégies politiques de plusieurs pays de la région, je peux vous assurer que les choses ne sont pas aussi compliquées qu’elles auraient pu l’être en réalité… sur papier du moins.

N’oublions pas que nous sommes au milieu d’une crise mondiale où la pandémie a produit un arrêt brusque de l’économie mondiale, ce qui a mis plusieurs pays à genou. Nous avons plutôt bien traversé cette crise et nos différents secteurs d’activité reprennent avec force et vigueur.

Mais ne sous-estimons pas non plus que l’inflation mondiale et l’incertitude actuelle dans un certain nombre de domaines font que les choses sont très compliquées pour beaucoup de Mauriciens. Et à part les statistiques de la reprise économique, qui sont très encourageants, nous devons également regarder la réalité sociale qui n’est pas du tout simple pour les ménages des classes ouvrières et des classes moyennes. Le problème de la cherté de la vie n’est d’ailleurs qu’un aspect des crises plus élargies et plus profondes de la vie quotidienne.

Après 55 ans d’indépendance, il faut regarder la réalité en face et voir que le contrat social qui a conduit les affaires du pays depuis 1968 et qui est articulé autour d’un consensus entre l’État et le secteur privé — où le premier est chargé d’ouvrir les horizons de capitalisations pour le second qui, à son tour, est taxé afin de financer notre modèle social – est aujourd’hui essoufflé.

J’entends souvent les gens faire des commentaires du type « Qu’a-t-on fait depuis plus de 50 ans ? » ou pire encore « C’était mieux avant l’indépendance ! » Les gens qui pensent cela sont ou bien de mauvaise foi, ou bien atteint d’une forme de folie que seul Sigmund Freud pourrait analyser, surtout pour ceux qui pensent que le système colonial offrait plus d’opportunités pour les Mauriciens que le système postindépendance.

* « C’est bien mieux après l’indépendance », dites-vous?

Les acquis socio-économiques de Maurice depuis 55 ans sont absolument fabuleux au regard de la situation très compliquée de la fin des années 60. Et ce que les générations précédentes ont construit depuis ces cinq décennies a défié toutes les prédictions de l’époque de l’indépendance – à commencer par celles du Prix Nobel d’économie James Edward Mead. On prédisait que Maurice deviendrait un « overcrowded barracoon » ; nous sommes devenus une puissance économique régionale.

Et c’est à la force du travail, du sacrifice, de l’abnégation, de l’épargne, du respect des autres et de la compassion collective que nous avons réussi à déjouer tous les pronostics de l’époque. Ces valeurs sont le cœur même de la réussite mauricienne et ce sont elles que nous devons célébrer et valoriser aujourd’hui.

Il faudrait rajouter que les gouvernements qui se sont succédé depuis 1968 ont aussi compris une chose fondamentale : la paix sociale à Maurice se trouve dans le progrès économique pour tous.

  • C’est le partage équitable de la croissance économique qui permet à notre vivre-ensemble de prospérer et de perdurer, malgré les épreuves.
  • C’est la croissance économique qui a permis les grands acquis sociaux comme l’éducation gratuite, la santé universelle gratuite et le système de la pension universelle.
  • C’est elle qui a sorti la majorité des Mauriciens de la misère noire pour en faire une classe moyenne puissante, laquelle a présidé au destin national ces dernières décennies.

Or, c’est peut-être justement cela aujourd’hui qu’il faut remettre en question. Il est clair que le monde a changé. La mondialisation est dans une phase d’intenses transformations, et les certitudes économiques du passé qui ont permis un développement soutenu de notre pays se sont transformées en questionnements incertains quant à l’avenir.

Nous voyons apparaître d’autres formes d’inégalités, d’autres formes d’exclusions aussi, en plus de celles qui sont historiquement structurelles. Et cette incertitude en l’avenir se retrouve dans ce qu’il conviendrait de nommer la crise des institutions et aussi dans les inégalités économiques actuelles, qui résultent en réalité tout autant d’un affaissement des compétences et des visions politico-économiques, que de l’impossibilité de faire évoluer notre modèle de développement et notre modèle social.

* Justement, l’autre face de la médaille, c’est l’appauvrissement croissant de nos concitoyens au bas de l’échelle et de la classe moyenne qui se poursuit depuis quelques années déjà – même un ‘Senior Counsel’ disait récemment ressentir les effets de la cherté de la vie. De l’autre côté, il y a les profits records des grosses entreprises pendant et dans le sillage de la pandémie. Contraste terrible ?

Comme je l’a indiqué tout à l’heure, le lien organique entre l’État et le secteur privé — entre les institutions et l’économie – qui a présidé à 55 années de croissance constante s’essouffle et s’érode. Ce fait est indéniable aujourd’hui et ne date pas d’hier en réalité. Cela fait un moment déjà que les fondamentaux de notre économie ne servent plus les fonctions sociales qui doivent être les leurs.

Il y a plusieurs raisons à cela, à commencer par le fait que nous soyons beaucoup trop dépendants de l’investissement et des flux de capitaux étrangers. Aujourd’hui, les FDI sont le sérum qui permet à l’économie mauricienne de tenir le cap, et à l’État de continuer à financer le modèle social. Les trois piliers de notre économie – le tourisme, l’immobilier et le secteur financier – sont aujourd’hui entièrement dépendants des flux de capitaux étrangers et sont en train de redessiner une carte des gagnants et des perdants du jeu économique qui n’annonce rien de bon pour la majorité des Mauriciens.

D’une certaine manière, l’inflation actuelle n’est presque pas le problème majeur du moment. Je ne sous-estime en aucun cas l’impact de l’inflation mondiale sur le pouvoir d’achat des ménages : nous sommes dans une situation qui est en train de faire basculer énormément de Mauriciens dans une précarité inquiétante.

Cela étant dit, nous sortirons de cette inflation petit à petit, et la reprise économique permettra une stabilisation économique mais à quel prix pour les classes ouvrières et les classes moyennes ? Ce sont elles qui sont aujourd’hui les premières victimes d’un système économique où la distance entre les gagnants et les perdants continuera de grandir.

* Les questions politiques fondamentales à se poser donc : quelles politiques économiques permettront de corriger cet écart ? Quelles politiques sociales permettront à la mobilité sociale de fonctionner de manière différente et sur de nouvelles bases ? Votre opinion?

Les réponses à ces questions ne sont pas simples du tout en réalité. Renverser la tendance actuelle demande une créativité et un courage que nos responsables politiques n’ont pas encore démontré à ce jour.

Par exemple, c’est l’éducation qui a historiquement été le moteur de la mobilité sociale à Maurice. Or il suffit de lire les audits de la Higher Education Commission pour se rendre compte que les choses ne sont pas radieuses au niveau de nos institutions tertiaires et que le problème du « mismatch » entre les formations dispensées et la demande réelle des industries et des entreprises ne fait que croître, ce qui force les entreprises à recourir à la main-d’œuvre étrangère.

Rajoutez à cela le problème de la fuite des cerveaux et du vieillissement de la population, vous vous rendez compte rapidement que l’équation est extrêmement complexe. C’est tellement complexe en réalité que les responsables politiques préfèrent ouvrir les portes de l’immigration au travail à des étrangers et caser un maximum de Mauriciens dans la fonction publique… Ce qui à son tour crée d’autres problèmes, comme celui de l’alourdissement de la bureaucratie, ce qui freine la productivité et le fait d’utiliser la fonction publique comme un outil politique pour sécuriser des votes. Comment parler de méritocratie et de démocratisation de l’économie dans ce cas de figure ?

* Par ailleurs, il y a aussi la question du financement politique par des lobbies puissants opérant dans le monde des affaires, ce qui est connu et même toléré par les politiques. Sommes-nous aujourd’hui arrivés au point où ces lobbies sont tellement puissants qu’ils sont capables de dicter aux politiciens les politiques économiques à mettre en place afin de sauvegarder leurs intérêts ?

Comme je le disais plus tôt, il existe un lien organique entre les acteurs politiques et les acteurs de l’économie. Ceci n’est pas propre à Maurice, puisque les politiques – à travers le monde – ont besoin des industries et des entreprises pour répondre aux attentes ou « deliver » sur leurs promesses de croissance, de plein emploi, de financement du modèle social, etc.

Et en retour, les grosses entreprises ont besoin des politiques pour négocier l’ouverture d’autres horizons de capitalisation ou pour venir les sauver en renflouant leurs caisses avec l’argent des contribuables – comme c’est le cas avec la Mauritius Investment Corporation (MIC).

Ce lien organique est l’essence même du modèle économique actuel. Mais la réalité c’est que, sans croissance économique, il n’est pas possible de financer le progrès social. Les marxistes vous diront que c’est là le cercle vicieux du capitalisme et que nous devons le briser afin d’émanciper les ouvriers et permettre une égalité économique de fait pour toute la société. Sur le papier c’est beau, mais l’histoire politique démontre abondamment ce qu’ont produit les économies planifiées : la famine et les goulags. En d’autres termes : la misère et le totalitarisme.

Maurice est née dans le libéralisme économique. Donc, la liberté d’entreprendre fait partie de l’ADN des Mauriciens. À partir de là, il me semble que les problèmes politiques s’articulent fondamentalement autour de l’accès à l’économie. Et c’est là qu’il y a tout un ensemble de questions à se poser, à commencer par le sens à donner aujourd’hui à la notion de mobilité sociale.

* Les citoyens et la société tireront-ils profit d’une telle redéfinition?

Pour moi, la mobilité sociale, c’est une certaine manière de faire fonctionner l’économie afin que chaque citoyen mauricien puisse avoir des chances plus ou moins égales d’entrer dans le jeu économique. Je dis bien « plus ou moins égales » parce que je suis réaliste et je sais pertinemment qu’un enfant issu d’un milieu ouvrier n’aura pas les mêmes opportunités qu’un enfant issu de la classe moyenne supérieure.

Mais, justement, c’est là que l’État se doit de pouvoir faire fonctionner les mécanismes de la rectification des injustices de départ. Ces mesures de rectification, elles, doivent permettre la création d’opportunités pour tous. L’école a un rôle immense à jouer pour atteindre cet objectif de la production de l’égalité des chances, et la production de la cohésion sociale.

 

Cependant le système éducatif doit être réformée. Les nouvelles technologies et l’évolution des savoir-faire sont en train de transformer la notion même de travail, avec l’émergence de nouveaux métiers. Il est impératif que l’école s’adapte à ces nouvelles données.

Mais cela ne suffit pas. Il faut également comprendre comment sont réparties les parts du gâteau politico-économique à Maurice. Nous parlons volontiers des dynasties politiques qui ont un monopole sur l’espace politique, mais nous ne parlons jamais des dynasties de l’économie qui ont, elles, un monopole sur l’espace économique. Comment donc empêcher cette tendance aux monopoles – politiques et économiques d’ailleurs — ? Il y a là tout un domaine de réflexion à produire, et des réflexions qui sont essentielles si nous voulons vraiment redonner du sens aux notions de démocratisation de l’économie, de mobilité sociale et d’égalité des chances.

* Comment interprétez-vous, dans le contexte de ce que vous décrivez, l’émergence de plus en plus visible et claire d’une économie parallèle ? Certains n’ont pas hésité à utiliser le terme de ‘narco-state’ pour décrire la situation actuelle… Ce n’est sans doute pas le cas dans les faits, non ?

Le terme de narco-État est effectivement tiré par les cheveux, mais il décrit une tendance. Et le Premier ministre affirme lui-même que cette tendance est vraie : celle de l’infiltration des institutions par les intérêts des mafias. Est-ce que nous sommes dans une situation où l’appareil d’État a été capturé et orienté vers les intérêts financiers des mafias ? Non, nous ne sommes pas dans l’hypothèse d’un État dans l’État, comme ce qu’ont pu construire la Cosa Nostra en Italie, Pablo Escobar en Colombie ou El Chapo au Mexique.

Cela étant dit, est-ce que la tendance de vouloir capturer les appareils de l’État pour les détourner dans le sens des intérêts de la mafia est néanmoins présente? Oui, à en croire le PM.

* Cependant avec une différence de degré?

En fait, nous ne parlons pas ici de différence de degré, mais de différence de nature. Si l’on étudie l’histoire des mafias, nous constatons deux choses : la première c’est que la mafia a toujours besoin de l’État pour exister, et la seconde c’est que la mafia procède par infiltration tentaculaire, c’est d’ailleurs pour cela qu’on la nomme « la pieuvre ».

En effet, le propre de la mafia est justement d’opérer dans une sphère parallèle de la sphère officielle de l’État. Mais elle a besoin de l’État pour pouvoir faire cela. Ou bien plutôt, elle a besoin d’infiltrer certaines institutions afin de s’assurer que l’on ne s’intéresse pas à ses activités. Cette infiltration se fait généralement par la corruption et les jeux d’influence.

Pour parler d’un cas précis qui est d’actualité en ce moment, dans le cas de Franklin, il me semble que nous sommes dans une situation qui rappelle bien plus le personnage de Frank Lucas – qui a d’ailleurs été immortalisé par l’acteur Denzel Washington dans le film « American Gangster » — que celui de Pablo Escobar. Ce dernier avait une emprise très particulière sur l’État colombien, venant le concurrencer directement dans des formes d’occupation territoriale qui mettaient à mal la souveraineté même du territoire colombien. Ainsi, Escobar avait des milices pouvant concurrencer la force de frappe de la police – ce qui explique d’ailleurs que ce soit l’armée et non la police qui a réussi à le défaire.

Frank Lucas est un personnage différent, il opérait par infiltration justement. Les choses se passaient à des niveaux parfois microscopiques, et la corruption allait du policier de quartier jusqu’aux élus de la ville de New York. Tout était fait pour permettre l’émergence d’une économie et d’un marché parallèles afin que Lucas puisse développer son business ou ses affaires.

Cette différence n’est pas du tout anodine. Dans le cas d’Escobar, c’est vraiment une situation de narco-État qui concurrence la souveraineté de l’État colombien lui-même. Dans le cas de Frank Lucas, c’est bien plutôt une économie parallèle à l’économie légitime où la visée est uniquement celle de faire du business.

C’est extrêmement intéressant de lire les historiens sur Frank Lucas. Cela nous ramène à ce dont on parlait précédemment car ces derniers affirment la chose suivante – je paraphrase : Frank Lucas est le résultat direct de l’exclusion et de la ségrégation des noirs dans l’Amérique des années 60 ; où ces derniers n’avaient d’autre choix que d’entrer dans l’économie parallèle afin de pouvoir accéder à la richesse puisque toutes les avenues de l’économie légitime étaient bloquées pour eux.

* Connaissons-nous le même problème à Maurice pour expliquer l’émergence de tels trafics illicites ou des mafias ? Ou est-ce que ce serait tout simplement une question d’argent facile?

Loin de moi de justifier les actions du personnage en question – je suis même pour la sévérité pénale la plus absolue lorsqu’il s’agit du trafic des narcotiques. Mais il faut se poser ces questions – en brisant les tabous – si nous voulons mieux combattre ces phénomènes. Peut-être que le cas de Franklin démontre justement qu’il y a un immense problème de mobilité sociale pour les Mauriciens issues des classes ouvrières et ceux qui sont en situation d’exclusion. Peut-être que le cas Franklin démontre la direction dans laquelle beaucoup de jeunes risquent de s’engouffrer si rien n’est fait politiquement pour promouvoir l’égalité des chances à Maurice, en démocratisant l’économie.

Soyons honnêtes, nous vivons dans la société du « bling-bling » où l’accumulation de l’argent – quelles qu’en soient les méthodes utilisées – est devenue le symbole de la réussite et du statut social. L’argent permet, symboliquement, de franchir les barrières sociales, et c’est justement ce qui devrait profondément nous interpeller.

Je suis extrêmement prudent ici et j’insiste sur le « peut-être » dans mon analogie entre Franklin et Frank Lucas. En tout cas, il faut se poser cette question et ne surtout pas mettre de côté la dimension sociologique des problèmes qui favorisent l’émergence des mafias à Maurice.

Il y a des raisons sociales et économiques, tout autant que des raisons politiques, à cette émergence et je laisse aux lecteurs le soin d’approfondir et de nuancer la réflexion sur ce sujet.

* On devine que le chantier est immense. Où commencer et comment s’y prendre ? Mais surtout, comment réunir les conditions politiques nécessaire afin de faire bouger les lignes ? Il nous semble évident que cela doit passer par des élections. Comment voyez-vous les choses évoluer sur ce front ?

À deux ans des élections, l’espace politique devient très intéressant. La tendance à la fragmentation des votes que l’on a pu constater en 2019 continue de croître, et il se pourrait bien que le prochain gouvernement soit élu avec moins de 30% des suffrages. Nous observons ici la logique intrinsèque au système du ‘First-Past-The-Post’, qui risque d’être poussé à sa limite lors des prochaines élections.

Cette fragmentation est bien évidemment due à la multiplication des nouveaux partis qui grattent dans les bases électorales des partis traditionnels. Toutefois, il y a aussi une autre question à se poser : y a-t-il aujourd’hui une majorité électorale à Maurice ? Eh bien, j’avance une hypothèse : la majorité électorale, c’est l’agrégat composé de l’abstention, du vote blanc, du vote « contre » et des indécis. Ce sont eux qui sont aujourd’hui majoritaires, et ils se reconnaissent difficilement dans les projets politiques actuels.

Mais une élection se gagne par les votes, et à partir de là, il me semble que nous sommes en face de deux scénarios qui deviennent de plus en plus clairs, et qui pourraient s’articuler comme suit.

Premièrement, le MSM revient au pouvoir…

Dans ce cas de figure, il me semble que le PTr et le MMM seraient plongés dans une crise totale, pour ne pas dire un effondrement de leurs appareils politiques. Dans le cas du PTr, ce sera la fin de Navin Ramgoolam, mais cette fin ouvrira une lutte intestinale entre les différentes factions du parti. Cette lutte risque de durer très longtemps, ce qui éloignera le PTr de la possibilité de gagner une élection pendant un moment.

Dans le cas du MMM, il sera clair que Paul Bérenger cédera sa place de leader, et il est également clair qu’il n’y a actuellement personne capable d’occuper cet espace dans le Bureau Politique du parti. Steven Obeegadoo a d’ailleurs parfaitement bien senti l’opportunité qui se présente à lui dans ce cas de figure, et c’est pour cela qu’il se positionne avec son rassemblement des anciens du MMM.

Le point important à saisir ici, c’est que cet effondrement du PTr et du MMM va ouvrir un espace politique extrêmement intéressant, un vacuum même, qui risque de sérieusement éroder le MSM si des gens compétents et sérieux savent se saisir de cette opportunité.

– Deuxièmement, une alliance PTr-MMM-PMSD-Autres remporte les élections…

Il ne faudra pas sous-estimer à quel point les problèmes seront compliqués à gérer pour une telle alliance. La pression de la relance économique et de l’assainissement des institutions sera énorme, et ce gouvernement sera assis sur une « caraille » extrêmement chaude, pour ne pas dire un volcan explosif…
De plus, vous ne m’enlèverez pas de l’esprit que Navin Ramgoolam sera tenté de succomber au sentiment de revanche et de destruction du MSM qui doit l’animer depuis son arrestation en 2015 – il n’a du moins donné pour l’instant aucune garantie quant à cette question qu’il est légitime de se poser.
Tout cela se combinera pour produire une instabilité qu’il sera extrêmement difficile de gérer au sein de l’alliance, avec un risque d’implosion au bout de quelques mois. Une telle implosion sera dévastatrice pour la légitimité et le sérieux des partis composant l’alliance ouvrant, encore une fois, un espace politique très intéressant que d’autres devront savoir exploiter.

Ce qui m’interpelle dans les deux scénarios, c’est que le vacuum qui est déjà constitué va être exacerbé. Je ne dis pas que ce vacuum fera naturellement évoluer le système, mais il en porte le potentiel. Et ce sera, encore une fois, à d’autres de savoir l’exploiter et de convaincre les Mauriciens de la validité et du bienfondé de leur projet pour le pays.

Le chantier est immense, mais c’est dans cet espace que tout ce dont nous avons parlé depuis le début de cet entretien pourra se déployer dans des propositions concrètes et réalisables… surtout que la majorité électorale, telle que je la définis, pourrait bien être rassemblée par cet espace justement, du moment que le projet qui sera proposé tienne la route et réponde aux revendications de progrès, de réformes, d’égalité, de justice et d’équité qui dessinent actuellement les ambitions politiques de l’avenir mauricien.

* Après 55 ans d’indépendance nous arrivons donc, enfin, à un point de rupture selon vous ?

Le scénario de la rupture est posé depuis un moment, et nous nous acheminons lentement mais sûrement vers elle. C’est aux forces de l’Histoire et à la volonté du peuple de faire exploser le plafond de verre maintenant.

La jeunesse mauricienne doit se rendre compte que le progrès social et économique n’est pas offert sur un plateau, il se conquiert à la force de la lutte politique. Les jeunes doivent également se rendre compte qu’il est indispensable de transformer leurs angoisses, leur anxiété, leur désarroi et leur manque de croyance en leur pays et en leur avenir en une force positive, en un réveil citoyen.

Comment faire cela ? En s’engageant pour les autres, en identifiant les problèmes actuels, en s’éduquant sur les transformations du monde et en tentant des propositions politiques. C’est comme cela que l’on développera l’intelligence collective dont nous avons besoin pour faire face aux défis de notre siècle.

Nos aînés ont su le faire dans les années 60 et 70, ce qui a ouvert la séquence des années 80 et 90. C’est maintenant à nous de nous saisir de notre présent. La manière dont nous le ferons écrira les 55 prochaines années de l’Histoire de notre pays.


Mauritius Times ePaper Friday 10 March 2023

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