La censure en votre nom

Carnet Hebdo

Par Nita Chicooree-Mercier

Il semble qu’il y ait un consensus dans les milieux officiels, chez les grandes figures de la vie publique et dans les milieux autorisés à penser, comme disait l’autre humoriste, de tenir à distance toutes les ‘querelles extérieures’. En français mauricien, le terme “extérieur” signifie plutôt “externe” et “étranger”, désignant ainsi toute polémique ou tout conflit qui polarise les peuples et les nations dans d’autres contrées au-delà des océans.

‘Tout le monde sait à Maurice qu’il est impossible d’espérer un consensus sur certains sujets sensibles. C’est une réalité. Et il est contre-productif d’assigner tout le monde au silence sur ces sujets.’ P – Cultur’easy

Cette mise à l’écart se fait dans le souci d’éviter toute manifestation ostentatoire d’un parti pris quelconque susceptible de reproduire dans l’île l’affrontement des blocs rivaux qui se déchirent ailleurs. Le mot d’ordre est : Silence, on construit… la nation.

Bien entendu, l’importation en masse de produits de consommation pour inonder les supermarchés, de tous types de véhicules et de gadgets, ainsi que l’implantation des grandes enseignes étrangères pour les articles de sport, principalement françaises, afin de pousser à la consommation un peuple qui vit au-dessus de ses moyens, sont acceptables car jugés inoffensifs. Tout comme l’intérêt pour le Bayern de Munich, dont l’animatrice d’une radio privée nous entretenait avec engouement pour amuser la galerie pendant la Covid, sans parler des exploits d’Arsenal, de Liverpool, de Manchester, de la PSG, etc., qui rassemblent les fans devant l’écran de leur téléviseur. Panem et circenses, du pain et des jeux, pour que le peuple soit occupé, et que la paix sociale suive.

La télévision nationale s’attelle à suivre les directives de la voix officielle, et par ricochet, aussi celle des milieux autorisés à penser qui s’alignent sur la politique gouvernementale sur ce point, en évitant de diffuser à l’écran tous les discours incendiaires et les lancements de missiles des pays en guerre. Cette stratégie semble sage et efficace pour mettre une chape de plomb sur une population dotée d’un tempérament chaud. Donc, l’astuce est d’éviter de mettre de l’huile sur le feu, afin de ne pas aggraver l’incendie dans la catégorie des têtes brûlées dont le nombre augmente à chaque fois que les fers se croisent à ‘l’extérieur’.

Cela étant, les informations internationales se résument à deux éléments : la fonte de la banquise, les ours polaires en errance, les inondations et les catastrophes naturelles, et un événement politique mineur dans tel pays, ce qui témoigne d’une indigence intellectuelle en n’ouvrant qu’au minimum la fenêtre sur le monde.

Cette censure expose le public mauricien aux partis pris des chaînes étrangères telles que LCI, BBC, CNN, Al Jazeera, France 5 et autres, concernant les grands événements qui font l’actualité. Ces chaînes pratiquent une autocensure à outrance. Il en va de même pour la presse locale. En somme, l’État, les médias et les figures publiques s’accordent pour donner un seul son de cloche aux grondements qui déchirent le ciel, et détruisent les édifices et les vies humaines sur terre.

Ceux qui sont aux manettes du pays ont toujours fait preuve d’une grande responsabilité, quel que soit le parti au pouvoir, en ménageant les uns et les autres, en appliquant quand c’est nécessaire la fermeté envers les malfrats prêts à la violence, et en tenant un discours neutre sur les conflits qui divisent les sociétés dans d’autres pays. En tant que rassembleur et gardien de la cohésion sociale, leur fonction première est de veiller à ce que le tissu social soit maintenu dans son intégralité, et d’éviter que le tissu ne s’effiloche à cause de quelques fils tordus.

La neutralité n’est qu’apparente, car la prise de position des représentants locaux à l’ONU s’aligne sur la voix du plus grand nombre de pays. La lâcheté est flagrante, à l’instar de bien d’autres dirigeants. Leur voix donne un seul son de cloche sur la scène internationale et ne reflète pas forcément leur conviction personnelle. Mais ont-ils le choix ? Leur alignement est dicté par la realpolitik, les intérêts commerciaux, les liens économiques avec les grands pays, l’importation de l’énergie, etc. Le but d’étouffer une cacophonie sur le plan local n’est atteint qu’en apparence. Le public joue le jeu, teste les limites et s’accorde tacitement à ne pas franchir la ligne rouge.

La tendance serait de constater que Maurice adopte une ligne prudente de l’Inde sur les relations internationales. Mais un État insulaire ne peut jouer dans la cour des grands. Malgré la puissance des États-Unis, l’Inde se permet de ne pas obéir à l’injonction occidentale de condamner la Russie en 2022, et fut le premier pays à condamner sans tergiverser l’acte terroriste perpétré par le Hamas dans un kibboutz en Israël. Officiellement, Maurice se range derrière le bloc occidental sur la question russe, contrairement à la prise de position de ce qu’on appelle le Sud global. Quant au vote pour un cessez-le-feu à Gaza, cela ne coûte rien au pays de suivre le troupeau à l’ONU, alors que l’Inde s’est permis de s’abstenir.

Finalement, les autorités savent qu’il leur faut jongler et ménager les plus remontés tout en calmant les esprits libres. Le pays est une démocratie et le public mauricien est attaché à la valeur de liberté en général et celle de s’exprimer en particulier. Est-ce que c’est efficace et raisonnable de considérer certains sujets comme tabous et de museler le public à la longue? A noter que l’explosion sur internet évite les affrontements physiques dans les rues, sauf sur les campus universitaires de certains pays.

Il y a une forte conscience générale que ce qui se passe au Moyen-Orient est d’une gravité pour l’avenir de l’humanité d’où l’urgence d’une prise de position bien tranchée et nette à travers le monde. En fin de compte, il n’est pas si aisé de tourner le dos aux conflits qui agitent d’autres pays dans la mesure où il y a aussi un intérêt économique, une identification politique, idéologique, religieuse et culturelle qui a un impact sur les uns les autres.

L’atout du public mauricien, malgré la possibilité d’être influençable, est de ne pas verser dans le sentiment et l’émotion, deux grandes mamelles du woke matriarchal depuis que les valeurs dites ‘féminines’ sont promues, au détriment de la logique et du rationnel. La vérité, c’est qu’on ne règle pas les grands conflits alimentés par des idéologies pernicieuses et destructrices au moyen de l’étalage de l’émotion. Un jeu dont certains lobbys sont experts dans les médias mainstream à l’international.

Tout le monde sait à Maurice qu’il est impossible d’espérer un consensus sur certains sujets sensibles. C’est une réalité. Et il est contre-productif d’assigner tout le monde au silence sur ces sujets.


Mauritius Times ePaper Friday 26 April 2024

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