“Anerood Jugnauth en tant que politique et leader d’un parti, etc., ne représente plus grand-chose » 

Interview: Dev Virahsawmy

« La bataille sera aussi dure que celle menée pour l’indépendance de Maurice en 1967 » 

 Il ne s’agit pas de savoir si Jugnauth représente une menace dangereuse ou non… je soupçonne l’implication d’une puissance étrangère derrière tout ce que nous avons été amenés à entendre et à voir ces derniers temps.


Dev Virahsawmy commente, dans l’interview de cette semaine, la posture adoptée par le Président de la République face aux enquêtes menées par l’ICAC sur l’affaire MedPoint et il déplore le non-respect de la fonction et du statut associé à ce poste, au plus haut niveau de l’Etat. Par ailleurs, il analyse les prises de position des partis de l’opposition et d’une partie des médias qui souhaiteraient que le peuple mauricien se rende aux urnes, présageant un déploiement de grands moyens financiers des capitalistes mauriciens et étrangers pour déstabiliser le gouvernement…


Mauritius Times : « Anything can happen… », nous dit-on des milieux MSM depuis que Sir Anerood Jugnauth a choisi de rendre public ses commentaires par rapport à l’ICAC et à l’option-démission au cas où la Commission anti-corruption ne cesse, d’après lui, de « faner »… 

Le comportement de Sir Anerood Jugnauth est, à mon avis, indigne d’un Président de la République. Il semble avoir complètement oublié son rôle et sa responsabilité vis-à-vis de l’Etat et du peuple mauricien. Il se comporte comme un activiste politique et ce n’est certainement pas là sa responsabilité ; il se comporte plus comme le paterfamilias, le chef de famille qui pense beaucoup plus aux intérêts de sa famille qu’aux intérêts du pays. Je trouve sa démarche grave et dangereuse pour la démocratie.  

* Que cherche-t-il selon vous? Ou plutôt, diriez-vous qu’il a déjà pris sa décision ? 

Je pense qu’il a effectivement pris la décision de contracter une alliance avec le MMM et probablement de retourner sur la scène publique. Ce que je lui reproche cependant, c’est qu’aussitôt sa décision prise, il aurait dû démissionner en tant que Président de la République et faire de la politique ou des déclarations politiques en tant que citoyen libre. Quand quelqu’un assume la fonction de Président de la République, cela demande une certaine retenue et il y a des règles de la démocratie à respecter.  

Or, là, je vois un homme traqué qui semble croire que ses proches se trouvent dans une situation délicate, et il se lance donc dans des déclarations contre une institution qu’il a lui-même créée quand il était au pouvoir. Pire, sa démarche donne l’impression d’un chantage… Tout cela relève de l’indécence ! Il n’y a pas de place pour une menace de démission, il y a seulement de la place pour une démission immédiate afin qu’il puisse retrouver la liberté de s’exprimer et de faire tout ce qu’il veut comme n’importe quel citoyen. Mais demeurer dans le fauteuil du Président de la République et agir de cette manière, c’est pour moi faire fi des règles de la démocratie. Donc, il devient une menace pour la démocratie. 

* Sir Anerood Jugnauth, demain simple citoyen, et selon toute probabilité au premier plan du MSM, qu’est-ce que cela représentera ?  

D’un point de vue strictement politique, je dirais que pour moi Anerood Jugnauth en tant que politique et leader d’un parti, etc., ne représente plus grand-chose. Le MSM essayera d’utiliser l’argent du Sun Trust pour acheter certaines personnes, mais ils n’ont pas vraiment d’assise politique.

Je suis au courant du travail qui a été entrepris en 1983 afin de pouvoir contrer les tentatives de Bérenger de renverser Anerood Jugnauth. Il y avait alors une équipe qui avait littéralement miné le terrain politique pour empêcher que Bérenger ne fasse ses 400 coups. Mais, aujourd’hui, face à Paul Bérenger et à Anerood Jugnauth, il y a un leader très fort et une équipe déterminée.  

Par ailleurs, il ne s’agit pas de savoir si Jugnauth représente une menace dangereuse ou non pour l’actuel gouvernement. Il faut aussi considérer les choses sous un angle différent, et là je vais aller assez loin: je soupçonne l’implication d’une puissance étrangère derrière tout ce que nous avons été amenés à entendre et à voir ces derniers temps.  

Depuis la fameuse « Wanted 15 000 jeunes », et d’autres activités qui ont cours à Maurice, je sens la main d’une grande puissance qui a toujours dominé tout le reste du monde, et qui est en train de fomenter des troubles en vue de déstabiliser l’actuel gouvernement. Je m’explique : le Premier ministre a pris position catégoriquement, à juste titre, en faveur du peuple palestinien alors que les ÉtatsUnis menacent d’utiliser leur veto au Conseil de sécurité si les Palestiniens demandent la reconnaissance de leur Etat à l’ONU.  

Deuxièmement, Maurice est en train de tisser, sous l’actuel gouvernement, des relations très fortes avec les pays émergents dont les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) mais surtout avec l’Afrique du Sud, l’Inde et la Chine, ce qui n’est pas vu d’un bon œil par les puissances en phase de décadence dont les Etats-Unis ou même l’Union européenne.  

N’oubliez pas aussi le contentieux par rapport à la revendication mauricienne concernant Diego Garcia, revendication qui se fait systématiquement par l’actuel gouvernement.  

Tout cela et la sympathie exprimée publiquement par le Premier ministre pour un grand leader comme Hugo Chavez expliqueraient, à mon avis, toutes ces magouilles ‘remote-controlled’ par cette superpuissance en vue de déstabiliser le gouvernement et de provoquer des élections anticipées afin d’installer un gouvernement fantoche à la solde des Etats-Unis.  

Ce qui est vraiment dommage, c’est que ce n’est pas la première fois que le leader du MMM se laisse entraîner dans ce genre de jeu. Souvenez-vous de ce qui s’était passé quand les Américains voulaient à tout prix imposer aux Indiens le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (le Comprehensive Test Ban Treaty). Bérenger s’était rallié à la cause américaine et il a fallu l’intervention rapide du Premier ministre d’alors pour bloquer les agissements de Bérenger. Le MMM aujourd’hui est devenu un parti sans principe, mais il a surtout renoncé à son idéologie de gauche et est devenu un parti néolibéral, lié aux puissances étrangères telles que les Etats-Unis.  

Derrière tout cela donc, je ne vois pas que les petites ambitions de la famille Jugnauth, mais je vois beaucoup plus une menace à notre développement et à notre stabilité. 

* En attendant, il faut admettre que l’opposition MMM-MSM semble réussir à distiller le doute par rapport à l’affaire MedPoint. Pravind Jugnauth réclame une copie du procès-verbal du Conseil des ministres en date du 18 juin 2010, qui contiendrait, selon le MSM, des « damning evidence » pouvant le disculper… 

Il se passe un truc très grave : on est en train de rejeter complètement tous les principes et toutes les procédures qui sont vitaux pour le bon fonctionnement d’un Etat. La démarche des uns et des autres indique une disposition chez eux à jeter par-dessus bord tous les principes sur lesquels un Etat démocratique est construit, cela afin de protéger des intérêts strictement personnels ou politiques au détriment de l’intérêt général. Aujourd’hui, nous avons des gens prêts à tout détruire pour arriver à leurs fins. Pire, ces gens-là se croient tout permis en raison du soutien qu’ils bénéficient de cette grande superpuissance.  

Mais il ne faut pas oublier non plus les agissements de certains au sein des médias à Maurice, ceux qui sont en train de faire le jeu de ces intérêts-là en présentant des idées anormales et antidémocratiques de telle sorte à les faire passer comme des idées normales.  

Tout cela est dangereux parce que quand on aura détruit la confiance dans les structures et les principes démocratiques, la porte sera grande ouverte pour toutes sortes d’abus et de passe-droits. 

* En ce qui concerne les institutions, le Président a dit ce qu’il pensait de l’ICAC — « li pe fané, nou tous conner kuma li pé fané », a-t-il déclaré. A-t-il tort ? 

Toute procédure enclenchée par une telle institution doit être suivie à la lettre. Par exemple, on ne peut pas faire de commentaires sur une affaire à partir du moment où elle est logée en Cour. De la même manière, le même principe doit être appliqué dans le cadre d’une enquête… surtout lorsqu’on est Président de la République, cela afin de maintenir une sérénité et permettre à l’institution en question de faire avancer les choses dans le bon sens. Si on se met à saboter le travail qui se fait par les institutions, la porte est ouverte à l’anarchie !  

Je pense qu’il existe à Maurice des intérêts divers – dans le champ politique et dans les médias, aidés en cela par cette superpuissance étrangère que j’ai mentionnée auparavant, mais aussi par certaines personnes qui disent représenter la « nouvelle jeunesse mauricienne »… disposés à tout faire pour atteindre leurs objectifs et créer une situation anarchique dans le pays. 

Je dois aussi dire que je suis persuadé de plus en plus que ce mouvement dit « nouvelle jeunesse » est uniquement un instrument entre les mains de cette superpuissance étrangère. Et, à ce propos, je tiens à féliciter Lalit pour son analyse très pertinente concernant ce mouvement ; je crois qu’il y a beaucoup de vérité dans ce que Lalit avance. 

* Les rencontres entre les leaders du MMM et du MSM ont lieu régulièrement depuis le départ du MSM du gouvernement, ce qui constitue probablement un signe précurseur d’une alliance entre ces deux partis. D’un point de vue électoral, est-ce que c’est une « sellable proposition » ?

Personnellement, tenant en ligne de compte ce que Paul Bérenger a dit sur Pravind Jugnauth et vice versa, je ne vois pas comment le peuple admirable de Maurice va « gober » une alliance entre ces deux partis. Je pense qu’ils font fausse route en croyant qu’ils peuvent facilement embobiner les Mauriciens. C’est vrai que le MMM a toujours derrière lui un pourcentage assez élevé des Afro-créoles qui croient toujours que le MMM va leur donner plus de dignité, ce qui indique qu’ils n’ont rien compris du plan de Bérenger.  

Par ailleurs, j’estime que le MSM aujourd’hui ne représente pas grand-chose sur l’échiquier électoral. Ce n’est qu’en alliance avec les Travaillistes que ce parti pesait un certain poids. Par contre, la crédibilité du MMM va prendre un sale coup s’il y a une alliance avec le MSM. Déjà quand j’entends les membres et les partisans du MMM parler des tractations de Paul Bérenger et de Pravind Jugnauth, je sens qu’ils sont très mal à l’aise. Il ne faut pas oublier que lors de la dernière Assemblée des délégués du MMM, il y a eu un vote massif contre une alliance avec le MSM. Mais si Bérenger a décidé d’aller contre sa base, c’est qu’il se croit capable de manipuler sa base comme bon lui semble. Ce qui indique par extension que la base du MMM est très fragile et faible, et qu’elle se laisse facilement manipuler.

Je ne vois pas une menace réelle au gouvernement. Ses adversaires vont sans doute essayer de le déstabiliser à coups de campagnes démagogiques, en distillant le doute dans l’esprit des gens… Le gouvernement a intérêt à consolider ses assises, à aller encore plus vers le peuple, les démunis et les défavorisés et, en même temps, essayer de contrer les gros capitaux qui vont soutenir le MMM, Anerood Jugnauth et le MSM. La lutte de classes a pris à Maurice un nouveau visage, une nouvelle tournure. Nous vivons un moment très difficile et très dangereux pour l’avenir de Maurice en termes de démocratie, justice sociale et développement. Le peuple doit en être informé, il y a tout un travail pédagogique à faire au niveau de la masse… 

Par ailleurs, il y a aussi le problème du changement climatique – c’est un grave problème qui affectera la planète, notre vie au quotidien. Or, l’administration Obama aux Etats-Unis a décidé de bloquer tous les travaux qui visaient à réduire l’émission du CO2. Ce qui veut dire que le ‘global warming’ va représenter un problème encore plus sérieux pour notre pays d’où l’impératif que le projet ‘Maurice Ile Durable’ de l’actuel gouvernement devienne un instrument, un outil de survie et de développement intégré où le peuple se sent concerné. Mais tout cela ne plaît pas aux Etats-Unis d’Amérique, ni au MSM ni au MMM qui ont fait des alliances avec — littéralement — les ennemis du peuple. Donc, c’est la lutte de classes à Maurice qui prend une nouvelle forme.

* Vous pensez que les jours du gouvernment ne sont pas comptés, comme le soutiennent les porte-parole du MMM et du MSM ?

Je ne le crois pas du tout, à moins que l’argent ne soit utilisé à bloc pour encourager le débauchage de certains membres de l’alliance au pouvoir, ce qui sera très utile lors d’une motion de blâme. C’est tout à fait possible, mais pas nécessairement réalisable. Par ailleurs, je n’anticipe pas des élections anticipées dans un court laps de temps. Si toutefois des élections devaient avoir lieu, je pense que la bataille sera aussi dure que celle menée pour l’indépendance de Maurice en 1967. Ce sera une bataille dure et serrée. J’estime, toutefois, que la présente alliance gouvernementale remportera la victoire si elle parvient à consolider ses liens avec et ses assises au sein du peuple, cela malgré le soutien que le MMM et le MSM obtiendront des puissances étrangères. 

* Les Travaillistes disent que Ramgoolam détient toujours les cartes en main. Pensez-vous qu’il contrôle toujours la situation ? 

La seule chose que je peux vous dire c’est que Navin Ramgoolam ne donne aucun signe de panique. Il fait son travail et il le fait très bien. Je pense que sa décision d’aller soutenir les Palestiniens aux Nations-Unies doit être acclamée par tous les Mauriciens qui sont épris de liberté et de dignité ; il a fait ce qu’il fallait faire. D’autres vont dire qu’il est parti alors qu’il y a des problèmes à Maurice. Personnellement, je considère qu’un Premier ministre a besoin de présenter une vision de ce qu’il conçoit comme avenir, non seulement de son pays mais aussi de ce monde dans lequel nous vivons. Et je peux vous dire que cela ne sera pas facile pour les agents du MMM et du MSM de déloger l’actuel gouvernement. Il n’y aura pas de « walk-over », comme ils veulent nous faire croire. Certes, il y aura un dur combat parce que, d’un côté, il y a un programme clair en faveur de la démocratisation de l’économie, de justice sociale, de bien vivre au sein de la nation mauricienne et, de l’autre côté, il y a les magouilles financées par le Grand capital et par des forces occultes et étrangères.  

* Navin Ramgoolam disposait sans doute de l’option-MMM à un moment donné, du fait de la concordance de vues entre Paul Bérenger et lui-même par rapport à la réforme électorale, selon les dires de ce premier. Mais depuis, il y a eu l’appel lancé au Professeur Carcassonne et deux autres experts pour qu’ils donnent leur avis sur cette question. Ce qui pourrait signifier l’abandon de l’option-MMM par le leader travailliste. Qu’en pensez-vous ? 

Il n’y a pas eu de concordance entre les deux leaders. Je m’explique. Premièrement, le PTr, le Premier ministre et le gouvernement d’aujourd’hui sont en faveur d’un Président élu au suffrage universel. C’est un élément-clé, et Bérenger, lui, est contre cette idée. Bérenger sait très bien que dans un match ouvert, basé sur le suffrage universel, il n’a aucune chance. Donc, il veut que le Parlement élise le Président pour qu’il puisse éventuellement trouver des moyens pour accéder à ce poste.  

Deuxièmement, Navin Ramgoolam est pour l’abolition du Best Loser system, qui sera remplacé par la proportionnelle. La responsabilité de s’assurer que toutes les composantes de la société soient bien représentées incombe aux dirigeants politiques, donc qu’ils apprennent à bien placer leurs candidats sur la liste de représentation proportionnelle. Bérenger veut maintenir le Best Loser system. Il n’y a donc pas de concordance entre ces deux partis.  

Troisièmement, Navin Ramgoolam l’a dit à plusieurs reprises : il est pour une représentation forte de la femme, d’où son accord avec la mise en application du « Zip System », cela afin d’assurer une meilleure représentation féminine au Parlement. Le MMM n’en a jamais parlé car la représentation féminine est le cadet des soucis de Bérenger. Ce qui l’intéresse, c’est la mise en place d’une formule pour garantir son élection comme Président. Bérenger n’a pas de vision pour le pays, il a une vision juste pour lui-même. Il n’y a donc aucune concordance entre les deux hommes par rapport à la réforme électorale.

Si j’étais à la place du Premier ministre, j’aurais fait la même chose : écouter parler Bérenger. Mais ces deux-là ne pourront jamais travailler ensemble. Je connais bien Bérenger, je connais bien ses magouilles et ses méthodes… Bérenger, à un certain moment, lisait systématiquement Mein Kampf, l’ouvrage rédigé par Adolf Hitler entre 1924 et 1925 pendant sa détention à la prison de Landsberg, dans lequel ouvrage il a trouvé les meilleures tactiques pour détruire ses adversaires. Sa tactique principale consistait — il me l’a dit à moi personnellement –, « Quand tu as un adversaire, vide sur lui autant de boue que tu peux, et l’adversaire va passer le reste de sa vie « to remove the mud, but there will always be some mud left somewhere ! » Voilà à quoi se résume la vision de Bérenger…


* Published in print edition on 23 September 2011

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