‘We are losing the battle against drug trafficking. We have to go back to the drawing board’     

Interview : Me Antoine Domingue

 

* ‘Il y a problème et on ne peut pas se voiler la face… Je suis certain qu’il y a des problèmes au niveau du barreau et de la police’                                                                  

* ‘On respire beaucoup mieux depuis que le pouvoir en place n’a plus les trois quarts de majorité’

Me Domaingue s’exprime sur le fléau de la drogue qui a atteint des proportions affolantes. Comment y mettre un terme? C’est là toute la question. Que la presse étale tous les circuits et cite les noms alimente encore plus les rumeurs! Ne faut-il pas confronter les données, être à même de donner voix au chapitre à tous les partis concernés? Là où on en est, il semblerait, selon Me Domaingue, que going back to square one, produirait un certain effet. Mieux que dez s’enterrer sous les décombres! 

 

Mauritius Times : L’impression qui se dégage à partir des travaux de la Commission d’enquête sur le trafic de drogue à Maurice, telle que relayée par la presse, c’est celle d’une entreprise criminelle organisée avec des complicités internes et externes, parfois de haut niveau, avec des ramifications touchant différents secteurs, dont certaines, paraît-il, au niveau des autorités policières mais aussi celui du barreau. Quelle impression cela vous fait d’entendre les choses qui sont rapportées quotidiennement par la presse à ce propos ?

Me Antoine Domingue : Ce n’est pas nouveau. Car ce n’est pas la première fois que certaines de ces allégations soient formulées contre, entre autres, la police. Il appartiendra à la commission d’enquête d’analyser, selon ses ‘terms of reference’, ce qui se dit aujourd’hui et de voir, après avoir entendu toutes les parties intéressées, quels sont les faits qui ont été établis à sa satisfaction et de faire des recommandations. Mais c’est un fait que le nombre d’allégations qui sont en train d’être formulées non seulement devant la Commission mais aussi dans la presse concernant l’implication de certains policiers dans le trafic de drogue est inquiétant. Même chose pour les avocats, quoi qu’il n’y ait pas eu des allégations portant sur la manipulation de drogues. Cependant, il y a eu des accusations de manipulation d’enquêtes…

* Ce qui est également très grave ?

Certainement, il n’y a qu’à voir l’affaire de Dev Hurnam devant le ‘Privy Council’. Hurnam fut condamné à six mois de prison après que la condamnation fut confirmée par le ‘Judicial Committee of the Privy Council’. Ce genre de pratique, si c’est établi, est considéré comme une entrave à la bonne marche de la justice. Ceci dit, il faut quand même qu’on attende les conclusions de l’enquête des commissaires pour en savoir davantage.

Cependant, selon l’autre son de cloche, il semblerait que, dans certains cas, il y aurait déjà eu des enquêtes qui ont été menées. Il appartiendra à la Commission de revoir tout cela afin de pouvoir distinguer le vrai du faux. Toute commission d’enquête se doit de faire des vérifications, et d’après ce que j’ai pu comprendre, la présente Commission d’enquête serait en présence de beaucoup de ‘records’… Donc, il faut s’attendre à ce que la Commission puisse faire le tri entre le bon grain et l’ivraie pour en arriver à une conclusion valide.

* Certaines voix s’étaient fait entendre l’année dernière sur le temps que prenait la Commission pour remplir sa mission. Quelle est votre opinion aujourd’hui sur la manière dont les choses se passent au niveau de cette Commission ?

J’ai également fait des commentaires à ce sujet. J’ai déjà dit que, d’ici là en attendant le temps que cela prendra pour la rédaction du rapport de la Commission, son examen par les autorités concernées, et éventuellement la mise en application de ses recommandations, beaucoup d’eau va couler sous les ponts. Avec la résurgence du trafic de drogue au vu des saisies record de drogues ces derniers temps – apparemment trois fois plus que l’année dernière – il me semble que le temps presse et qu’il y a urgence… sinon rien ne sera fait avant la prochaine législature.

* Il faut peut-être combattre judicieusement et non pas criminaliser davantage le fléau de la drogue et ainsi renforcer le trafic. On dit que les trafiquants d’hier ont été remplacés par ceux d’aujourd’hui, qui eux-mêmes seront remplacés par d’autres demain car il y a l’appât du gain qui profite du système répressif et prohibitif. Qu’en pensez-vous ?

Absolument. C’est ce que j’ai dit à la commission d’enquête, car il me semble qu’au vu des statistiques actuelles par rapport au nombre d’arrestations, la quantité de drogues saisies ces derniers temps et les nouveaux types de drogues chimiques visant les jeunes, il y a effectivement une résurgence de ce fléau, cela malgré le fait que beaucoup ont été accomplis, entre autres, en termes de législation. Qu’est-ce qui expliquerait tout cela ?

Il me semble qu’on est en train de perdre le combat contre le trafic de drogue, et qu’il faut sans doute revoir toute la question de fond en comble. Il faut qu’on arrive à comprendre les raisons de cette expansion du trafic de drogue qui se manifeste actuellement par des saisies record de drogue. J’ai dit à la Commission qu’il faut élargir notre surveillance et que le combat contre ce fléau doit être mené au-delà des côtes mauriciennes pour qu’on puisse mener la traque au niveau régional et même au niveau international. N’oubliez pas ce qu’on a vu récemment à la Réunion et que les autorités de l’île soeur ont apparemment refusé de collaborer avec la police mauricienne. Allez savoir pourquoi !

* C’est quand même incroyable qu’il a fallu mettre sur pied cette Commission d’enquête pour que certaines choses remontent à la surface. Pouvez-vous comprendre comment certains signes d’enrichissement soudain qui se manifestent à coups d’acquisition de biens immobiliers ou de voitures de luxe, de voyages, etc., puissent échapper à la MRA, au FIU, à l’ICAC et l’ADSU ? 

L’arsenal juridique et institutionnel est là, et c’est tout à fait légitime de poser des questions quant à l’utilisation à bon escient de cet arsenal. C’est aux autorités de répondre à ces interrogations. Il faut qu’on sache comment certains trafiquants ont pu malgré tout passer entre les mailles du filet et continuer leurs activités. Une des façons efficaces pour neutraliser les trafiquants, c’est par le biais de l’asset recovery pour recouvrer l’argent et les biens mal acquis à partir des activités criminelles – ce qui leur enlèverait les moyens de continuer le trafic et de neutraliser les réseaux existants.

En ce qui concerne la pertinence d’une commission dans le contexte actuel, il faut savoir que tous ceux qui sont convoqués déposent sous la foi du serment ; ils n’ont pas droit au silence et ils sont tenus de divulguer tout ce qu’ils savent, même si cela peut les incriminer. Sous peine d’amende par millions de roupies, on est obligé de dire toute la vérité à la Commission. C’est un moyen redoutable pour faire la lumière et aller au fond des choses ‘by calling for persons and papers’.

* Il semblerait que le manque de coordination entre ces institutions, dont les compétences multiples s’interfèrent parfois, serait aussi responsable du manque d’efficacité dans le combat contre le trafic de drogue. Qu’en pensez-vous ?

L’arsenal juridique – la FIAMLA, et d’autres lois sont là ; les institutions existent également. Mais il faut être sur le terrain et essayer de remonter les filières pour neutraliser les trafiquants qui grouillent en grand nombre.

Le trafic de drogue implique toute une chaîne d’opérations : l’importation de la drogue elle-même, la production locale du gandia et des drogues chimiques nouvelle vague, la réception, la distribution, la vente et le blanchiment d’argent qui, selon les calculs qui ont été faits, brasseraient au grand minimum pas moins de 2 milliards de roupies par an! Un auditeur d’une radio se demandait, avec raison, au cours de la semaine, comment au vu de leur complexité et du nombre de personnes concernées de telles opérations d’une telle envergure puissent passer inaperçues !

Il faut tout de même admettre qu’en l’absence d’informations sérieuses et de dénonciations fiables, ce n’est pas facile de remonter une filière jusqu’à sa source. Mais là je vois que, depuis que cette commission d’enquête a débuté ses travaux, beaucoup de choses ont été entreprises. Ce qui démontre aussi que de par les énormes cargaisons de drogues saisies il y a effectivement une résurgence du trafic de drogue. C’est ce que j’ai déclaré lorsque je suis allé déposer devant la Commission : ‘We are losing the battle against drug trafficking. We have to go back to the drawing board.’

Car malgré tout ce qui a été entrepris en termes d’arrestations et de saisies de drogues, force est de constater que nous avons toujours plusieurs longueurs de retard alors que les trafiquants, eux-mêmes, conservent plusieurs longueurs d’avance sur nous. A tel point que ces trafiquants sont parvenus à diriger leurs opérations à partir des institutions réformatrices, ce qui implique l’accès au monde extérieur par téléphone, par cartes SIM et probablement par internet avec les nouvelles applications ‘Voice Over Internet Protocol’ qui sont facilement accessibles et virtuellement indétectables.

Ces moyens sophistiqués de communication dernier cri requièrent l’accès à des téléphones portables qui sont en fait des mini ordinateurs et des outils de communication sophistiqués donnant accès à l’internet reliés à des chargeurs afin de pouvoir recharger régulièrement les batteries et les cartes SIM au sein même de nos prisons qui sont devenues de véritables passoires, des universités du crime et les Quartiers Généraux de la pègre nationale et internationale.

* Pour ce qui est de l’implication alléguée de certains avocats, à ce niveau également il semblerait que beaucoup de choses qui aujourd’hui remontent à la surface étaient connues dans le milieu du barreau et de la police, mais on n’osait pas en parler pour différentes raisons…

Je ne sais pas si c’était connu dans les milieux du barreau, quoique certaines rumeurs circulent de temps en temps. Mais tant que rien n’a été prouvé et établi, les choses en restent là.

Les visites inopinées et à répétition de certains avocats dans les prisons à des prisonniers de droit commun qui purgent de lourdes peines incompressibles pour trafic de drogue soulèvent bien des interrogations. L’avocat qui va voir son client détenu dans une institution pénitentiaire et sur lequel pèse une accusation de trafic de drogue le fait dans le cadre de ses fonctions. Il doit le faire pour pouvoir le défendre au procès, mais là où le bât blesse, ce sont les visites aux prisonniers de droit commun sans raison valable ou le fait de visiter 40 narco trafiquants dans la même journée. Cela va automatiquement soulever des interrogations puisque cela ne ressort pas de la fonction de l’avocat.

D’ailleurs, ce qui intéresse la Commission d’enquête, ce sont précisément ces visites des avocats aux prisonniers qui sont déjà condamnés et qui sont en train de purger de longues peines pour trafic de drogue. La Commission pense que cela fait partie d’un réseau de communication afin faciliter le fonctionnement du trafic de drogue à partir des institutions pénitentiaires…

* On est donc là en présence des suspicions d’activités de certains avocats, ce qui devrait intéresser le Bar Council, non ?

Cela doit nécessairement intéresser le Bar Council, mais je ne vois pas ce que le Conseil pourra entreprendre. Le conseil pourrait-il, par exemple, demander à être représenté devant la Commission d’enquête? Je ne pense pas que cela soit souhaitable. Car tout avocat qui se sent visé peut demander à se faire représenter par son avocat.

* Rama Valayden nous disait la semaine dernière qu’on est en train de détruire des carrières avec une sournoise campagne de « innuendoes » qui accompagne les annonces faites par la presse des avocats en pénal. Pensez-vous que ce soit correct que les noms de certains avocats qui intéresseraient la Commission soient balancés dans la presse, ce qui les place d’une certaine manière au banc des accusés du tribunal populaire, avant même que des convocations en bonne et due forme ne soient émises ?

C’est normal que la presse vient répercuter tout ce qui est dit ou dévoilé concernant le trafic de drogue ou l’implication de certains avocats devant la commission d’enquête dont les auditions sont publiques, d’autant plus que le sujet est d’intérêt général. Toute personne qui se sent visée aura la possibilité de fournir des explications, soit lors des convocations émises par la Commission elle-même soit, au cas contraire, en pressant le pas et en demandant à se faire entendre par la Commission. Et, à partir de là, la Commission va sans doute tenir compte de toute explication valable ou, si le besoin se fait sentir, accorder des délais pour la recherche, la compilation et la soumission des justificatifs. Il faut que l’on comprenne qu’une convocation devant la Commission d’enquête n’équivaut pas à une condamnation; encore moins à une sentence.

Mais le fait demeure qu’il y a problème et qu’on ne peut pas se voiler la face. Je suis certain qu’il y a des problèmes au niveau du barreau et de la police. Comment expliquer que des renseignements concernant des enquêtes policières, ou sur le trafic de drogue au sein des prisons, parviennent à circuler ? Quel sont les mécanismes et les vecteurs permettant la circulation de ces renseignements ? Les gardes-chiourmes, les parents, les avocats sont appelés à être en contact avec les prisonniers. Les avocats ont un accès beaucoup plus facile du fait qu’ils n’ont pas besoin de prendre des rendez-vous ou d’attendre les dates de visite. Donc, si ces visites d’avocats sont utilisées pour des besoins autres de ce qui est prévu par la loi, cela pose problème. C’est, entre autres choses, cet aspect que la Commission devra examiner en profondeur afin de savoir si toutes les visites de certains avocats étaient justifiées ou non. Car il ne faut pas que l’avocat se départisse de son rôle d’avocat et devienne le complice ou même le comparse de son client. Chacun comprendra aisément que c’est une ligne rouge à haute tension à ne pas franchir.

* Il semblerait, selon les dernières nouvelles, que l’affaire se corse pour Me Gulbul suite à l’audition de son ex-junior, Me Tisha Shamloll, mercredi dernier. On parle de « preuves accablantes » contre le président de la Law Reform Commission. Et, il y a aussi l’initiative prise par le Deputy Speaker, Me Sanjeev Teeluckdharry, auprès de la Cour suprême, en faveur d’une injonction pour qu’il n’y ait pas d’enquête sur lui tant que la commission ne fait pas un « full and frank disclosure » des renseignements qui seront utilisés contre lui ? Comment réagissez-vous à ceux-là ?

Let’s keep cool and keep going. Attendons-voir. Les juniors accablent leurs seniors qui eux accablent leurs juniors. Comme je l’ai déjà dit, ‘I fear that the worse is yet to come!’

* L’actualité a aussi été marquée par l’autorisation de la Cour suprême accordée au DPP pour pouvoir faire appel du verdict prononcé en faveur de Pravind Jugnauth dans l’affaire MedPoint. Selon le panel d’avocats de Pravind Jugnauth, cette autorisation « ne remet pas en cause les conclusions de la cour suprême sur les faits » et le Privy Council sera donc appelé à donner son ruling sur des questions d’interprétation de la loi sous la section 13(2) de la PoCA. Quelles vont être les implications du ‘ruling’ du Privy Council ?

Il y a deux possibilités : que le jugement en appel soit maintenu ou qu’il ne le soit pas. Dans le deuxième cas, si la conviction is restored, cela aura des conséquences que je préfère ne pas envisager pour le moment.

* On a mis 28 mois jusqu’ici pour établir un dossier contre Navin Ramgoolam, qui répond d’une accusation provisoire de blanchiment d’argent. L’affaire est-elle complexe ?

Sans doute. On ne peut pas aller plus vite que la musique et la partition est sans doute beaucoup plus compliquée qu’on ne le pense.

* Par ailleurs, pensez-vous que la démocratie se porte mieux dans le pays après les échecs de l’actuel gouvernement de mettre le DPP sous la tutelle de L’Attorney General et de la Prosecution Commission ?

On respire beaucoup mieux depuis que le pouvoir en place n’a plus les trois quarts de majorité à la chambre des députés.

Que voulez-vous que je vous dise?

Heureusement que l’interception de l’avoué Thandarayen par le CCID dans le cadre de ses fonctions d’auxiliaire de la justice et la tentative d’arrestation du DPP le matin même du jour où l’actuel Premier ministre comparaissait en Cour intermédiaire pour sa sentence sont loin derrière nous et que le magistrat qui avait signé le warrant to apprehend à Vacoas (pas sur une plage de Flic-en-Flac, comme on aurait pu le croire) n’est plus à la magistrature et officie maintenant à la conciliation et à la médiation.

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