‘Vimen Leaks’ et la course à l’audimat

Eclairages

Par A. Bartleby

Vendredi dernier, deux radios privées se sont livrées une bataille afin d’être les premiers à livrer le contenu d’une clé USB. Si le contenu doit être pris avec le sérieux le plus absolu, il est clair que cette compétition pour le dévoiler démontre que la forme est extrêmement problématique.

L’avènement des réseaux sociaux a provoqué une transformation radicale du ‘business model’ des médias

En effet, alors que le contenu de cette clé USB devait être dévoilé à 20 heures par une radio, une antenne concurrente a annoncé une émission dévoilant le même contenu pour 19 hres. La première radio a immédiatement réagi en décalant son émission pour 18hres, avec un entretien de son journaliste à l’appui où ce dernier affirmait être sous pression pour ne pas dévoiler le contenu de cette clé USB.

Cette situation témoigne de ce que sont devenus les médias aujourd’hui. L’avènement des réseaux sociaux a provoqué une transformation radicale du ‘business model’ des médias. Historiquement, les médias vendaient de l’information qui était traitée et filtrée par le prisme des journalistes dont le métier, historiquement, est de vérifier les informations pour les présenter de manière critique et informative aux citoyens. Cet élément de traitement et de filtrage de l’information est un des prérequis de la bonne santé même de la démocratie.

L’avènement des réseaux sociaux et des radios privées en particulier a progressivement fait évoluer ce modèle. En effet, la marchandise première des médias n’est plus l’information mais l’audimat : c’est l’audimat qui permet à ces médias de vendre de la publicité et ainsi garantir leurs revenus et leurs profits, redistribués en dividendes aux actionnaires. C’est ainsi l’esprit même du journalisme qui se trouve perverti par ce « shift in business model ». Puisque les médias et les radios privées sont dépendants des revenus de la publicité, alors ce n’est plus l’information qui compte, mais le sensationnalisme. Et c’est exactement cela que nous avons vu lors de la course de deux radios pour divulguer les ‘Vimen Leaks’.

Il faut le dire : cette concurrence de l’audimat pourrait produire une dégradation de la qualité des médias : ces derniers sont tellement pris dans la course au sensationnalisme que les informations et les sources ne sont parfois plus vérifiées. Il faut aussi ajouter que certaines émissions ressemblent plus à des tribunaux populaires et populistes qu’à des enquêtes et des investigations sérieuses et bien menées.

C’est une vérité non-contestée que l’information cachée du public et du journaliste – parce que sa révélation pourrait compromettre les intérêts de différents lobbies, des autorités, de certaines institutions ou même des brebis galeuses – favorise la corruption et affaiblit l’État de droit et la bonne gouvernance. Toutefois, le risque court qu’une telle culture médiatique pourrait donner lieu à un audimat confus qui ne distingue plus le vrai du faux et le crédible du farfelu

Ainsi, cet audimat n’arrive plus à se constituer une image rationnelle des évènements, certains auditeurs voyant des théories du complot absolument partout. Cet abrutissement des masses favorise le terreau pour l’émergence des courants politiques les plus vicieux et les plus dangereux. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard que les partis politiques les plus extrêmes utilisent constamment cette dimension des réseaux sociaux et des médias afin de faire avancer leurs intérêts et leurs agendas politiques.

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Une jeune femme kidnappée par trois individus

Les faits se sont déroulés à Floréal. Une jeune femme de 19 ans, qui marchait seule dans la rue vers 18h, s’est fait kidnapper par trois individus en voiture. Ces derniers l’auraient embarquée dans la voiture afin de l’emmener dans un lieu où ils l’auraient déshabillée avant d’abuser d’elle.

Ils l’ont ensuite remise dans la voiture afin de la conduire dans le nord. En chemin, des policiers ont intercepté la voiture grâce à un contrôle de routine. Deux des trois individus ont immédiatement pris la fuite, le troisième a été arrêté immédiatement. La police a réussi à traquer un second individu qui a également été arrêté, et reste à la recherche du troisième individu à l’heure où nous écrivons.

La jeune fille est, quant à elle, heureusement saine et sauve. La police a réagi rapidement dans ce cas, et les vérifications de routine sur les routes ont porté leurs fruits.

Il est indéniable que Maurice se trouve face à une dégradation sécuritaire importante depuis plusieurs années, voire même plusieurs décennies. Les sociologues de Facebook diront que le développement économique mauricien s’accompagne d’inégalités trop criantes et que le fossé qui ne cesse de grandir entre les riches et les pauvres ne fera qu’augmenter la criminalité. Il y a sans doute du vrai dans cette lecture de la situation. Mais donner un diagnostic ne permet pas de résoudre ce problème…

Que faire donc en face d’une montée importante de la criminalité ? Est-ce qu’il suffit de durcir les lois, de mieux former et équiper la police, de rendre le système pénal plus rigide et de construire plus de prisons pour faire reculer la criminalité et la délinquance ? Parallèlement, est-ce que faire plus de travail ou de volontariat social, investir dans le suivi des jeunes délinquants et dans la réinsertion des criminels, cela permettra-t-il de tendre vers une approche plus efficace ?

La réponse se trouverait peut-être en réalité entre ces deux options ou plutôt, il faudrait en employer les deux.

En effet, il devient impératif de revoir le système de la pénalité dans son ensemble. La criminalité évolue aujourd’hui plus rapidement que les capacités policières. Ces derniers ne sont plus équipés ou pas suffisamment équipés pour faire face aux armes et à l’organisation de type “guérilla” des gangs. Il leur faut de la formation, de l’équipement et la modernisation de leur approche pour la lutte contre la criminalité.

Parallèlement à cela, il faut également développer une police de proximité qui possède des relais et des appuis dans les quartiers sensibles. Le développement d’un lien d’amitié et de soutien avec les familles et les individus les plus exposés aux dangers de la criminalité est essentiel dans le cadre de ce type de lutte.

Le système des prisons doit également être modernisé. La construction de vraies prisons à sécurité maximale pour les grands criminels est une urgence. Il est également essentiel de séparer les condamnés à de petites peines des condamnés à des peines plus sévères, tout comme il est essentiel de garder les délinquants juvéniles et les criminels adultes complètement séparés.

Il est urgent de mettre en place un système d’apprentissage à des métiers et des programmes de réinsertion pour les délinquants juvéniles. L’État se doit également de faire un suivi de ces jeunes afin de s’assurer qu’ils ne sombrent pas dans la récidive.

Parallèlement, le gouvernement se doit de mieux identifier les priorités en matière de dépenses sociales. Il est facile d’identifier les familles et les jeunes les plus à risque de sombrer dans la criminalité et d’en faire des priorités pour les allocations et les programmes de soutien financier et de suivi scolaire, etc.

La criminalité devient une réalité de plus en plus présente dans la vie des Mauriciens. Et il est impératif de commencer à développer une approche renouvelée afin de s’adapter à un milieu qui évolue à vitesse grand V. Sans une approche renouvelée comme celle-là, nous perdrons la bataille contre le crime organisé à Maurice.

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La Fed américaine garde le repo rate inchangé

C’est l’annonce économique de la semaine:Jerome Powell, le Chair de la Fed, a annoncé que le repo rate resterait inchangé, malgré le fait que la Fed projetait une augmentation sensible du coût de l’emprunt par 0,5 points d’ici la fin de l’année.

La Fed se retrouve en face d’une situation délicate où l’économie américaine est en phase de récupération accélérée après la crise qui a suivi la pandémie de la Covidmais où l’inflation baisse lentement.

En effet, Jerome Powell a décrit la croissanceéconomique américaine et le marché du travail comme “holding up better than expected under the weight of the aggressive monetary policy tightening of the pastyear”. Ce point est crucial puisque la priorité absolue de la Fed depuis la sortie de la pandémie était de stabiliser l’inflation américaine. Cet objectif passait avant les considérations liées à la croissance et à la bonne santé (ou non) du marché du travail. Or, il est extrêmement intéressant de constater que l’économie américaine a tenu le choc des politiques monétaires agressives et a su résister à l’inflation galopante.

L’annonce du Chair de la Fed sonne ainsi comme une nouvelle phase de la politique monétaire américaine qui est en train de se mettre en place. Cette nouvelle phase s’appuie sur une reprise solide et envoie un signal positif aux marchés financiers et à l’économie mondiale.

Non seulement l’économie américaine n’est pas entrée en récession comme l’avaient annoncé plusieurs économistes de renom, mais elle semble sortir plus rapidement que prévu de la crise économique. Cela dit, Jerome Powell se veut prudent et assure que la Fed continuera à suivre la situation de très près car cette dernière reste volatile.

Parallèlement HarveshSeegoolam, le gouverneur de la BOM, a annoncé des projections positives pour l’économie mauricienne. En effet, après avoir atteint un Peak de 11,3% en début d’année, l’inflation devrait connaître une baisse graduelle jusqu’à atteindre 6,8% à la fin de cette année, selon les projections de la BOM. HarveshSeegoolam a même annoncé que l’inflation devrait continuer à baisser en 2024 pour passer sous la barre des 5%.

Si ces projections se réalisent, Maurice ne sera plus en phase de reprise mais en phase de relance économique. Nous savons que les trois secteurs clés de l’activité économique sont aujourd’hui consolidés. Le tourisme ne connaît pas la crise mondiale, le secteur de l’immobilier ne cesse de croître et le secteur financier est sorti de la liste noire.

De plus, le marché de l’emploi se porte également bien, même si le chômage ne baisse que sensiblement. Ceci est dû au fait qu’il y a actuellement plusieurs milliers d’emplois à pourvoir dans les différents secteurs, mais que les applications pour ces emplois restent limitées, ce qui pousse les opérateurs à recourir à l’importation du travail.

Seul le temps dira si le “positive outlook” actuel sera maintenu ou non, surtout dans un contexte volatile où la moindre instabilité géopolitique pourrait tuer la reprise économique et envoyer l’économie mondiale dans une récession durable.

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“Au commencement était la guerre”

Alain Bauer, géopolitologue de renom et ancien conseiller du Président Sarkozy en matière de sécurité, vient de publier un livre intitulé “Au commencement était la guerre”.

Cet ouvrage brûlant d’actualité nous livre une analyse dépassionnée et extrêmement rationnelle de l’état actuel du monde via le prisme des guerres et des conflits qui s’y déroulent actuellement. Il tente d’ailleurs de détruire la thèse qui triompha et orienta les politiques internationales des puissances mondiales après l’effondrement du bloc soviétique et la fin de la Guerre Froide : le fait que c’est l’économie de marché, et plus le potentiel d’une généralisation de la guerre, qui régit et ordonne la mondialisation, et où les guerres n’étaient plus que des évènements rares localisés et sans incidence réelle sur la conduite du monde.

Pour Alain Bauer, nous sommes donc dans une situation analogue à la fameuse thèse de Clausewitz qui pensait que la guerre était la continuation de la politique par d’autres moyens. Cela signifie une chose radicalement différente de l’hypothèse que Bauer tente de critiquer : le fait que le lien entre politique et guerre soit intime, et que la guerre est un potentiel permanent qui est elle-même inscrite dans la politique.

Ainsi, Alain Bauer interprète la guerre en Ukraine comme le retour officiel d’un état de guerre permanente, une nouvelle Guerre Froide qui sera structurée par les transformations des rapports de pouvoir à l’échelle du globe et par les avancées technologiques extrêmement rapides de l’industrie de l’armement et de l’intelligence artificielle.

Cette lecture peut sembler pessimiste, mais Alain Bauer ne prédit pas forcément l’apparition d’un conflit armé d’envergure comme le furent les deux guerres mondiales au XXème siècle. Il voit bien plutôt une multiplication des conflits de longue durée. Par exemple, il n’hésite pas à affirmer que la guerre en Ukraine durera aussi longtemps que la guerre de Corée – qui est une guerre continue puisqu’aucun traité de paix n’a été signé entre les deux Corées.

Tout cela peut sembler trop abstrait, mais lorsque l’on observe les choses de près, il se pourrait bien qu’Alain Bauer nous livre une analyse extrêmement juste de la situation actuelle. Il suffit d’observer la volonté des États-Unis d’étendre l’OTAN sur le continent asiatique afin d’encercler la Chine, tout comme l’OTAN a en quelque sorte encerclé la Russie. Narendra Modi, qui sera bientôt en visite officielle aux États-Unis, a d’ailleurs rejeté l’invitation des USA à ouvrir un bureau de l’OTAN sur son territoire (chose que le Japon pourrait d’ailleurs faire, même si Emmanuel Macron s’est dit ouvertement opposé à cela).

Cette volonté d’encerclement de la Chine par les USA signifie justement cette généralisation de la militarisation, et donc de la possibilité de la guerre. Parallèlement, la volonté chinoise de reprendre Taiwan et la vitesse à laquelle l’armée chinoise investit dans sa marine n’annonce rien de bon pour la paix mondiale. Le schéma de Clausewitz, où la guerre apparaît lorsque la politique échoue, redevient donc une réelle possibilité. La voie diplomatique fonctionne pour l’instant plutôt bien, mais est-ce que ce sera le cas pendant encore longtemps ?

Ce qui est sûr, c’est que nous entrons dans un monde qui deviendra de plus en plus dangereux et volatile, et que Maurice se trouve au cœur de cet échiquier, de par notre positionnement territorial dans un océan Indien qui devient de plus en plus stratégique.

Il est plus que jamais urgent d’exercer la prudence la plus absolue quant à notre positionnement et nos alliances stratégiques.


Mauritius Times ePaper Friday 16 June 2023

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