Un moratoire pour l’immobilier

Opinion

 Développement foncier

La proposition d’un moratoire est un pas vers une réflexion profonde sur le modèle de développement du pays axé sur les morcellements fonciers et la braderie de pans entiers du patrimoine national aux étrangers

Par Prakash Neerohoo

Au nom de l’alliance de l’opposition parlementaire, le leader du PMSD, Xavier Duval, a annoncé qu’un éventuel gouvernement Ptr-MMM-PMSD, décréterait un moratoire concernant les gros projets immobiliers (IRS, PDS, RES, centres commerciaux) en attendant une étude approfondie de leur impact sur l’aménagement du territoire.

Ce moratoire serait une cessation temporaire dans l’exécution de gros projets immobiliers dans le pays afin de permettre aux autorités d’évaluer leur impact sur l’environnement (terre, air, eau, organismes vivants) en tenant compte des critères d’un aménagement du territoire planifié et viable. C’est une excellente idée dans la mesure où les morcellements fonciers permettant le développement immobilier sont réalisés, dans la plupart des cas, au détriment des écosystèmes naturels à Maurice.

Nous savons que ces projets ne sont pas souvent conformes aux normes de l’évaluation environnementale prescrite dans la loi, notamment l’Environmental Impact Assessment (EIA) sous The Environment Protection Act, 2002. Parfois, les projets sont sujets à un EIA minimal, donc inefficace, ou ils sont carrément exemptés de l’EIA. L’exemple le plus frappant de cette insouciance environnementale est le projet d’aménager une ville intelligente (smart city) sur un terrain marécageux à Roches Noires. La société civile s’est élevée contre ce projet dont l’EIA ne fait pas l’unanimité.

Types de projets

Au fil des années, Maurice a conçu une panoplie de plans pour offrir différents types de propriétés immobilières principalement à une clientèle étrangère :

(a)       l’Integrated Resort Scheme (IRS) qui construit des villas de luxe avec terrains de golf dans les régions côtières pour des résidents non-citoyens au prix minimum de $ 500 000 par résidence ;

(b)       le Property Development Scheme (PDS) qui permet aux étrangers d’obtenir le droit de résidence à Maurice en achetant une propriété résidentielle de $500 000 ou plus ;

(c)        le Real Estate Scheme (RES) qui permet la vente de propriétés immobilières aux étrangers sans un investissement minimal, mais sujette aux frais d’enregistrement de $ 25 000 et à une taxe de cession de 5% sur la valeur de la propriété à la revente ;

(d)       l’Invest Hotel Scheme (IHS) qui permet à un promoteur de construire un hôtel en vendant des villas, suites ou chambres dans l’hôtel à des acheteurs individuels. Sous ce plan, l’acheteur utilise la propriété pour 45 jours au maximum et la loue au promoteur pour le reste de l’année d’après les termes d’un contrat de cession-bail (sale-leaseback) ;

(e)       le Smart City Scheme (SCS) qui permet la création de villes intelligentes (smart cities) dans le pays sur de grandes surfaces.

À l’origine, le projet IRS fut lancé pour développer certaines régions côtières dans le cadre d’un tourisme haut de gamme. Mais au cours des années, ce projet de construction de villas de luxe pour de riches étrangers s’est étendu à toutes les régions côtières. Le gouvernement a ensuite ajouté d’autres projets (PDS, RES, IHS) pour mettre le pays sur la voie d’un développement immobilier débridé sans un respect rigoureux des normes d’un aménagement du territoire viable et intégré.

Dans bien des cas, ces projets ont été réalisés sur des terres agricoles qui ont été converties à un usage résidentiel ou commercial. L’article 5 de la Sugar Industry Efficiency Act, 1988 permet la conversion de terres agricoles à un usage non-agricole moyennant le paiement d’une taxe de conversion (maximum de Rs 1 million par hectare). Cette taxe n’est pas assez dissuasive et des milliers d’hectares de terres agricoles ont été converties à l’usage résidentiel ou commercial au cours des années. Les gros propriétaires fonciers du secteur privé en quête de rente économique ont trouvé un beau filon pour mieux exploiter leurs terres et maximiser les profits.

Nouvelle filière

Les établissements sucriers en particulier se sont engagés dans cette nouvelle filière économique depuis la chute des prix du sucre sur le marché d’exportation, laquelle a eu pour résultat une chute énorme de la production de sucre (de 700 000 tonnes à 300 000 tonnes) depuis les années 1990.  Avec un prix de vente en chute libre, le coût marginal de production du sucre (par tonne supplémentaire) avait dépassé le revenu marginal. Le secteur privé a développé ce nouveau créneau économique grâce à une fiscalité favorable : l’impôt maximal de 15% sur les bénéfices des sociétés depuis 2006, l’abolition depuis novembre 2011de la taxe sur les plus-values réalisées sur la vente de biens fonciers, et les faibles taux de taxe sur la conversion de terres agricoles, les morcellements fonciers et les cessions immobilières.

En effet, tous ces projets immobiliers ont fait du pays un vaste chantier de construction où les permis de construction sont alloués à gauche et à droite sans respecter les critères d’une planification urbaine raisonnée et intégrée à l’environnement.

Les inondations fréquentes dans le pays ne sont pas uniquement les résultats du  dérèglement climatique. Elles sont aussi les conséquences de l’abattage d’arbres et du déboisement dans certains endroits. Les canalisations naturelles des terrains autrefois agricoles ont été bouchées avec pour conséquence des inondations en temps de pluies diluviennes. Par ailleurs, la surface cultivable dans le pays rétrécit comme une peau de chagrin au moment où les besoins de sécurité alimentaire (garantie en partie par les cultures vivrières et l’élevage) et les besoins de sécurité énergétique (assurée par des énergies renouvelables) se font plus pressants, avec pour corollaire une dépendance accrue sur les importations.

Pour sa part, le gouvernement a trouvé dans ces projets immobiliers un moyen d’engranger des devises étrangères pour renflouer la balance des paiements déficitaire du pays. La majeure partie (plus de 50 %) de l’investissement direct extérieur (IDE) va dans l’achat de propriétés immobilières et non pas dans la capacité productive du pays.

Selon les chiffres de la Banque de Maurice (voir le tableau ci-dessous), l’investissement direct extérieur dans l’immobilier était de Rs 8,7 milliards dans le premier semestre de 2023, soit 64% du montant total de l’IDE de Rs13,5 milliards. En 2022, l’investissement direct extérieur dans l’immobilier était de Rs 15,4 milliards sur les Rs 27,6 milliards d’IDE dans le pays, soit 56%. Dans plusieurs rapports, la Banque mondiale a tiré la sonnette d’alarme sur le faible niveau de l’IDE dans la capacité productive de l’économie (agriculture, industrie).

 

Table – BOM: Gross Direct Investment Flows        
  2021 ratio 2022 ratio 2023 H1 ratio
  Rs M.   Rs M.   Rs M.  
Other sectors 9,547 0.52 12,236 0.44 4,850 0.36
Real estate activities 8,922 0.48 15,422 0.56 8,663 0.64
Total 18,469 1.00 27,658 1.00 13,513 1.00
Of which:            
IRS/RES/IHS/PDS/SCS 5,922 0.32 11,361 0.41 5,915 0.59

Ségrégation sociale

Sur le plan social, tous ces projets immobiliers ont créé des agglomérations exclusives (gated communities) pour des étrangers et/ou mauriciens bien nantis dans le cadre d’un système de ségrégation de classe. Certaines agglomérations sont uniquement habitées par des étrangers dans un système d’apartheid social. Un étranger qui visiterait Rivière Noire et Tamarin dans l’Ouest du pays se croirait en Afrique du Sud au temps de l‘apartheid. L’opulence ostentatoire dans ces agglomérations contraste singulièrement avec la pauvreté de certains villages avoisinants.

La proposition d’un moratoire est un pas vers une réflexion profonde sur le modèle de développement du pays axé sur les morcellements fonciers et la braderie de pans entiers du patrimoine national aux étrangers. Il est probable que cette réflexion ne mène pas à une remise en question du modèle, mais au moins elle permettrait d’analyser les méfaits d’un développement foncier débridé, incohérent et néfaste à l’environnement. Si cette réflexion débouche sur des mesures susceptibles de corriger les excroissances du modèle et éviter les effets négatifs sur l’environnement, ce sera déjà un pas dans la bonne direction.


Mauritius Times ePaper Friday 9 February 2024

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