‘Le pouvoir politique est confisqué par des cliques qui alternent au gouvernement selon une logique oligarchique de partage du pouvoir entre familles’

Interview : Catherine Boudet

« Pravind Jugnauth parviendra-t-il à imposer son style à un électorat qui valorise un leadership autoritaire ? Ce sera difficile »

‘Ni le Gouvernement, ni les leaders politiques des partis ‘mainstream’ ne veulent prendre le risque d’une réforme électorale’

 


Dans le sillage des prochaines élections générales, nous avons invité Catherine Boudet, titulaire d’un doctorat en Science Politique, à nous éclairer sur le système politique mauricien, sachant que provision est faite dans le First Schedule [section 31(2)] de la Constitution de Maurice pour l’enregistrement des partis politiques en vue de leur participation aux élections. Existant sous la forme d’une association, et à condition de respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie, un parti politique est autorisé à contracter une alliance avec un ou plusieurs autres partis politiques, et être enregistré comme un seul parti. Notre invitée analyse aussi la manière dont le Budget Speech est conçu depuis l’indépendance pour avoir un impact sur les citoyens.


Mauritius Times : Ce qui va retenir notre attention dans les jours à venir, c’est la présentation du budget. La relance de l’économie, la lutte contre les inégalités pour combattre la pauvreté, l’appauvrissement de la classe moyenne – autant de défis qui attendent Pravind Jugnauth. Mais il y a aussi le contexte politique avec l’approche des élections générales. Vous vous attendez à quoi, vous ?

Catherine Boudet : Dans un Etat mauricien héritier du Welfare State, les présentations d’un budget s’efforcent généralement de combiner les impératifs macro-économiques avec quelques mesures phares de nature sociale, voire clientéliste. C’est encore vrai dans le dernier budget avec l’introduction d’un cadeau fiscal (la ‘Negative Income Tax’).

Cette année, avec la perspective des élections générales « derrière la porte », cela paraît une évidence que cette tendance vers un budget-outil électoral sera encore accentuée. D’ailleurs, les discours premier-ministériels du Nouvel An et du Premier Mai, annonçant l’introduction de l’éducation universitaire gratuite et d’une police d’assurance pour les fonctionnaires, indiquaient déjà cette tendance. Le Budget speech constituera pratiquement un pré-programme.

Pour cette nouvelle édition, je pense qu’on verra aussi se consolider la tendance affichée dans les trois précédents budgets de Pravind Jugnauth en tant que ministre des Finances, à savoir la volonté affichée de créer un nouveau paradigme socio-économique qui combinerait une société plus inclusive et un ‘shift’ économique vers de nouveaux pôles de croissance, le tout s’appuyant sur le moteur des grands chantiers infrastructurels.

Et puis, ce qui est assez nouveau, c’est que le Premier ministre actuel a fait des consultations pré-budgétaires un exercice de dialogue social, voire de ‘consensus-building’. Cette posture annonce une tentative d’anticipation de la demande électorale, ce qui constitue aussi une donnée intéressante.

* Trouver un juste équilibre entre les objectifs politiques du Gouvernement et ses obligations économiques dans le contexte actuel ne sera pas chose facile, mais il y va de la crédibilité de l’actuel Gouvernement qui souffre d’un déficit de popularité en raison de nombreuses affaires qui ont jalonné son mandat jusqu’ici. Qu’en pensez-vous ?

J’avais effectivement déclaré dans une interview à Cinq-Plus en décembre 2017 que Pravind Jugnauth en tant que Premier ministre souffrait d’un déficit de légitimité du fait notamment de sa nomination controversable (qui avait même été qualifiée de ‘par l’imposte’). Ce n’est plus tellement vrai dernièrement, avec la double victoire de son affaire au Privy Council et celle du dossier Chagos devant l’ONU, ce qui a contribué à rebooster à la fois sa popularité (le fait d’être apprécié de la population) et sa légitimité (capacité à faire admettre son pouvoir). Mais, en effet, les nombreuses affaires judiciaires impliquant des ministres ou des parlementaires de l’alliance Lepep viennent plomber son bilan.

Cependant, il faut aussi prendre en compte la mentalité électorale qui prévaut à Maurice. La légitimité politique compte certainement dans le débat public et l’expression des opinions sur les réseaux sociaux. Mais elle ne pèse plus aussi lourd au moment du scrutin. Au moment de cocher le bulletin de vote, ce qui prend le dessus chez une majorité de citoyens, ce sont les considérations pratiques de « gains envisageables ».

En d’autres termes, ce qui va primer chez l’électeur qui se présente devant les urnes, c’est son économie ménagère et ce qu’il va pouvoir tirer de ses gouvernants en termes de ressources économiques et financières. C’est la raison pour laquelle les mesures phares et populistes ciblées telles que la pension à Rs5000 ou l’éducation gratuite ont toujours un impact psychologique important sur l’électorat.

En effet, même si le citoyen mauricien est très politisé et très conscientisé, beaucoup plus même que dans bien d’autres pays du monde, la psychologie du vote à Maurice fait que le ‘feel-good factor’ du cadeau électoral revêt une grande importance. Depuis le premier gouvernement de l’Indépendance, le cadeau électoral est devenu une tradition et la population en est venue à considérer que c’est un dû.

* Vous ne vous attendez donc pas à ce que l’actuel modèle économique basé sur le développement foncier, les ‘Smart Cities’, soit revu et corrigé ? Point de réforme en profondeur de l’économie. Ce serait plutôt électoraliste, ‘faire la bouche doux’ pour engranger le maximum de soutien donc ?

Justement, l’objectif n’est pas uniquement d’engranger un maximum de soutiens électoraux. Il s’agit aussi de rechercher un maximum de nouvelles voies de sortie de l’ornière du déficit budgétaire, et ce, tout en répondant aux critiques des organismes internationaux qui ont tiré la sonnette d’alarme sur l’accroissement dramatique de la fracture sociale.

Du coup, la recherche tous azimuts de nouvelles orientations économiques s’effectue au détriment de la cohérence programmatique. La juxtaposition d’orientations contradictoires dans les derniers budgets du Gouvernement Lepep laisse quand même planer un doute sur la viabilité de leur mise en œuvre.

Par exemple, il y a une contradiction fondamentale dans le Budget 2016/2017 avec le fait de vouloir développer à la fois une économie bleue (l’exploitation des ressources marines) et une économie verte (visant à réduire la facture des importations de pétrole et protéger l’environnement) en même temps que ce que j’appellerais une ‘économie ‘noire’ (le développement des ressources pétrolières et un petroleum hub).

De même, il y a une autre contradiction fondamentale dans le fait de promouvoir l’autosuffisance alimentaire tout en visant le développement des marchés d’exportation pour les produits agricoles, comme affiché depuis le Budget 2017-2018. Donc je pense que les rédacteurs du prochain budget gagneraient à rectifier ces incohérences contre-productives.

Mais au-delà de cela, il existe dans les trois précédents budgets de Pravind Jugnauth une ligne sociale. On le voit notamment avec des mesures fiscales et économiques pour réduire les disparités socio-économiques (par exemple l’introduction de la Negative Income Tax et d’un Solidarity Levy dans le budget 2017-2018).

Je pense qu’on peut assimiler cette posture de Pravind Jugnauth à une forme de social-démocratie, dans la mesure où elle s’appuie sur la pratique de la concertation avec les partenaires sociaux et économiques et le retour vers un certain interventionnisme de l’Etat pour la recherche de formes plus justes d’organisation sociale et de réformes dans différents secteurs, que ce soit l’accès à la santé, le service public, etc., (sauf le système électoral !)

* En 2014, vous disiez que les prochaines élections générales (celles de décembre 2014) allaient être un test case intéressant concernant les nouvelles tendances électorales des Mauriciens. En particulier, cela permettrait de savoir s’ils continuaient à se penser en termes de communautés et aussi quelles étaient leurs attentes en termes de grands dossiers de société. Qu’en est-il des réponses à ces questions en 2019 ?

Je constate que les réponses à ces questions ont été données clairement dans le résultat des scrutins des législatives de décembre 2014 et de la partielle de décembre 2017. L’allégeance communautaire reste une constante de la politique mauricienne même si elle devient moins politiquement correcte. La récente polémique autour des propos du ministre Gayan concernant le crime d’honneur au Pakistan montre combien l’ethnicité reste un clivage extrêmement saillant du discours public à Maurice.

Quant aux sujets de société d’intérêt général, ils ont fait leur chemin dans la conscience collective, surtout ceux ayant trait à l’environnement. Et ces sujets de société commencent à avoir une portée politique, même si paradoxalement les partis alternatifs qui les ont amenés dans le débat public n’ont pas pu se frayer une route vers le Parlement.

Mais c’est très significatif que des partis mainstream s’emparent maintenant des thèmes environnementalistes ou sociétaux pour accroître leur assise au sein de l’électorat. On en a un exemple avec la dépénalisation du cannabis, un dossier amené initialement par des activistes sociaux comme Selven Govinden ou Jameel Peerally, et désormais repris dans le ‘mainstream’ par le Parti Travailliste.

* Qu’il y ait une partielle ou non avant la fin du mandat de l’actuel Gouvernement, en l’absence d’une réforme en profondeur du système électoral le Premier ministre aura à faire voter un “mini-amendement” de la Constitution pour permettre aux personnes qui ne souhaitent pas décliner leur appartenance ethnique de se porter candidats. C’est dommage, n’est-ce pas, que les questions concernant le financement des partis politiques, la durée des mandats des responsables politiques, les questions d’ordre éthique, la démocratisation des partis, etc. n’aient pas été abordées dans le cadre d’une grande réforme ?

Ni le Gouvernement, ni les leaders politiques des partis ‘mainstream’ ne veulent prendre le risque d’une réforme électorale. Ils n’ont pas le courage politique d’une refonte du système électoral qui risquerait d’ébranler leurs ressources de pouvoir. Les travaux du comité interministériel de 2016 sont passés à la trappe après la présentation en décembre dernier d’un projet de loi sur le financement des partis. C’était tellement inacceptable : on aurait dit qu’il avait été formulé expressément pour être rejeté…

En fait, c’est aussi le reflet de la mentalité au sens large de la société mauricienne, qui n’accepte le changement que s’il est dosé à l’intérieur des cadres existants. C’est aussi la raison pour laquelle les réformes ‘piecemeal’ ont plus de chance de réussir que des mesures révolutionnaires.

* Avez-vous le sentiment que les élections de 2019-2020 vont sonner le glas d’un certain nombre de petits partis dont leur existence continue jusqu’ici a été assurée par des alliances avec les grands partis ?

La vie partisane mauricienne est très dynamique, avec l’existence de plusieurs types de partis politiques et des cycles de création de nouveaux partis. On peut dresser une typologie de ces partis en fonction de leur positionnement intra ou extra-parlementaire. A côté des grands partis ‘mainstream’ représentés au Parlement, on trouve aussi des ‘petits partis’ qui peuvent être de deux catégories.

D’une part, des ‘petits partis’ d’origine intra-institutionnelle, fondés par des parlementaires et nés par dissidence du ‘mainstream’.

  • A l’heure actuelle c’est le cas du « Mouvement Patriotique » du député Alan Ganoo qui a fait scission du MMM.
  • Il a été rejoint récemment par un autre mouvement dissident du même sérail, la « Plateforme Militante » de Pradeep Jeeha, Françoise Labelle et Steven Obeegadoo.

D’autre part, on a une deuxième catégorie de petits partis, ce sont les partis extra-institutionnels qui se revendiquent comme alternatifs parce qu’ils disent vouloir amener le changement. Ces derniers ont pris naissance non pas par dissidence de partis représentés au Parlement, mais à partir des revendications de la société.

  • Leurs leaders peuvent être des syndicalistes et/ou des activistes, comme « Rezistans ek Alternativ » ou « Lalit », qui sont sans doute les plus stables dans le temps de cette catégorie.

D’autres partis alternatifs extra-parlementaires ont émergé de façon épisodique et se sont maintenus plus ou moins longtemps.

  • Par exemple, aux dernières élections générales, le « Parti Justice Sociale » de l’universitaire Sheila Bunwaree. Ce parti a disparu tout de suite après mais la fondatrice a rejoint un parti ‘mainstream’, en l’occurrence le MMM.
  • A l’inverse, on a le cas du syndicaliste Jack Bizlall qui a autrefois fait partie du système parlementaire mais qui se revendique fermement d’une opposition extra-parlementaire avec son « Mouvement Premier Mai ».

On constate que les petits partis doivent souvent leur survie à leurs alliances électorales. C’est le cas du « Mouvement Libérateur » d’Ivan Collendavelloo qui s’est retrouvé au Gouvernement grâce à son choix d’alliance gagnant dans les législatives de 2014. Les autres disparaissent, sauf lorsqu’ils ont une action de terrain et une vocation idéologique fortes, comme le « Mouvement Premier Mai », « Rezistans ek Alternativ » ou encore « Lalit ».

Ensuite, des brassages peuvent se produire entre le ‘mainstream’ et les partis de l’alternance. J’ai cité Sheila Bunwaree qui avait l’ambition d’une politique plus éthique et plus méritocratique et qui rejoint finalement la voie du ‘mainstream’ pour la réaliser. On a également le cas de Tania Diolle qui pour réaliser son ambition de faire de la politique autrement a choisi le MP, petit parti d’origine intra-institutionnelle.

Donc même si certains petits partis ont une durée de vie limitée, et que les prochaines élections peuvent augurer de la disparition de certains, ceci est compensé par de nouvelles créations et surtout par le brassage continu au sein du ‘mainstream’ d’une part, et entre le ‘mainstream’ et l’alternance, d’autre part.

* Qu’en est-il des partis traditionnels ? Voyez-vous qu’ils sont, comme le soutiennent les politologues, en panne d’idées et que les Ramgoolam, Bérenger, et autres sont dépassés ? A long terme, quelle alternative existe-t-il à la politique menée par ces derniers?

Les leaders actuels des partis ‘mainstream’ ont beau avoir certaines pratiques qui sont de plus en plus dépassées, force est de constater qu’ils ne sont pas tous en panne de ressources politiques ou d’idées. Un exemple – par excellence -, c’est la nouvelle stratégie dite « de rupture » de Navin Ramgoolam. Celle-ci consiste en la récupération de thématiques portées à l’origine par les partis alternatifs et les activistes sociaux – thématiques auxquelles il s’opposait quand il était au pouvoir, comme la légalisation du cannabis –, pour se refaire une virginité politique.

Je suis donc assez d’accord avec Jocelyn Chan Low qui balaie l’éventualité d’une « troisième force » pour amener le changement et qui affirme que « dans le système actuel, le renouveau politique ne pourra se faire qu’à travers un renouvellement des partis traditionnels ».

Mais j’y rajoute un élément. A mon avis, c’est dans le brassage très fertile qui s’opère entre ‘mainstream’ et alternance, brassage en termes de personnes et d’idées, que peuvent naître les nouvelles tendances émergentes de la politique mauricienne. A titre d’exemple, une nouveauté que les partis alternatifs ont réussi à amener en 2014, c’est l’importance d’un programme électoral, qui n’est désormais plus une simple formalité comme c’était le cas avant.

* 2019-2020 constituera aussi un test case intéressant pour Pravind Jugnauth. Qu’est-ce qui pourrait l’empêcher de gagner un deuxième mandat, à votre avis ?

Effectivement, les prochaines élections générales constitueront un test de validation pour Pravind Jugnauth. Les ‘macadams’ qui pourraient l’empêcher de réussir cet examen auprès de l’électorat mauricien sont de plusieurs ordres, notamment

  • le pari risqué des chantiers en cours surtout celui du Metro Express,
  • les casseroles judiciaires de certains membres de son Gouvernement, et
  • l’épineuse question de leur possible remplacement.

Mais je retiens deux éléments qui me semblent les plus saillants dans le contexte politique.

En premier lieu, la question du leadership. Pravind Jugnauth, en tant que Premier ministre a fait le choix, en cohérence avec sa personnalité et sa politique, d’un leadership consensuel, privilégiant le dialogue social. Ce style de leadership est en rupture avec celui de ses prédécesseurs, que ce soit son père ou Navin Ramgoolam.

Pravind Jugnauth parviendra-t-il à imposer son style à un électorat qui valorise un leadership autoritaire ? Ce sera difficile d’autant qu’actuellement, c’est Navin Ramgoolam qui est en train de se positionner comme « pôle idéologique » de référence, avec son style théâtral et polémique, et malgré le caractère assez artificiel de ses nouvelles prises de position au regard de son propre bilan politique.

Autre élément saillant, ce sera la grande question des alliances. Pour l’heure, les partis ‘mainstream’ veulent plus ou moins faire croire qu’ils iront seuls aux élections. C’est parfaitement utopique au regard du système électoral actuel et du mode de répartition des sièges au Parlement. Ce sera donc intéressant de voir qui dégainera en premier sa proposition d’alliance. Pour cela, il faudra un déclencheur qui n’existe pas encore dans le contexte actuel. Et, cette fois-ci, le timing sera vraiment crucial.

Trop tôt, cela pourrait être perçu comme une trahison et entraîner une perte de crédibilité comparativement aux autres partis. Trop tard, cela entraînerait des difficultés encore plus grandes pour faire passer le marketing de l’alliance en direction de la base.

Il est donc fort probable qu’une lutte à quatre s’engage initialement entre les partis ‘mainstream’ puis, qu’en cours de route, les ralliements se fassent pêle-mêle y compris avec les petits partis qui eux, par contre, sont dans les ‘starting blocks’ pour les alliances parce que, comme vous l’avez souligné, il en va de leur survie politique.

* Les autres affaires qui ont dominé le mandat du Gouvernement Lepep durant ces quatre dernières années nous rappellent des promesses non tenues par rapport à la bonne gouvernance, mais c’est également vrai que tous les gouvernements, peu importe leur couleur politique, se voient entacher par les mêmes allégations d’abus, de fraude ou de corruption, de copinage, de clientélisme et de favoritisme. C’est du pareil au même ?

Effectivement les gouvernements successifs ont été concernés par des abus liés au clientélisme, au favoritisme et au népotisme, et donc logiquement à la fraude et à la corruption aussi. Mais ce n’est pas du pareil au même.

D’abord, il ne faut pas se voiler la face, nous sommes dans un système de type néopatrimonial, correspondant tout à fait au modèle développé par Eisenstadt (et que l’on retrouve également dans les autres pays décolonisés d’Afrique), comme je l’ai déjà démontré dans des analyses et interviews précédentes.

La caractéristique de ce fonctionnement néopatrimonial, c’est que le pouvoir politique est confisqué par des cliques qui alternent au gouvernement selon une logique oligarchique de partage du pouvoir entre familles. Ces cliques détournent les rouages de l’Etat à leur profit et utilisent le développement économique à des fins d’enrichissement personnel mais aussi pour entretenir des réseaux de clientèle qui leur assurent une emprise sur la société.

Ce qui a changé avec l’arrivée du gouvernement de l’Alliance Lepep, c’est en premier lieu le mode opératoire d’appropriation du pouvoir. Là où l’appropriation se faisait auparavant en faveur des « petits copains » (ou petites copines), elle est désormais davantage orientée au bénéfice des membres du clan familial.

Mais surtout, ce qui a changé, ce sont les attitudes envers la corruption et la fraude. Il y a à peine cinq ans, la corruption était encore acceptée comme une fatalité et c’était les whistle-blowers qui étaient pointés du doigt. Maintenant, le public a pris conscience que la corruption est un danger pour la démocratie et qu’elle lèse le citoyen. Du coup, toute nouvelle affaire de corruption entraîne l’indignation publique, à tel point que la dénonciation est même devenue une stratégie politique parmi les adversaires politiques. Et, d’ailleurs, on peut même constater que ce sont les pratiquants d’avant qui sont les plus ardents dénonciateurs d’aujourd’hui.

La troisième donnée qui a changé, c’est l’engagement formel du Gouvernement Lepep à lutter contre la corruption. Certes, les réformes de la législation dans ce sens sont encore timides et incomplètes. La Prevention of Corruption Act ne contient toujours pas de définition du conflit d’intérêt ni de la corruption. Les partis politiques, les associations socio-culturelles ainsi que les candidats aux élections restent intouchables par la POCA et même par les nouvelles lois telles que la Good Governance and Integrity Reporting Act et la Asset Recovery Act. Quant à la Declaration of Assets Act qui vient d’être promulguée le mois dernier, elle oublie de faire la transparence à propos des avoirs que les politiciens seront tenus de déclarer.

Par contre, concernant les démissions successives au sein de l’Alliance Lepep liées à des démêlés judiciaires, si elles constituent une chaîne de scandales sans précédent, elles peuvent aussi être vues comme une tentative concrète de nettoyer les écuries d’Augias, là où auparavant de tels agissements étaient laissés impunis et le scandale soigneusement étouffé.

Désormais, il n’est donc plus possible de banaliser la corruption comme c’était le cas auparavant, et ça c’est un changement important.


* Published in print edition on 31 May 2019

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