« Le Gouvernement doit se ressaisir car on va droit dans le mur »

Interview : Xavier-Luc Duval, Leader de l’opposition

* ‘Il est impossible d’envisager une ouverture des frontières alors que la grande majorité des Mauriciens n’est pas vaccinée’

* ‘Il y a très peu de choses qui séparent les différents partis de l’opposition, et je constate surtout la volonté de travailler ensemble’


Depuis l’apparition de la Covid-19 et l’impossibilité des scientifiques de maîtriser ce phénomène, chaque gouvernement avance en tâtonnant. L’opposition n’a pas plus d’informations précises que le gouvernement, que ce soit sur le coronavirus ou les vaccins. Mais devant l’exaspération grandissante des citoyens, l’opposition fait nécessairement entendre sa voix au Parlement ou dans les médias. Tel est le cas à Maurice aussi où l’opposition estime que le gouvernement en place fait fausse route. Nous avons invité Xavier Duval pour nous expliquer les tensions auxquelles l’Opposition fait face en ce moment, et les risques éventuelles de déstabilisation économique et sociale pour le pays.


Mauritius Times : Qu’est-ce qui vous a fait croire que le Gouvernement aurait été disposé à agréer votre motion pour que les élus puissent s’exprimer sur la gestion de la Covid-19 alors que votre requête pour un tel débat avant la rentrée parlementaire avait été rejetée par le Premier ministre ?

Xavier-Luc Duval : Ma demande, pour qu’il y ait un débat à l’Assemblée nationale sur la crise liée au Covid-19, avait effectivement été rejetée par le Premier ministre la semaine d’avant. Il m’avait informé qu’il estimait que les questions parlementaires sur le sujet suffisaient.

Mais, du côté de l’opposition, nous avons constaté que l’attitude de confrontation des membres du Gouvernement au Parlement ne favorisait pas le débat et qu’on nous empêchait aussi de formuler nos propositions pendant le Question Time. Donc, celle-ci devenait inutile dans un tel contexte.

Par ailleurs, j’ai bien compris le désir de la population pour qu’il y ait un débat élargi sur toute la crise liée au Covid-19.

J’aimerais insister sur le fait que l’opposition avait vu juste lorsque nous avions réclamé la fermeture des frontières dès le début de la crise. Nous avions également réclamé que, pour l’achat de vaccins, on puisse présélectionner ceux susceptibles d’être approuvés par l’OMS comme beaucoup de pays l’ont fait, et effectuer des précommandes.

Aujourd’hui, nous nous insurgeons aussi contre le fait que le Gouvernement se trompe de priorité car il est triste de constater que ceux qui sont atteints de Covid et qui sont admis dans les ICU des hôpitaux sont, soit des gens âgés ou des personnes ayant une comorbidité. Donc, nous réclamons que l’on vaccine immédiatement cette catégorie de personnes, en priorité.

Pour toutes ces raisons, il est important que l’opposition puisse participer au débat et que nous mettions en place un National Action Plan.

* Que pensez-vous de la décision du Gouvernement d’assouplir les restrictions à partir du 31 mars, cela alors que la situation au niveau des cas positifs ne semble pas s’améliorer et que la propagation du virus risque d’être encore plus importante avec le nombre de personnes qui circuleront à partir de cette fin de semaine ?

Pendant environ un an, il n’y a pas eu de cas local de Covid-19 à Maurice mais malgré cela on a voulu garder un niveau d’alerte élevé, alors que l’on aurait pu assouplir les mesures de restrictions. Aujourd’hui, la population est fatiguée, ce qui a pour résultat un relâchement au niveau de la discipline.

La campagne de vaccination a mal démarré avec, notamment, l’utilisation d’un ‘Consent Form’ qui décourage les gens. Le Gouvernement offre des vaccins non homologués par l’OMS et tout cela a retardé le processus.

Par ailleurs, le WAP est compliqué et injuste. Certains en ont un et d’autres n’en ont pas. Les employés d’entreprises et ceux des services publics obtiennent leur WAP alors que les demandes de permis de ceux qui travaillent à leur compte, les self-employed, sont rejetées et cette catégorie de travailleurs est traitée comme des mendiants.

L’augmentation de l’allocation aux self-employed est passée à Rs 10 000 : c’est bien, mais largement insuffisant. Comment un maçon ou un coiffeur qui gagnent d’habitude trois ou quatre fois plus, vont-ils faire pour s’en sortir ? On aurait pu proposer aux self-employed en règle avec la MRA la moitié de leurs revenus, jusqu’à un maximum de Rs 25 000, par exemple.

S’il y a eu des choses qui ont été faites correctement, il y a eu surtout beaucoup de manquements. Je constate que le Gouvernement avait dit, il y a deux mois environ, qu’il n’y avait aucune urgence pour la vaccination. Maintenant il utilise le slogan « Seule solution, vaccination ». Il y a là un manque total de prévoyance, de planification.

Mais je suis très inquiet pour les personnes âgées et celles qui ont des risques de comorbidité et qui sont atteintes de la Covid-19 car elles ont 50 fois plus de probabilité de décéder ou d’avoir des complications. Si la Covid reste là pendant un moment encore, nous serons assis sur une bombe à retardement, concernant toutes ces personnes, dont 8% seulement sont vaccinées…

Un grand nombre de ménages sont dans une situation précaire, certains d’entre eux sont même réduits à la mendicité pour se nourrir. Nous devons faire face aux problèmes d’alcoolisme et de consommation de drogues, de violence domestique et de la délinquance qui augmentent. Tout cela est provoqué par l’oisiveté due au confinement.

La réalité, aujourd’hui, c’est que le chômage explose, que des entreprises sont au bord de la faillite, que la grande majorité des Mauriciens ne sont pas encore vaccinés. En même temps, il y a une urgence économique qui exige un assouplissement des règles.

Mais avec un Gouvernement prévoyant, on aurait pu avoir fait comme au Royaume Uni, en Israël ou en Serbie, et être en train d’ouvrir le pays. Or, il est impossible d’envisager une ouverture des frontières alors que la grande majorité des Mauriciens n’est pas vaccinée. On est condamné à cause du manque de prévoyance des dirigeants.

* Au-delà de la crise sanitaire, il y a effectivement la crise socioéconomique, qui va s’accentuer aussi longtemps que l’économie reste fermée. Fort de votre expérience en tant qu’ancien ministre des Finances, voyez-vous des facteurs au niveau local qui pourraient retarder la reprise de l’économie mauricienne ?

La situation économique était déjà très précaire avant la Covid-19, mais le Gouvernement ne faisait rien et prétendait le contraire.

Les industries d’exportation étaient déjà en pleine dégringolade. Le tourisme, qui était le fleuron de notre économie jusqu’en 2016, a commencé à flancher depuis, affichant un taux de croissance qui avait chuté en 2019 suite à la réduction des arrivées.

Avec une économie déjà en difficulté, le Gouvernement est pourtant venu de l’avant avec des projets extravagants comme le stade de Côte d’Or ou Safe City, ce qui a provoqué une forte augmentation de la dette publique.

Depuis la crise liée à la pandémie de Covid-19, le Gouvernement a accordé beaucoup de subventions mais, pour retrouver la prospérité, il ne suffit pas de régler les problèmes liés à la Covid. Il faut trouver des solutions pour notre économie, améliorer la productivité des entreprises et l’efficacité des services publics, renforcer l’attractivité de la destination et redresser Air Mauritius… Sans compter qu’il faudra repayer la dette. Finalement, il faut bien comprendre que nous faisons face à un problème structurel. La crise Covid, elle, est un problème conjoncturel.

* L’assistance financière de l’Etat aux employés du privé et aux entreprises apporte un certain soulagement durant cette période de déprime économique, mais notre économie peut-elle tenir le coup si la reprise économique mondiale, principalement dans nos marchés d’exportation, se fait attendre ?

Il y a beaucoup d’argent disponible à la Banque de Maurice et au MIC dont on a dépensé seulement Rs17 milliards des Rs80 milliards alloués. La dépréciation de la roupie est une manne pour la Banque de Maurice qui va augmenter la Special Reserve et les réserves du pays ont été augmentées au fil des dernières années. Les recettes perçues à travers la TVA prélevée par la douane augmentent aussi proportionnellement. Le Gouvernement sera tenté de faire main basse encore une fois sur les fonds de la Banque de Maurice, ce qui est dangereux.

Dans le secteur touristique, il y a eu, encore une fois, un manque total de planification et de prévoyance. Le Gouvernement n’a pas su préparer ce secteur à la reprise. Il aurait fallu avoir offert aux travailleurs des programmes de formation pendant tous ces longs mois d’inactivité. Former les cuisiniers, les serveurs, donner des cours de langues, travailler sur l’amélioration du service en général. Bref, mettre en place un vaste programme de formation en ressources humaines, mais on a perdu un an…

Ils auraient dû aussi embellir et rénover les produits touristiques avec l’aide de la main-d’œuvre des hôtels et des entreprises du tourisme ; le pays aurait pu en bénéficier. Mais les gens ont été payés pour rester à la maison.

Donc c’est une occasion ratée car on aurait pu rouvrir les frontières avec un personnel touristique mieux formé, des hôtels complètement rénovés. Nous aurions ainsi pu présenter au monde un projet renouvelé, une île paradisiaque, propre avec des infrastructures touristiques dignes de ce nom et un service inégalable.
Mais le Gouvernement ne veut pas écouter, ils ne veulent même pas de débat à l’Assemblée nationale.

* Comment se porte l’Opposition aujourd’hui, après la mésentente survenue dans le sillage de la pression exercée pour que le leader du PTr renonce à toute ambition premier ministérielle lors des prochaines législatives ?

Je ne veux rentrer dans aucun débat qui puisse diviser l’opposition. En fait, il y a très peu de choses qui séparent les différents partis de l’opposition, et il est impensable, qu’avant les élections, nous ne pourrions pas régler ces quelques petits problèmes.

Je constate surtout la volonté de travailler ensemble et d’analyser ensemble les dossiers. La situation entre nous est même meilleure qu’en 2019 au moment des élections, malgré tout ce que l’on pourrait croire.

* On s’attendait à une réaction plus solidaire de la part de l’Opposition suite à l’incident survenu au Parlement après que le Speaker avait pris la décision d’enlever la question du député Assirvaden liée au statut du poste d’ambassadeur de Showkutally Soodhun en Arabie saoudite… Vos commentaires ?

Nous avons constaté que l’opinion publique ne comprenait pas les walk-out de l’opposition en général et que les gens s’attendent plutôt à ce que nous fassions face à l’adversité, que nous poursuivions la lutte dans l’hémicycle.

C’est ce qui explique l’attitude de l’opposition et la raison pour laquelle les trois partis de l’opposition sont restés malgré l’expulsion de trois de nos membres.

* Certaines institutions sont cadenassées, d’autres trainent les pieds avec les enquêtes, l’Opposition n’est pas protégée au Parlement, dit-elle, lorsque des questions lui sont refusées ou quand elle n’arrive pas à obtenir certaines informations cruciales et certains de ses membres sont carrément exclus de la Chambre. Comment contrer le Gouvernement dans ces circonstances ?

Une telle attitude du Gouvernement semble encourager ceux qui préconisent des actions dans la rue et ça, c’est dangereux. Plus on limite les questions au Parlement, moins la population croira dans la démocratie parlementaire, et plus les gens descendront dans la rue, avec tous les dangers que cela comporte. Le Gouvernement doit se ressaisir car on va droit dans le mur…

* Il y a toute une foule – et plus de concurrence – dans l’opposition avec la venue de nouvelles formations, déjà ou très bientôt, dont les Laurette, Valayden, Bodha, Bhadain. Est-ce une situation qui vous inquiète quant à son impact sur le plan électoral ?

Roshi Bhadain et son parti sont importants dans la coalition de l’opposition, ainsi que Nando Bodha. L’opposition est très active au Parlement et, après le confinement, nous serons sur le terrain. Je crois que cela suffira car il y a parmi nous suffisamment d’hommes et de femmes de valeur et d’expérience. Je n’ai aucune crainte.

Je crois qu’il y a peu de choses qui nous séparent. Notre sens du patriotisme nous permettra de relever ensemble les défis économiques et sociaux. C’est ce qui va primer et je suis convaincu que ce sera le cas.


* Published in print edition on 2 April 2021

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