Le conservatisme néolibéral l’emporte sur la justice fiscale

Projet de loi des finances

Le pays est prisonnier d’une structure fiscale désuète. Et sans revenu fiscal suffisant, l’Etat est obligé d’emprunter pour financer un train de vie artificiel

Par Aditya Narayan

Le ministre des Finances a présenté son projet de loi des finances [The Finance (Miscellaneous Provisions) Bill (No. VII of 2020)] à l’Assemblée nationale pour l’année 2020-21, mardi dernier.

Sur le plan de la réforme fiscale, ce projet confirme la reculade du Gouvernement face aux pressions du secteur privé qui s’est opposé à un taux d’imposition marginal de 40% sur le revenu personnel des contribuables les plus aisés. Ce faisant, le Gouvernement a cédé aux sirènes du conservatisme néolibéral, ce qui a tué dans l’oeuf toute proposition d’introduire un véritable impôt progressif à Maurice.

Pour mieux comprendre les implications économiques et sociales du changement de position du Gouvernement, il convient de comparer la situation pré-budgétaire (Acte 1) à la situation budgétaire (Acte 2) et à la situation post-budgétaire (Acte 3).

Acte 1 – Pré-budget

Dans l’Acte 1 (avant le budget 2020-21), les particuliers étaient assujettis au taux de 10% sur le revenu annuel net jusqu’à Rs 700,000. Le revenu annuel net au-dessus de Rs 700,000 fut imposé au taux d’imposition marginal (Marginal Tax Rate – MTR) de 15%. En outre, il y avait une “charge de solidarité” (Solidarity Levy) de 5% sur le revenu annuel imposable (incluant les dividendes) dépassant Rs 3,5 millions, en vertu de l’article 16B de la Loi sur les Impôts (Income Tax Act). Les contribuables payaient l’impôt au MTR supérieur de 20% (15% + 5%) sur l’excédent de revenu sur le seuil de Rs 3,5 millions. Dans ce système, il y avait trois taux d’imposition selon les tranches de revenu (un taux de base de 10%, un premier taux marginal de 15% et un second taux marginal de 20%).

Acte 2 – Budget

Dans l’Acte 2, le budget 2020-21, au paragraphe 220, avait proposé d’augmenter la charge de solidarité de 5% à 25%, frappant le revenu annuel imposable (incluant les dividendes) d’un résident mauricien à compter de Rs 3 millions. Le MTR supérieur de 20% allait donc passer à 40% (15% + 25%) à partir du seuil de revenu de Rs 3 millions par an.

Acte 3 – Projet de loi

Dans l’Acte 3, le projet de loi des finances, sanctionnant les propositions fiscales, consacre et officialise le changement de position du Gouvernement. En effet, l’article 28 du projet de loi modifie l’article 16C de la Loi sur les Impôts pour proposer que la taxe de solidarité passe de 5% à 25% sur le revenu annuel imposable excédant Rs 3 millions (incluant les dividendes), ce qui introduit donc un MTR supérieur de 40%.

Toutefois, l’amendement de l’article 16C impose une limitation significative: la taxe de solidarité ne dépassera pas 10% de la somme totale du revenu net (revenu brut moins déduction personnelle) et des dividendes. Cela signifie clairement que si le montant d’impôt calculé au taux de 40% sur la tranche de revenu excédant Rs 3 millions dépasse 10% de la somme totale concernée, c’est le montant de 10% de cette somme qui sera perçue comme impôt marginal.

MTR et ETR régressifs

Cette limitation a des aspects incongrus et singuliers tant du point de vue économique que technique, comme nous le voyons dans le tableau 1. Après calcul des impôts, le MTR supérieur évolue à géometrie variable selon les catégories de revenu. Le MTR a une tendance régressive car il diminue à mesure que le revenu imposable augmente.

Il descend de 40% pour un revenu annuel de Rs 3,4 millions à 11,3% pour un revenu annuel de Rs 26 millions. C’est une aberration causée par la limitation de 10%, qui impose une structure de taux d’imposition excentrique. Dans une structure rationnelle, le MTR devrait être constant à un taux fixe pour toutes les catégories de revenu.

Autre conséquence de la limitation de 10% : le taux d’imposition effectif (Effective Tax Rate – ETR) diminue de 15% pour le revenu annuel de Rs 3 millions à 11,6% pour le revenu annuel de Rs 26 millions. Dans une structure rationnnelle, l’ETR (le montant total d’impôts en proportion du revenu brut) devrait augmenter à mesure que le revenu imposable augmente.

Sous le système d’imposition pré-budgétaire, le MTR supérieur était invariable à 20% pour toutes les catégories de revenu et l’ETR évoluait de 13,9% pour un revenu annuel de Rs 3,5 millions à 19,2% pour un revenu annuel de Rs 26 millions. C’était une structure relativement progressive bien que limitée avec seulement trois taux d’imposition (10%, 15% et 20%).

Compromis

Etant donné la levée des boucliers contre le MTR de 40%, le Gouvernement aurait pu faire un compromis plus acceptable au lieu de reculer sur toute la ligne. Ce compromis aurait été de majorer la taxe de solidarité de 5% à 10% et, partant, introduire un MTR supérieur de 25% (15% + 10%) sur le revenu annuel au-dessus du seuil de Rs 3 millions. Ce MTR invariable de 25% aurait produit un ETR progressif allant de 13,8% pour un revenu annuel de Rs 3,4 millions à 23,5 % pour un revenu annuel de Rs 26 millions.

C’est regrettable que le Gouvernement n’ait pas eu le soutien des partis d’opposition pour envisager une alternative plus raisonnable à sa proposition initiale. Face à la révolte des contribuables les plus aisés, encouragée par les associations patronales, les partis d’opposition se sont laissé berner par des économistes néolibéraux, qui se sont comportés comme les idéologues zélés du conservatisme.

Ces économistes ont propagé la fausse conception que le MTR de 40% allait s’appliquer à l’ensemble du revenu du contribuable. Or, le MTR s’applique toujours à la dernière tranche du revenu imposable (dans ce cas, à l’excédent de revenu sur le seuil de Rs 3 millions). Un MTR de 25% aurait été le juste milieu entre un MTR bas de 20% et un MTR élevé de 40%.

Manque à gagner

Le Gouvernement prévoyait récolter Rs 3, 5 milliards avec un MTR initial de 40% en provenance de 3000 contribuables (0,2 % de la population). Avec la proposition finale d’un MTR de 40% limité à 10% du revenu net, la récolte sera définitivement bien moindre bien qu’elle s’appliquera aux résidents mauriciens et aussi étrangers.

Le tableau 2 montre le manque à gagner fiscal avec l’application de la proposition finale pour trois catégories de revenu. Par exemple, un contribuable ayant un revenu annuel de Rs 6,5 millions paiera un montant d’impôt marginal de Rs 617,700 sur la tranche de revenu excédant Rs 3 millions (avec la limitation de 10%) au lieu d’un montant d’impôt marginal de Rs 1,2 millions (au taux de 40%, ce qui fait perdre la somme de Rs 652,500 à l’Etat.

C’est dommage que le pays ne puisse envisager une véritable réforme fiscale pouvant réduire les inégalités de revenu entre les classes sociales, améliorer la capacité fiscale de l’Etat, et redistribuer les richesses sans pénaliser quiconque. Le pays est donc prisonnier d’une structure fiscale désuète. Et sans revenu fiscal suffisant, l’Etat est obligé d’emprunter pour financer un train de vie artificiel, sans commune mesure avec la productivité nationale.


* Published in print edition on 10 July 2020

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