La pension de vieillesse, au cœur de la campagne électorale

Année 2024

L’Etat ne peut plus continuer à confondre la pension de vieillesse (tributaire de la politique sociale) et la pension de retraite financée par la CSG. Il y a une confusion conceptuelle qui démontre l’irrationalité de la politique publique

By Prakash Neerohoo

La pension de vieillesse sera immanquablement l’une des thématiques dominantes de la campagne électorale en vue des élections législatives prévues au début de 2025, après la dissolution automatique du Parlement le 7 novembre 2024. Le gouvernement et l’opposition en ont donné le ton dans leur message de fin d’année pour 2023. En sus de l’augmentation de la pension de vieillesse, il faudra sans doute s’attendre à d’autres promesses au fur et à mesure que la campagne électorale s’intensifiera.

D’abord, examinons la question de la pension de vieillesse (appelée Basic Retirement Pension ou Old Age Pension dans le jargon officiel). Dans son message de fin d’année, le Dr Navin Ramgoolam, leader de l’alliance PTr-MMM-PMSD, a annoncé que l’opposition parlementaire accorderait, si elle arrive au pouvoir, une pension de vieillesse égale ou supérieure à Rs 13 500 par mois. En 2019, le présent gouvernement avait promis de payer le même montant vers la fin de son mandat en 2024.

La promesse faite par Navin Ramgoolam vise à contrecarrer la campagne du gouvernement qui veut faire croire aux pensionnés du troisième âge que l’opposition parlementaire réduirait la pension de vieillesse si elle remporte les prochaines élections.  En effet, cette allégation d’une réduction hypothétique de la pension de vieillesse en cas de changement de gouvernement est ridicule parce qu’aucun gouvernement n’a réduit cette pension universelle dans l’histoire du pays. Soit le gouvernement en place à l’époque l’a augmentée, soit il l’a gardée intacte.

Comme pour donner la réplique à Navin Ramgoolam, le Premier ministre a, dans son message de fin d’année, annoncé que la pension de vieillesse passera de Rs 12 000 à Rs 13 500 par mois pour les pensionnés âgés de 75 ans et plus à compter de janvier 2024. C’est une hausse de Rs 1 500, soit 12,5%. Nul ne conteste que les pensionnés méritent une amélioration de leur pouvoir d’achat au moment où le taux d’inflation tourne autour de 10%. Quant aux autres pensionnés, ils devront attendre sans doute le budget 2024-25, qui sera déposé en juin 2024, pour savoir s’ils auront droit à cette augmentation.

Barème gradué

Avec cette nouvelle mesure, le gouvernement introduit une pension de vieillesse graduée selon les tranches d’âge :

(a)       Rs 11 000 pour ceux âgés de 60-64 ans ;

(b)       Rs 12 000 pour ceux âgés de 65-74 ans ;

(c)        Rs 13 500 pour ceux âgés de 75-89 ans ;

(d)       Rs 19 710 pour ceux âgés de 90-99 ans ;

(e)       Rs 21 710 pour ceux âgés de 100 ans et plus.

A première vue, ce barème gradué paraît discriminatoire selon le critère d’âge mais on ne connaît pas à ce stade les vraies raisons derrière cette logique. Est-ce que l’Etat n’a pas assez de fonds à ce stade pour étendre la mesure à tous les pensionnés ?  Est-ce qu’il faut privilégier les pensionnés qui ont besoin de plus d’argent lorsqu’ils vieillissent, soit pour se payer une consommation appropriée ou pour se procurer des soins de santé spéciaux ? Quoi qu’il en soit, le barème gradué introduit une dose de ciblage par âge dans le système dans la mesure où l’intention officielle est de reconnaître que les pensionnés de 75 ans et plus méritent un traitement plus généreux.

Toutefois, le ciblage par âge pose un problème d’équité économique : est-ce qu’un pensionné de 65-74 ans qui a une seule source de revenu ne mérite pas le même montant de pension qu’un pensionné de 75-89 ans qui peut avoir plusieurs sources de revenu ?

Ciblage de la pension

En termes de rationalité économique, le ciblage de la pension de vieillesse devrait tenir compte du revenu global du bénéficiaire et non pas de l’âge. L’objet de la politique sociale est d’offrir la pension de vieillesse à ceux qui n’ont pas d’autre source de revenu (par exemple, la pension de retraite du travail) ou qui n’ont pas un revenu suffisant pour mener une vie décente (soit avoir un revenu au-dessus du seuil de pauvreté).

Essentiellement, le ciblage de la pension de vieillesse selon le critère économique vise à dispenser l’Etat de l’obligation de dépenser des ressources financières limitées pour le compte des individus qui ont d’autres sources de revenu (notamment la pension de retraite du travail, les dividendes, les gains en capital sur la vente de biens mobiliers et immobiliers, les intérêts sur les comptes d’épargne, les intérêts sur les obligations, le revenu de location, etc.). En vertu du ciblage économique, un multimillionnaire ne méritera pas la pension de vieillesse.

Il faut rappeler que le ciblage de la pension de vieillesse selon le critère économique était une idée lancée par le gouvernement MSM en 2003, mais cette idée fut abandonnée après une levée de boucliers. La pension de vieillesse universelle constitue un tabou à Maurice. Tout parti politique qui la remet en question risque d’y laisser des plumes. Une alternative juste et raisonnable au ciblage économique est d’assujettir la pension de vieillesse à l’impôt sur le revenu au-delà du seuil d’exemption fiscale. 

Ainsi, dans les pays avancés, la pension de vieillesse universelle devient imposable à l’impôt à un taux marginal lorsqu’elle est ajoutée à d’autres sources de revenus (comme susmentionnées) qui poussent le revenu global du contribuable pensionné au-delà du seuil d’exemption fiscale.

Traitement fiscal de la pension

À Maurice, le revenu net imposable (le revenu brut moins les déductions diverses) n’est pas taxé sur les premières Rs 390 000 (un seuil d’exemption). Les déductions sont, entre autres, l’allocation de Rs 110 000 pour une personne à charge, les primes d’assurance médicale, les intérêts payés sur un prêt hypothécaire, etc. Par exemple, si un individu a un revenu brut de Rs 500 000 et des déductions totalisant Rs 200 000, il ne paie pas d’impôt sur le revenu net de Rs 300 000. Au-delà du seuil d’exemption, le revenu net devient taxable à des taux d’imposition marginaux. Ainsi, le revenu net d’un pensionné devient taxable s’il dépasse Rs 390 000 par an.

Dans le tableau 1 (‘Annualamountbased on 13 months’), nous avons calculé le revenu global d’un pensionné tiré de deux sources seulement : la pension de vieillesse et une pension de retraite théorique de Rs 20 000 par mois. Rappelons que d’autres sources de revenu telles que les dividendes, les gains en capital et les intérêts ne sont pas taxables à Maurice, ce qui place les pensionnés nantis dans une meilleure situation financière.

Nous voyons dans ce tableau que le revenu brut du pensionné est légèrement supérieur au seuil d’exemption de Rs 390 000 dans toutes les tranches d’âge, mais le revenu net après les déductions tombera au-dessous du seuil d’exemption. Dans ce tableau théorique, les pensionnés en général sont bien lotis car ils ne paieront aucun montant d’impôt. Evidemment si l’on double le montant de la pension de retraite (de Rs 20 000 à Rs 40 000 par mois), le revenu brut augmentera de façon significative et le revenu net dépassera le seuil d’exemption pour devenir imposable aux taux d’imposition marginaux.

Certains pays privilégient l’application de la fiscalité à la pension plutôt que le ciblage économique. Le ciblage économique a ceci de dangereux qu’il permet à l’Etat de décider qui va toucher la pension de vieillesse ou non. Une telle discrétion peut donner lieu à des abus autoritaires. C’est la raison pour laquelle les pays avancés accordent la pension de vieillesse à tous ceux âgés de 65 ans et plus, mais ils la frappent d’un impôt marginal du moment que le revenu du pensionné dépasse le seuil d’exemption. Dans l’absolu, il n’y a pas de raisons sociales ou économiques pour exempter la pension de vieillesse et la pension de retraite de l’impôt.

Coûts économiques       

La pension de vieillesse universelle deviendra un lourd fardeau pour l’Etat avec le vieillissement de la population. Selon le rapport du recensement de la population en 2022 publié par Mauritius Statistics, la proportion des personnes âgées de 60 ans et plus dans la population a augmenté de 12,7% en 2011 à 18,7% en 2022. D’après les chiffres du ministère de la Sécurité sociale, le nombre de pensionnés de 60 ans et plus était de 257 320 en décembre 2023, soit 19,8% de la population de 1,3 million de personnes. Les pensionnés dans la tranche d’âge de 60-89 ans représentent 98% du nombre total et ceux âgés de 90 ans et plus représentent 2%.

Conformément à sa politique transactionnelle, laquelle consiste à cibler des groupes sociaux spécifiques dans la clientèle politique, le  gouvernement pourra décider de payer Rs 13 500 à toutes les personnes dans la tranche d’âge de 60-89 ans dans le prochain budget 2024-2025. Dans ce cas, la pension de vieillesse coûtera Rs 45,7 milliards par an, comme indiqué dans le tableau 2 (OAS Cost).

S’il promet d’aligner la pension de vieillesse sur le salaire minimum de Rs 15 000 per mois à partir de 2025, elle coûtera une somme faramineuse de Rs 50,6 milliards.

En principe, le paiement de la pension de vieillesse relève de la politique sociale qui est normalement financée par les impôts et taxes divers versés dans le Consolidated Revenue Fund (CRF). Cela fait partie de l’Etat-Providence. Une telle pension universelle ne peut pas être financée par un simulacre de plan de pension contributif.

Faute d’être un plan de pension contributif, la Contribution Sociale Généralisée (CSG) est une taxe sur les salaires conçue pour financer la pension de retraite destinée aux employés du secteur privé. La CSG ne devrait pas financer la pension de vieillesse universelle.

Confusion conceptuelle

En intégrant la CSG dans le Consolidated Revenue Fund, le gouvernement a voulu s’assurer des fonds additionnels pour payer l’augmentation de la pension de vieillesse. De 2020-21 à 2022-23, le fonds de la CSG a doublé, passant de Rs 5,3 milliards à Rs 9,5 milliards, comme indiqué dans le tableau 3 (CSG contributions). Cependant, au 30 septembre 2023, le fonds de la CSG n’avait pas de surplus parce que tout l’argent récolté fut dépensé pour payer une augmentation des pensions et des allocations sociales. En effet, la caisse de la CSG a été détournée de ses objectifs primaires pour financer toutes sortes d’allocations sociales (par exemple, l’allocation de Rs 2 000 pour enfants jusqu’à l’âge de 3 ans, et l’Income Allowance de Rs 1 000 pour 350 000 employés, etc.).

La caisse de la CSG est déjà déficitaire et ne pourra pas assurer la pension de retraite aux employés du secteur privé. Les employés du secteur public, eux, ont leur propre plan de pension contributif. Il faudra dans l’avenir retourner au modèle du Fonds National de Pension, un plan qui collecte les contributions des employeurs et employés pour les investir dans des instruments financiers à des rendements importants, pour assurer la viabilité du système de retraite à Maurice.

L’Etat ne peut plus continuer à confondre la pension de vieillesse (tributaire de la politique sociale) et la pension de retraite financée par la CSG. Il y a une confusion conceptuelle qui démontre l’irrationalité de la politique publique.


Mauritius Times ePaper Friday 12 January 2024

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