La démocratie à Maurice

Opinion

Notre système démocratique a été une longue conquête. A nous d’assurer sa continuité par la vigilance et la lucidité

 

Par J. Gopaul

L’année dernière, les Mauriciens avaient fêté avec enthousiasme le 50e anniversaire de l’accession de Maurice à l’indépendance. Il y avait de quoi pavoiser. Beaucoup de pays se sont effondrés après leur libération de la colonisation ou suite à une dictature quelconque. Ils ont essayé de prendre la voie de la démocratie. Mais ils se sont rendu compte que ce n’était pas chose facile, ce qui nous rappelle ce que Jean-Jacques Rousseau disait : « S’il y avait un peuple de dieux, ils se gouverneraient démocratiquement. Un gouvernement aussi parfait n’est pas fait pour les hommes. »

La démocratie n’est pas qu’une simple affaire d’élections à intervalles réguliers. Cela demande un apprentissage. Les Américains ont voulu instaurer un système démocratique au Moyen-Orient après le renversement de plusieurs régimes autoritaires. Cela a été une catastrophe ouvrant la voie à une vague de terrorisme. Si Maurice a réussi, c’est que son entraînement par rapport à la démocratie date de plus d’une centaine d’années avant l’indépendance.

Apprentissage politique

Tout a commencé vers les années 1850 quand le gouvernement colonial décida d’instituer un conseil comprenant les représentants de l’industrie sucrière d’alors. Subséquemment, ce conseil fut élargi pour comprendre les représentants de la bourgeoisie créole. Le conseil fut davantage élargi pour inclure les commerçants musulmans. La participation des Hindous à ce conseil eut lieu suite aux élections à suffrage limité après la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945. Le 20e siècle vit la naissance du premier syndicat en 1921 pour l’amélioration des conditions de travail des artisans. Le Parti Travailliste fut fondé en 1936 pour l’amélioration du sort de tous les travailleurs. Entre 1950 et 1967, des élections générales furent tenues et le système ministériel fut institué. Nous devons ajouter aussi que trois villes furent dotées de Conseils municipaux : Port-Louis, Beau-Bassin/Rose-Hill et Curepipe. De ce qui précède, on peut conclure que les hommes qui ont mené le pays à l’indépendance n’étaient pas des novices dénués de toutes formations politiques.

L’éducation

L’éducation du plus grand nombre constitue le fondement de la démocratie. Comme la politique, elle évolua lentement à Maurice.

Au cours du 19e siècle, la société était ainsi catégorisée : les riches propriétaires terriens, la bourgeoisie créole, les travailleurs manuels comprenant les descendants de coolies et d’esclaves. L’éducation primaire des deux premières catégories était assurée par les religieux et religieuses catholiques. L’éducation secondaire était dispensée par le Collège Royal, régi par le gouvernement colonial avec un recteur anglais, auquel s’ajouta le Collège St. Joseph, régi par les religieux catholiques. Les descendants d’esclaves et de coolies n’avaient pas de voix au chapitre.

Le 20e siècle peut être considéré comme le siècle de l’extension de l’éducation au plus grand nombre des laissés-pour-compte. Le déclic fut donné par Mahatma Gandhi, Manilal Doctor, et Pandit Sahadeo qui transmirent leur conviction aux autres que l’éducation était un précieux outil d’émancipation. Quelques enfants de travailleurs réussirent à se faire admettre au Collège Royal dont Sir Seewoosagur Ramgoolam. Persuadé que l’émancipation de la femme est un important élément constitutif de la démocratie, SSR prit une part active comme Liaison Officer au département de l’éducation pour la création du Collège Queen Elizabeth dans les années 50 afin de donner accès à l’éducation secondaire aux filles qui n’étaient pas admises dans les établissements catholiques. De 1936 – quand le Parti Travailliste fut créé – jusqu’aujourd’hui, l’éducation a été au centre des préoccupations des Mauriciens avec la création d’écoles primaires et d’institutions secondaires ouvertes à tous. En 1968, grâce à l’éducation, les cadres politiques et administratifs étaient là pour permettre la continuation d’un pays démocratique, soutenu par une population éclairée.

La presse

Il ne peut y avoir de démocratie sans une presse libre. Par l’intermédiaire de la presse, c’est un dialogue permanent qui s’instaure entre le gouvernement et le citoyen. Il faut s’habituer à ce dialogue qui peut provoquer des frictions entre le gouvernement et le citoyen. Depuis la parution du Cernéen en 1832 beaucoup de journaux ont paru et ont disparu. Nous retenons La Sentinelle de Rémy Ollier au 19e siècle qui soutint la cause des hommes de couleur et des travailleurs en général. Les journaux Advance et Mauritius Times se battirent pour l’amélioration du sort des travailleurs et jouèrent un rôle important dans la lutte pour l’indépendance. Le Mauricien ne peut se passer de cette presse qui a toujours tenu avec honneur son rôle de chien de garde. La presse n’est pas souvent tendre envers le gouvernement mais le Mauricien a fini par accepter les règles du jeu.

La Constitution

Nos pères fondateurs nous donnèrent une Constitution qui assure la continuité de l’Etat pendant plus de 50 ans. C’étaient des hommes formés par une longue pratique de la politique et connaissant à fond le caractère national qui se rendirent à Londres pour discuter de notre Constitution. La délégation fut conduite par Sir Seewoosagar Ramgoolam, formé par la Fabian Society à Londres – à tendance démocratique et socialiste. Notre Constitution

  • préconise un système parlementaire avec un Premier ministre à la tête d’une majorité d’élus qui lui permet de gouverner par l’état de droit qui nous protège contre l’arbitraire ;
  • propose le système de Best Loser qui rassure les minorités quant à leur représentation au Parlement ;
  • garantit la liberté d’expression et de culte.

Cette Constitution est si bien rédigée et si bien acceptée que la tentative de la changer dans ses principes fondamentaux continue de connaître une désapprobation générale.

L’aspiration des peuples vers un système démocratique a toujours été grande. Mais ces derniers temps, la tentation autoritaire gagne du terrain à travers le monde. La démocratie a jeté des racines si profondes dans le sol mauricien que nous ne devons pas craindre une dérive autoritaire. Mais nous devons être vigilants. Tout ce qui peut être cause de remous ou de révolte sociale doit retenir notre attention et une solution corrective doit être prescrite immédiatement.

La discorde sociale

La plus grande menace qui pèse sur notre démocratie est la discorde sociale. Tout doit être fait pour éviter une situation à la Sri Lankaise. Maurice a été jusqu’à présent épargnée des conflits sanglants. L’une des raisons pour lesquelles Maurice a joui de la tranquillité c’est que tout le monde fait des affaires. Montesquieu consacre plusieurs chapitres de son « Esprit des Lois » au commerce. C’est qu’il croyait que le commerce entre les peuples était un facteur de paix. Les pouvoirs publics doivent veiller à ce que tous ceux qui veulent faire un petit business aient accès facile au crédit, et ce, peu importe leur communauté. Quand un client est satisfait, il ne regarde pas la communauté.

Les inégalités

« Ventre affamé n’a point d’oreilles », dit le dicton. Le phénomène des ‘Gilets Jaunes’ en France causé par l’impossibilité de certains citoyens à joindre les deux bouts à la fin de mois doit nous servir de leçon. Il faut reconnaître que les gouvernements successifs depuis l’indépendance se sont ingéniés à améliorer le pouvoir d’achat des travailleurs. Le salaire minimum est une mesure phare. Il est appelé chaque année à augmenter avec la compensation salariale. Le PRB contribue à améliorer le salaire de ceux qui se trouvent au bas de l’échelle. Le PRB ne concerne que les fonctionnaires. Le secteur privé, sur la base des profits réalisés, pourrait accorder un boni équivalent à un mois de salaire en sus du boni de fin d’année. La démocratie peut éviter des remous si chacun peut subvenir à ses besoins élémentaires.

La méritocratie

On a souvent critiqué les gouvernements en place de pratiquer une politique discriminatoire en ce qui concerne le recrutement dans le secteur public. Cette situation découle du fait que les hommes politiques sont fatalement poussés à favoriser leur clientèle électorale qui les a menés au pouvoir. Mais il est dangereux dans une société multiethnique de pratiquer une politique outrancièrement discriminatoire. Le gâteau national doit être équitablement partagé pour éviter les récriminations. Cela concerne également le secteur privé qui recrute selon des profils spécifiques. Nous éviterons une situation malsaine si non seulement les hommes politiques mais les responsables du secteur privé aussi jouent le jeu.

Le pouvoir et les médias

Le conflit entre le pouvoir et les médias est inévitable en démocratie. Montesquieu croit que « Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ». Lord Acton renchérit en déclarant que « Power tends to corrupt and absolute power corrupts absolutely ». Les journalistes croient qu’ils sont dans leur rôle non seulement quand ils informent mais également quand ils révèlent et dénoncent. Ceci provoque un raidissement du Pouvoir qui réplique, par exemple, en intentant des procès coûteux ou en appropriant l’exclusivité de la télévision nationale pour se défendre et pour faire de la propagande. Pour éviter cette situation si néfaste pour la démocratie, il faut que les journalistes accomplissent leur tâche sans esprit partisan sur un ton mesuré. D’autre part, il faut que les hommes politiques se rendent compte qu’ils sont sous étroite surveillance, et qu’ils ne peuvent pas tout se permettre.

Les réseaux sociaux

Les réseaux sociaux sont devenus une menace pour la démocratie. La société Cambridge Analytica a fait usage de ses dizaines de millions de données personnelles pour influencer les résultats du Brexit et ceux des élections américaines, et ils ont porté Trump au pouvoir. Le phénomène des ‘Gilets Jaunes’ en France est une conséquence des activités des réseaux sociaux. Il est du devoir d’un gouvernement démocratique de protéger ses citoyens, par voie légale, contre les propos de haine et les « fake news ». Un gouvernement démocratique qui ne se protège pas et ne protège pas ses citoyens ouvre la voie à l’autoritarisme.

Notre système démocratique a été une longue conquête. A nous d’assurer sa continuité par la vigilance et la lucidité.


* Published in print edition on 7 June 2019

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