“Avec une opposition hopelessly divided, Jugnauth a toutes les cartes en main pour un renouvellement de son mandat”

Interview: Jocelyn Chan Low

* “Revoir son offre politique pour le 21e siècle est une question quasi-existentielle pour le MMM s’il ne veut pas se retrouver dans la catégorie des ‘has been’

* ‘Toute succession au sein d’un parti provoque inévitablement des frictions… Cependant, le PTr a une histoire de crisis management’ beaucoup plus réussie que le MMM


Cette semaine, la démission de plusieurs membres du comité régional du MMM retient l’attention du grand public. Pourtant ce genre de comportement des membres de la classe politique n’étonne plus personne. Au contraire, la jeune génération s’attend à un développement accru de l’intégrité et de la dignité de la part des hommes et des femmes en politique. Aussi, nous vous invitons à connaître les réactions de Jocelyn Chan Low, historien et observateur politique mauricien.


Mauritius Times: Après la démission de plus de 25 membres du comité régional du MMM de la circonscription No 6 (Grand-Baie/Poudre-d’Or), ainsi que celle de l’ancien président de village et membre du comité central du MMM, Vinay Sobrun, un autre départ à signaler cette semaine: Madun Dulloo, un premier ministrable potentiel, mais dont la démission ne semble pas préoccuper grandement le parti. Est-ce normal?

Jocelyn Chan Low : Il n’y a rien de nouveau à cela. D’ailleurs, certains parmi les démissionnaires avaient déjà démissionné et fait campagne contre le MMM avant de rentrer au bercail. Ensuite le changement d’allégeance politique est devenu monnaie courante dans la vie politique à Maurice. Souvent, c’est le résultat de tractations avec le régime en place qui y trouve son intérêt à affaiblir l’opposition à travers le débauchage de ses cadres et de ses activistes.

On connaît le scénario : un groupe de dissidents d’un parti de l’opposition organise une conférence de presse pour critiquer leur ancien parti et encenser le gouvernement. Et le tout est relayé longuement par la station de télévision nationale au journal télévisé.

Tout cela est du déjà vu et personne n’est dupe. Il faut souligner que cette pratique remonte à bien avant les élections générales de2014.

* Les démissionnaires de Grand-Baie/Poudred’Or ont évoqué les mêmes raisons comme beaucoup d’autres avant eux pour justifier leur départ du MMM : “divergences d’opinion, l’inaction au sein du parti, une situation malsaine, ‘business as usual’, zig-zags…”, ce qui ne permettrait pas au parti de remonter la pente. Pensez-vous que c’est aussi le sentiment de la base ?

Ces ‘travers’ qu’ils disent déplorer au sein du MMM ont fait l’objet de critiques de la part d’autres démissionnaires dans le passé. Mais les démissionnaires actuels les découvrent subitement aujourd’hui.

Cela dit, si l’on adopte une perspective plus large, il est évident que le MMM, depuis quelque temps, passe par une phase difficile de son Histoire. Au fil des années, il y a eu une dissociation croissante entre le MMM et la masse de son électorat et, ensuite, avec une partie de ses ‘militants coaltar’.

Cela est dû à plusieurs raisons, notamment l’abandon de la lutte des classes et de tout ancrage au niveau syndical, et sa transformation en un parti strictement parlementaire traditionnel, jouant le jeu de l’’ethnic politics’ comme l’exige le système. Le résultat est que l’activisme du début qui avait grandement contribué à son essor n’y est plus, un grand nombre de cadres du parti sont partis ailleurs et la relève est relativement timide.

Les seules initiatives que prend le leadership restent au niveau des alliances et au niveau du parlement. Alors que la rue gronde et que la contestation s’amplifie sur les réseaux sociaux, le parti reste relativement effacé. Et la base du MMM s’est beaucoup rétrécie au fil des années. On connaît les difficultés que le parti avait éprouvées pour mobiliser ses militants dans le cadre des élections générales de 2019. En fait, on est très loin de la machinerie du MMM que j’ai connue de l’intérieur dans les 70 et 80.

De même, le MMM s’appuie beaucoup sur son passé glorieux, héroïque des années de braise. Mais de 1970 à 2021, cela fait plus de 50 ans. Et la génération d’aujourd’hui vit dans l’immédiateté. Qu’est-ce que le parti a à lui offrir ?

Revoir son offre politique pour le 21e siècle est une question quasi-existentielle pour le MMM s’il ne veut pas se retrouver dans la catégorie des ‘has been’.

 * Quel est le sentiment de la base militante vis-à-vis de l’Entente de l’Espoir, une alliance réunissant les Bodha, Bhadain et Duval, selon vous ?

La base militante n’a pas été consultée au sujet de cette Entente parce que le regroupement ne constitue pas une alliance. Il n’y a pas eu d’assemblée de délégués pour trancher la question. Mais je doute fort que les militants y soient opposés — le MMM ayant travaillé avec le PMSD de Maurice Allet durant des années alors que Roshi Bhadain est une valeur sûre de l’opposition. Quant à Nando Bodha, autant que je le sache, il n’a pas été pressenti comme un dirigeant d’une quelconque alliance…

* On se rappelle qu’il y a près de trois semaines, Madun Dulloo avait critiqué Nando Bodha et Roshi Bhadain, ceux-là mêmes qui ont passé la majeure partie de leur carrière politique à essayer de démolir et le PTr et le MMM ou même le PMSD, et qui soudainement se découvrent des affinités avec ces mêmes partis. Si on vous disait que cette “entente de l’espoir” contient en elle-même les germes de sa propre destruction, que répondriez-vous à cela ?

Je ne crois pas qu’il soit question ici d’affinités mais plutôt de stratégie politique vis-à-vis du régime en place car toute fragmentation de l’opposition ne peut que profiter à Pravind Jugnauth, le système de ‘First Past The Post’ aidant. Les dernières élections générales l’ont démontré d’une manière éclatante.

Toute entente ou alliance entre partis politiques entraîne automatiquement des frustrations et des déceptions. A Maurice, le ‘front bench’ d’un parti ou d’une alliance est déterminé par le souci de la représentation ethnique, voire sous ethnique – symbolique de telle personnalité. Evidemment, l’arrivée par exemple de Nando Bodha ne peut que nuire aux ambitions, d’ailleurs légitimes, de Madun Dulloo. Ce fait a été à l’origine d’un grand nombre de crises et de dissidences au sein du MMM dans le passé.

* Un constat toutefois, c’est que l’opposition n’est pas parvenue jusqu’ici à se présenter comme une alternative crédible à l’alliance au pouvoir. Les leaders des deux grands partis de l’opposition souffrent de sérieux handicaps – celui du PTr en raison de la campagne de ‘character assassination’ menée contre sa personne par le MSM depuis 2015, et l’autre auprès de l’électorat lui-même en raison de ses alliances « contre-nature » et dont une bonne partie de son électorat a pris graduellement ses distances. Mais c’est quand même difficile de croire que le PTr et le MMM soient des « spent forces » aujourd’hui, n’est-ce pas ?

Je ne crois pas qu’on puisse affirmer que le PTr ou même le MMM sont devenus des ‘spent forces’. Il ne faut pas oublier que ces deux partis, avec le PMSD, ont recueilli plus de 50% des votes aux dernières élections générales.

Cela dit, le Ptr se trouve confronté à un problème majeur résultant de la campagne de ‘character assassination’ mené contre Navin Ramgoolam. Cette campagne a grandement terni sa réputation malgré le fait qu’il a été blanchi de la majeure partie des accusations par le judiciaire.

Toutefois, on ne peut prévoir la décision de Navin Ramgoolam par rapport soit à sa carrière politique ou à sa succession après son retour de l’Inde où il suit actuellement un traitement.

Quant au MMM, il se retrouve confronté à la désillusion d’une section de l’électorat envers les partis traditionnels, avec comme conséquence un foisonnement de petits partis qui risquent de grignoter dans son électorat et lui porter préjudice en cas de vote panaché dans certaines circonscriptions urbaines.

* Pour revenir au PTr, il paraît que le candidat Damry pour la succession de Navin Ramgoolam ne fait pas l’unanimité. Cela pourrait même provoquer la scission du parti, soutiennent certains membres du PTr en privé…

Toute succession au sein d’un parti provoque inévitablement des frictions et des déceptions. C’est là où l’on mesure les qualités detout nouveau leader. C’est à lui de faire en sorte que le parti ne sorte pas de cet exercice meurtri. Cependant, le PTr a une histoire de ‘crisis management’ beaucoup plus réussie que le MMM.

* Au regard du rapport de forces sur l’échiquier politique, pensez-vous que les prochaines municipales constituent un test crucial pour l’échéance de 2024 ?

Bien sûr que les municipales seront très importantes par rapport à l’évolution politique du pays ! Le Gouvernement, bien qu’il contrôle les municipalités, part à ces élections en tant que challenger, du fait qu’aux dernières élections générales, ce sont les partis de l’opposition qui avaient remporté une majorité de sièges dans les circonscriptions urbaines.

Et en outre, on verra si l’opposition pourra présenter un front uni face au régime en place. De même, on connaîtra le poids électoral des nouveaux partis. Cela dit, il y a un facteur qui risque de brouiller les cartes : le taux d’abstention.

En général, il tourne autour de 50%. Qu’en sera-t-il en temps de pandémie ? Reste à voir…

* Le PTr a pris ses distances de l’Entente de l’Espoir en raison de l’affaire de leadership de l’opposition, ce qui n’a toujours pas été résolu. Voyez-vous le PTr avancer résolument vers les prochaines élections générales tout seul, ou les données ont-elles changé depuis un certain temps ?

Difficile à dire à ce stade bien que certains dirigeants affirment que le parti se prépare à affronter seul les prochaines élections. Mais on ne sait pas à ce stade si le Ptr sera mené par Navin Ramgoolam ou quelqu’un d’autre.

Si ce n’est pas Navin Ramgoolam qui dirige le Ptr, tout devient possible : pas seulement un regroupement des forces de l’opposition mais aussi une alliance avec le MSM.

D’ailleurs, il y a eu récemment certains signaux, peut-être délibérément entretenus par le MSM, en ce sens après la fameuse photo de Pravind Jugnauth et de Navin Ramgoolam conversant lors d’une réception à l’ambassade de l’Inde. Ensuite le PM a quand même été aux petits soins pour faciliter le transfert de Navin Ramgoolam en Inde pour son traitement.

Cela dit, il ne faudrait pas sous-estimer le poids de l’influence étrangère dans la vie politique à Maurice. Il y a eu des exemples documentés dans le passé. Et, aujourd’hui, alors qu’une nouvelle guerre froide se profile à nos portes, et que Agaléga est au cœur d’un dispositif géostratégique pour l’un des protagonistes, ce ne serait guère étonnant de voir des influences étrangères manœuvrer afin qu’un régime qui lui soit favorable reste au pouvoir. Cela s’est vu ailleurs.

* En attendant, il paraît que Pravind Jugnauth reste toujours le maître du jeu, avec les différentes formations politiques nouvellement créées par Bruno Laurette et d’autres qui ne parviennent pas à peser lourd sur l’échiquier et les partis traditionnels peinent toujours à trouver une véritable entente…

Evidemment, Pravind Jugnauth reste le maître du jeu malgré l’impopularité grandissante du régime notamment en raison des conséquences économiques et sociaux de la Covid-19 et les diverses ‘affaires’.

Mais cela est grandement dû non seulement à l’incapacité de l’opposition à se fédérer et à présenter une alternative crédible mais aussi du fait que les anciens s’accrochent alors que la jeune génération réclame du renouveau.

Ce renouveau se fait à travers l’éclosion d’une myriade de petits partis qui ne peut qu’ajouter à la confusion sur l’échiquier politique

* Au regard de la gestion par le Premier ministre des affaires qui ont dominé l’actualité depuis le début de son mandat par rapport à Soopramanien Kistnen, Yogida Sawmynaden, St Louis Gate, et autres, voyez-vous Pravind Jugnauth tenir le coup jusqu’à 2024 ?

A ce jour, il n’y a absolument aucune raison pour que le gouvernement s’écroule. Certes, il y a les pétitions électorales mais le temps de la justice est très long. Quant aux diverses affaires, les enquêtes trainent et c’est difficile de croire qu’elles seront bouclées rapidement.

En outre, le gouvernement dispose d’une solide majorité parlementaire. Il y a évidemment l’opposition de rue. On peut se référer aux manifestations monstres à Port Louis en août 2020 et février 2021. Mais, à Maurice, la vie politique se déroule à l’ombre du constitutionnalisme. La rue ne renversera jamais un gouvernement élu. Tout se jouera aux urnes.

Et, pour le moment, avec une opposition hopelessly divided Jugnauth a toutes les cartes en main pour un renouvellement de son mandat. Certes, il y en a qui crieront ‘Au loup!’ en évoquant une crise économique à venir. Mais dans le contexte géopolitique actuel, le régime pourra toujours emprunter…


* Published in print edition on 1 October 2021

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