Un test de conformité pour le centre financier mauricien
Analyse
Flux financiers transfrontaliers
Si Maurice veut être une juridiction propre en matière financière, elle a du terrain à rattraper
By Prakash Neerohoo
L’arrivée à Maurice de deux personnalités malgaches (un ancien Premier ministre et un homme d’affaires connu) par un jet privé dans des conditions d’atterrissage pas trop normales a placé le pays au centre d’un imbroglio politico-diplomatique. Il y a des doutes sur la célérité avec laquelle l’avion privé a obtenu l’autorisation d’atterrir chez nous pour débarquer des personnes qui ont fui leur pays, visiblement pour éviter d’être arrêtées par la nouvelle autorité de transition à Madagascar après la chute du gouvernement d’Andry Rajoelina, désormais ancien président de la République.
“Selon des informations de presse, l’homme d’affaires malgache, qui est le président-directeur général du groupe SODIAT, Mamy Ravatomanga, aurait des placements bancaires de $150 millions, soit Rs 6,7 milliards, dans le centre financier mauricien. Il a aussi des investissements dans des compagnies locales, y compris l’hôtellerie, tout en étant propriétaire d’une villa de luxe IRS (Integrated Resort Scheme) dans le Nord. Il aurait voulu transférer $100 millions dans une banque à Dubaï, une juridiction réputée pour avoir accepté des fonds d’origine douteuse venant d’autres pays…”
Est-ce que la manœuvre visait à leur permettre d’utiliser Maurice comme un tremplin pour chercher refuge ailleurs ? Et plus fondamentalement, est-ce que la fuite de ces exilés malgaches avait pour but de sauvegarder leurs dépôts bancaires placés dans le centre financier mauricien ? La manière dont le gouvernement mauricien traite ce problème sera une indication du degré de conformité du centre financier mauricien sous le régime AML/CFT (Anti-Money Laundering and Combatting the Financing of Terrorism) de la loi nationale. Ce sera surtout un test de la volonté politique du gouvernement de nettoyer le centre financier pour restaurer sa crédibilité comme une juridiction propre et conforme aux normes internationales en matière de gestion des risques de blanchiment d’argent transfrontalier.
Investissements faramineux
Selon des informations de presse, l’homme d’affaires malgache, qui est le président-directeur général du groupe SODIAT, Mamy Ravatomanga, aurait des placements bancaires de $150 millions, soit Rs 6,7 milliards, dans le centre financier mauricien. Il a aussi des investissements dans des compagnies locales, y compris l’hôtellerie, tout en étant propriétaire d’une villa de luxe IRS (Integrated Resort Scheme) dans le Nord. Il aurait voulu transférer $100 millions dans une banque à Dubaï, une juridiction réputée pour avoir accepté des fonds d’origine douteuse venant d’autres pays.
Pour l’heure, la Financial Crimes Commission (FCC) a obtenu un ordre de la Cour suprême pour geler ces fonds en attendant la conclusion d’une enquête sur leur origine sous la loi contre le blanchiment d’argent, le Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act 2002.
Cette affaire comporte des aspects troublants. Si un homme d’affaires malgache a effectivement transféré $150 millions à Maurice, (à partir d’un pays où la majorité des habitants vivent en-dessous du seuil de pauvreté de $3 par jour par personne, seuil fixé par la Banque Mondiale), c’est que la Banque centrale de Madagascar ou une banque commerciale située sur la Grande Ile a autorisé cette transaction. Ces fonds proviennent-ils des bénéfices accumulés (après impôt) des sociétés d’un conglomérat ou des recettes d’exportation de ces sociétés libellées en dollars dans un compte bancaire privé ?
Considérons la première hypothèse : l’investissement des bénéfices non répartis (retained earnings) d’une société dans une juridiction étrangère ne serait pas illégale si l’impôt sur les bénéfices a été payé à l’Etat au préalable. D’ailleurs, des sociétés mauriciennes investissent elles aussi dans d’autres pays. Mais on ne sait rien des obligations fiscales du conglomérat malgache dans son propre pays.
Deuxième hypothèse : garder des recettes d’exportation en devises étrangères dans un compte privé au lieu de les réinvestir dans l’économie locale relèverait d’une stratégie de fuite de capitaux.
Régime AML/CFT
Puisque les autorités malgaches ont demandé le 16 octobre, par voie d’un arrêt de mandat international, le rapatriement du PDG malgache, et éventuellement de ses fonds placés à Maurice, sous une accusation de blanchiment de capitaux, le gouvernement mauricien marche sur des œufs. Comment satisfaire la demande malgache tout en préservant la confiance des investisseurs étrangers dans le centre financier mauricien ?
* Est-ce que la coopération régionale entre deux pays prendra le dessus sur la souveraineté nationale ?
* Est-ce que le gouvernement accordera quelque importance à l’éthique des affaires au lieu de se cantonner dans le légalisme des affaires ?
C’est là que tout le régime AML/CFT revêt une importance cruciale.
Maurice a sans doute ses propres lois financières, mais elle a aussi des obligations internationales. Pendant deux ans (2019-2020), Maurice fut placé sur la liste grise du Groupe d’Action Financière (GAFI) de l’OCDE en raison des carences stratégiques dans son régime AML/CFT. Sur 58 critères d’efficacité établis par le GAFI, Maurice ne satisfaisait pas cinq critères. Il a fallu une refonte de la législation mauricienne en profondeur pour pallier ces carences avec l’Anti-Money Laundering and Combatting the Financing of Terrorism (Miscellaneous Provisions) Bill 2020.
Toutefois, si le dispositif légal AML/CFT est impressionnant en théorie, dans la pratique la conformité des sociétés avec la loi laisse beaucoup à désirer. Comme on le dit en anglais, le pays est « high on legislation but low on compliance ». Non seulement des fonds d’origine douteuse sont déposés dans le centre offshore, mais aussi des capitaux locaux sont exportés par des Mauriciens (individus et sociétés) pour être placés dans des paradis fiscaux ailleurs (Suisse, Dubaï, Panama) sans des contrôles adéquats de la Banque centrale locale. D’ailleurs, les nombreuses enquêtes de la FCC sur des cas de blanchiment d’argent, avec des implications transfrontalières en termes de fuite de capitaux, témoignent du manque de conformité au régime AML/CFT.
Paradis fiscal
Maurice est toujours un paradis fiscal pour les individus richissimes d’ici et d’ailleurs. Ils peuvent s’offrir des villas de luxe IRS en payant rubis sur l’ongle (en dollars ou en euros) tout en bénéficiant d’exemptions fiscales sur l’achat et l’entretien de la propriété (pas de taxe immobilière ni de taxe sur la plus-value foncière à la revente). Ils peuvent faire des placements bancaires dans le secteur offshore et transférer des fonds à travers les frontières tout en bénéficiant d’une grande flexibilité pour ce type de transactions. Nos compagnies de gestion locales (management companies) s’arrangent pour faciliter les transactions. Les sociétés offshore paient un impôt minimum de 3% sur leurs bénéfices. Le PDG malgache n’est sans doute pas le premier ni le dernier investisseur étranger à se servir de la plateforme offshore mauricienne pour circuler leurs fonds dans des flux transfrontaliers en échappant au contrôle national.
Avant Mamy Ravatomanga, il y avait deux autres investisseurs de sinistre mémoire, notamment Isabel dos Santos, la fille de l’ex-président angolais José Eduardo Dos Santos, et l’investisseur angolais Alvaro Sobrinho. Grâce aux Luanda Leaks, on savait que Isabel dos Santos avait détourné des fonds de l’Etat angolais pour en placer une partie (Rs 17 milliards) dans le secteur offshore mauricien. Quant à Alvaro Sobrinho, il avait pillé des fonds publics d’une banque d’Etat en Angola (Rs 28 milliards) pour acheter des propriétés à Maurice, entre autres transactions. Il avait même obtenu une licence de banque d’investissement de la Financial Services Commission (FSC) grâce à des contacts avec des hommes du pouvoir chez nous. L’un d’eux disait avoir vu dans ses yeux un homme honnête. L’enquête sur ces deux affaires par l’ICAC (prédécesseur de la FCC) fut mise aux oubliettes.
Outre ces deux cas qu’on connait grâce aux enquêtes faites dans d’autres pays (Angola, Angleterre), il y a sans doute d’autres investisseurs véreux qui ont fait des placements bancaires à Maurice. Mais on en ignore les détails en raison de l’opacité qui entoure le secteur offshore. Faut-il rappeler les prêts toxiques (Rs 3 milliards) accordés par la SBM à un investisseur indien qui a disparu dans la nature aux Emirats Arabes Unis ? A ce jour, aucune enquête n’a été faite par les autorités. La SBM s’est contentée de rayer la dette. Faut-il aussi rappeler le scandale de la Silver Bank qui a accordé des prêts toxiques de Rs 7 milliards à un investisseur étranger aux dépens des déposants mauriciens ? La Banque de Maurice n’a rien fait pour élucider le mystère après dix mois de gestion calamiteuse jusqu’au départ de l’ancien gouverneur.
Sanctuaire bancaire
Malgré le fait que le pays soit sorti de la liste grise du GAFI en 2021, certaines questions demeurent pertinentes. Maurice est-elle un sanctuaire bancaire pour des dépôts d’origine douteuse en devises étrangères en provenance d’investisseurs étrangers ? Au nom de la facilitation des affaires pour attirer l’investissement étranger, la juridiction mauricienne doit-elle accepter toutes sortes de flux financiers sans se soucier de la légitimité des fonds ?
En mars 2024, la Financial Crimes Commission Act fut promulguée en vue de centraliser le combat contre les crimes financiers (blanchiment d’argent, fraude et corruption). Avec l’arrivée du nouveau gouvernement depuis novembre 2024, la FCC est engagée dans une frénésie d’enquêtes sur beaucoup de suspects. Toutefois, à ce jour, aucune inculpation formelle n’a été logée devant une Cour de justice, et ce, même si le pays est impatient de constater des résultats concrets.
Le rapport de mai 2025 du ministère des Service Financiers sur l’évaluation des risques de blanchiment d’argent donne une note « élevée » au risque extérieur, comparée à une note moyenne au risque intérieur. Le flux financier entre Madagascar et Maurice confirme à posteriori le risque extérieur. Le pays est constamment sous l’œil inquisiteur des organisations internationales qui surveillent notre performance en matière de prévention et de répression des crimes financiers. En sus du GAFI, il y a l’Eastern and Southern Africa Anti-Money Laundering Group (ESAAMLG) qui suit de près le pays. D’autre part, le pays est surveillé par Transparency International, dont l’indice de corruption en 2024 classait Maurice au rang de 56 sur 183 pays avec une note de 51 sur 100, ce qui la place au milieu du classement entre les pays propres (90-100) et les pays corrompus (1-20).
Si Maurice veut être une juridiction propre en matière financière, elle a du terrain à rattraper.
Mauritius Times ePaper Friday 24 October 2025
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