“Rien ne va se passer avec le départ probable du MMM du gouvernement”

Rupture et Réformes : Jack Bizlall Face à la Crise de l’Alliance du Changement

Interview : Jack Bizlall

‘Rien de pire ne va se passer sauf une résurgence du MSM’

* ‘Si je dois décrire notre société sous le régime actuel, je dirai que c’est comme une maison pas encore libérée des rats’

* ‘Bérenger n’a jamais voulu être le Premier ministre de la République de Maurice. Il a toujours eu peur d’être rejeté’

La scène politique mauricienne est secouée par une crise majeure : le départ imminent de Paul Bérenger, leader du Mouvement Militant Mauricien (MMM), de l’Alliance du Changement. Cette rupture anticipée de la cohabitation avec le Parti Travailliste (PTr) soulève des questions fondamentales sur l’avenir de l’agenda de réformes du pays et sur les conséquences politiques qui en découlent.

Dans cet entretien sans concession (réalisé mercredi 12 novembre), le militant et observateur politique Jack Bizlall décrypte la situation, allant au-delà du simple théâtre politique. Il minimise l’impact immédiat du départ du MMM, affirmant que « rien ne va se passer », mais se montre alarmiste quant aux conséquences plus larges. Pour Jack Bizlall, le cœur du problème n’est pas la tactique politicienne de Paul Bérenger, mais le manquement du gouvernement à ses devoirs fondamentaux, notamment sur l’âge de la pension universelle et la nécessité d’une véritable Deuxième République.

Il dénonce le “tacticien” Bérenger, qui agit “pour et par sa personne”, et critique la paralysie structurelle du gouvernement face aux enjeux vitaux tels que la sécurité sociale et la réforme constitutionnelle. Jack Bizlall lance un vibrant appel à l’action, insistant sur le devoir de faire progresser la civilisation mauricienne au-delà des querelles partisanes.

Mauritius Times :  La tournure des évènements de ces derniers jours semble, à l’heure où l’on parle, vers une rupture de la cohabitation entre le PTr et le MMM au sein de l’Alliance du Changement – en raison du départ probable de Paul Bérenger, le leader du MMM, ainsi que certains fidèles qui devraient le suivre dans l’opposition. Jusqu’à preuve du contraire, cette rupture apparait comme une conclusion inéluctable. Voyez-vous la situation autrement ?

Jack Bizlall: Je peux affirmer, si cela est nécessaire, que rien ne va se passer avec le départ probable du MMM du gouvernement.

Personnellement je ne souhaite rien d’autre que le PTr et le MMM, comme ce fut le cas dans le passé, ne s’associent plus après avec le MSM. Ils sont les responsables de la gestion du pays par le MSM.

Notre fond commun de civilisation a primé lors des dernières élections par la défaite du MSM. C’est cela le plus important quand on analyse la situation actuelle. Tout mais pas le retour du MSM que j’ai qualifié de parti politique propriété de la famille Jugnauth et ainsi antirépublicain.

Quant à Bérenger, il va se retrouver, comme dans le passé — s’il décide de s’imposer sur les questions secondaires pour étouffer les questions touchant Diégo et l’âge de la retraite – Leader de l’Opposition à moins que cette fonction ne soit assumée par sa fille.

En tout cas, ce dont nous avons été amenés à être témoins ces derniers jours, tout cela n’est que du théâtre. Comme l’affirmait Shakespeare ‘le monde entier est un théâtre et tous, hommes et femmes, n’en sont que des acteurs.’

* Quoi qu’il en soit, il y a bien eu des contentieux : les nominations, la lenteur des réformes et l’affaire Ravatomanga ont soulevé des désaccords. Mais il paraît que la cause principale de la démarche de Paul Bérenger serait la réforme du système électoral. Ce serait le point de rupture qui aurait accéléré sa décision. Faites-vous une analyse différente?

Effectivement. Permettez-moi de poser la question autrement : Que retient le plus la population ? L’âge de la retraite ou la baisse du prix de l’essence ?

Le gouvernement doit absolument comprendre une chose : que l’on retourne vers l’âge de la pension universelle à 60 ans. Cela affecte toute la population. L’essence n’est la préoccupation que des propriétaires de voitures. Ces derniers suivent le cours du pétrole – de 125 dollars en 2008 le baril à 79 dollars en janvier 2025.

L’affaire de Madagascar. Il n’y avait qu’une décision à prendre, celle d’arrêter toute personne ayant commis un crime pénal à Madagascar, saisir tout argent non déclaré ou qui aurait été obtenu illégalement ; geler tout avoir que le gouvernement malgache peut réclamer et récupérer…

Quant à la protection du Président malgache, je tiens à faire rappeler l’assassinat du Président Richard Ratsimandrava en 1975. La population mauricienne n’a pas de pulsions collectives mortifères. Le dernier Président a fui Madagascar pour protéger sa vie. Sous les gouvernements militaires, Madagascar a énormément souffert.

* Je dois reprendre la question de la réforme électorale : Si c’est effectivement cette réforme — enjeu sensible touchant à la structure du pouvoir — qui constitue le point de désaccord majeur entre les deux leaders, la question centrale est de savoir si Paul Bérenger cherche ainsi à obtenir l’introduction d’une part de représentation proportionnelle garantissant au MMM une position incontournable sur l’échiquier politique. Qu’en pensez-vous ?

Cette approche ramène la “réforme constitutionnelle” à la seule question électorale (principalement), au détriment de l’essence d’une Deuxième République et d’un projet de société plus vaste.

L’analyse de l’approche de Bérenger révèle une dimension purement tactique : il agit dans le cadre de conjonctures politiques qui lui sont défavorables. Il n’est qu’un tacticien (certes très talentueux) qui cherche avant tout à résoudre des problèmes liés à sa personne et à son parti, fonctionnant selon une logique du « pour et par sa personne ». Sa démarche ne vise pas prioritairement l’intérêt général ni l’ensemble du pays.

Je lui suggérerais, en tant qu’ami, de retourner à son individualité (le pour-soi) et de rejeter l’individualisme (le “que pour soi”), qui l’anime depuis l’enfance — j’en ai parlé souvent avec Frappier, qui le connaît depuis son enfance — il devrait savoir qu’il y a de plus grandes choses à accomplir.

Nous avons le devoir et l’obligation de changer de constitution pour faire progresser notre civilisation. Le simple terme de « réforme » (dans le sens d’ajustement partiel) risque de faire exploser ce pays par le populisme de tous les bords. Seul un changement constitutionnel profond, écartant l’idée de simples ajustements électoraux au profit d’une nouvelle architecture institutionnelle, permettra d’atteindre cet objectif.

* Mais, si la rupture se concrétise — à brève échéance ou ultérieurement —, envisagez-vous que Paul Bérenger assume la fonction de Leader de l’Opposition ?

Comme je vous l’ai dit, rien de pire ne va se passer si ce n’est une résurgence du MSM en cas de cassure de l’alliance PTr-MMM. Si Bérenger reste au Gouvernement, qu’il assume son rôle à faire passer des décisions en faveur de la population mauricienne, rodriguaise, agaléenne et chagossienne.

Je parle ici de multiples sécurités sociales. De la Pension à Diego Garcia ; de l’éducation d’assertion de la personne humaine au lieu de l’insertion dans le système capitaliste ; de la Deuxième République. La liste est longue.

Je parle ici de multiples sécurités sociales. De la Pension à Diego Garcia, de l’éducation d’assertion de la personne humaine au lieu de l’insertion dans le système capitaliste, de la Deuxième République… La liste est longue.

S’il retourne à sa position de prédilection, qui est la fonction de Leader de l’Opposition, il se sentirait heureux. Il n’a jamais voulu être le Premier ministre de la République de Maurice. Il a toujours eu peur d’être rejeté. Il y a beaucoup de peurs inconscientes en lui. Question de savoir-être. Il aurait fallu qu’il développe un certain nombre de qualités personnelles. Ce n’est pas une question de compétences seulement, mais c’est surtout des questions comportementales et relationnelles ici.

Comme Leader de l’Opposition, il pourra faire valoir son savoir essentiellement économique et réduire son savoir-être à émuler Raymond Poulidor.

* Au-delà du leadership de l’opposition, comme dans le cas du Parti Travailliste, la question de la relève ou de la succession de leadership pourrait se poser avant la fin du second mandat – un sujet à propos duquel les leaders concernés vont probablement discuter en privé, puis éventuellement, ils en débattront au sein de leur parti respectif. Voyez-vous Johanna Bérenger jouer un rôle dans cette équation pour le MMM ?

Il faut vous demander pourquoi certains de nos dirigeants ne veulent pas passer à la Deuxième République. Dans les faits il y a trois éléments qu’ils ne veulent pas changer.

(1) Notre Constitution ne parle pas de partis politiques. Une modification de la Constitution permettra à la démocratie républicaine de prévaloir au sein de tous les partis politiques.

(2) La fonction de Leader est telle que la personne qui l’assume est susceptible de recevoir des dons en son nom. On parle des fonds malgaches dans nos banques. Pourquoi ne pas parler des fonds mauriciens à Madagascar, aux Seychelles, à Singapour et ailleurs ?

(3) Le Premier ministre contrôle toutes les personnes qu’il nomme à la Présidence du pays, à la Banque de Maurice, comme à la FCC, à la Police, etc.

Déjà au sein du MMM, les membres de la famille de Bérenger se mettent de l’avant, comme paraît-il ce serait le cas de son gendre. Les autres partis politiques suivent la même logique, y compris pour Ramgoolam. Il y a sans doute un devoir paternel de leur part. Seul Ramgoolam père n’aurait pas exprimé le désir de voir son fils devenir Premier ministre.

* La même question de la succession à la tête du Parti Travailliste se posera inéluctablement. Le choix de successeurs possibles semble assez restreint : le vivier de nouveaux leaders est-il vraiment si limité ?

Au sein du Parti Travailliste on a complètement oublié le Travaillisme, concept politique importé de la Grand Bretagne et appliqué par les partis politiques progressistes dans toutes les colonies de l’Angleterre.

Or le Parti Travailliste à Maurice s’est complètement écarté des acquis du Travaillisme en s’attaquant à l’âge de la retraite et la pension universelle.

Pour l’instant, il n’y a personne qui se place comme héritier.

Le seul souhait est que ceux qui tournent autour de Ramgoolam sortent du Macronisme qui affecte doublement le gouvernement français. Les suiveurs de Ramgoolam sont dangereux pour la population.

Pour que l’on puisse se rapporter au travaillisme et au militantisme on érigera bientôt une stèle aux salines pour des rassemblements chaque 12 mars. Il faut parler des travaillistes jusqu’à 1958 pour évoquer un « Travaillisme revival ».

* En attendant, si la rupture se concrétise, estimez-vous que le programme de réforme – déjà très ambitieux – sera compromis dans une large mesure ou le blocage et la lenteur dans la mise en œuvre de certaines réformes étaient-ils déjà dûs à cette alliance de deux partis aux idéologies et aux intérêts distincts dans certains secteurs spécifiques ? Parlons justement des réformes présentes comme une finalité par les tenants du pouvoir.

Comment porter notre attention aux réformes budgétaires quand:

(1) Sur le plan mondial il n’y a aucune politique dégagée face aux inepties de Trump, à l’alternative du Brexit, la démilitarisation de l’océan Indien, notre silence face à la guerre entre Israël et des organisations palestiniennes irresponsables, notre silence face à la guerre entre la Russie et l’Ukraine… Le silence du régime peut-il être interprété comme un signe positif?

 (2) Sur le plan du pays dans son ensemble, comment allons-nous satisfaire les populations mauriciennes, rodriguaises, chagossiennes et agaléenes sans une politique cohérente de la sécurité sociale qui concerne chaque ministère, et ainsi tous les ministres.

(3) Sur le plan des classes sociales et des catégories sociales de notre République et de son ensemble, jusqu’à quand maintiendrons-nous la Constitution actuelle qui est au service des pouvoiristes de toutes sortes ?

(4) Sur le plan individuel, c’est l’abandon généralisé. Il y a des centaines de personnes licenciées. Qui s’en occupe ? Il y a des milliers de sans-logis. Qui s’en occupe ? Il y a des milliers de personnes dépendantes de drogues de synthèse. Qui s’en occupe ?

Si je dois décrire notre société sous le régime actuel, je dirai que c’est comme une maison pas encore libérée des rats, des toiles d’araignées, de la poussière accumulée, de l’odeur de moisi et surtout des souvenirs du passé, pas très heureux.

* Il y a sans doute une amélioration du climat démocratique depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement de l’Alliance pour le Changement, mais quelles seraient les répercussions directes d’une cassure de cette alliance sur la société mauricienne ?

Il ne fait aucun doute que nous tous attendions un changement sur le plan de la démocratie.

Je dois vous dire que rien au fond n’a changé jusqu’à l’heure. Avec des nominations incestueuses. Certains ont été les vecteurs de la déchéance de MK par exemple, ils ont été retournés sans discernement.

Parlons-en des pratiques au sein de la police, de l’exploitation des banques touchant principalement les salaires, des accaparements qui continuent, etc.

La démocratie, qu’est-ce que c’est, sinon le pouvoir au peuple ? Ce pouvoir a été transmis aux députés de l’Assemblée nationale et à des membres de très importantes institutions constitutionnelles.

Suite à un constat de la situation, croyez- vous que si des élections se tiennent demain, ceux aux pouvoir seront en mesure d’obtenir une majorité ? La réponse est définitivement non.

Il existe certes des partis politiques hors de l’assemblée nationale. Il faudra sans tarder les prendre en considération. Trop de technocrates, d’étatistes et de populistes, dans leurs rangs. Certains vont retourner au bercail du pouvoir. Plusieurs ont été des ministres du MSM.

* Avec une grande partie de la population déjà sensibilisée par la réforme de la pension de vieillesse, la question des affaires de l’État ne risque-t-elle pas de devenir encore plus problématique en cas de rupture de l’alliance gouvernementale, notamment en termes de soutien populaire aux futures réformes ?

Je partage totalement ce point de vue. Le risque ici, comme cela existe en Angleterre et en France surtout, c’est une polarisation des extrêmes motivés par les considérations populistes.

Quand j’écoute Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, je me dis que la France est dans la merde. C’est dans ce contexte que j’ai écrit d’ailleurs au Président de la République française, pour lui proposer de passer à la Sixième République et surtout qu’il se débarrasse de ses pouvoirs régaliens.

Mon action se poursuivra sans relâche. Je m’adresserai aux détenteurs du pouvoir dans leurs fonctions respectives, comme je l’ai fait par le passé. Mon objectif est de construire plusieurs proto-alternatives dans tous les champs où je milite.


Mauritius Times ePaper Friday 14 November 2025

An Appeal

Dear Reader

65 years ago Mauritius Times was founded with a resolve to fight for justice and fairness and the advancement of the public good. It has never deviated from this principle no matter how daunting the challenges and how costly the price it has had to pay at different times of our history.

With print journalism struggling to keep afloat due to falling advertising revenues and the wide availability of free sources of information, it is crucially important for the Mauritius Times to survive and prosper. We can only continue doing it with the support of our readers.

The best way you can support our efforts is to take a subscription or by making a recurring donation through a Standing Order to our non-profit Foundation.
Thank you.

Add a Comment

Your email address will not be published. Required fields are marked *