“La dégradation du climat politique pourrait basculer dans une dégradation du climat social et donc économique…
nous ne pourrons pas continuer encore longtemps comme cela”
Interview : Dr Avinaash Munohur, Politologue
* ‘Les Mauriciens n’ont pas besoin de sauveurs. Ils ont besoin de décideurs capables de trouver des solutions rapides et efficaces face aux problèmes actuels’
* ‘La jeunesse fait face à un problème de logement, à un problème de pouvoir d’achat, à un problème de qualité de vie. Elle fait face à un certain désenchantement et à un pessimisme’
La célébration de l’indépendance de la République de Maurice est une opportunité pour évaluer le degré de maturité atteint, le développement de la capacité d’émancipation en termes économiques, sociaux et culturels après 56 ans. C’est aussi le moment de revenir sur l’ensemble des forces matérielles et spirituelles qui ont guidé la population pour ne jamais céder au pessimisme malgré les sacrifices imposés par la classe politique. Ce qui a toujours prévalu, c’est la préservation du droit de liberté et d’indépendance. Toutefois, si chaque gouvernement a accordé la priorité à l’édification et au développement, la traduction des aspirations politiques en actions concrètes ne fait plus l’unanimité chez les jeunes aujourd’hui. Dr Avinaash Munohur, politologue, élabore sur le sujet.
Mauritius Times : Il est coutume, dans le contexte de la célébration de l’indépendance, de faire le bilan du chemin parcouru depuis 1968 et d’envisager les perspectives d’avenir. Mais comme nous célébrons cette semaine les 56 ans de l’indépendance de Maurice, il nous semble plus important de nous attarder sur le présent et ses enjeux. Quelle analyse faites-vous de ce présent, justement?
Dr Avinaash Munohur : Le chemin parcouru a été admirable à bien des égards. Nous avons toujours eu des leaders qui ont su définir des directions claires et qui ont su saisir les opportunités qui se sont présentées. C’est comme cela que nous avons su déjouer les pronostics (les plus pessimistes d’ailleurs) quant à la pérennité de notre économie, en cultivant un esprit d’entreprise, de conquête et de résilience.
Le présent et ses enjeux sont nombreux et nous pressent déjà à faire évoluer notre réflexion sur ce que nous voulons pour notre pays. Les défis relèvent tout autant des enjeux géopolitiques, de la résilience au dérèglement climatique, de la transformation digitale et énergétique. C’est vraiment un autre monde qui est en train de se redessiner, avec des mutations profondes pour le monde de l’entreprise, de l’emploi, de la culture, etc.
Notre économie, elle, fait déjà face à des problèmes structurels. Malgré une relance solide après la pandémie, Maurice est extrêmement exposée aux disruptions du commerce mondial, de par notre trop grande dépendance aux importations – en énergies, en matière premières et en denrées notamment. Si nous rajoutons à cela les défis liés au dérèglement climatique et ceux posés par le vieillissement de notre population, nous constatons qu’il devient urgent de repenser un certain nombre de nos politiques publiques.
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* Sur le plan économique, vous affirmiez il y a quelque temps que nous étions arrivés à un point de basculement, mais nous constatons que les fondamentaux de l’économie tiennent toujours la route. Les secteurs productifs sont aujourd’hui en pleine ébullition, et le FMI devrait confirmer une croissance économique dépassant les 5% pour l’année dernière. Cela signifie-t-il que le système actuel fonctionne bien malgré les fissures que nous pouvons observer?
Il est clair que notre économie repose sur des fondamentaux qui sont aujourd’hui solides. La transition d’une infrastructure économique fondée sur le sucre vers la diversification que nous connaissons aujourd’hui a été un processus historique hautement stratégique pour le réalignement de nos intérêts nationaux. Et oui, la relance est bel et bien là, avec une croissance solide. Mais à y regarder de plus près, nous constatons que nous faisons face à des problèmes qui pourraient nous mener vers une situation très compliquée dans un avenir proche.
Par exemple, selon une récente étude de Mauritius Statistics, nous serons en régression démographique à partir de 2035. Cela signifie quelque chose de très simple : moins de jeunes vont devoir travailler plus afin de produire plus pour continuer à soutenir un modèle social qui devient de plus en plus lourd à financer. Nous faisons déjà face à ce problème, et la réponse actuelle est une politique migratoire extrêmement agressive, que ce soit au niveau des emplois hautement qualifiés qu’au niveau de la main d’œuvre ouvrière.
Nous sommes actuellement obligés d’adopter cette approche, ce qui nous permet de compenser l’exode des talents locaux et le problème du « mismatch » entre les formations et les besoins des entreprises. C’est également ce qui nous permet de maintenir un niveau de productivité correcte en soutien de la relance économique. Mais nous ne faisons, en réalité, que colmater les fuites, et nous ne pourrons pas continuer comme cela.
* Le pays connait un exode important de professionnels qualifiés, à la recherche d’opportunités à l’étranger. En tant que consultant politique, quelles stratégies proposeriez-vous pour créer un environnement qui non seulement retient les talents, mais motive également les individus qualifiés à contribuer activement à la croissance et au développement du pays?
Il est clair qu’il y a un pessimisme latent chez les jeunes, et notamment ceux qui ont l’opportunité de faire des études à l’étranger. Des pays comme la France, le Royaume-Uni, le Canada ou encore l’Australie bénéficient aujourd’hui de l’investissement du contribuable mauricien dans l’éducation nationale, puisque ces pays recrutent les Mauriciens talentueux qui préfèrent tenter leur chance ailleurs.
Il s’agit là d’un choix personnel qui relève de la liberté individuelle, mais nous nous devons de renverser cette situation. Les opportunités de l’économie mauricienne sont vastes et diverses aujourd’hui. Il suffit d’observer le nombre d’expatriés qui développent leurs entreprises ici pour constater que Maurice est un pays qui offre des opportunités intéressantes et un écosystème entrepreneurial attrayant.
Je ne dis pas que tout est parfait, mais les opportunités existent bel et bien pour ceux et celles qui souhaitent tenter leur chance. Il est trop facile de penser que l’herbe est plus verte ailleurs, notamment en reposant son jugement sur des conclusions hâtives et inadéquates. Mon travail de conseil m’a donné l’occasion de travailler avec des entreprises étrangères dans divers secteurs de l’économie locale, et je fais toujours le même constat : ces investisseurs savent profiter des avantages et des opportunités offerts par l’écosystème de l’économie mauricienne alors que les Mauriciens ont eux-mêmes parfois du mal à repérer et à saisir ces opportunités.
Il y a là clairement une responsabilité des décideurs pour envoyer les bons signaux, et ce, plus spécifiquement à la jeunesse. Des initiatives de placements en entreprise, des jobfairs (salons de l’emploi), des workshops (ateliers) exposant les jeunes aux nouveaux métiers sont des moyens d’ouvrir les yeux de notre jeunesse sur les différents débouchés qui s’offrent aujourd’hui à eux. Il faut clairement prendre le problème à la source même, qui est le système éducatif. Son adaptation doit se construire en tenant compte de l’impératif premier de l’économie mauricienne aujourd’hui : le développement de la créativité et d’un esprit de conquête chez la jeunesse.
* Par ailleurs, la diversité à Maurice est à la fois un défi et une force. Pouvez-vous discuter de certaines des inégalités et des obstacles qui persistent dans la société mauricienne? Pourquoi cela pose-t-il un problème à Maurice pour embrasser pleinement sa diversité et parvenir à la prospérité collective?
L’exclusion reste un défi majeur à relever. Et nous devons absolument comprendre comment l’exclusion est un phénomène économique et social, tout autant qu’il est un phénomène racial historiquement déterminé à Maurice. La volonté, d’ailleurs, de la construction du Welfare State (de l’État providence) et de la libéralisation de l’économie viennent précisément de ce désir politique de combattre les injustices de départ. Aujourd’hui, nous faisons face au fait que l’exclusion découlant de ces conditions historiques est l’une des vecteurs d’alimentation de l’économie parallèle.
En d’autres termes, régler le problème de la consommation et du trafic des drogues est directement lié, intimement lié même, à la nécessité de régler une fois pour toutes le problème de l’exclusion. Il faut donc prendre le problème également par ce biais, ce qui requiert encore une fois une approche différente quant au système éducatif, au développement des talents individuels, à l’épanouissement etc.
Nous devons mieux comprendre en quoi la diversité, et notamment la diversité mauricienne, est une ressource importante dans le monde entrepreneurial aujourd’hui. Par exemple, la capacité des Mauriciens à comprendre et à s’adapter à plusieurs langues et à plusieurs cultures est un atout majeur pour les entreprises aujourd’hui, et notamment les entreprises qui jouent directement dans le jeu de la globalisation. Celles-ci ont besoin de gens capables de s’adapter rapidement à la diversité, puisqu’ils sont eux-mêmes issus de la diversité.
De ce fait, le multiculturalisme relève d’une richesse qui n’est pas uniquement une richesse anthropologique : c’est également une richesse économique importante. C’est peut-être même une ressource majeure pour nous à condition que nous réussissions à développer des politiques plus efficaces dans la lutte contre l’exclusion…
* Lorsque l’on considère la dynamique de l’emploi et la présence de la main-d’œuvre étrangère à Maurice, quelles sont les complexités et les disparités évidentes sur le marché du travail? Et comment ces dynamiques affectent-elles les communautés locales et la stabilité globale de l’économie?
Le problème de l’emploi nous donne une porte d’entrée extrêmement intéressante pour toute une série de questions économiques et sociales. Nous faisons aujourd’hui face à tout un ensemble de phénomènes quant au problème de l’emploi : l’automatisation, la digitalisation (la numérisation), l’avènement de l’intelligence artificielle, la libéralisation du marché de l’emploi, la globalisation de ce même marché, ou encore l’impératif pour les individus d’accumuler un maximum de polyvalence afin de répondre aux défis actuels.
Mettons-nous à la place des entrepreneurs mauriciens. Ils font face à une concurrence globale féroce, à un marché mondial qui évolue à une vitesse où la capacité d’adaptation peut faire ou défaire une entreprise. Ils font face à l’impératif d’anticiper les changements globaux afin de développer leur résilience à ces mêmes changements, dans une globalisation qui nous donne que très peu de visibilité sur l’avenir. Les entreprises sont, de facto, plus prudentes quant au recrutement et aux investissements qu’elles réalisent. Elles doivent également faire preuve de plus de discernement et de plus de sagesse dans le calcul économique.
Dans une situation d’exode des talents locaux, il est clair qu’un nombre important d’entreprises doivent obligatoirement se tourner vers la main d’œuvre étrangère. Cette situation est aujourd’hui une réalité sociale que nous côtoyons tous quotidiennement, que ce soit au niveau des entreprises de la finance et du numérique qu’au niveau des secteurs de l’hôtellerie ou de la construction. En fait, nous sommes dans une situation où nous pratiquons une politique migratoire extrêmement agressive sans vraiment le dire.
Or, cette situation est en train de créer des frustrations qui ne sont pas sans rappeler les différentes formes actuelles du nationalisme, notamment en Europe. Il suffit de tendre un peu l’oreille sur le terrain politique actuellement pour entendre des choses du type « les étrangers prennent notre travail » ou encore « les Mauriciens deviennent des étrangers dans leur propre pays » . Et ce sentiment pourrait rapidement devenir un enjeu politique majeur si rien n’est fait pour y remédier.
L’Histoire de notre pays s’est construite sur les vagues migratoires, et notamment de la migration du travail. Nous avons toujours eu besoin de cette migration, et nous en aurons toujours besoin. Mais cela ne doit en aucun cas nous dédouaner de l’impératif de trouver des solutions efficaces aux problèmes du chômage des Mauriciens, et notamment du chômage des jeunes.
Je me désole souvent de la teneur des propositions politiques pour la jeunesse mauricienne. Ses problèmes sont trop rarement pris au sérieux, et nous comprenons mieux pourquoi elle se désintéresse des offres politiques, puisqu’un grand nombre de ces dernières ne leur parlent tout simplement pas.
La jeunesse fait face à un problème de logement, à un problème de pouvoir d’achat, à un problème de qualité de vie. Elle fait face à un certain désenchantement et à un pessimisme qui explique aussi l’exode vers d’autres pays.
* Quels sont les principaux défis auxquels Maurice est confrontée pour aligner ses politiques et sa mentalité sur l’évolution rapide du monde, alimentée par les progrès technologiques et l’évolution des dynamiques géopolitiques? Comment ces défis affectent-ils la capacité du pays à rester compétitif sur la scène mondiale ou à entreprendre une transformation significative?
Le défi d’une réforme en profondeur de l’éducation, de la formation et des métiers me semble absolument urgente. Notre ressource primordiale reste notre ressource humaine, et à l’ère du capital humain, il me semble que nous sommes dans l’impératif de donner les outils les plus adéquats à la jeunesse afin qu’elle puisse avoir les capacités de développer ses talents et s’épanouir pleinement. La résilience économique et sociale de Maurice dépend entièrement de la capacité de sa jeunesse à développer les capacités d’adaptation et de polyvalence que l’économie globale requiert aujourd’hui, et cela passe forcément par le système éducatif.
L’accent doit être mis sur la créativité tout autant que sur la polyvalence des savoirs utiles et utilitaristes. Prenez, par exemple, le cas des filières dites techniques, qui sont les enfants pauvres du système scolaire. La diversification économique de ces deux dernières décennies, et notamment le développement des industries des services a fait que les métiers manuels sont aujourd’hui en très grande demande. Qu’attendons-nous pour vraiment valoriser ces carrières qui sont autant d’opportunités pour les jeunes à s’épanouir économiquement et à accéder à l’entreprenariat ?
J’ai toujours prôné la mise en place d’un système de corps des métiers avec les formations, les soutiens en entreprise, les aides en financement et en micro-loans (micro-prêts) afin de permettre aux jeunes d’apprendre un métier selon les normes et les standards internationaux. L’artisanat, les métiers de bouche, les métiers liés à l’industrie du développement foncier, ceux rattachés au tourisme, à l’industrie du soin et du bien-être… Il y a tellement de débouchés pour les jeunes, mais il est impératif que les politiques publiques encadrent tout cela afin justement de produire les conditions de l’égalité, de l’équité et du progrès socio-économique pour tous.
Notre ressource la plus importante est notre capital humain. Ce sont les talents de notre jeunesse qui nous permettront de faire face aux défis actuels. Il est impératif de lui permettre de mieux se développer.
* Nous entrons dans la dernière année du mandat actuel de l’alliance gouvernementale, une période qui a été marquée de diverses manières, où les aspects moins favorables semblent avoir pris le dessus sur les aspects positifs. Quelle est votre opinion sur ce deuxième mandat de Pravind Jugnauth, en ce qui concerne ses méthodes et ses priorités?
Pravind Jugnauth s’attache à appliquer les méthodes du libéralisme économique, avec une certaine dose de pragmatisme. Si je dois résumer la chose, je dirai qu’il a compris qu’il faut produire de la croissance pour pouvoir redistribuer ses bénéfices via le modèle social. Les investissements dans les grands projets d’infrastructures en sont un exemple. Certains y voient uniquement l’endettement du pays, mais il faut dépasser cette vision pour comprendre ce qui est vraiment en jeu.
Les investissements en infrastructures sont une méthode qui permet au cercle de l’endettement de mieux fonctionner en réalité. C’est très simple au fond, et toute personne ayant contracté une dette auprès d’une banque peut comprendre cela : plus on a des actifs qui ont de la valeur, plus on est capables de contracter des dettes en utilisant ces actifs comme des garanties.
Or, c’est exactement comme cela que notre économie fonctionne aujourd’hui. C’est le moyen que nous avons trouvé pour continuer à financer notre modèle social dans une situation de baisse de la productivité et de vieillissement de la population.
Et Pravind Jugnauth, concernant le modèle économique qu’il souhaite défendre, s’inscrit clairement dans ce principe. Est-ce soutenable ? Pour le long terme non, mais c’est ce qui nous permet pour l’instant de colmater les fuites évoquées plus tôt. C’est une approche pragmatique qui fonctionne pour l’instant, en attendant la mise en place de politiques qui soient capables de répondre aux problèmes évoqués plus tôt, et qui prendront quelques années pour porter leurs fruits.
Concernant les aspects moins favorables, l’accumulation de scandales par certains membres du gouvernement jouent forcément contre lui actuellement. Nous verrons bien ce qu’il proposera comme stratégie pour se libérer de cela.
* Pravind Jugnauth a réussi à s’imposer en 2019 comme un jeune leader pouvant se mesurer aux vieux routiers de la politique que sont Ramgoolam et Bérenger. Un deuxième test l’attend en 2024, et il devra, cette fois-ci, se mesurer aux trois grands partis réunis ensemble pour les prochaines législatives. Quelles sont vos anticipations quant à sa capacité à relever ce défi et à maintenir sa position face à une telle coalition politique?
J’entends souvent dire que les plus grands alliés de Pravind Jugnauth sont Navin Ramgoolam et Paul Bérenger. Il y a sans aucun doute du vrai dans cela, mais c’est sous-estimer la connaissance du terrain du MSM. J’ai moi-même été coupable de cela par le passé, et je dois avouer que l’expérience réelle du terrain m’a ouvert les yeux sur beaucoup de choses.
Les Mauriciens sont de grands pragmatiques au fond, et ce, dans le vrai sens du terme. Et ce pragmatisme ne peut pas se résumer aux humeurs des réseaux sociaux, qui ne représentent qu’une infime minorité des opinions et des positionnements politiques.
À en croire ces mêmes réseaux sociaux, peuplés de sociologues, d’économistes, de politistes et d’anthropologues du dimanche, le gouvernement actuel se fera balayer par un 60-0 aux prochaines échéances électorales. Les choses sont loin d’être aussi claires que cela. Pravind Jugnauth possède des arguments de poids que l’opposition ferait bien de ne pas prendre à la légère, surtout s’ils restent dans leur posture de sauveurs du pays.
Les Mauriciens n’ont pas besoin de sauveurs. Ils ont besoin de décideurs capables de trouver des solutions rapides et efficaces face aux problèmes actuels, et notamment face au problème du pouvoir d’achat qui sera un enjeu majeur de la prochaine campagne électorale. De ce fait, les différentes augmentations de la pension de vieillesse et du salaire minimum viennent donner une solution à de nombreux ménages qui se trouvent dans le rouge.
Parallèlement à cela, le gouvernement continue de miser sur une augmentation des investissements en infrastructures. Ces investissements – comme le Metro Express, les fly-overs ou le pont de Sorèze – ont également pour objectif de permettre une augmentation de la productivité en accélérant les flux de circulation. Moins les Mauriciens passent du temps sur les routes, plus ils sont productifs.
La question de la productivité est absolument cruciale pour maintenir notre compétitivité, et les investissements en infrastructures sont absolument essentiels pour permettre l’augmentation de la productivité. Il faut même aller plus loin et plus vite en réalité, en investissant dans des infrastructures portuaires, numériques et énergétiques avant-gardistes.
Cela dit, le Premier ministre doit aussi regarder son bilan avec un regard critique et juste. Ses réussites – comme la gestion de la Covid-19, de la relance économique, de la sortie de Maurice de la liste grise du GAFI, etc. – ne doivent pas l’empêcher de voir où il aurait pu mieux faire, et où ses ministres auraient dû mieux faire. À partir de là, il devrait obligatoirement trancher afin que l’équipe qu’il présentera pour le prochain mandat soit meilleure que celle du mandat actuel.
Cet exercice pourrait être crucial lors de la prochaine joute électorale, surtout que l’opposition aura du mal à renouveler ses équipes du fait de la rareté des tickets disponibles dans une alliance à trois. La marge de manœuvre est définitivement plus importante du côté du MSM de ce point de vue.
* L’hostilité qui sépare le PTr et le MSM trouve ses racines initialement dans des philosophies politiques divergentes, cela depuis les années précédant l’indépendance. Par la suite, beaucoup de rancœurs (“bad blood”) et une guerre autour du leadership du tribut ont contribué à la détérioration des relations entre ces deux partis. Comment évaluez-vous l’impact de ce conflit prolongé sur la stabilité politique et sociale du pays?
Les rancœurs dont vous parlez découlent des joutes passées et par la nécessité de devoir justifier des postures actuelles. J’ai vu, par exemple, la page Facebook officielle du Parti Travailliste publier un post tentant d’expliquer que Sir Anerood Jugnauth était le plus grand traître de l’indépendance. Ça m’a bien fait rire car, d’un côté, SAJ est devenu PM après les deux dévaluations du FMI directement liées à la gestion catastrophique des finances publiques avant 1982.
La scission de 1983 s’est d’ailleurs jouée sur un différend idéologique profond. D’un côté, la branche qui allait devenir le MSM a fait le choix du libéralisme économique à un moment où le bipolarisme de la Guerre Froide vacillait grandement et qu’il était clair que le monde allait bientôt basculer dans la généralisation quasi-totale de l’économie de marché. De ce fait, la lecture libérale – à l’opposé de la vision économique de la planification alimentaire du « plant manioc » – était une lecture juste d’un moment unique dans l’Histoire de notre civilisation moderne.
Et c’est le gouvernement qui a été constitué en 1983 qui a remis le pays sur les rails de la croissance, de la sortie programmée de l’économie sucrière et de la diversification économique à travers une politique fiscale favorisant le climat des affaires et de l’investissement, ce qui a permis l’augmentation du niveau de vie que nous connaissons aujourd’hui. D’ailleurs, les Premiers ministres qui ont succédé à Anerood Jugnauth à partir de 1995 n’ont fait que continuer la libéralisation qu’il avait initiée, c’est vous dire à quel point ils pensaient que c’était la voie à suivre.
J’ai également ri parce que nous savons tous qui était opposé à l’indépendance, qui a encouragé l’exode de nos concitoyens vers l’Australie notamment, alors que leur pays accédait à une indépendance qui était inévitable de par l’effondrement progressive de l’Empire britannique ! Et nous savons surtout que le fils et le petit-fils de ce dernier sont actuellement en alliance avec le PTr. Comme quoi, tout peut se justifier, et le problème fondamental n’est pas celui de la rancœur mais bien plutôt celui de la compromission et des petits arrangements entre héritiers politiques.
Il me semble évident en tout cas que nous ne pourrons pas continuer encore longtemps comme cela, parce que la dégradation du climat politique pourrait basculer dans une dégradation du climat social et donc économique. Le respect entre les opposants politiques doit nécessairement être rétabli, nous ne pouvons pas continuer à opérer à un niveau aussi bas et aussi populiste. Les arguments de la majorité tout comme ceux de l’opposition doivent résolument adresser les enjeux sociaux, institutionnels et économiques, et non uniquement être dans le mode du « pa mwa sa, li sa », ce qui ne produit strictement rien d’autre que des bagarres de cour de récréation scolaire.
Mauritius Times ePaper Friday 15 March 2024
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