Interview Jooneed Jeeroburkhan
|Interview : Jooneed Jeeroburkhan
« Tous les esprits ne sont pas sclérosés au sein du MMM…
… un parti qui a la force de l’autocritique dans la défaite ne peut être donné pour mort ni même pour moribond »
* « Le PTr n’a pas besoin de « constituer maintenant une plateforme multiethnique ». Il n’a qu’à rester fidèle à lui-même et à ses racines… » * « Rama Sithanen n’est pas à la hauteur des défis auxquels Maurice fait face désormais. Il est même l’antithèse de ce dont le pays a besoin… »
Notre entretien avec Jooneed Jeeroburkhan, un des fondateurs du MMM, concerne un thème qui est sur toutes les lèvres : le pouvoir. Pouvoir politique, pouvoir économique, pouvoir des medias, pouvoir d’un parti politique de se surpasser pour gérer autrement un pays… Comment le PTr, parti politique majoritaire, compte-t-il mener à bon port la République de Maurice dans un contexte économique des plus incertains ?
Mauritius Times : Le conflit entre le groupe La Sentinelle et le gouvernement a acquis une nouvelle dimension avec l’annonce faite par le Journal du Samedi, et confirmée par le conseil d’administration de La Sentinelle, « d’une bataille enclenchée par la BAI pour prendre le contrôle » de ce groupe de presse. Comment réagissez-vous à cette annonce?
Jooneed Jeeroburkhan : Comme vous dites, le Conseil d’administration de La Sentinelle a confirmé que BAI cherche à acquérir des actions de ce groupe multimédia, et qu’il en a même acquis un petit nombre en offrant le double du prix du marché. Une telle « offensive » de « prédateurs » est normale, et le CA de La Sentinelle, en bon adepte de la théologie du marché, se contente d’ailleurs d’ « (inviter ses) actionnaires à distinguer la rumeur des faits et à (le) consulter s’ils ont besoin de renseignements fiables ou s’ils doivent prendre des décisions relatives à leurs actions ». Cependant, le CA affirme qu’au « dernier décompte des actionnaires… (il) sait pouvoir compter sur les droits de vote effectifs d’une confortable majorité de la compagnie ».
* Les directeurs de La Sentinelle disent ne pas connaître les « motivations réelles » de la BAI qui, ajoutent-ils, restent « voilées pour le moment ». Voyez-vous derrière cette initiative du Groupe BAI les mains d’un « mandator »?
Un mandator derrière l’initiative de la BAI visant La Sentinelle ? Difficile à dire. Ce qui est sûr, c’est que la dynamique de l’expansion pousse BAI à vouloir avaler La Sentinelle, dont l’empire médiatique lui fait concurrence, à Maurice et dans la région, c’est-à-dire sur le territoire même que lorgne la BAI. L’empire de Dawood Rawat suit ainsi la démarche qu’il décrit sur son propre site Web : “The strategy is to provide critical mass through captive business to develop the necessary resources and know-how that allows (our equity holdings) to expand in the market either through acquisition and mergers or organic growth”.
* Faut-il aussi souligner qu’à maintes reprises, l’express a évoqué les initiatives de la BAI dans le secteur des médias à Maurice – la BAI contrôle effectivement aujourd’hui un certain nombre de publications. Voyez-vous cet intérêt du secteur corporatif pour les médias avec appréhension ?
La concentration de la propriété des entreprises de presse doit inquiéter tout citoyen soucieux de la pluralité des voix dans les médias, donc d’un espace politique ouvert et équilibré, ne serait-ce qu’au niveau de la parole. L’appétit de la BAI, dont la proximité avec le nouveau gouvernement est bien connue des Mauriciens, me paraît d’autant plus menaçant que ce holding financier multisectoriel et multinational semble s’être retiré de la Bourse sans que nos médias en explorent les raisons. Est-ce pour économiser sur les frais? Est-ce pour échapper à la surveillance et aux règlements? Et où la BAI va-t-elle trouver des fonds nouveaux? En empruntant à bas taux auprès des banques, auprès de sa propre banque? L’information financière à Maurice souffre d’une faille que nos médias doivent absolument combler. Même l’express, qui a dénoncé la BAI comme il ne l’a jamais fait contre aucun autre groupe financier mauricien, n’a pas examiné cet exercice de delisting boursier du groupe Rawat.
* Dans le discours-programme 2010-15, tout en affirmant son engagement en faveur de «privacy rights and freedom of expression » et son respect pour un « plural, fair and independent media », le gouvernement dit son intention d’introduire une législation pour réformer la loi relative aux médias. C’est, sans doute, un Press Council ou une Media Commission qui verra le jour dans cette optique. C’est la presse qui l’aura cherché ?
Dans le cas de l’amendement promis au Discours-Programme 2010-2015 pour réformer la loi sur la presse et renforcer les pouvoirs de l’IBA afin de « professionnaliser le métier de journaliste, instituer un code de déontologie et protéger la vie privée des citoyens », il est à souhaiter que le gouvernement se limite à assainir le contexte sans s’arroger le droit de policer les médias. La presse ne l’a pas cherché, non. C’est un groupe de presse, en l’occurrence La Sentinelle Ltée, qui l’a provoqué — en gommant la mince ligne séparant presse et pouvoir. Acculé après avoir joué les protagonistes, les faiseurs de roi, les confidents, les conseillers, les entremetteurs, et les historiens tout à la fois, l’express s’est alors drapé dans l’étendard de la liberté d’expression violée pour crier au loup. Tout en se solidarisant face à l’arbitraire du pouvoir, la profession, patrons et employés confondus, se doit de rappeler l’express à l’ordre.
Les Press Councils ou Media Complaints Commissions qui fonctionnent le mieux dans le monde sont indépendants des gouvernements. Ce sont des « tribunaux d’honneur », composés de patrons de presse, de journalistes et de représentants du public, dont la mission est d’assurer le fair-play dans le reportage, l’analyse et le commentaire, et de veiller au respect des faits et de la réputation des citoyens. Ils servent — en fait — à autoréguler la profession, les médias, étant encadrés par des pairs. Au Québec, le Conseil de presse reçoit même une subvention du gouvernement. Mais son autonomie face au gouvernement est totale. Là où les « Conseil de presse » sont statutaires, c’est-à-dire gérés par les gouvernements, comme au Bangladesh, au Sri Lanka ou au Malawi par exemple, ils sont des échecs lamentables. La raison est simple : ils sont boycottés par les médias alors qu’ils ont besoin de leur coopération pour fonctionner normalement.
«Je redoute trois journaux plus que 100,000 baïonnettes», disait Napoléon. « Réprimez un peu les journaux, faites-y mettre de bons articles, faites comprendre aux rédacteurs… que le temps de la Révolution est fini et qu’il n’y a plus en France qu’un parti », a-t-il même écrit à l’infâme Fouché, son ministre de la Police. Navin Ramgoolam n’a pas intérêt à s’engager sur cette pente dangereuse. Fort de sa majorité et de la maîtrise des techniques de communication, il peut et il doit se défendre en toute transparence. Notre démocratie ne s’en portera que mieux. Le Press Council, c’est à la profession de l’instituer
* Une bonne partie de ce Discours-Programme 2010-15 est consacrée au combat contre la pauvreté avec la mise en place du ministère de l’Intégration sociale et de l’Economic Empowerment, ceci en vue de combattre l’exclusion, promouvoir une croissance soutenable et un développement social solide tout en assurant que le processus de la démocratisation de l’économie atteigne chaque section de la population. Tall order, n’est-ce pas ?
Tall order ? Oui, si le gouvernement reste figé dans son respect du système économique dominant. La « philosophie » qu’il évoque dès le début de son Discours-Programme est résolument « Fabian ». Il met « l’efficience économique » et « la justice sociale » sur le même pied, mais une lecture complète du document montre que l’économie l’emporte sur le social. Le gouvernement ne veut ni secouer ni encore moins restructurer l’économie. Sa « démocratisation de l’économie » consiste seulement à “further broadening the economic and business circle in the country”. Dans un tel contexte, le ministère de l’Intégration sociale et de l’Economic Empowerment aura fort à faire juste pour colmater les brèches, rafistoler les dégâts causés par 300 ans d’exclusion, et surtout pour jouer aux pompiers face aux rechutes et aux reculs que le modèle d’économie libérale ne manquera de provoquer sur fond d’une crise mondiale durable.
Mais si le gouvernement se met en besogne avec une philosophie plus radicale, avec une approche ayant plus de mordant, avec conscience de la nécessité de démanteler l’apartheid économique dans une perspective écologique et durable, et conformément aux Conventions de l’ONU sur les droits civils et politiques, et sociaux et économiques, la réponse est Non.
En encadrant le capitalisme par son système communiste, la Chine a donné de la nourriture et du travail à des centaines de millions de ses citoyens, une réussite sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Les travailleurs chinois commencent même à réclamer et à obtenir des hausses de salaires.
Que sont les 7,000 familles mauriciennes vivant dans la pauvreté absolue, recensées par le National Economic and Social Council, ou même les 100,000 pauvres (hausse de 10% sur 10 ans), au regard des 1,3 milliard de Chinois? Une goutte dans l’océan. Mais une goutte qui grossira sans cesse si le système économique est maintenu en place. C’est dans la nature du capitalisme d’engendrer la pauvreté. Même la Banque mondiale et le FMI ont fini par reconnaître que leurs recettes ultralibérales des 25 dernières années, si elles ont enrichi les riches, ont appauvri les pauvres davantage encore. Éliminer la pauvreté tout en cultivant le capitalisme, surtout le capitalisme dinosaurien qui est le nôtre, est une tâche sisyphéenne.
* Un groupe de réflexion composé de militants a rédigé une analyse des raisons de l’échec de la stratégie politique du MMM lors des dernières élections et ses perspectives d’avenir. Analyse intéressante qui propose deux options pour le MMM : primo, continuer sur la même voie, continuer à mobiliser les minorités et entamer d’éventuelles négociations avec le PTr ou le MSM pour une alliance comme junior partner ; secundo, abandonner la stratégie minorités/majorité, se concentrer sur la consolidation du parti, retourner aux sources, à ses valeurs fondamentales traditionnelles, etc. Croyez-vous que le MMM soit capable de prendre la deuxième option ?
J’ai lu le texte dans Le Mauricien en ligne. Il est courageux, lucide et limpide. Il montre que tous les esprits ne sont pas sclérosés au sein du MMM. Un parti qui a la force de l’autocritique dans la défaite ne peut être donné pour mort ni même pour moribond. Mais il faut d’abord rappeler ce que précise le journal : « Alors que la direction semble se satisfaire des 42% de l’électorat qui ont voté pour le MMM, des militants…, réunis dans un petit groupe de réflexion, ont rédigé le texte suivant qui circule en interne dans les instances du MMM. Ces militants, qui tiennent à garder l’anonymat pour des raisons évidentes, nous ont demandé de publier ce texte en espérant qu’il suscitera, enfin, un vrai débat public sur les raisons de l’échec de la stratégie politique du MMM et ses perspectives d’avenir ».
Si l’on comprend bien, le texte reste secret, les auteurs restent anonymes, et le débat interne se fait attendre. Le MMM est-il capable de prendre la 2e option? C’est au MMM d’y répondre. Attendons que le texte circule ouvertement, que ses auteurs se dévoilent, et que le débat interne s’amorce pour de bon. C’est l’occasion en or pour le parti de pratiquer la démocratie interne qui lui fait cruellement défaut. La saisira-t-il, cette occasion ?
* Autre fait remarquable dans cette analyse, telle que publiée, c’est l’évocation des perspectives d’avenir du MMM qui seraient facilitées soit par la mise à l’écart de Paul Bérenger soit par la prise en charge du MMM par « un autre militant acceptable au parti ». Cela vous surprend-t-il ? Voyez-vous Bérenger se laisser faire ?
Oui, c’est frappant que, dans les deux options, les auteurs évoquent le départ de Paul Bérenger. « Il sera plus facile pour le MMM d’accepter d’être un junior partner sans Paul Bérenger comme leader, et cette formule sera plus acceptable pour le senior partner aussi », écrivent-ils. Et ils ajoutent : « (Le) retour aux sources et l’abandon de la stratégie minorités/majorité (pour) se concentrer sur des questions économiques et sociales (peuvent) se faire sous le leadership de Paul ou d’un autre militant acceptable au parti ». Bérenger se laissera-t-il faire? Attendons voir. Selon Subash Gobine, Paul Bérenger s’est montré plus entertainer que tribun durant la dernière campagne électorale. Peut-être s’est-il assagi. Peut-être découvre-t-il, enfin, sa vraie vocation. On verra bien. Il fait plutôt jeunot à côté de Charles Aznavour, qui a 86 ans. Henri Salvador s’est éteint en 2008 à 90 ans…
* Selon les bruits qui courent, il semblerait qu’une faction au sein du MMM privilégierait effectivement la mise à l’écart de Paul Bérenger au profit de Rama Sithanen. Ainsi « l’ami Rama » deviendrait le challenger de Navin Ramgoolam. Sithanen bénéficiera sans doute d’un soutien médiatique important, mais pensez-vous qu’il dispose du profil et du bagage idéologique/historique nécessaire pour galvaniser l’électorat du MMM?
Ce dont le MMM a besoin, c’est d’une véritable révolution qui reprenne ses idées de 1968-69 et qu’il les actualise dans le contexte du 21e siècle et de la nouvelle mondialisation. Ces idées concernent, essentiellement, l’unité nationale et l’égalité citoyenne par la culture de la conscience de classe, la mobilisation tous azimuts pour démanteler l’apartheid économique, la conquête de la fierté et de la dignité par et pour notre peuple aux identités plurielles qui a profondément intégré les traumatismes de notre passé de viol, de violence, d’iniquité, d’injustice, d’arbitraire et de déshumanisation – tous des maux qui se prolongent dans notre présent.
Les actualiser implique s’adresser à de nouvelles générations nées dans le cyberespace, englober pleinement le combat des femmes pour l’équité et l’égalité, épouser la militance écologiste, assumer l’entière territorialité de l’État-archipel aux 2 millions de km2 d’espace et de ressources marins, équilibrer notre vieille dépendance sur les métropoles occidentales par le resserrement de liens régionaux et des échanges Sud-Sud, et jouer notre rôle, si petit soit-il, dans la nouvelle mondialisation non-colonialiste et multilingue qui s’installe aux côtés de l’Inde, de la Chine, de l’Afrique du Sud et du Brésil. On dit qu’il n’y a pas de petit rôle au théâtre. Dans la nouvelle Histoire qui se construit non plus.
Et Rama Sithanen n’est pas de taille. C’est un garçon qui a réussi à la force du poignet. C’est admirable. Mais il a le défaut de ses qualités. Étant passé du gatopiman à l’Échiquier, via le LSE et Brunéï, il est convaincu d’être mieux que tous les capitalistes à même de maîtriser et de faire prospérer le capitalisme! Quitte à subventionner le secteur privé à coups de Stimulus Packages montés avec des fonds publics et laisser les contribuables se contenter d’un trickle-down aléatoire.
* En tant que membre-fondateur du MMM, comment allez-vous réagir devant une telle annonce – « Rama Sithanen : leader du MMM » – même si c’est fait en vue d’assurer une transition quelconque?
Comment je réagirais? Je citerais quelques appréciations prises au hasard.
« Rama Sithanen est très apprécié par la majorité des plus puissants acteurs économiques de Maurice. Il est le plus fervent défenseur du marché », a écrit un commentateur de ses amis.
«Personne au sein de l’alliance bleu-blanc-rouge n’a le niveau encore moins la compétence de Rama Sithanen», a estimé Jacques de Navacelle.
« Depuis son fameux Setting the Stage for a Robust Growth jusqu’à son Stimulus Package en passant par ses trois Budgets, Sithanen a fait des cadeaux supérieurs à Rs 45 milliards aux tout-puissants, alors que la population a été systématiquement épluchée, ne recevant que des miettes par occasions », a dit Pravind Jugnauth en 2009.
« Il faut un nouveau modèle économique en rupture avec le paradigme néolibéral qui a provoqué plusieurs crises successives : alimentaire, économique et climatique. Les priorités doivent être : une souveraineté alimentaire, une réforme agraire, une « incentive » sociale pour encourager l’agriculture bioécologique dans chaque famille, un soutien massif aux pêcheurs pour une nouvelle politique de pêche, un investissement public massif dans l’énergie renouvelable, un nouveau système de transport public, collectif et gratuit, une démocratisation technologique et des connaissances, un Stimulus Package de Rs 1000 pour chaque employé pour relancer la production locale… Je ne crois pas que Rama Sithanen proposera de telles mesures. Il manque de vision et il est trop borné dans son ultralibéralisme », a estimé Ashok Subron.
Ce n’est pas pour rien que Sithanen s’est attiré le sobriquet de « Black Paul ». Et que Le Défi lui a fait le poisson d’avril de le consacrer « The World’s Greatest Business Mind »!
S’il y en a, au MMM qui voient Sithanen prendre la succession de Bérenger, on peut penser que Vishnu Lutchmeenaraidoo n’est pas de ceux-là car c’est lui qui aurait été ministre des Finances s’il y avait eu alliance entre le MMM et le PTr! Non, Rama Sithanen n’est pas à la hauteur des défis auxquels Maurice fait face désormais. Il est même l’antithèse de ce dont le pays a besoin.
* Par ailleurs, les rédacteurs de l’analyse des raisons de l’échec du MMM notent que « la diabolisation de Paul Bérenger ne marche plus comme avant… Maintenant, l’accent de l’adversaire (le PTr) va être sur la constitution d’une plateforme multiethnique pour combattre le MMM. Le MMM sera présenté comme le parti des minorités qui n’a aucune chance d’accéder au pouvoir sur cette base ». Stratégie payante qui bénéficiera du support du ministère de l’Intégration sociale et de l’Economic Empowerment, direz-vous ?
Les militants masqués auteurs de l’autocritique écrivent en effet que « la diabolisation de Paul Bérenger ne marche plus comme avant ». À ce théorème, j’ajouterais un corollaire : « le charisme de Bérenger non plus ne marche pas comme avant ». Après 40 ans, le corps sociopolitique de Maurice semble avoir généré des anticorps efficaces au bérengérisme. Le pays a dompté le phénomène. So jab finn desann, Bhoot outar gayla!
Pour ce qui est du Parti travailliste, il est né comme un parti national, il est le premier parti vraiment national de notre histoire, il a toujours constitué une plateforme multiethnique. C’est l’oligarchie qui s’est employée à le rabaisser au rang d’un parti « communaliste hindou », en usant du communalisme, justement, pour en raboter « les franges minoritaires », et pour monter, avec les copeaux, une « majorité » contrôlée et téléguidée par elle, la plus petite, la plus exclusive, et la plus puissante minorités d’entre toutes. Le PTr n’a pas besoin de « constituer maintenant une plateforme multiethnique ». Il n’a qu’à rester fidèle à lui-même et à ses racines.
Ce que le PTr a perdu en cours de route, ce n’est pas son caractère « multiethnique », même si Jules Koenig et Gaëtan Duval ont pu entamer sa plénitude nationale à certains moments. Ce qu’il a perdu, c’est son radicalisme, son populisme disons-le, son charisme de mouvement de masse porteur de l’espoir de tout un peuple assoiffé de dignité, du droit de vote, d’indépendance, de droits civils et politiques, économiques et sociaux. Sa période glorieuse va de 1947 à 1967. Le PTr a, lui aussi, perdu son charisme. Il a été dompté, lui, par le gradualisme britannique, par l’indépendance sur un plateau d’argent, par les projets des oligarques et des métropoles pour protéger et renforcer l’apartheid économique au-delà du démantèlement de l’apartheid politique.
Le MMM a voulu reprendre le flambeau dès 1969, mais Bérenger a vite montré que cette émulation était pur mimétisme historique, juste pour la forme, pour charrier les masses dans une agitation sans merci contre le jeune État indépendant, mais que le contenu révolutionnaire, propre à approfondir et à élargir la vision travailliste, n’y était pas. Si le PTr veut se relancer durablement, il doit dépasser ce que vous appelez « la stratégie payante » axée sur le ministère de l’Intégration sociale et de l’Economic Empowerment, dépasser les micro-ajustements, les modulations qui font rêver les pauvres sans faire peur aux riches, et articuler une vision forte et claire digne du réveil de l’Amérique latine du 21e siècle, par exemple.
* Si Le Labour réussit dans ses efforts pour recruter encore plus d’éléments valables parmi la Population générale et les musulmans et ainsi de se positionner comme un parti multiethnique, il n’aura que faire éventuellement du MSM ou même du MMM. C’est « do-able », pensez-vous ?
Le PTr peut envisager de se passer d’alliances, oui, c’est faisable, do-able, comme vous dites, mais à cette double condition seulement : qu’il renforce son caractère multiethnique et national, et qu’il radicalise sa philosophie au-delà de sa « démocratisation de l’économie », velléitaire, pusillanime et timorée. Autrement, le MSM ou quelque clone persistera toujours dans le paysage. La tradition bissoondoyaliste est bien enracinée, à la campagne surtout. Les ambitions sont trop multiples et le pays est bien trop petit : le divisionnisme et le fractionnisme sont inévitables. Et la gauche a fait un grand pas au scrutin de 2010 quand Resistans ek Alternativ et Mouvman 1er Mai ont constitué le Platform pou enn nouvo Konstitisyon (PNK) et lancé le mot d’ordre du vote blanc, mot d’ordre que Lalit a émis de son côté.
Le MMM et le PTr vont beau chercher à phagocyter les forces de gauche, le combat des femmes, les mouvements des jeunes, le courant écolo, et les forces vives, ils n’arriveront jamais à présenter au peuple « The Real Thing », un vrai parti de gauche qui viendra libérer notre génie créateur, résoudre notre clivage Nord-Sud interne, nous réconcilier avec nous-mêmes et avec le monde. Seule la gauche peut relancer un vaste et ample mouvement national, et rallumer, sur fond du grand rééquilibrage global, le feu sacré du combat politique dans les cœurs. Mais le pays ne suivra plus une autre gauche factice comme le MMM – dont la cynique trahison explique d’ailleurs, en bonne partie en tout cas, la longue traversée du désert de Lalit, Resistans ek Alternativ, et du Mouvman 1er Mai La nouvelle gauche sera authentique ou ne sera pas.
* Nous sommes au tout début du mandat du gouvernement de l’Alliance de l’Avenir, mais pouvez-vous déjà vous faire une idée de la stratégie des uns et des autres au sein de cette alliance?
Les uns et les autres au sein de l’Alliance de l’Avenir, c’est essentiellement le PTr et le MSM. Or, le premier a trois fois plus d’élus que le second, et dispose d’un contrôle effectif du Conseil des ministres – avec une réserve considérable de back-benchers ministrables. Beaucoup de salive a été gaspillé sur la soi-disant « générosité » de Navin Ramgoolam envers Pravind Jugnauth. Mais celui-ci est redevable au PTr depuis son élection à la partielle du no 8 en 2009. Il a aussitôt professé au gouvernement une opposition « loyale » et il a tenu parole. Son père, Président de la République, a tourné la page sur la campagne de 2005 où il avait commis plusieurs « faux pas » en tentant de soutenir son fils et le MSM contre le PTr de Ramgoolam. Il semble maintenant que Pravind Jugnauth, ministre des Finances, ait plus d’empathie pour la « démocratisation de l’économie » si chère au Premier ministre que n’en éprouvait son prédécesseur Rama Sithanen, qu’il a lui-même taxé d’ « ultralibéral ».
On est, comme vous dites, au tout début du mandat du gouvernement. Mais un accroc a déjà marqué son entrée en piste : le refus coup sur coup de Pravind Jugnauth et de Maya Hanoomanjee, ministre du MSM elle aussi, d’admettre l’express à des points de presse. Le Premier ministre n’a rien dit et qui ne dit mot consent. Mais Navin Ramgoolam est-il confortable avec une telle entorse aux règles de la démocratie parlementaire?
Pour le reste, tout semble au beau fixe. Aucune friction n’est en vue. Ce qui ne veut pas dire qu’il en sera toujours ainsi. Des remous peuvent se produire en tout temps en politique. La crise économique va empirer, sous l’effet combiné du ralentissement états-uniens et des affres de la zone euro.
Bérenger se laissera-t-il tenter à débaucher le MSM pour mettre Ramgoolam en difficulté, surtout si des élus PMSD, rodriguais et le loose cannon Cehl Meeah se mettent de la partie? Après l’interview du chef de l’État durant la campagne électorale et ses confidences sur Bérenger, on est tenté de dire que le MSM ne s’alliera jamais plus avec le MMM. Mais justement, en politique, il ne faut jamais dire jamais. D’un autre point de vue, une alliance PTr-MMM est-elle à exclure ? Surtout si, la crise s’aggravant, Ramgoolam se sent le besoin de renforcer sa caution auprès du secteur privé national et international?
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