Au-delà du Pont de Terre Rouge : L’évolution discrète de l’île Maurice

Carnet Hebdo

Par NitaChicooree-Mercier

Le pont de Terre Rouge, attendu depuis des années, est une véritable aubaine pour les automobilistes. Sa construction, que nous observions patiemment aux quatre embranchements du rond-point en attendant le signal de passage du “gabelou” de service, a été chaleureusement accueillie. En effet, son ouverture a mis fin au stress généré par un embouteillage devenu insupportable.

C’est un pont singulier, le plus triste de l’île, n’ayant connu ni ruban ni discours d’inauguration. Sans doute classé comme une création “illégitime” ou de “paternité gênante”, il fut privé de baptême. Du jour au lendemain, les automobilistes se dirigeant vers le nord ont pu se laisser glisser agréablement sur le pont, comme des enfants dans un manège qui les propulse joyeusement en l’air. Ce passage aérien rompt la monotonie du paysage plat du réseau routier, offrant une légèreté bienvenue quotidiennement. Plus d’attente, plus de stress, plus de temps perdu : un véritable changement pour les usagers.

En attendant les voitures volantes, une ligne de tramway reliant le nord et l’est à partir de l’aéroport serait souhaitable à l’avenir. Actuellement, le trajet Plaisance-Nord en taxi est plus onéreux que celui d’Orly vers le centre de Paris. La possibilité de contourner la capitale et de se déplacer sans que Port-Louis ne soit un passage obligé est à envisager. Hormis quelques esprits chagrins que la présence même du métro dérange, personne ne rechigne à la venue de plus de modernité et de confort. Le sud et le sud-ouest de l’île présentent des opportunités de développement d’infrastructures qui bénéficieront au public dans le long terme. Un transport en commun moderne et rapide serait bien plus attrayant que l’offre actuelle, doublement pénalisante en temps perdu et en inconfort.

Depuis plus de deux décennies, travailler à Ébène était perçu comme un symbole de réussite professionnelle ; une aura de prestige enveloppait quiconque désignant la Cybercité et ses multiples tours comme lieu de travail. Calquée sur un modèle indien, cette concentration de tours était nécessaire et a ouvert la voie à d’autres projets, compte tenu du développement économique et de la profusion des compagnies offshore.

Heureusement, les Business Parks sont sortis de terre comme des champignons à travers l’île ces dernières années, permettant à des milliers de jeunes de travailler à une distance raisonnable de leur domicile, sans être contraints de parcourir des kilomètres et de changer deux fois de bus pour se rendre à Ébène. Ces centres d’affaires sont les “petits frères” d’Ébène, et, fort heureusement, leur légitimité n’est pas contestée !

Un changement de mentalité subtil mais profond

Il y a des transitions à peine perceptibles parce qu’elles s’opèrent dans le silence. Elles avancent à pas feutrés et transforment le regard sur soi-même, la vie professionnelle et la société. Slogan tapageur ni tambour, une autre approche se met en place, gagnant en authenticité et en humilité. Ce n’est pas tombé du ciel du jour au lendemain, mais cette manière différente de se percevoir, de saisir les opportunités d’évolution de carrière et de mesurer les avantages en termes de qualité de vie s’est installée au fil de l’expérience.

Celle-ci fut provoquée par la prospérité déferlante des décennies qui ont suivi l’indépendance, ce qui a ouvert la porte au plein emploi et au consumérisme, aiguisant un esprit de compétition à tous les niveaux et dans tous les domaines, et créant une culture de l’apparence fondée sur la possession : maison, voiture, diplôme et lieu de travail. Les fortes inégalités qui subsistaient entre les classes sociales aisées et les autres se sont estompées de manière significative ces dernières années. Plus de gens ont eu accès à la consommation et aux loisirs. Tandis que le consumérisme s’envolait à ailes déployées, une prise de conscience de l’artificiel s’est fait sentir.

Les divers Business Parks délocalisés dans les régions rurales ont changé la donne. Les jeunes diplômés des villages préfèrent travailler à proximité de leur domicile. La capitale a progressivement perdu de son attrait, et Ébène est laissé à ceux qui y trouvent un avantage de proximité, ou à ceux du Sud qui ont le choix entre les Business Parks de leur région et la Cyber Cité. Désormais, l’environnement et la qualité de vie sont des critères non négligeables dans le choix que font les jeunes issus de l’université. Tant mieux. Il fallait que tout ce beau monde, pris dans le tourbillon de la prospérité et de la course aux “bonnes affaires”, retombe sur ses pieds, à commencer par les jeunes adultes.

L’horizon n’est pas infini dans les centres d’affaires, mais y mettre le pied est déjà un bon début pour affûter la motivation et le dynamisme. Et ils peuvent changer de centre pour mieux satisfaire leurs ambitions. C’est la question de l’environnement où sont situés les Business Parks qui nous intéresse ici. Les villages offrent l’espace souhaitable pour créer un lieu de travail paisible avec jardin et café. Ceux de Labourdonnais et de Calebasses en sont des exemples. Le jardin bien entretenu de l’un, dans un quartier presque inhabité, et les grands arbres de l’autre, les protègent de toute pollution sonore. Le dernier-né des Business Parks à Arsenal est un véritable bijou. Si le bâtiment abritant les bureaux est plutôt quelconque, c’est la végétation environnante et la sérénité du lieu qui lui confèrent un cachet particulier. Ce sera de plus en plus un luxe de pouvoir travailler dans de tels cadres. Soyons-en sûrs. Hormis quelques magasins de luxe, il lui manque une cafétéria pour l’instant. Et aucune compagnie d’autobus ne dessert la nouvelle route qui passe à proximité. Mais quel lieu apaisant et agréable !

Défis urbains et aspirations sociales

Port-Louis est surpeuplée de bureaux, de passants, de magasins et de marchands bruyants. En octobre 2024, la rue devant le marché s’est de nouveau affranchie de tout règlement, envahie par les marchands ambulants. Au dernier passage, le chaos a repris ses droits ; outre le désordre et les déchets jonchant le sol, les uns et les autres s’interpellent bruyamment dans une ambiance carnavalesque. Selon les heures, ces derniers jouent à cache-cache avec les agents de l’ordre public. Dès que ces derniers quittent les lieux, les marchands étalent leurs marchandises sur la route. C’est comme un accord tacite entre policiers et marchands, l’ordre et le désordre apparaissent à tour de rôle. À l’entrée de la rue, le marchand de journaux attend patiemment les clients ; sur ses cartons, les quatre journaux se tiennent compagnie en bonne entente. Le langage ordurier de quelques excités exacerbe la pollution sonore du lieu.

Nous félicitons donc ce partenariat public-privé qui a permis de délocaliser les lieux de travail à travers l’île, offrant aux jeunes une vie professionnelle pratique dans des cadres agréables. Le consumérisme effréné et la culture des apparences ne disparaissent pas par décret, mais divers facteurs font que la qualité de vie s’apprécie désormais sur d’autres critères.

Les villages ne manquent de rien ; marchés, magasins, loisirs et centres commerciaux en ont fait des lieux autosuffisants en quelque sorte. Il ne manquerait plus qu’un ministère soit transféré entre Pamplemousses, Arsenal et Calebasses. Les besoins sont infinis : terrains de sport, jardins d’enfants quasi inexistants de nos jours, Drama Clubs et un théâtre. Il y a du chemin à faire pour l’épanouissement des habitants et pour combler le vide que la poursuite du progrès matériel a asséché pendant trop longtemps. Mais c’est déjà un bon début pour les jeunes adultes qui entrent sur le marché de l’emploi.

Si le pont de Terre Rouge ne passe pas inaperçu et que nous lui sommes reconnaissants d’exister, nous saluons aussi le développement des infrastructures qui permettent aux sociétés privées et étrangères de s’implanter un peu partout et d’embaucher tant de jeunes diplômés. Et nous ne pouvons qu’espérer que la société, et surtout la jeune génération, se défasse de l’artificiel et d’une certaine mentalité, pour s’approprier les critères d’une vie saine.


Mauritius Times ePaper Friday 1 August 2025

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