Infinity : Les jeunes passent à l’action !

Par Vina Ballgobin

Infinity, une des plus grosses entreprises de BPO, emploie plus de 400 personnes. Ils sont âgés de 18 à 60 ans, avec une majorité de jeunes. Dans la pyramide des « call-centres », la base comporte plusieurs « télé-agents » (de Rs7,500 à Rs15,000 mensuel), un superviseur (Rs18,000 à Rs23,000. par mois), un ou deux assistants chefs de plateau – ACDP (Rs23,000), un chef de plateau, 3 ou 4 responsables de production et un directeur de production.

Il existe aussi des directeurs pour d’autres départements comme l’administration et les ressources humaines… Parmi eux, 30 « télé-agents » se portent volontaires pour entamer une grève de la faim. Un d’entre eux est né en France de parents mauriciens… Arrivé depuis 8 mois, il travaille depuis 7 mois à Infinity. Il y a des célibataires, des mères de famille, des jeunes couples…

Ce qui frappe d’abord, c’est que les jeunes connaissent bien le système capitaliste. La majorité est né dans ce système dans notre propre pays et comme ils le disent si bien : « Quand nous avons intégré Infinity, on nous a expliqué qu’il ne fallait pas attendre de la reconnaissance, que nous soyons excellents ou non, dans notre emploi. » Ceci explique que les employés ont décidé d’exiger leur salaire et de s’en aller ailleurs, à la recherche d’un autre emploi.

Les salariés de ce secteur acceptent leurs conditions de travail. Les horaires de travail sont de12H30 à 22H30 ou de 13H30 à 23H30 (en fonction des heures d’été ou d’hiver en France). D’après leurs dires, ils ont un « pain-saucisse » après 21H00 et ceux qui font « enn karem » n’ont pas d’autre menu.

Le monde du travail aujourd’hui est cruel et instable, tous les jeunes dans plusieurs secteurs de l’emploi en parlent : absence de méritocratie dans le secteur privé, hypocrisie, critères de promotion opaques, sens aigu de la hiérarchie qui affecte l’attitude et le comportement de certains envers ceux qui sont au bas de la hiérarchie, paiement en retard, paiements différés. Ils sont conscients d’appartenir à une époque où l’on peut aussi se retrouver à la porte d’une entreprise en masse du jour au lendemain. Il paraît même que lors des formations, certains ne touchent aucun « stipend », contrairement à ce qui est stipulé légalement. Ils acceptent cette situation afin d’être parmi les heureux embauchés à la fin de la période de formation.

Après avoir attendu en vain leur salaire mensuel depuis trois mois, les employés de Infinity se posent des questions :

1/ L’argent arrivera-t-il un de ces jours comme le leur dit Jean Suzanne ?

2/ D’abord, il y a eu les problèmes financiers en 2008, puis les retards de paiement, ensuite l’absence de paiement. Peut-on continuer à emprunter de l’argent pour vivre et payer les « loans » ? Comment payer les dettes qui s’accumulent depuis trois mois ?

Organisation de la grève

Tant bien que mal, la grève s’organise. Heureusement les familles sont solidaires et aident les grévistes dans leur action. Ce mouvement se caractérise par une certaine naïveté. Dimanche, on entend fuser ici et là, « Kot minis la santé été, li ti bizin vini parski li pa koné nou malad kan nou pa manzé », « kot minis de la fem, enan ene mazorite madam ici ? » Quelqu’un leur a expliqué qu’il faut un minimum de 20 jours pour garantir la crédibilité de l’action et éventuellement le déplacement du ministre de Travail, directement concerné par leur problème. La majorité des grévistes présents ont l’air surpris. Il faut dire que cette génération n’a ni l’esprit syndical ni la flamme politique : les grévistes, jeunes et moins jeunes, sont pris dans un tourment sans le vouloir… Ils sont en train de se forger petit à petit. Tant mieux ! Lentement mais sûrement !

D’après plusieurs personnes interrogées sur place, la décision de faire une grève est spontanée. Au début, il n’y a aucune préparation. Sitôt dit, sitôt fait : les grévistes volontaires s’installent à même « le sali » devant les locaux de Infinity. Pour une action de cette envergure, il y a de quoi trembler en entendant ceci mais le dicton dit aussi : A cœur vaillant, rien d’impossible.

Les difficultés de départ ne manquent pas. Dimanche, pendant la veillée, une jeune porte-parole dit ceci : « Nous n’avons aucun parti pris politique, nous ne connaissons même pas les lois du travail. » Il est vrai que le système éducatif mauricien, dénué de l’enseignement de l’Histoire du pays, d’un côté, et de l’éducation citoyenne, de l’autre côté, ne prépare absolument pas les jeunes à devenir des leaders de demain, que ce soit dans le secteur syndical ou politique…

Certainement, le système éducatif – dominé par les leçons particulières – l’exemple même de la corruption, donné aux jeunes dès leur plus tendre enfance – est aussi en cause. Pour satisfaire des enseignants qui veulent à tout pris se remplir les poches, les syllabus sont surchargés et dominés par des connaissances académiques. Puis, l’apprentissage par cœur est considéré comme la meilleure stratégie pour réussir les examens, ce qui forme des jeunes passifs et empreints d’un manque d’initiative certain. Il n’est pas étonnant que les jeunes n’aient pas pensé par eux-mêmes à parfaire leurs connaissances sur les lois du travail après six jours de grève…

Heureusement, c’est dans le feu de l’action, en utilisant leur « bon sens » et peut-être leur instinct de survie, que les grévistes comprennent la portée de leur action, la nécessité de se mobiliser de manière plus structurée pour faire face au monstre du capitalisme, regroupant les politiciens et les agents de tous bords de la classe politique mauricienne, les « roder-boute » en tous genres, et tous ces autres indésirables qui défilent pour tirer un avantage quelconque au détriment même des grévistes… Ce qui compte, c’est la solidarité et l’unité dans l’action commune engagée.

L’ignorance volontaire ?

Il y a aussi ce jeune politicien de l’opposition qui dit ceci aux grévistes : « Vous êtes une sorte de modèle, votre action déterminera ce qui se passera pour les autres entreprises. » Est-ce une sorte de flatterie comme dans les Fables de la Fontaine ? Ou alors est-ce l’ignorance de ce jeune politicien à propos du monde du travail dominé par l’ultralibéralisme débridé ? Il est clair que ce jeune homme n’a pas compris grand-chose aux problèmes du monde du travail d’aujourd’hui sinon comment peut-il croire que si le problème de Infinity est résolu en bonne et due forme, il sera alors possible de dormir sur ses deux oreilles ?

Prenons, par exemple, le combat écologique. Les naïfs croyaient, à l’époque, que la préservation de la Vallée de Ferney déterminerait les politiques d’aménagement du territoire. Pourtant, il a fallu se battre pour la Montagne sacrée du Morne Brabant, ensuite contre l’aquaculture pour l’océan et les lagons, l’Ilot Gabriel et l’Ile Plate et la bataille pour préserver les plages contre la Beach Authority est, pour ainsi dire, interminable… Somme toute, il y a eu et il y aura, dans le futur, autant de combats à mener qu’il y a et qu’il y aura de projets capitalistes, formés exclusivement pour le « profit-making » et affectant l’ensemble de la classe des travailleurs dans le monde ! Et à Maurice !

Pire encore, ce jeune député ignore-t-il, par choix ou par méconnaissance du tissu social mauricien, que l’exploitation capitaliste par le non-paiement des bonus, l’obligation de prendre des congés, ou encore le chômage technique organisé, se situe dans plusieurs autres secteurs de Maurice, ces secteurs que presque tous les politiciens n’osent pas toucher par peur de se « faire griller » de la carte des gros financements au moment des élections générales ? Au lieu de discourir inutilement, il ferait mieux de demander de la transparence dans les financements des partis ; il servirait au moins à quelque chose au Parlement…

La suite des événements

Les jeunes ont à cœur l’image de leur pays à l’étranger. Ils savent que l’avenir de notre pays et l’emploi de plusieurs jeunes seront en péril s’il n’y a aucune solution rapide à leur problème. Pour cela, ils sont disposés à continuer la grève de la faim pacifiquement, à leur manière.

Les jeunes sont déterminés à prouver qu’ils sont responsables et qu’ils sont capables de se battre pour leurs droits. Les jeunes ont toujours soutenu des causes justes : il est juste que syndicalistes et société civile, nous soyons aujourd’hui à leurs côtés et que le salaire de 400 personnes soit versé le plus rapidement possible pour mettre fin au mouvement de grève de la faim.

Tout s’apprend. Par conséquent, il faut que les jeunes apprennent en autonomie ce que le système scolaire a totalement ignoré mais si essentiel dans le monde du travail d’aujourd’hui : s’organiser, se structurer ou périr. Tout autre choix est futile.

En attendant la prochaine entreprise capitaliste qui jettera, elle aussi, ses employés à la rue et toutes celles qui embauchent des sous-contracteurs, du secteur privé ou du secteur para-public, organisant ainsi l’exploitation des ouvriers qui sont au bas de l’échelle, tous ces sans-voix qui n’attirent pas la presse et qui souffrent en silence à cause des impayés, des retards, tous ces bombes à retardement…


* Published in print edition on 11 February 2011

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