L’affaire de l’esclave Furcy 

Abolition de l’esclavage

Par Vina Ballgobin

Dans le cadre de la célébration du 01 février, marquant l’abolition de l’esclavage, nous donnons un aperçu de la complexité de la vie de l’époque coloniale profondément enracinée dans un système économique reposant sur l’esclavage. Pour cela, nous allons nous appuyer sur l’ouvrage de Mohammed Aïssaoui intitulé L’affaire de l’esclave Furcy, paru chez Gallimard, Paris, en 2010. Dans son œuvre, l’auteur relate la vie de Furcy, sa quête de la liberté à travers un long procès. Qui est FURCY ? C’est le nom d’un esclave de l’île de la Réunion (à l’époque, île Bourbon) qui a aussi vécu à l’île Maurice (à l’époque, île de France). Ses origines : Furcy est d’origine indienne par sa mère, Magdalena, née sur les bords du Gange, en Inde, en 1759. Elle appartient à son propriétaire, un Portugais, Faustino de Santiago, qui la vend pour la modique somme de Rs55. à une religieuse nommée Dispense le 8 décembre 1768. Elle a neuf ans quand cette transaction a lieu. Madeleine quitte l’Inde avec cette religieuse pour se rendre à Lorient en France. Elle devient chrétienne et se prénomme désormais Madeleine. Pour des raisons que l’on ignore, la religieuse décide de la reconduire en Inde. Toutefois, celle-ci est très âgée et elle ne pense pas pouvoir continuer son voyage. Ainsi, elle décide de s’arrêter à l’île Bourbon. Madeleine pense souvent à son pays natal. Elle se souvient du Gange, de certains arbres de son village, d’un ruisseau clair, d’une maison sans toit, de son amie d’enfance nommée Abha, de sa mère Mounia et de son père Mehdiri.

Finalement, à l’île Bourbon, la religieuse décide de confier Madeleine à une certaine Madame Routier en lui expliquant qu’elle doit être affranchie et ensuite, reconduite en Inde. Malheureusement, Madeleine ne retrouve pas la liberté car Madame Routier ne respecte pas les consignes et la garde en tant qu’esclave à son service. Elle décide d’affranchir Madeleine le 6 juillet 1789 quand elle entend parler des événements en France : elle craint fort de payer des indemnités sachant qu’elle avait signé une promesse d’affranchissement. Toutefois, Madeleine n’en saura rien.

« Entre sa vie d’esclave et celle de femme libre, rien n’avait changé. C’était comme ça. Et, du reste, qui dans l’habitation pouvait bien savoir que Madeleine était affranchie ? Personne. Sans doute pas même elle. Mme Routier n’avait pas cru utile de l’en informer – elle avait caché l’acte d’affranchissement. » (p. 25)

En 1808, Mme Routier quitte ce monde et lègue ses biens à Joseph Lory, son neveu et gendre. [Voir en encadré son testament qui donne une idée de la fortune immense des colons et de la valeur marchande des esclaves à l’époque].

Sa famille : Madeleine est une jeune femme très convoitée dans la colonie par les propriétaires d’habitation. A 16 ans, elle donne naissance à un premier fils, Maurin. Puis, elle met au monde une fille, Constance, en 1776, à l’âge de 17 ans. Ensuite, quand elle a 27 ans, elle a un fils, Furcy.

Le frère aîné de Furcy, Maurin, meurt en 1810. Constance est achetée par Monsieur Wetter qui serait son père car « il était d’usage qu’un père rachète l’enfant qu’il avait conçue avec une esclave. » Il semblerait qu’à Bourbon, les « sang-mêlé » se multiplient à vue d’œil, sachant que les colons ne se privent pas pour entretenir des relations intimes avec des esclaves. Dans la terminologie de cette époque, Constance est une « femme de couleur libre » : celle qui a le teint parfois plus clair que certains colons. Elle est aussi une « quarteronne » : une esclave issue de l’union d’un blanc et d’une sang-mêlé. Elle épouse un homme, 18 ans plus âgé qu’elle, pas très fortuné mais ayant de l’instruction. D’ailleurs, il enseigne à lire et à écrire à son épouse. Constance en fait de même pour donner une certaine instruction à son frère Furcy.

C’est Constance qui découvre les papiers précisant le statut de sa mère. L’acte d’affranchissement, daté du 6 juillet 1789, indique clairement que sa mère est affranchie depuis 28 ans ! Mais pire encore, elle découvre plusieurs documents révélant que sa mère, elle-même, avait constitué un dossier en vue d’affranchir son fils Furcy. Mais en vain. Elle rencontre même Joseph Lory et lui propose d’abandonner 19 années d’indemnités qu’il lui devait légalement contre la liberté de Furcy. Lory refuse et menace de tuer mère et fils si elle tentait de se battre légalement contre lui. Ainsi, Furcy est libre depuis qu’il est âgé de trois ans mais il est esclave car sa mère, craignant pour sa vie, « opposa le silence à l’injustice, emportant l’espérance que tôt ou tard on ferait droit à sa réclamation. » (p. 38)

Premiers pas pour la liberté

Le principe fondamental de l’esclavage repose sur le fait que l’individu n’est pas libre, il n’est pas rémunéré, il est la propriété du colon et il est négociable en termes d’achat, de vente et de location au même titre qu’un objet ou un animal domestique. Citons les paroles de Lory (p. 20) :

« Je n’ai pas eu à l’acquérir. Furcy est un Malabar, c’est-à-dire un habitant de la côte ouest de l’Inde mais il est né à Bourbon, dans l’habitation de ma tante. Elle me l’a légué à sa mort, en même temps que sa mère qui vient de Chadernagor. C’est un esclave exemplaire. »

Lorsqu’il découvre que Constance connaît la vérité à propos de sa mère et de son frère, il lui propose un marché inégal et injuste. Si elle efface la dette de 19 ans d’indemnités dues à sa mère, il libère Furcy dans deux ans avant de se rendre en France en lui donnant aussi la somme de 4,000 francs. Constance refuse cette proposition et décide d’avoir recours à la justice.

Subséquemment, le 2 octobre 1817, Furcy décide de faire appel à la justice pour réclamer sa liberté, encouragé par sa sœur Constance. Il a 31 ans quand il se rend à la Cour Royale de Saint-Denis tenant entre ses mains la Déclaration des droits de l’homme pour s’adresser au nouveau procureur général, Gilbert Boucher (1782-1841). En fait, il rencontre son jeune substitut, Jacques Sully-Brunet, âgé de 22 ans.

Par sa décision, Furcy fait preuve d’un courage sans commune mesure puisque les esclaves ne se révoltent pas ! Furcy avait la loi coloniale régie par le Code noir contre lui puisque celle-ci stipule qu’un esclave ne peut attaquer son maître en justice. Mais Sully-Brunet est aussi courageux car il décide de donner suite à cette affaire et trouve une loi par laquelle Furcy a le droit à un défenseur gratuitement. De même, Boucher est téméraire de soutenir la cause d’un esclave car il n’a pas encore construit sa carrière. Ainsi, il dit à Constance :

« Ne vous inquiétez pas. Si l’on vous déporte, je serai déporté aussi ; et si l’on vous enferme, nous serons enfermés ensemble[…] Dites toujours la vérité. Allez à chaque fois que vous serez appelée ; dites que c’est moi qui ai tout fait. Je ne crains personne. J’ai juré devant mon roi de faire mon devoir. […] Si vous rencontrez une difficulté, rendez-vous toujours chez Sully-Brunet, il sait ce qu’il faut faire en cas de problèmes. » (p. 45)

Riposte du colon Desbassayns de Richemont

Furcy fait face à diverses tentatives des riches exploitants et esclavagistes locaux qui envisagent de contrecarrer son projet. Ils craignent fort que Furcy ne soit en train de donner le mauvais exemple et, à sa suite, il entraînerait environ 16,000 esclaves à réclamer leur liberté.

Desbassayns de Richemont est l’allié de taille de Joseph Lory, un riche sucrier possédant plusieurs habitations, appartenant à la ‘plus puissante dynastie de l’île, celle qui pouvait se targuer de détenir 400 esclaves ; […] une geôle pour punir les récalcitrants. Sa mère, que tous les habitants appelaient, avec des accents de révérence, « Mme Desbassayns », avait régenté l’île Bourbon comme si elle en était la reine, maternelle et impitoyable.’ (p. 47)

La description de Desbassayns de Richemont, commissaire général ordonnateur de l’île, en dit long sur le pouvoir des colons de l’époque dans l’océan indien (p. 48).

« Avec le gouverneur, c’était la personne la plus influente de Bourbon. Il faisait la loi avec l’appui de cinq familles de colons ; il s’était octroyé le pouvoir de nommer, de révoquer et de rétrograder les magistrats. Et il usait de ce pouvoir. D’une manière plus ou moins éloignée, tous ces colons fortunés avaient un lien de parenté entre eux. Et ce qui les liait plus fermement que le sang, c’est les affaires qu’ils faisaient ensemble ; ils se prêtaient de l’argent, et se tenaient par les dettes. Par-dessus tout, ils n’aimaient pas ces Français qui venaient de France se mêler de leur commerce. Entre eux, ils étaient divisés, se haïssaient parfois, mais le métropolitain – « le Français », disaient-ils – était leur ennemi commun, celui qui les unissait, finalement.

A la fin du XVIIIe siècle, avec la famille Desbassayns en tête, les colons de Bourbon étaient en première ligne pour déjouer le piège de la première abolition, celle de 1794. Ils avaient gagné haut la main, et obtenu que l’esclavage soit rétabli en 1802. […]

Le commissaire général ordonnateur en avait les moyens ; son influence sur l’île n’avait d’égal que sa puissance financière. C’était lui qui décidait, avec cinq autres riches familles de colons. Les Desbassayns avaient créé un réseau dense et efficace. Les mariages, les affaires, l’administration : tout tendait à faire main basse sur l’île Bourbon, avec des connexions sur l’île de France. »

D’après Mohammed Aïssaoui, si Lory avait affranchi légalement Furcy, ce dernier aurait eu la même réaction que sa mère : il serait resté au service de son ancien maître. Il ajoute (p. 55):

« Mais les colons de Bourbon étaient impitoyables. Vingt-trois esclaves seulement avaient été affranchis en quatre ans. Quand l’île appartenait aux Anglais, entre 1810 et 1815, cinq mille esclaves avaient recouvré la liberté dès leur première année d’administration. »

Fin politicien, Desbassayns demande à Lory de se rendre chez le procureur général et exige que Furcy soit emprisonné. C’est un fugitif, un rebelle, un marron, il a des désirs de fuir… En octobre 1817, le premier dimanche du mois, les policiers se rendent chez Célérine (femme libre de Furcy) et arrêtent Furcy en lui mettant des chaînes aux mains. Il reste en prison pendant une année jusqu’en décembre 1818. Il est pris d’un malaise et il est soigné par le médecin de la prison. Une vague de sympathie déferle pour Furcy, des blancs et des esclaves le soutiennent pacifiquement.

Desbassayns est très inquiet et décide alors de déporter Furcy à l’île de France (l’actuelle île Maurice) et de régler aussi les comptes avec Boucher et Sully-Brunet afin d’étouffer l’affaire Furcy. Desbassayns rencontre le ministre de la Marine et des Colonies, le comte Mathieu de Molé lors de son passage à l’île de France. Il lui explique que les deux magistrats de la Cour royale sont dangereux ; Boucher est un homme violent qui commet des écarts importants au point de mettre en péril le système colonial… Il réfute les arguments de Boucher (pp. 61-62) qui

« avance que les Indiens sont un peuple libre et indépendant. Ce qu’il affirme, Votre Excellence, n’est pas autre chose qu’une paraphrase de la Déclaration des droits de l’homme. [ Pour Desbassayns, Boucher vient de la France ] « ni sa place ni sa fortune ne l’attachent à la colonie. Il montre pour les habitants de Bourbon de l’éloignement et du mépris. Cet homme n’a aucun intérêt au maintien de la tranquillité de notre île ».

Suite à cette rencontre, le gouverneur Lafitte rencontre Desbassayns et les deux magistrats à Bourbon, afin de trouver une solution pour préserver la sécurité de cette île, menacée à cause de l’affaire Furcy ! Le gouverneur savait que tout était joué d’avance puisque les frères Desbassayns avaient tout pouvoir. D’ailleurs, l’un d’eux explique ceci (p.67) :

« La main qui a soutenu Furcy ne doit pas non plus rester impunie. Je vous propose de dispenser le sieur Sully-Brunet de ses fonctions pour l’écarter du foyer d’intrigues. Il doit quitter Saint-Denis. Son manque d’expérience est préjudiciable. N’est-il pas en train de militer pour le rétablissement du trop fameux décret du 16 pluviôse de l’en II qui a failli prononcer l’anéantissement de nos colonies ?» 

En effet, il fait allusion à la première abolition de 1794, rétablie par Bonaparte en 1802 et considère Boucher comme un homme imbu des principes démagogiques de la Révolution qui s’inspire des événements de Saint-Domingue, favorisant la liberté de tous les esclaves. Il est très dur envers Boucher, « proche des dernières classes de la société et éloigné de ceux qui tiennent un rang dans le monde, ceux qui sont considérés et fortunés» (p. 81), l’accusant de tramer pour favoriser la rébellion dans l’île. Quant à Sully-Brunet, ce « petit intrigant, sans expériences ni compétence, qui par son origine, se rattache à la classe des gens de couleur puisque sa trisaïeule était une Malgache » (p.81), il avait osé attaquer la famille Desbassayns pour une violation à la loi dès son arrivée à Bourbon !

‘Desbassayns vouait une haine de plus en plus tenace à Gilbert Boucher et à son substitut. Pourtant, de mai à juillet 1817, ils avaient fait le voyage tous les trois de France à Bourbon. Trois mois à se côtoyer, cela crée des liens. En observant le jeune Sully-Brunet dans le navire, Desbassyns avait pensé que pour l’avenir de l’île, il avait besoin de ce genre d’homme, un jeune, intelligent, forme et enthousiaste. Son espoir avait été déçu. Il n’avait jamais oublié que c’était lui, le petit Sully-Brunet qui, avec l’appui de Boucher, avait déjà osé s’attaquer par le passé à la famille Desbassayns de Richemont pour une violation à la loi sur les plantations. C’était un vieux contentieux, Sully-Brunet avait fait condamner « au correctionnel » Joseph de Richemont, pour « contravention à la loi locale sur les plantations alimentaires. » Le riche propriétaire ne l’avait jamais admis. En fait, cette tension sourde révélait le conflit latent qui existait entre ceux qui venaient d’Europe et les colons installés à Bourbon depuis plusieurs générations. Ces derniers considéraient que les « Français » n’avaient pas à toucher à leur terre. Ni à leur imposer la loi chez eux. Personne n’avait osé jusqu’ici osé s’en prendre aux Desbassayns. Les colons étaient sidérés, et voyaient tous d’un mauvais œil l’arrivée de cet homme de loi.’ (pp. 83-84)

Ensuite, Desbassayns rencontre Constance pour lui faire avouer de force que Boucher est à l’origine d’une machination machiavélique. Il soutire de force les confessions de deux Bourbonnais qui accusent Sully-Brunet de complot. Desbassayns trouve plusieurs alliés pour le soutenir : des petits propriétaires, des esclaves, des commandeurs, entre autres. Certains esclaves manifestent pour clamer leur désir de rester au service de leur maître !

‘Desbassayns avait sans doute peur que le procureur, une fois l’affaire Furcy réglée, récidive avec d’autres esclaves. Il ne cessait de se le répéter, et de la répéter aux autres, or beaucoup n’avaient pas l’air de comprendre l’enjeu et se laissaient bercer par une existence bien tranquille. Il ne voulait pas être celui par qui la faillite d’un système arrive. Il ne céderait pas. Mais bon Dieu, se disait-il, ils sont des milliers dans le cas de Furcy. 16 000 esclaves exactement ayant une origine indienne. Et avec une règle telle que « nul n’est esclave en France », 45 000 autres réclameraient la liberté, ce serait l’anarchie, ce serait la fin du monde.’ (p.84)

Procès février 1818

Furcy est débouté en première instance en appel. Boucher prend congé pour se rendre à Paris et alerter les pouvoirs publics des abus des colons et de leur mainmise sur l’appareil judicaire à Bourbon. Toutefois, il doit envoyer sa demande au commissaire général ordonnateur – Desbassayns lui-même. Celui-ci accepte sa requête en lui préparant une surprise de taille : à son arrivée en France, il apprend qu’il a déjà un remplaçant à Bourbon. Quant à Sully-Brunet, il est exilé à Saint-Benoît, à côté de Saint-Denis mais le maire reçoit l’ordre de surveiller tous ses faits et gestes.

Plusieurs esclaves se déplacent pour savoir ce qu’il adviendra de Furcy en deuxième instance. L’on y trouve aussi un clan de marrons. L’avocat de Furcy, Godart Desaponay, défend son client mais Furcy ne retrouvera pas la liberté…Il perd son procès en appel mais l’affaire Furcy est sur toutes les lèvres dans la colonie. Desbassayns surprend même des esclaves en train de parler de ce héros en prison. Pris de panique, il demande à Lory de vendre Furcy à sa famille qui habite à l’île de France. Ainsi le 2 novembre 1818, à 17h30, Furcy est transféré de la prison ; il embarque sur le bateau Le Clélie et il voyage pendant dix jours avec une chaîne qui relie sa main droite à son pied droit.

Furcy à l’île de France

Le 12 novembre 1818, Furcy débarque à Port-Louis. Il doit marcher toute une journée pour se rendre sur la plantation sucrière. Il vaut 700 piastres selon Pierre Lory-Routier, frère aîné de Lory : telle est la somme qu’il a payée à son frère pour cette transaction. Furcy habite à l’île de France de 1818 à 1836. Il continue d’envoyer du courrier à Boucher pour lui réclamer son aide. Il lui écrit sept lettres de 1817 à 1836 tandis que Boucher continue de chercher des éléments pour étoffer son dossier. Boucher n’a pas une vie facile ; il travaille à Bastia, Paris, Bordeaux, Poitiers,… mais Furcy arrive toujours à garder le contact avec lui. [Notons que cette affaire n’est pas un cas isolé. Boucher parle aussi de l’affaire de l’Indienne Tola dans un rapport au ministre de la marine et des colonies. Celle-ci est jugée devant la cour royale de Bourbon. Boucher s’élève contre l’usage des lois que font les magistrats au profit des propriétaires d’esclaves et des contournements de son autorité de procureur général, dans un contexte de réforme des juridictions qui peine à s’imposer à l’île Bourbon.]

  • Comment est la vie de Furcy à Maurice ?
  • Est-ce que la mentalité des colons est exactement la même que celle de l’île Bourbon alors s’il se trouve dans une colonie britannique ?
  • Que se passe-t-il par la suite ?
  • Comment Furcy se bat-il pour retrouver la liberté ?
  • Son procès dure 27 ans : qui l’aide et comment ?
  • Que se passe-t-il le samedi 23 décembre 1843 à la Cour de cassation, à Paris, cinq ans avant l’abolition de l’esclavage en France ?
  • Avant Mandela, y a-t-il eu un Furcy, un des nôtres, un îlois de l’océan indien, de mère indienne métissée, qui s’est battu pour la liberté par principe dans la non-violence et le respect de l’autre, contre un homme cruel et inhumain, dirigé uniquement par le souci du profit financier ?

Tout est dans l’ouvrage de Mohammed Aïssaoui. Au lecteur de lire la suite de cette histoire vraie d’un esclave – qui n’en est pas un légalement – nommé Furcy… 

* * *

Testament de Mme Routier, (pp. 28-29)

Masse de biens

 –         Une propriété à Saint-Denis, cette propriété se compose d’une maison de pierre sur un terrain de 1, 500 mètres carrés avec un pavillon en bois, en magasin, une cuisine, une geôle pour les esclaves récalcitrants, une infirmerie, une fermette, une écurie pour les chevaux, un poulailler, et vingt cabanes pour les noirs.

 –         une sucrerie

 –         Une giroflerie

 –         Une caféterie

 –         De la vaisselle en argenterie estimée à 500 francs

 –         Une armoire

 –         Six mulets estimés à 2,500 francs

 –         Quatre bœufs estimés à 6,000 francs

 –         17 esclaves estimés dans l’ensemble à 41,000 francs, ayant pour nom, pour âge, fonction et origine :

 –         Un lot composé de Remi (42 ans, cafre, domestique), sa compagne Minutie (27 ans, cafre, cuisinière) et leurs trois enfants (3 ans, 2 ans et 6 mois), estimé à 7,000 francs

 –         Un lot composé de Jupiter (Malabar, 55 ans, sans profession), sa compagne Maman (38 ans, Malabar, femme à tout faire) et leurs quatre enfants (Justin, 18 ans, noir de pioche, Sérafin, 16 ans, noir de pioche, Madi et Mado, jumelles de 10 ans, à la giroflerie), lot estimé à 22,000 francs, les enfants sont en location pour une année.

 –         Justin (Malabar, 29 ans, ne a Bourbon, commandeur dans la plantation de Sieur Desbassayns), loué 100 francs par mois.

 –         Samuel (cafre, 24 ans, noir de pioche), noir récalcitrant, en fuite. Non estime, pour inventaire.

 –         Madeleine (Malabar, 59 ans, femme a tout faire), sans valeur, et son fils Furcy (Malabar, mulâtre, 30 ans, né à Bourbon, maître d’hôtel, jardinier et maçon) estime a 7,000 francs.

 –         Jamine (cafre, 16 ans, femme a tout faire), estimée à 1,000 francs (la malheureuse a perdu son esprit).

 –         Mina, jeune négresse créole, laveuse, repasseuse, couturière, avec un enfant de deux ans et un autre à naître. Ensemble estimé à 4,000 francs. 

* * * 

Mohammed Aïssaoui

Ecrivain d’origine algérienne, Mohammed Aïssaoui porte un grand intérêt à cet esclave noir de la Réunion. Pour l’auteur, il s’agit de « comprendre ce qui pousse un homme à vouloir s’affranchir. » (p. 22) Mohammed Aïssaoui souligne que l’affaire Furcy dure longtemps grâce à sa détermination, son obstination et sa patience et aussi au fait que cette affaire dépasse le cas isolé d’un individu à la recherche de la liberté. C’est aussi la recherche d’un monde meilleur ; la lutte pour montrer sa gratitude envers ces deux magistrats qui, contre vents et marées, demeurent intègres et risquent leur carrière et leur vie pour le défendre par principe, tout simplement. La cause que défendent des abolitionnistes est juste. Les protagonistes se laissent guider par le souci de l’autre. « Tous ces hommes qui ont agi pour d’autres. Ce peut bien etre un fil conducteur de l’Histoire. » (p. 98)

L’auteur a reçu le prix Renaudot de l’essai et un trophée des arts afro-caribéen. Il a reçu le prix RFO du livre en surclassant d’autres auteurs tels que En attendant la montée des eaux de Maryse Condé (éd. Jean-Claude Lattès), Photo de groupe au bord du fleuve d’Emmanuel Dongala (éd. Actes Sud), Les affres d’un défi de Frankétienne (éd. Vents d’ailleurs), Les Veuves de verre d’Alexis Gloaguen (éd. Maurice Nadeau), Dalonaz é shamayaz (Bises et bisbilles) de Céline Huet ( éd. Udir) et Saisons sauvages de Kettly Mars (ed. Mercure de France).

La présidente du Jury, Laure Adler, parle de « prodige » et de « restitution de l’identité d’une personne qui n’en avait pas, d’un oublié de l’histoire ». Le jury était composé de Laure Adler, journaliste et écrivain qui préside, d’Issa Asgarally, essayiste, Françoise Barret-Ducrocq, secrétaire générale de l’Académie Universelle des Cultures, Paule Constant, écrivain, Edouard Glissant, écrivain, Catherine Humblot, journaliste, Dany Laferrière, écrivain, Alain Mabanckou, écrivain, Jean-Marie Ozanne, libraire, Daniel Picouly, animateur TV et écrivain et Gisèle Pineau, écrivain.

* * * 

Procès intenté par un esclave à son maître

Le 16 mars 2005, lors d’une vente aux enchères à l’Hôtel Drouot, les Archives départementales de la Réunion achètent des copies de documents (compte rendus d’audience, plaidoiries) et de correspondance privée (lettres manuscrites) ayant appartenu au procureur Boucher à propos de l’affaire Furcy et du conflit interne à l’administration réunionnaise. Ces documents, achetés pour 2,100 euros, relatent le plus long procès intenté par un esclave à son maître, 30 ans avant l’abolition de 1848. Plusieurs documents touchant l’esclavage ont été détruits et les jugements expéditifs des tribunaux coloniaux ont brûlé, surtout à l’approche de l’abolition, d’où l’importance de ces documents entourant l’affaire Furcy aujourd’hui. Ajoutons à cela le fait que les esclaves ont rarement laissé des preuves écrites de leur vécu. Il existe une bonne quantité d’enquêtes qui ont émaillé les siècles pour juger de l’application du Code noir, d’autres procès et condamnations entraînant mutilations et pendaisons mais les écrits et témoignages directs sont limités.

Notons qu’un îlet de la commune de Saint-Louis à l’île de la Réunion porte le nom de Furcy.  

* * *

Le commandeur

« On les appelait les « noirs blancs ». Furcy s’était créé de nombreux ennemis, la plupart étaient des colons. L’un d’entre eux, ni colon ni blanc, n’était pourtant pas le moins virulent : un certain Brabant, le charpentier. Il était ce qu’on appelait un « homme de couleur libre ». Chaque jour, la crainte d’être confondu avec un esclave l’obsédait. Alors, pour bien se distinguer, il apportait beaucoup de soin à sa tenue, il exhibait de beaux souliers et marchait avec fierté, la tète haute, le buste droit. Son ambition était de ressembler, jusque dans les gestes, à un blanc ; mais pas ce genre de « petits blancs » pauvres qui, par misère, épousaient une esclave et cachaient leur honte de devoir louer leurs bras pour subvenir à leurs besoins. Non, Brabant le charpentier ambitionnait d’être aussi riche que les colons. Il s’était mis à son compte. Grace à son activité, il avait constitue un pécule suffisant pour régler son affranchissement, en 1810, quand les Anglais s’étaient emparés de Bourbon. Depuis, il avait amassé une petite fortune, et se targuait d’avoir acheté dix- sept esclaves (en fait douze, cinq étant nés dans son habitation). En 1811, quand les esclaves de Saint-Leu avaient tente de semer la révolte – on avait alors évoqué avec frayeur Haïti, la première république noire -, Brabant s’était joint aux colons pour mater la révolte qui s’était achevée au bout de deux jours dans le sang et les larmes. Deux colons avaient été assassinés ; on ne connaît pas le nombre de victimes du côté des esclaves. On dit aussi que brabant s’était montre courageux, n’hésitant pas à tuer à mains nues ses anciens frères d’infortune. On connaissait sa susceptibilité lorsqu’on évoquait sa couleur de peau, et personne ne prenait le risque d’en parler, en tout cas, pas devant lui.

Il pensait : la liberté se mérite, elle ne se donne pas, c’est une hérésie de prôner le contraire. Sinon, quelle différence entre moi qui ai peine pour acheter mon affranchissement et l’esclave à qui on l’offre ?

A l’occasion, il participait à la chasse aux marrons. On faisait souvent appel à ses services car il connaissait parfaitement la forêt et les montagnes, les coins ou pouvaient s’abriter les fugitifs, la manière de les repérer, c’est-à-dire attendre pendant des heures, la nuit, qu’un feu naisse quelque part, et s’y précipiter. Il tuait sans états d’âme. Cet ancien esclave haïssait même l’idée d’abolition, comme il haïssait les propos déments du père Grégoire qui encourageait les asservis à s’émanciper.

Avant de devenir charpentier, Brabant était un commandeur, cet esclave charge de surveiller et de punir les autres esclaves. A lui seul, il lui arrivait de diriger plus de quarante, quand ses « collègues » se trouvaient débordés par une vingtaine. Brabant maniait le fouet plus que de raison, et il était indifférent à la haine qu’il suscitait, une haine qui le faisait surnommer dans l’habitation le « traître noir ». A force de volonté et de hargne, on lui avait décerné le titre de premier commandeur dans la plantation des Desbassayns. » ( p. 88-89) 

* * *

« La pendaison est la forme la plus répandue du suicide parmi les esclaves de Bourbon. On peut supposer que ceux-ci choisissent cette forme de suicide parce qu’elle est la plus simple à exécuter. Un simple morceau de corde qu’on peut se procurer facilement sur l’habitation sucrière permet la réalisation de l’acte fatal, provoqué par un désespoir sans issue. Hommes et femmes noirs sans distinction optent fréquemment pour cette solution extrême, résistant à leur façon au système servile [les esclaves utilisent souvent des cordes de vacoa pour se pendre]. Le suicide peut être, dans certains cas, provoque par la peur du châtiment quand l’esclave se rend coupable d’une faute sévèrement punie par la société coloniale. »

Extrait du rapport sur les suicides d’esclaves, le 28 juillet 18066. Cité par l’historien Sudel Fuma, dans « L’esclavagisme à la Réunion, 1794-1848 ». ( p. 103) 

Ecrivain d’origine algérienne, Mohammed Aïssaoui porte un grand intérêt à cet esclave noir de la Réunion.


* Published in print edition on 28 January 2011

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