Une page d’histoire du syndicalisme mauricien

1921 – 2021, 100 ans de lutte syndicale

By Jack Bizlall

La Stèle du Plaza fut dévoilée par Merrill Anquetil, la petite fille d’Emmanuel Anquetil, le 1er mai 2019. Elle mentionne des noms d’individus qui ont contribué au syndicalisme mauricien, les noms d’organisations syndicales et les dates importantes de cette histoire qui a commencé en 1921.

La stèle porte actuellement les noms suivants Emmanuel Anquetil – Adolphe de Plevitz – Soondrum Pavatdan (Anjalay Coopen) – Vella Vengaroo – Manilal Doctor – Willie Mootoo – Maurice Curé – Dajee Rama (Pandit Sahadeo) – Guy Rozemont – Kistnasamy Mooneesamy – Moonsamy Moonien – Marday Panapen – Cyril Canabady – Bam Cuttayen – Siven Chinien – Aurélie Perrine – Rajen Pillay – et Vishnu Jugdhurry.

Pour 2021, les noms suivants seront ajoutés : Harris Balgobin (pour sa maitrise de l’Equity Law et de ses sentences arbitrales en faveur des travailleurs et John Anquetil (pour avoir opté de venir à Maurice avec son père et pour l’avoir accompagné en exil à Rodrigues. Hommage sera rendu aux laboureurs et aux artisans de l’industrie sucrière.

Cette stèle porte aussi les noms des centrales syndicales suivantes : la GWU (1949)– FCSOU(1957) – La PWU (1959) — Le MLC (1961) — La GWF (1970) — La FTU (1977) — La FPBOU (1980 qui devint la FPU en 1984) — La CTSP (2007). Et des syndicats individuels suivants : AGWU-UPSEE – FPBOU — PLHDWU — UECEB — SILU – UASI – MWWU – SOEF.

Une publication ayant pour titre Notre Histoire à Nous sera faite chaque année à partir de 2021. Notre histoire a plusieurs phases importantes qu’il faudra raconter. Nous avons besoin de notre mémoire externe pour continuer le combat.

De 1871 à 2018 : Les dates importantes

1871 : Sous le nom de ‘Ramdin’, Adolphe de Plevitz dénonce la situation des immigrés à Maurice. Il soutient son action par une pétition réunissant 19,000 signatures en 1871 et obtient une commission d’enquête en 1872 et ce fut une révélation cruelle de la situation des immigrés. Le rapport de 1875 ‘Report of the Royal Commission to inquire into the treatment of immigrants in Mauritius’ ouvrit la voie à la loi de travail en 1878. Cette loi fut appliquée jusqu’en 1922.

1921 : Tentative de Willie Moutou de créer la National Trade Union of Mauritius. La même année, il y eut un soulèvement des cheminots à Plaine Lauzun. Ce même Willie Moutou publie un journal en 1924 sous le nom de Drapeau Ouvrier. De notre point de vue, tout est dit dans ces trois actes éminemment politiques.

L’essence du syndicalisme mauricien se trouve dans la démarche volontariste de Willie Moutou. Nous lui devons aussi la République. Dès l’instant où la conscience des masses opprimées assume la liberté de l’individu de se soulever contre le silence et la soumission imposée par le pouvoir autocratique, les monarchies et les oligarchies chutent politiquement.

1936: Création du Parti Travailliste au Champ de Mars par Maurice Curé. Le Travaillisme va en effet booster la lutte syndicale contre l’oligarchie sucrière. Le pouvoir colonial, lui, va suivre le pas selon le rapport des forces, sur le plan des lois et des institutions. Le Travaillisme est une idéologie socialiste émanant de la création du Labour Party en Angleterre en 1897-1900, mais plus particulièrement à partir de son affirmation comme organisation formellement socialiste, en 1918.

Deux noms vont marquer cette période : Emmanuel Anquetil et Guy Rozemont.

1937: Grand soulèvement des laboureurs et des laboureurs-petits cultivateurs. On compte des morts à Union Flacq. Siven Chinien a écrit une belle chanson intitulée « 1937 ». Ce fut une référence pour les militants syndicaux et politiques de gauche pendant plusieurs années.

1938 : La première Fête du Travail est organisée aux Champs de mars par le Parti travailliste. Bien plus tard, sous l’insistance de Guy Rozemont, un congé public fut accordé le 1er mai. Lors de cette année, il y eut plusieurs grèves… Et des répressions contre les travailleurs et leurs dirigeants politiques. Emmanuel Anquetil fut envoyé en exil.

1943: Grèves dans le nord. Il y eut aussi et surtout les quatre martyres de la révolte de 1943 à Belle Vue Harel. Ils étaient Soondrum Pavatdan (plus connue comme Anjalay Coopen), Kistnasamy Mooneesamy, Moonsamy Moonien, Marday Panapen.

1946: Mort d’Emmanuel Anquetil. Il n’était point en faveur de la collaboration de classe et, ainsi, il était contre une forme de parlementarisme bourgeois.

1954: Grand pas dans la lutte syndicale. La « Trade Union Ordinance » fut appliquée.

1922 – 1992: La République s’est construite aux États-Unis, par la guerre de l’indépendance (1775-1776) suivie par le démantèlement de l’esclavagisme à partir de la guerre civile (1861-1865).

A Maurice, ce fut d’abord l’abolition de l’esclavagisme (1835-1839), le démantèlement de l’engagisme (par des lois sur l’immigration : 1834-1911), un long combat syndical (1922-1965), et l’instauration de la puissance politique de l’industrialisation (1960 et 1971) qui effacèrent graduellement les rapports existant au sein de notre société, reposant sur l’économie de plantation.

Et, ce fut ensuite l’apothéose, avec l’indépendance (1965-1968) et l’avènement de la République en 1992. Il faut bien que l’on apprécie ce qui a été fait entre 1922 et 1968. Il faut absolument approprier ce pan de notre histoire pour bien faire comprendre ce basculement important vers une « civilisation » avancée.

1971 : Quand la grande grève de 1971 eut lieu, beaucoup de choses changèrent. Rien ne fut plus comme avant.

On retiendra historiquement la puissance du militantisme. On assista à la relève du Parti Travailliste par le MMM et la GWF (1969-1976) et le Travaillisme par le Militantisme.

Le renvoi des élections de 1972, l’emprisonnement des travailleurs et leurs dirigeants et la répression qui suivit mirent un terme au Travaillisme. De tous les militants de cette époque, on peut retenir deux noms : Rajen Pillay et Vella Vengaroo.

1979 -1982 : La grève de 1979 ferma un deuxième chapitre de l’association syndicat-politique par la victoire dite des 60-0 de 1982. Il y eut l’éclatement du MMM. Eclata aussi la lutte syndicale.

Depuis ce moment-là, nous sommes dans l’expectative. Mais soyons objectifs pour affirmer que la période 1971-1982 fut une période de conscience révolutionnaire, républicaine et socialiste ; qui firent de nous ce que nous sommes aujourd’hui. Nous parlons aujourd’hui des libertés, des droits, de la démocratie et des lois non-liberticides avec un savoir très avancé. Bref, cette période construisit notre culture et notre intégration au sein d’une civilisation qui fait honneur à l’humanité.

1982-1983 : Une période de revirement politique à Maurice, 60-0. La classe des travailleurs exalta sa joie et tout laissa croire qu’un changement radical allait s’installer.

Retour du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Tournant budgétaire en faveur des capitalistes et éclatement du gouvernement MMM-PSM et retour à la case départ avec les partis politiques battus en 1982, partageant le pouvoir politique avec une aile dissidente du MMM qui se donna le nom de MSM. Ainsi fut créée aussi la dynastie Jugnauth.

1984 : Alors qu’en 1983, le FSN (FSSC-FSCC-FSP-GSA) et le FSG se trouvèrent en conflit, un nouveau front syndical (FSU) — le Front Syndical Uni avec la FTU, la GWF, le MLC, la FPU et le FSN – fut créé.

1988 : Il est indéniable que, depuis 1922 jusqu’à aujourd’hui, les grèves et les luttes syndicales associées à la lutte politique ont transformé notre pays. En 1988, quand on commémora le 50eme anniversaire du 1erMai de 1938, un Front de gauche fut créé regroupant la GWF, la FPU, l’OMT-FNAS et le MMM. Il y eut une publication, intitulée Linité Travayer. Un bilan, fait en 1988, retraça toutes les dates et tous les événements et analysa la situation dans une perspective de recomposition du syndicalisme engagé politiquement.

Ce fut l’avant-dernière tentative de rassembler tous les travailleurs. Ensuite, il a fallu attendre 2009 pour revoir presque toutes les centrales syndicales et deux partis politiques de gauche sur une seule plateforme à la Place des Taxis à Beau-Bassin.

La période 1982-2016 fut une période d’intégration dans la mondialisation et une transformation de notre économie et de notre société.

In fine, il n’existe pas un seul autre pays au monde qui nous ressemble. C’est un des aspects les plus importants de mon analyse politique pour l’avenir.

Chaque année, nous ajouterons d’autres noms, d’autres évènements, jusqu’à 2019.

Le bilan

Le premier bilan : Tout adepte de l’action extraparlementaire – dans les faits le pouvoir extra-parlementaire est plus puissant que le pouvoir parlementaire – doit objectivement admettre que tout ce qui a été gagné sur le plan syndical, fut le résultat de la lutte extra-parlementaire.

Il reste à faire comprendre que la société mauricienne s’est enrichie de plusieurs organisations syndicales et que ces organisations, consciemment ou inconsciemment, ont fait avancer considérablement les intérêts matériels et politiques des travailleurs.

Qui peut nier la contribution des centrales syndicales suivantes, dans la lutte autant politique que syndicale : La GWU (1949) – La FSSC (1957) – La PWU (1959) – Le MLC (1961 – d’obédience PTr et aujourd’hui apolitique) – La GWF (1970 – d’obédience MMM, aujourd’hui d’obédience R&A) – La FTU (1977 – d’obédience MMMSP, aujourd’hui engagée politiquement mais sans lien avec aucun parti politique) – La FPBU (1980 – Qui devint la FPU en 1984 ; centrale syndicale autogérée prônant l’unité syndicale et qui a créé le MPM) – La CTSP (2007 – prônant le syndicalisme apolitique) ; sans oublier les syndicats individuels comme l’UPSEE.
Les syndicats ont constitué non seulement une puissance politique agissante considérable, mais encore plus un des moteurs de notre Histoire. Ils ont produit un grand nombre de dirigeants politiques et de parlementaires, journalistes, techniciens du pouvoir…

Le second bilan : Il est important de relever des lois et des avancées des travailleurs depuis 1922. Souvent, on dit que les travailleurs ne sont plus comme avant, c’est-à-dire combatifs. Il est évident qu’il ne peut en être autrement avec le Workers’ Rights Act,l’Employment Relations Act, avec 30 Remuneration Orders, des institutions comme le NRB, le PRB, l’Employment Relations Tribunal, l’arbitrage sous le Code de Procédure Civile, la Cour Industrielle, la Commission de Conciliation et de Médiation…

Avons-nous pris conscience de l’impact de la semaine des 40 heures, des lois protégeant la sécurité d’emploi, plus des dizaines de salaires minimaux, le salaire minimum national, la pension universelle, les congés de plusieurs natures, le 13ème mois, la protection du pouvoir d’achat…? Avons-nous pris conscience de ce qui a été fait ?

Beaucoup d’entre nous ont participé à plusieurs de ces combats et nous pouvons dire qu’ils étaient importants. Que reste-t-il à faire ? Le plus grand d’entre tous les projets est la désaliénation du travail. Hélas, nous sommes bloqués par la Constitution actuelle et c’est la raison pour laquelle lors d’une conférence organisée par la Commission de Conciliation et de Médiation, j’ai déclaré qu’il faut

1) replacer l’économie au service du social ;

2) revoir notre système d’éducation ;

3) passer à la Deuxième République, et

– que ces trois réformes sont donc importantes et indispensables ;

– que rien ne peut être fait sans la Deuxième République ;

– que nous sommes dans la saturation des réformes possibles sous la présente Constitution : nous piétinons et cela va détériorer les rapports sociaux.

Le troisième bilan : C’est sans aucune contestation l’amélioration du niveau de vie par l’augmentation des salaires dans plusieurs secteurs. Ceux qui ont suivi l’action politique extraparlementaire doivent constater le rehaussement considérable du niveau de vie des travailleurs dans le port, l’aéroport, les corps paraétatiques, la fonction publique…

Dans les faits, la stratégie du « salary gap » — appliquée pour pousser les salaires du secteur privé vers le haut – eut des effets bénéfiques. Il suffit de voir aujourd’hui les villages et les quartiers des villes, pour prendre conscience de ce que notre société a accompli : une transformation spectaculaire. Seul l’endettement massif des ménages représente un danger.


* Published in print edition on 30 April 2021

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