‘Un effondrement total du MSM ouvrirait un boulevard pour le PTr

Interview: Jocelyn Chan Low, Historien

… mais il ne faut surtout pas sous-estimer le vieux loup de la politique qu’est SAJ’

« Le MMM et Paul Bérenger ont toujours pratiqué la realpolitik.
A mon avis, Bérenger choisira l’option qui le mènera vers les plus gros dividendes pour le MMM »


Tous les yeux sont braqués sur le jugement des britanniques dans le sillage de l’affaire MedPoint. Bien entendu, ce jugement est fondamental pour l’Etat mauricen : les citoyens ordinaires souhaiteraient que la Justice soit appliquée de manière impartiale à tout Mauricien, peu importe son statut politique, social ou économique. Il y va aussi de la crédibilité du système judiciaire et des Law Lords britanniques. En outre, Jocelyn Chan Low nous donne son avis sur les conséquences possibles du jugement sur les prochaines élections, le comportement général du MSM et la posture de ses alliés éventuels.

Mauritius Times: Il faut attendre qu’un jugement du Privy Council soit rendu dans l’affaire MedPoint. C’est ce que les Law Lords ont indiqué mardi dernier. En attendant, le MSM a sûrement réfléchi à un ‘battle plan’ quelle que soit l’issue de cette bataille juridique. Quelles seraient, selon vous, les options que les Jugnauth pourraient sérieusement envisager dans l’immédiat et en prévision des prochaines législatives?

Jocelyn Chan Low : Evidemment, le MSM et les Jugnauth doivent sérieusement réfléchir en ce moment aux diverses options quant à l’issue du procès devant le Privy Council. Parce que le jugement va sans doute décider de l’identité de la personne qui mènera le camp gouvernemental aux prochaines élections générales, c’est-à-dire entre Pravind Jugnauth et SAJ.

De même, l’issue du procès influera grandement sur le timing des élections générales. Cela dit, le MSM est déjà en campagne et a déjà annoncé la couleur avec des mesures électoralistes annoncées dans le discours du Premier ministre à l’occasion du Nouvel An, à l’intention des étudiants, des seniors et des fonctionnaires.

Pour faire oublier le discrédit que lui a valu les scandales et affaires à répétition, il n’y a pas d’autre choix que cela. Donc, il faut s’attendre à d’autres mesures semblables à la gratuité de l’éducation tertiaire dans les semaines à venir. Et, en même temps, on verra monter en crescendo la campagne visant à diaboliser le Dr Navin Ramgoolam et l’ancien régime. Dans ce contexte, l’équipe gouvernementale va sans doute se doter d’autres outils et moyens de communication.

* Un jugement défavorable pour Pravind Jugnauth va arranger les choses pour le PTr. Qu’en est-il pour le MMM?

Je crois que le MMM se prépare sérieusement à aller seul aux élections générales, bien sûr pour remporter la victoire, ou sinon pour être en position de force dans le cas très probable qu’aucun des protagonistes ne remporte une majorité absolue dans le cadre d’une lutte triangulaire entre les partis mainstream.

La question est donc de savoir si un jugement défavorable à Pravind Jugnauth entraînera un effondrement électoral du MSM ou non. Dans le premier cas, le MMM se présentera alors comme un rempart contre le retour de Navin Ramgoolam au pouvoir. Bien sûr, ceci va dans le fil droit du thème principal de la campagne du MMM pour les prochaines élections générales, c’est-à-dire la nécessité d’une moralisation de la vie publique et politique à l’île Maurice

* Mais, à bien voir, un MSM affaibli suivant un jugement défavorable pour l’actuel leader du MSM, ce ne serait pas vraiment souhaitable pour le MMM dans la perspective d’une lutte à trois. Qu’en pensez-vous ?

Effectivement, dans le cas d’une vraie lutte à trois, le MMM peut prétendre remporter la joute – s’il arrive à ramener les militants déçus de 2014 au bercail, ou sinon à faire élire un nombre suffisant de députés pour faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Mais un effondrement total du MSM ouvrirait un boulevard pour le PTr. Cela étant dit, il ne faut surtout pas sous-estimer le vieux loup de la politique qu’est SAJ.

* Effectivement le MSM ne va pas cependant se laisser faire, qu’il gagne ou perde la bataille devant le Privy Council. Sir Anerood Jugnauth en a fait la démonstration avec l’attaque dirigée principalement contre le leader du PTr, cette semaine, à Belle Vue Maurel. Cette campagne contre Ramgoolam ira sans doute en s’accentuant à l’approche des élections générales. Pensez-vous que cela aura un impact sur l’électorat dans le cadre d’une élection générale ?

Il est vrai que l’électorat a la mémoire courte et les frasques du Gouvernement actuel peuvent avoir fait oublier celles du précédent régime. Mais, aujourd’hui, nous sommes dans une ère nouvelle en ce qu’il s’agit de la communication – et de la propagande – politique avec la possibilité de manipulation des réseaux sociaux, les ‘trolls’, la désinformation… etc. On peut s’attendre à tout dans une lutte sans merci entre ennemis – et non adversaires – politiques.

* Mais faut-il aussi reconnaître que les attaques anti-Ramgoolam (‘souterraines’ du MSM) lors de la campagne de l’élection partielle au No.18 n’ont pas empêché Arvin Boolell de remporter une belle victoire dans cette circonscription urbaine en décembre 2017. Ramgoolam ne représente donc pas le « liability » comme on veut le dépeindre, parait-il ?

Oui et non. Au niveau de la circonscription No 18, la personnalité exceptionnelle d’Arvin Boolell a été d’un grand apport à la victoire du PTr. Ensuite, au vu du taux d’abstention, c’est le hardcore rouge qui a fait la différence.

Mais pour gagner les élections générales, il faut aller au-delà du hardcore et rallier une grande partie des indécis qui, à mon avis, constitue plus de 40-50% des électeurs potentiels.

Et Navin Ramgoolam, avec les affaires qu’il traîne en Cour, a quand même un gros déficit de crédibilité au sein de cet électorat.

* Par ailleurs, partagez-vous l’avis des observateurs selon lequel le gouvernement pourrait envisager la tenue des ‘snap elections’ au cas où Pravind Jugnauth remporterait la bataille devant le Privy Council ? Ne faut-il pas plus qu’une telle victoire pour se donner les meilleures chances ?

Effectivement, le Gouvernement a tout intérêt à se prévaloir de l’effet psychologique d’une victoire au Privy Council pour aller aux élections générales. Non seulement il mobiliserait ses partisans mais Pravind Jugnauth pourrait se présenter comme ‘Mr Clean’ face à un ex-PM ‘coffre- fort’.

Après avoir, bien sûr, fait un grand nettoyage dans son entourage, il pourrait même tenter une approche vis-à-vis d’éventuels alliés pour les prochaines élections générales.

De même, il pourra mieux résister à une campagne du MMM autour de la moralisation de la vie politique. Mais il faut quand même prendre en considération la tenue des Jeux des Iles de l’Océan Indien et l’inauguration du Metro Express. Ce qui nous amène à octobre 2019.

* En tout cas, l’alliance gouvernementale se prépare activement pour les prochaines législatives : après l’annonce de l’éducation tertiaire gratuite dans les établissements publics, il y aura possiblement une décision en faveur de l’alignement de la pension de vieillesse avec le salaire minimal dans les semaines à venir. Comment réagissez-vous à cela ?

Ces mesures, indépendamment de leur cachet électoraliste, vont dans le sens de l’élargissement de l’état-providence et ne peuvent qu’être accueillies favorablement par tous ceux qui ont à cœur la justice sociale.

Faut-il rappeler que dans le cas de la gratuité de l’éducation tertiaire, à la fin des années 70, suite à une vive agitation estudiantine sur le campus de Réduit, le Gouvernement d’alors avait décidé que tous les undergraduate full time courses à l’université de Maurice ne seraient plus payants. Et, comme il n’y avait qu’une seule institution tertiaire publique, cela équivalait plus ou moins à la gratuite de l’éducation tertiaire à Maurice.

Mais, par la suite, dans le cadre de la mise en place du knowledge hub, suite aux recommandations de la Banque mondiale, on a vu la création de plusieurs universités publiques payantes. Ce qui était en soi une source d’injustice criante pour les étudiants fréquentant ces institutions. C’était comme si à côté des hôpitaux publics gratuits, il existait des hôpitaux publics payants.

Heureusement que pour les décideurs politiques d’alors, trop enclins à suivre à la lettre les recommandations de la Banque mondiale, il n’y avait pas eu à Maurice un mouvement estudiantin revendicatif et populaire depuis 1975…

* Les critiques de l’opposition contre la décision en faveur de l’éducation tertiaire gratuite ont été plutôt timides, ce qui est compréhensible. En tant que pédagogue, pensez-vous que cette décision sera bénéfique pour le pays ?

Bien sûr, et il faut saluer tout bas la décision du Gouvernement.

Premièrement, parce qu’il n’est pas question de laisser qui que ce soit au bord de la route dans le knowledge economy qui se met en place. Exclure des personnes d’une dynamique économique, c’est risquer de se retrouver à moyen terme avec une situation sociale et politique explosive comme en France avec le mouvement des gilets jaunes.

Deuxièmement, la gratuité des part-time courses consolide davantage le concept de lifelong education. Evidemment, dans un monde où la révolution technologique et le déploiement des connaissances sont quasi-permanents, la formation ne s’arrête jamais.

En outre, notre population reste notre unique ressource. Or, il est en train de se rétrécir. On n’a qu’à voir le intake pour le Standard 1 du primaire.

La tendance démographique fait que tous les jeunes sont devenus précieux. Il incombe à l’état de veiller à ce que chaque jeune reçoive la formation nécessaire pour que le pays puisse faire face aux défis de demain avec une population quantitativement réduite.

Bien sûr, pour que la mesure soit un succès il ne faudrait surtout pas que les institutions tertiaires publiques soient starved of necessary funds et aient à se battre constamment pour balancer leur budget. De même, il faudrait resserrer les contrôles en termes de quality assurance. Et finalement, et c’est très important, il faudra veiller aussi à ce que les étudiants apprennent le sens de l’effort dès leur plus jeune âge.

* Pour revenir sur les décisions gouvernementales par rapport à l’éducation tertiaire gratuite et la pension de vieillesse, et leur impact sur les finances publiques, on se pose sûrement des questions dans les rangs du PTr et du MMM sur l’héritage économique que laissera l’actuel Gouvernement et les options envisageables tant économiques que politiques en vue de faire face à un tel challenge. Qu’est-ce qui serait envisageable, selon vous ?

Le modèle de fiscalité relève d’un choix politique mais aussi idéologique. Il ne faut surtout pas se laisser leurrer par les discours ultra libéraux des ‘experts’ en ce qu’il s’agit de la fiscalité.

Un état social-démocratique crée les conditions pour la croissance économique mais demande à ce que cette croissance profite à la population dans son ensemble et non pas qu’à des corporate interests ou à de gros actionnaires.

Maurice a réussi son indépendance parce que l’état-providence s’est élargi et non rétréci avec la croissance économique. C’est le prix de la stabilité politique et sociale dans une société extrêmement inégalitaire en termes de richesses. Les ressources sont là. Il suffit de regarder du côté où elles se trouvent. Les politiques auront-ils le courage de le faire ? That’s the question…

* On sait que c’est durant la dernière semaine d’une campagne électorale que les intentions de vote se précisent ou qu’il y a un sursaut d’une majorité de l’électorat en faveur d’un parti ou d’une alliance quelconque. Qu’est-ce que les échos venant du terrain vous informent sur le ‘mood’ de l’électorat vis-à-vis des principaux partis politiques du pays présentement ?

Le mood général présentement relève de l’attentisme mais aussi d’une certaine défiance, voire d’un certain dégoût, vis-à-vis du monde politique en général. Hors de leur hardcore qui s’est considérablement rétréci ces dernières années, tous les partis mainstream ont un problème de crédibilité auprès d’une grande partie de l’électorat.

Le mood indique que l’abstention sera sans doute très élevée. D’ailleurs, il y a déjà des échos de cela dans le peu d’empressement de certains, surtout des jeunes, à accomplir leur devoir civique ne serait-ce que pour s’enregistrer comme électeurs sur le registre électoral.

* Les observateurs politiques nous disent que la majorité silencieuse saura faire son choix en temps et lieu, et qu’il faut compter avec cela. Qu’est-ce qui l’emportera au final, selon vous ?

Le problème, c’est qu’il est pratiquement impossible de déchiffrer la majorité silencieuse, précisément parce qu’elle ne veut pas donner des indications quant à ses options et ses préférences. Mais il y a toujours eu, d’un côté, parmi ceux qui finalement se décident à aller voter, un vote « régimiste », c’est-à-dire très conservateur. Ils préfèrent voter pour le régime en place. Et, de l’autre côté, le protest vote qui choisit toujours l’alternance. Qui des deux l’emportera ? Difficile à dire.

* Il y a cette question qui reste posée concernant l’option politique de Paul Bérenger en vue des prochaines législatives. Il avait démenti, après l’annonce de la nouvelle dans un quotidien, qu’il aurait fait mention, lors d’une réunion du bureau politique du MMM, de l’option d’une alliance avec une autre formation politique. Rien n’est plus sûr, parait-il, et pour cause puisqu’il s’agit de Paul Bérenger, disent ses adversaires…

Le MMM et Paul Bérenger ont toujours pratiqué la realpolitik. Donc, à mon avis, il choisira l’option qui le mènera vers les plus gros dividendes pour le MMM.

Force est de constater que, dans la situation actuelle, faire cavalier seul aux élections générales semble être l’option la plus rentable. Non seulement c’est le meilleur moyen de mobiliser son électorat et de ramener une partie de ceux qui s’étaient éloignés du parti en 2014, mais aussi de faire peau neuve, de rajeunir et de féminiser davantage les candidats à la députation et surtout d’être dans une position de force dans un prochain gouvernement.

Aller seul aux élections pour le MMM, ce n’est pas comme auparavant — se retrouver en face d’une alliance bleu-blanc-rouge – ce qui est pratiquement hors de question aujourd’hui avec le fossé qui sépare les leaders du MSM et du PTr — mais dans une lutte triangulaire où l’issue est incertaine, avec une très forte possibilité qu’aucun des protagonistes ne remporte une majorité absolue.

Dans ce cas de figure, le MMM pourrait détenir les clés de l’Hôtel du gouvernement…


* Published in print edition on 18 January 2019

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