Le PMSD, un cas d’école de comportement erratique
|Politique et alliances
By Aditya Narayan
Une semaine est une longue période en politique, dit-on.
Cet adage s’est vérifié dans le contexte local la semaine dernière avec la démission de l’ex-Speaker Sooroojdev Phokeer et son remplacement rapide par Adrien Duval, le fils du leader du PMSD. Ces deux développements, qui chamboulent l’échiquier politique au gré d’un repositionnement du PMSD dans l’opposition, posent deux questions cruciales pour l’avenir de la démocratie parlementaire à Maurice, du moins dans le court terme:
- La nomination d’Adrien Duval au poste de Speaker du Parlement est-elle légale et/ou morale ?
- Est-il normal qu’un parti, en l’occurrence le PMSD, change de camp politique du jour au lendemain en passant du statut de parti d’opposition au Parlement à celui d’un allié potentiel, voire de partenaire éventuel, du gouvernement en place ?
Les juristes et politologues débattent de la légalité de la nomination d’Adrien Duval en citant les articles 32 et 50 de la Constitution et les règles de procédure, notamment le « standing order »7(1)(b), de l’Assemblée législative (voir les références dans le tableau ci-dessous).
- L’article 32(1)(a) prévoit que le Speaker peut être choisi parmi les membres de l’Assemblée législative ou autrement (“otherwise”), ce qui implique qu’un individu non élu peut être nommé à ce poste.
- Or, le « standing order » 7(1)(b) du Parlement prévoit qu’en cas de vacance au poste de speaker, un autre speaker soit choisi parmi les membres de l’Assemblée législative.
Est-ce que la Constitution a la primauté sur les règles du Parlement ? Chacun y va de son couplet selon son bord politique ou son interprétation de la loi.
D’une part, les gens bien-pensants trouvent dans les textes de loi des raisons en faveur de la légalité de la nomination, et d’autre part, des observateurs à l’esprit critique trouvent des raisons pour arguer de l’illégalité de la nomination. Dans ce débat byzantin, le citoyen profane y perd son latin, surtout en l’absence d’une autorité indépendante qui puisse donner une interprétation juste, fondée sur une lecture objective de la situation.
Certes, les partis d’opposition qui contestent la nomination de d’Adrien Duval peuvent en appeler à la Cour suprême pour avoir un avis légal, mais le problème est le temps que le judiciaire prendra pour statuer sur la question.
Typiquement, le judicaire prend des années pour juger une pétition électorale contestant l’élection d’un député ou une motion contestant la suspension d’un député par le Speaker. Entretemps, les plaignants doivent prendre leur mal en patience. Il est évident que si l’opposition officielle devait demander à la Cour suprême son opinion sur la nomination de Duval, le jugement ne serait pas livré avant les prochaines élections prévues après la dissolution du Parlement le 21 novembre 2024.
Aspect moral
Même si la nomination de Duval est légale, la question est de savoir si elle est morale compte tenu du fait qu’il est un individu non élu, de surcroit le fils du leader du PMSD, un parti qui dit être dans l’opposition mais négocie une alliance électorale avec le MSM, partenaire majoritaire du gouvernement.
L’aspect moral de la question a trait au nouveau positionnement du PMSD sur l’échiquier politique. Le PMSD a une position ambiguë dans la mesure où il veut rester sur les bancs de l’opposition au Parlement tout en négociant les termes d’une alliance avec le MSM. Est-ce une ambiguïté stratégique qui veut que le PMSD garde ses options ouvertes pendant qu’il négocie avec le MSM ?
Peu importe les arguments du PMSD pour justifier la nomination d’Adrien Duval comme Speaker, en particulier la nécessité de remplacer l’ex-speaker devenu encombrant par ses excès par un nouveau speaker qui pourra assainir la situation au Parlement, le public ne comprend pas pourquoi il fallait dénicher un « oiseau rare » dans les rangs du PMSD après sa cassure avec l’alliance de l’opposition parlementaire, à moins que ce ne soit une stratégie visant à jeter les jalons d’une future alliance électorale avec le MSM.
Le repositionnement du PMSD sur l’échiquier politique, après avoir passé cinq ans dans l’opposition comme un farouche adversaire du MSM, est un cas d’école de comportement erratique d’un parti politique, dont l’évolution change au gré des circonstances plutôt que d’être guidé par des principes immuables. Il est vrai que la fin des idéologies à Maurice a permis à tous les partis politiques de s’allier les uns aux autres dans le passé dans des alliances tactiques visant à remporter les élections. Mais cela justifie-t-il tous les retournements de vestes, les revirements, les reniements et les compromissions qui donnent l’impression que la recherche du pouvoir à tout prix est l’unique fin de la démarche politique ?
Depuis sa démission du gouvernement MSM en 2017, en raison d’une divergence sur le projet de loi créant une commission de poursuite parallèle au DPP, le leader du PMSD avait assumé le rôle de leader de l’Opposition (avec une parenthèse pour Arvin Boolell, chef de file travailliste au Parlement) jusqu’à tout récemment. À travers ses questions parlementaires et ses interventions sur les projets de loi, il s’était bâti un capital de sympathie avec son réquisitoire implacable contre le gouvernement. Or, mécontent de l’offre de huit tickets aux prochaines élections au sein de l’alliance de l’opposition parlementaire, le PMSD a fait un virage à 180 degrés pour passer de l’opposition à un allié potentiel du MSM.
Lorsqu’il s’agit d’un député d’opposition qui change de parti pour devenir transfuge, on peut expliquer ce changement par l’intérêt personnel fondé sur la recherche de gains matériels (ex : un poste de ministre dans le gouvernement). Mais lorsque tout un parti se repositionne sur l’échiquier pour rejoindre le camp adverse, c’est une démarche anormale que l’on ne trouve pas dans les démocraties parlementaires dignes de ce nom.
Quels en seraient sont les motifs sinon le pouvoirisme ? Cette approche voudrait-elle qu’il faille être absolument dans le pouvoir pour promouvoir ses intérêts personnels, de parti, de clan ou de famille ?
Un politologue américain, Aaron James, professeur de philosophie à l’Université de Californie, a avancé une théorie pour expliquer la démarche de ceux qui agissent de façon irrationnelle pour promouvoir leurs intérêts personnels. Dans son livre “Assholes: A Theory”, il définit un tel individu comme suit :
“A person counts as an asshole when, and only when, he systematically allows himself to enjoy special advantages in interpersonal relations out of an entrenched sense of entitlement that immunizes him against the complaints of other people”.
Cette théorie s’applique aux autocrates, kleptocrates et autres kakistocrates qui utilisent le pouvoir à des fins personnelles au lieu de s’occuper du bien commun. Ils croient qu’ils ont un droit historique ou divin au pouvoir. Ils dénaturent la politique en lui ôtant tout sens de l’intérêt collectif pour promouvoir le tribalisme ou l’oligarchie familiale. Il convient de citer John Adams, le deuxième président américain, qui avait dit ceci :
“Government is instituted for the common good: for the protection, safety, prosperity and happiness of the people; and not for the profit, honour, or private interest of any one man, family or class of men”.
Aditya Narayan
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Ce que prévoit la Constitution pour l’élection du Speaker et du Deputy Speaker
Constitution of Mauritius
- Speaker and Deputy Speaker
(1) (a) The Assembly shall, at its first sitting after any general election, on motion supported by the votes of a majority of all the members of the Assembly elect –
(i) from among its members or otherwise, a Speaker;
(ii) from among its members, a Deputy Speaker.
(b) A motion under paragraph (a) shall not be the subject matter of a debate in the Assembly.
(4) Where the office of the Speaker or the Deputy Speaker becomes vacant at any time, the Assembly, in the manner specified in subsection (1), shall, unless it is sooner dissolved, elect –
(a) from among its members or otherwise, a Speaker;
(b) from among its members, a Deputy Speaker
Article 50. Presiding in National Assembly
The Speaker or in his absence the Deputy Speaker or in their absence a member of the assembly (not being a minister) elected by the Assembly for the sitting, shall preside at any sitting of the Assembly.
Legislative Assembly Standing Orders:
- (1) No business shall be transacted in the Assembly, other than the election of a Speaker, at any time when the Office of Speaker is vacant. Accordingly, the Assembly shall –
(a) at its first sitting after any general election; and
(b) if the Office of the Speaker becomes vacant at any time before the next dissolution of the Assembly, except in the circumstances mentioned at paragraph (4) of this Order, at its next sitting after the occurrence of the vacancy, elect from among its Members, other than Ministers and Parliamentary Private Secretaries, a Speaker of the Assembly.
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Quelques définitions:
- Autocrate : Monarque ou Chef politique tyrannique qui détiennent le pouvoir absolu
- Kleptocratie : Un système politique ou un gouvernement où un ou plusieurs membres sont politiquement corrompus et sont guidés par leur propre gourmandise financière, et ce comportement inclut fréquemment des proches et des membres de leur famille
- Kakistocrate : Le terme « kakistocratie » est construit à partir de deux mots grecs : « kakistos » qui signifie « les pires » (il s’agit du superlatif de « kakos » : « mauvais ») et « kratos » qui signifie « le pouvoir ». La kakistocratie est donc la gouvernance par les médiocres, la direction par les incompétents. Le gouvernement par les personnes les plus médiocres.
Sources
Dictionnaires en ligne : Larousse, Collins, La Toupie
Barth Isabelle. 2024. « Kakistocratie : Kesako ? », La Kakistocratie ou le Pouvoir des Pires, pages 12 à 39
Mauritius Times ePaper Friday 26 July 2024
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