Paul Bérenger et Irfan Raman : Je t’aime, moi non plus

Eclairages

Par A. Bartleby

Le discours de Paul Bérenger, lors d’une célébration pour la fête de Eid le 3 mai dernier, n’aura pas manqué de surprendre. En effet, Paul Bérenger – dont les postures concernant les pétitions électorales ne pouvaient laisser aucun doute quant à son opinion de l’actuel patron de la commission électorale – en a surpris plus d’un en faisant l’éloge de ce dernier.

Paul Bérenger est même allé jusqu’à demander à Irfan Raman de rester en poste au moins jusqu’aux prochaines élections générales car il est, selon lui, le seul garant de l’intégrité du processus électoral, ce qui a de quoi surprendre. Et l’on devine que Navin Ramgoolam – son partenaire privilégié dans les négociations d’alliance et dont quelques membres non-élus de son parti avaient contesté par voie de pétition électorale les résultats des dernières élections dans certaines circonscriptions – doit aujourd’hui se poser des questions.

Est-ce que Paul Bérenger est en train de poser sa stratégie de sortie d’une alliance qui traîne à se concrétiser ? Ça en a tout l’air. La séquence a, du moins, de quoi interpeller. Une source à l’intérieur du MMM a affirmé que le leader mauve aurait été farouchement opposé à toute contestation du processus électoral et à toute pétition électorale au sortir des élections générales de 2019.

Selon cette même source, il aurait, d’ailleurs, demandé plusieurs fois aux membres de son parti de ne pas questionner la légitimité des élections de 2019, comme le faisait publiquement le Parti Travailliste. Les choses ont changé lorsque les “kozkoze” ont commencé avec Navin Ramgoolam, et d’un seul coup, Paul Bérenger se serait laissé convaincre que les élections générales de 2019 posaient un problème et que des procédures légales devraient être enclenchées.

Qu’est-ce qui explique ce qui est de toute évidence une autre de ces volte-face du leader mauve ? Démontre-t-elle que les négociations tournent au vinaigre avec Navin Ramgoolam? Déjà, l’absence de ces trois partis dans le cadre d’un meeting commun le 1er mai – quoique annoncé précédemment dans les traditionnelles conférences de presse – avait envoyé un message pessimiste quant à la capacité des trois partis à accorder leurs violons…

Là, il semble qu’un autre palier ait été franchi. Et ce palier n’annonce rien de bon pour le MMM en réalité car il faut aussi comprendre ce qui se joue pour le MMM dans cette conjoncture. La volte-face de Paul Bérenger en 2014, concluant un accord avec SAJ avant d’aller mordre à l’hameçon de son voisin de Riverwalk, a produit une situation extrêmement délicate pour le parti mauve : la porte d’une alliance avec le MSM semble s’être fermée pour très longtemps, lui laissant uniquement deux options. Soit Paul Bérenger accepte une alliance avec le PTr de Navin Ramgoolam, en sachant que la grosse partie des’militants koltar’ ne le suivront pas, ou bien il mène le MMM seul aux élections générales, avec pour conséquence la mort lente et agonisante du parti.

Ainsi ce jeu du “Je t’aime, moi non plus” avec Irfan Raman nous fait entrevoir les choses de manière plus complexe qu’elles n’y paraissent au premier regard.

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Agression d’une touriste tchèque à Bel Ombre

Les faits se sont déroulés cette semaine. Un couple de touristes tchèques se promenaient lorsque deux individus se sont approchés d’eux pour les agresser. L’un des individus était armé d’un sabre qu’il n’a pas hésité à utiliser en sectionnant la main droite de la touriste.

Cette horrible agression ne doit pas être laissée sans réponse. Le problème du « law and order » à Maurice atteint progressivement des proportions extrêmement inquiétantes. La conjugaison de la cherté de la vie, des addictions aux substances illicites, du chômage et de l’exclusion sont un cocktail explosif dont les répercussions pourraient avoir des effets désastreux sur les différents secteurs de notre activité économique.

Par exemple, dans ce cas précis, il est clair que la nouvelle fera le tour des médias dans la Républiquetchèque. Cette dernière, avec plusieurs pays de l’Europe de l’Est, représente un marché émergent très intéressant pour notre secteur touristique et hôtelier. D’ailleurs, la stratégie affirmée depuis quelques années de la Mauritius Tourism Promotion Authority (MTPA) est justement de viser ces marchés émergents afin de diversifier les arrivées touristiques dans le pays.

Ainsi, ce genre de drames est précisément ce dont on devrait se passer. La dépendance de Maurice vis-à-vis des capitaux étrangers fait que nous nous devons de faire le maximum afin de conserver la réputation de Maurice au niveau international. Et malheureusement, la moindre perception concernant cette progression de l’insécurité pourrait nuire de manière durable à un secteur qui fait vivre près de 100,000 personnes.

Le cas Michaela Harte-McAreavey avait été un sacré coup dur dont nous continuons à percevoir les effets sur le marché irlandais. Ne nous mettons pas à dos les marchés émergents de l’Europe de l’Est maintenant.

Comment donc répondre à cette montée de l’insécurité ? Seul le gouvernement aura la réponse à cette question, mais il se doit d’agir en renforçant d’un côté l’axe sécuritaire et punitif et, de l’autre côté, l’axe de l’action contre l’exclusion et contre les inégalités socio-économiques trop marquées.

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Poutine en posture difficile ?

Après une attaque de drones qui vient de secouer le Kremlin, voici le groupe Wagner qui attaque ouvertement un ministre russe via une vidéo postée sur les réseaux sociaux.

Est-ce que Vladimir Poutine est en train de perdre la main sur le pouvoir russe et sur l’armée en particulier ? D’autant plus que le président russe, qui a l’habitude de se mettre au-devant de la scène pendant les démonstrations militaires, est resté extrêmement discret lors du défilé militaire qui a eu lieu à Moscou, il y a quelques jours.

Difficile d’arriver à des conclusions hâtives sur la situation puisque très peu d’informations filtrent actuellement. Mais le coup de colère de Evgueni Prigojine, le patron du groupe Wagner, est un signe fort.

Evgueni Prigojine est connu pour être un proche de Vladimir Poutine, à qui il doit son ascension fulgurante lors de la formation du groupe Wagner. Ce dernier est un groupe paramilitaire privé dont la fonction est l’infiltration, le cyber terrorisme et l’entraînement des milices dans divers pays. Ils se sont fait connaître en occupant le terrain de plusieurs pays africains et en constituant une sorte de bras armé de la diplomatie russe.

Prigojine est indigné que des munitions promises au groupe Wagner ne soient pas arrivées à temps sur le front de Bakhmut, ce qui les a forcés à battre en retraite.

Le patron de Wagner a directement blâmé le ministre de la défense Sergueï Choïgou, sans attaquer directement Vladimir Poutine. Mais il est évident que les relations entre des deux hommes n’est plus au beau fixe.

Est-ce que cela signifie un tournant pour Vladimir Poutine? Nous le saurons bien assez tôt.

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Le couronnement du roi, déconnexion des élites et populisme

Charles III est enfin officiellement roi. La cérémonie du couronnement a eu lieu samedi dernier, avec tous les apparats et dans la tradition.

Les images étaient superbes, pour ne pas dire grandioses : les symboles, les parades, la démonstration d’une richesse et d’une opulence venus d’un autre temps. Cela contrastait d’ailleurs fortement avec la situation actuelle de la Grande Bretagne, qui est passé d’un empire où le soleil ne se couchait jamais à une île divorcée de l’Europe en moins d’un siècle.

Beaucoup de Britanniques se posaient la question : en quoi est-ce que le cérémonial de la royauté et ses traditions répondent-ils aujourd’hui aux impératifs d’une modernité où la Grande Bretagne ne serait plus une puissance qui compte réellement ? Les priorités budgétaires, par exemple, sont clairement ailleurs. Avec une inflation galopante, des factures énergétiques qui deviennent punitifs, une économie en berne et les conséquences sociales qui s’ensuivent, les effets du Brexit sont plus que jamais extrêmement néfastes sur le peuple britannique.

Il semble ainsi y avoir comme une contradiction dans tout cela, comme la confirmation d’une déconnexion irrémédiable des élites, incarnée par la famille royale, avec la réalité du peuple. Cette déconnexion des élites avec les masses est un phénomène global, et la source même de nombreux populismes qui émergent un peu partout dans le monde, y compris à Maurice.

Et les pratiques d’une institution aussi archaïque et désuète que la monarchie amplifie ce phénomène de déconnexion, comme l’atteste par exemple le fameux “Qu’ils mangent de la brioche” lancé par Marie-Antoinette à la foule qui s’était amassée devant le palais de Versailles en 1789 pour protester du manque de farine et de pain à la veille de la révolution française.

Mais ce serait aussi voir le verre à moitié vide que d’adopter ce point de vue. Il y a une raison pour laquelle une institution comme la monarchie a survécu aux troubles révolutionnaires en Grande Bretagne. L’Histoire britannique est, de ce point de vue, très différent de l’Histoire française. Là où les Français – dans le sillage de longues décennies qui ont suivi la révolution française et l’abolition de la monarchie – se sont focalisés sur la construction de l’état républicain moderne, les Anglais – eux – ont préféré la voie du libéralisme économique alliée à une monarchie parlementaire.

Cela n’est pas anodin du tout. Le fondement même de l’esprit du libéralisme est la transformation totale, radicale même, de la société à travers des révolutions industrielles. Ces dernières ont permis de faire bouger les lignes sociales drastiquement en redessinant les contours de la société britannique. Elle s’est fondée dans deux mouvements complémentaires : les immenses transferts de richesse des colonies vers la Grande Bretagne à travers le processus colonial et la pratique constante de la liberté individuelle.

Et la monarchie a, en fait, un rôle clé à jouer dans ces grandes transformations. Pas un rôle actif de décision et de gouvernement, mais un rôle symbolique hautement stratégique et importante : celle de servir de repère commun et de fédérer le peuple britannique.Car voilà bien sa seule et unique fonction, démontrer qu’au sortir des constantes évolutions, il y a quelque chose qui reste immuable et éternel, quelque chose qui ne changera jamais quel que soit le monde dans lequel on vit, et quelque chose qui incarne la Grande Bretagne et qui sert de référence à tous les Britanniques : la monarchie.

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Private prosecution et persécution…

L’actualité politique a été riche cette semaine.

Tout d’abord, le travailleur social Vivek Pursun a fait une demande de private prosecution à l’encontre du ministre Maneesh Gobin et du PPS Rajanah Daliah dans l’affaire du chassé de Grand Bassin. Vivek Pursun affirme détenir des informations plus précises sur les faits qui se sont déroulés pendant une rave party qui s’est tenue en ces lieux le 12 septembre 2020. Selon lui, ce serait pendant cette soirée que le ministre de l’agro-industrie et le PPS auraient touché les fameux pots de vin. Vivek Ursun aurait cité notamment les noms de huit témoins qui pourront confirmer ses dires.

Cette affaire prend petit à petit une autre dimension, et l’affidavit de Vivek Pursun tend vers cette autre direction : celle de la proximité des évènements avec le Ganga Talao. Cette tournure était à prévoir, les preuves irréfutables de corruption n’ayant pas encore été déposées, l’angle d’attaque évolue pour aller vers l’ambiguïté morale liée à cette affaire.

Un politicien élu dans une circonscription rurale et probablement jouant politiquement sur le clavier identitaire – qui irait de pair avec cette circonscription – se doit de conserver un comportement approprié quant aux valeurs morales et culturelles de son électorat. Toutefois, les faits qui lui sont reprochés – s’ils sont avérés – vont totalement a contrario du comportement requis, et la proximité du lieu en question avec le lac sacré pourrait être une épée de Damoclès dont Maneesh Gobin risque de ne jamais pouvoir se défaire.

En politique, les perceptions comptent parfois bien plus que les faits. Navin Ramgoolam en a fait les frais avec l’affaire des ‘katori’. Maneesh Gobin pourrait bien être amené à subir la même tendance et regretter amèrement sa présence pendant cette rave party.

Par ailleurs, la Special Striking Team (SST) a encore frappé en arrêtant Harish Chundunsingh. Cet ancien journaliste est connu des internautes car il publie régulièrement des posts de dénonciation sur les réseaux sociaux.

Dans ce cas précis, Harish Chundunsingh a publié un post concernant les allégations portées par la police à l’encontre de Vimen Sabapathi, qui a fait partie de l’équipe de sécurité de Navin Ramgoolam et qui avait été arrêté avec un colis contenant plusieurs kilos de substances illicites. Une vidéo, qui a fait le buzz le jour de son arrestation et qui a été en circulation sur les réseaux sociaux, montre une voiture grise soupçonnée d’avoir une fausse plaque d’immatriculation. On voit un homme sortir, il s’arrête à côté d’un des véhicules de Vimen Sabapati et jette un colis sous le véhicule. Les internautes ont tout de suite conclu à une opération de ‘planting’, alors que la SST affirme – elle – qu’il s’agissait d’un capteur GPS qui leur aurait permis de suivre les déplacements de Sabapathi.

Qui a raison ? Difficile de le dire avec certitude. Mais ce qui est certain, c’est que le « mood » actuel ne fait pas beaucoup de place au doute dans la tête de beaucoup de gens. Le soupçon permanent concernant les agissements de la police n’aide pas et certaines opérations de police alimentent une culture de doute et de scepticisme concernant les intentions réelles et les objectifs de certaines factions de la police.

L’arrestation d’Harish Chundunsingh s’inscrit dans cette lignée, et ce, même si Harish Chundunsingh est connu comme un ardent défenseur du PTr. C’est d’ailleurs peut-être là aussi le point à retenir dans tout cela : plus l’Etat sera perçu comme persécutant des sympathisants de l’opposition, plus le doute d’un glissement vers des formes inquiétantes de l’exercice des enquêtes de police persistera, jusqu’à arriver à un point où la police pourrait perdre toute sa crédibilité aux yeux des Mauriciens.


Mauritius Times ePaper Friday 12 May 2023

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