Paradis des rentiers

By Nita Chicooree-Mercier

Sauver la terre de tout empoisonnement : telle est une des missions du mystique indien Sadhguru qui a parcouru le monde d’arrache-pied l’an dernier. D’abord, en Inde, il attire l’attention sur la nécessité de laisser revivre une terre exténuée par l’agriculture industrielle et la qualité des produits agricoles qui en est affectée, notamment une carence en vitamines.

Si la terre nourricière demande à respirer, c’est aussi en raison des constructions massives, phénomène prédateur engloutissant de plus en plus de terrain. Ici, les terrains fertiles disparaissent au gré de l’appétit des investisseurs qui ont flairé à temps la manne financière qui en découlera.

En tête du peloton, les propriétés sucrières désenchantées par la décroissante rentabilité de la canne à sucre. Le signal de départ fut donné dès 2003. La grande aventure immobilière pouvait commencer, les agences de promotion et de vente poussèrent comme des champignons. Selon la logique économique de rentabilité, d’autres ne se sont pas fait prier pour saisir l’opportunité qu’offre un secteur prometteur.

Une enquête approfondie de la presse privée serait à même d’éclairer le public sur les bénéfices à long terme des gains pour les caisses de l’État à travers les taxes de ces ventes et locations des résidences de luxe à travers l’île. Espérer que la presse mette le bout du nez dans ce genre d’investigation, cela relèverait-il d’un vœu pieux ?

L’effervescence de la publicité sur une radio privée pour les futurs magasins d’une grande marque française – qui sortiront des terres fertiles des propriétés sucrières – n’a suscité aucune réaction dans les journaux qui, d’habitude, ont un avis sur tout ce qui touche à l’économie et, veillent à ce que les terres soient exploitées à bon escient.

L’indignation est à géométrie variable selon l’identité du groupe d’investisseurs, et manifestement, l’enseigne française reprise par les locaux a cette vertu de faire taire les plus volubiles derrière le micro et l’écran de leur ordinateur.

Les multiples investissements de certains groupes témoignent de leur bonne santé financière. Un rapport sur le montant des loyers auxquels font face les entreprises moyennes des supermarchés dans les centres commerciaux serait aussi nécessaire pour comprendre les rapports de force dans ce secteur.

Nous n’osons publier, ici, le loyer qui nous a été communiqué par des tiers dans un cas précis tant la somme paraît exorbitante et explique pourquoi les groupes qui s’y risquent finissent par plier bagage. Ceux qui ont tourné la page de la canne boudent aussi les usines manufacturières qu’ils ont contribué à mettre sur pied en raison, peut-être, d’une rentabilité fluctuante et des soucis de recrutement de personnel.

Les Mauriciens au budget moyen se sont lancés sur le marché juteux de l’immobilier qui a comme inconvénient le fait d’être… immobile. Le béton ne se déplace pas au gré de nos souhaits et il ne se mange pas non plus. Il y a un manque de logement pour les locaux et ceux qui ont agrandi leur patrimoine immobilier dans leur cour ou en visant plus grand sont assurés d’une rente confortable à la fin du mois.

Petit, moyen ou gros patrimoine immobilier, le pays est devenu le paradis des rentiers. La terre nourricière, telle que la défend Sadhguru, a de fervents adeptes qui sont attachés à l’agriculture et essaient de polluer la terre le moins possible…

De croire qu’il faut dépouiller les riches pour habiller les pauvres est un leurre. Il serait plus raisonnable de hisser le bas vers le haut que le contraire. Idéologues et écrivains, nous feront grâce de leur vision binaire d’opposer pauvres aux riches, cases en tôle aux villas de luxe. 

Le misérabilisme consiste à exhiber les extrêmes afin de culpabiliser les uns, de donner en spectacle médiatique celui qui a perdu toute dignité et qui est à terre. Le misérabilisme ignore celui qui trime pour joindre les deux bouts malgré les difficultés et, petit à petit, arrive à sortir la tête de l’eau sans se plaindre et accuser les autres.

C’est la grande classe moyenne que la prospérité d’un pays en développement fait émerger et contribue à hisser davantage des gens dans ses rangs. Il serait judicieux de ranger la démagogie dans le tiroir et de tenir compte de la complexité des choses au lieu de revêtir l’habit d’apôtre d’un autre temps.

* * *

Mère patrie et terre nourricière

76 ans après avoir conservé le nom qui lui a été donné par l’héritage colonial britannique pendant deux cent ans, l’Inde est en cours de reprendre le nom d’un roi, fils du sol, qui a marqué son histoire, le roi Bharata, fils du roi Dushyant et de Shakuntala.

Dans quelques jours, le gouvernement indien annoncera par une résolution au Parlement que désormais “India” fera place à “Bharat”. Au fond, “India” qui traîne une forte connotation d’une colonisation britannique dévastatrice pour le pays sur tous les plans, est dépourvue d’âme.

“Bharat” est chargé de sens et porte l’âme d’une civilisation plusieurs fois millénaire. Si le nom “Bharat” parle peu aux autres pays, pour la vaste majorité des habitants de l’Inde et les gens d’origine indienne à travers le monde, c’est un évènement significatif dans l’histoire moderne de leur civilisation. C’est aussi le moment d’opérer une véritable prise de conscience du poids mental et des dégâts engendrés par des siècles d’occupation étrangère.

C’est une véritable reconnaissance, plus que le fait de renommer, et de renaissance par le nom d’un pays qui aspire à prendre la place qu’il entend dans le concert des grandes nations. Bharat est aussi chargé de sens de nature spirituelle, le « Mahabharata »(Grand Bharat) étant un livre sacré majeur de l’Inde.

D’ailleurs, au moment de l’indépendance de l’Inde en 1947, l’hymne national indien, le « Vande Mataram » fait référence à « Bharat » dès la première ligne : « Jana Gana Mana Jaya Hein Bharat Baag Vidyat». La ferveur patriotique a toujours été exprimée par « Bharat Mata Kijai »(Vive Mère Inde).

Ce nom que l’Inde reprend ceci de particulier en ce qu’il incarne l’univers spirituel et l’identité politique du sous-continent.

La portée stratégique du gouvernement indien d’effectuer cette reconnaissance de nom dans le sillage d’une future campagne électorale qui réunit les principales figures de l’opposition dans une alliance nommée I.N.D.I.A. est un camouflet cinglant qui rend cette appellation obsolète, même si “India” coexisterait avec “Bharat” pendant quelques années encore.

Les voix en Inde s’élèveront pour clamer qu’il y a d’autres priorités qui méritent que le gouvernement s’échine à régler tandis que la presse en Europe ne manquera pas de procéder au comptage des toilettes et au pourcentage des maisons desservies par l’électricité. Cette propension de diriger le regard vers le bas est un vestige hérité de l’idéologie communiste, elle-même héritière d’une révolution sanglante en 1789 en France. C’est le fonds de commerce du gauchisme extrême que de propulser les plus démunis sur le devant de la scène en les infantilisant dans un sentimentalisme et utopie égalitaire, et qui les hérisse contre les plus nantis dans une vision binaire simpliste.


Mauritius Times ePaper Friday 8 September 2023

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