Le grand malaise

Par Nita Chicooree-Mercier

Puisque c’est dans l’air du temps, parlons-en. Pourquoi auraient-ils tort, ces Mauriciens qui tiennent à ne pas dissocier langue créole et ethnie créole? C’est ce que font les cousins dans les îles à majorité créole. Prenez l’exemple des Antilles et la Réunion. Ce n’est un secret pour personne que les sociétés créoles ont un gros problème d’identité dans ces îles. Pour des raisons liées à leur histoire, à l’esclavage, à la perte d’identité, la colonisation et pire encore, la départementalisation. C’est-à-dire la non-émancipation politique. Dans ce contexte où la culture créole est reléguée à une sous-culture, il n’y a pas de ‘communauté majoritaire’ comme source de tous les malheurs. Ouf! 

Notre langue à nous

Qu’est-ce qu’on a entendu comme discours dans le milieu intellectuel créole dans ces îles depuis quelques années? Faute de soulever de vrais problèmes, ils se sont contentés d’entretenir la galerie avec des grands discours sur le ‘métissage’ ethnique et culturel. Comme si le métissage était une valeur en soi. Leur vrai problème est politique. Il est plus facile d’ériger le métissage en valeur suprême que de remettre en question un statut politique qui est à l’origine de leur impuissance, leur tiraillement identitaire et cette mentalité de mendicité vis-à-vis de la France. Tout n’est pas perdu. Il reste la langue. Grande bataille linguistique dans les milieux où on cogite sérieusement. Car la langue apparaît, en fin de compte, comme leur propre ‘création’ qui a réussi à coloniser toutes les autres ethnies, grands blancs, petits blancs, créoles ‘clairs’, ‘blancs’, tamouls, musulmans et chinois. En d’autres mots, c’est une fierté créole.

Rien d’étonnant qu’à Maurice, les associations créoles revendiquent l’appellation ‘kréol morisyen’ ! 

Pas facile

Mais il n’est pas question de harceler Paris avec les desideratas linguistiques ni de faire du chantage à la veille des élections ni de tirer à boulets rouges sur le pouvoir parisien jour et nuit. On ne s’impose pas dans la République… pas celle de la France en tout cas. En matière d’avancée de la langue créole, ils n’ont obtenu que des miettes. A la Réunion, le créole a d’abord été enseigné comme une option aux élèves très faibles dans les collèges situés dans les zones défavorisées. Au fil des ans, l’option est devenue obligatoire pour ces mêmes élèves dans l’optique assez floue de valoriser leur langue maternelle. On leur apprend à écrire en créole et un peu d’histoire de la Réunion. L’histoire de France, c’est pour les bonnes classes. Inutile de préciser que les promoteurs du créole parlent français entre eux et leurs enfants ne risquent pas de se retrouver dans ces classes de sauvetage.

Quant au créole dans le primaire, c’est inexistant.

Un problème franco-créole

Depuis quelques années, le statut du créole dans l’enseignement est le cheval de bataille des conférences inter-îles tenues par l’intelligentsia créole. On aurait tort de faire semblant d’occulter les autres revendications qui accompagnent cette démarche. Il ne s’agit pas seulement d’une approche rationnelle et scientifique (reste à prouver) de l’utilisation du créole. En toile de fond, c’est une quête de reconnaissance ethnique et culturelle créole et une revanche contre la prédominance du pouvoir français, de la culture et de la langue française depuis la douloureuse cohabitation maître-esclave. Mais le vrai problème est politique. Ils ont raté le train de l’indépendance. La dépendance en a fait un peuple affaibli. Et il faut une force morale pour réclamer l’indépendance. Trop tard. 

Et quid des langues des minorités?

Il ne fait pas bon d’être ‘minorités’ dans certaines contrées mais elles n’en font pas une maladie à longueur d’année. Leur langue est passée sous le rouleau compresseur de l’assimilation à la française. Et il ne faut pas compter sur le soutien de l’élite créole, ils ont leur propre problème identitaire à régler. Et une bonne partie parmi les Créoles nourrit une xénophobie sournoise vis-à-vis des Tamouls, Musulmans et Chinois. A la Réunion, les Créoles se définissent comme ‘indigènes’ de plus en plus. Disons que c’est l’effet secondaire de la revendication linguistique. Les Tamouls doivent leur renaissance religieuse, culturelle et linguistique à leurs propres efforts en se tournant vers Maurice et l’Inde. Le gujrati se perd chez la jeune génération des Musulmans, et les Chinois font revivre leurs langues par leurs propres moyens. Et tout ce beau monde paie des sacrés impôts!

Hors départements français, le discours sur la langue des élites créoles, loin d’être dépourvu de démagogie et de romantisme gauchiste, gagne du terrain. Nul n’est prophète chez soi.

A bien des égards, Maurice mérite une médaille.


* Published in print edition on 9 September 2010

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