“L’option MSM n’est pas à écarter pour des gains politiques à court terme…

…mais, dans le long et moyen termes, ce serait signer l’acte de décès du MMM”

Interview – Jocelyn Chan Low, Historien et Politologue

* ‘L‘impopularité du gouvernement ne profite pas à l’opposition et à Navin Ramgoolam’
Il est dans l’intérêt de ce dernier et des partis de l’opposition d’y remédier rapidement s’ils veulent gagner les prochaines élections générales’

* ‘Dans le sillage de l’affaire Wakashio et de l’affaire Kistnen, il y a eu des manifestations contre le gouvernement… Quel a été le résultat direct? Rien!’


Les Mauriciens souhaitent préserver le suffrage universel, le pluralisme des opinions, l’Etat de droit et les libertés publiques. Jeunes et moins jeunes manifestent leurs sentiments d’une manière ou d’une autre à travers des associations, des collectifs, des groupes de pression, sur les réseaux sociaux… Existe-t-il un fossé grandissant entre les élites politiques et le public de masse? Les résultats des élections semblent le prouver à chaque fois avec une augmentation du nombre des indécis et du taux d’abstention. Faut-il craindre qu’on se retrouve avec un nouveau jeu de chaise musicale en 2024, où on reprend les mêmes et on recommence? Jocelyn Chan Low, historien et politologue, répond à nos questions. 


Mauritius Times: Une assemblée des délégués du MMM tenue, dimanche dernier, deux ans après la précédente, et qui annonce ni décision, ni vote, ni résolution,contrairement à ce qui se fait normalement lors de telles occasions, c’est quand même surprenant. A quoi sert une telle assemblée ? Démonstration de force en prévision des prochaines négociations d’alliances électorales?

Jocelyn Chan Low: Ce qui s’est passé dimanche dernier à l’assemblée des délégués du MMM au Plaza est tout à fait dans l’ordre des choses. C’était une assemblée des délégués ouverte où l’ensemble des militants des diverses branches du parti avaient été invités.

Au MMM, on a toujours fait une distinction entre une assemblée des délégués ouverte où la direction du parti rencontre les militants pourles informer des derniers développements politiques et une assemblée fermée où seuls les délégués dûment mandatés des branches y ont accès et où les décisions majeures sont prises à travers un vote démocratique de l’ensemble de ces délégués. Le MMM a toujours fonctionné ainsi.

Ce qui doit nous interpeller, c’est le timing de cette assemblée. Sans nul doute, des décisions importantes sont dans le pipeline quant à l’orientation du parti. Est-ce la fin de l’Entente de l’Espoir et un énième rapprochement avec le PTr?

* Paul Bérenger a déclaré lors de cette même assemblée que « le MMM détient la réponse à la fameuse quête de changement ». Difficile à croire qu’un parti dont la performance électorale s’est fortement amenuisée d’une élection à l’autre ces vingt dernières années puisse détenir la clé ou plus précisément « la réponse » du changement ?

La réponse qu’il évoque, c’est peut-être non seulement une formule d’arrangement politique avec d’autres formations politiques mais surtout un programme de réformes institutionnelles pour mettre fin aux dérives autocratisantes, selon les termes utilisés par le très sérieux institut V-Dem, en cours depuis ces dernières années.

Le MMM veut renouer avec une vieille tradition du parti qui est celle d’être une force de proposition. Et en cela, il s’adresse à cette très large section de l’électorat qui, comme un nombre important de sondages l’ont révélé, veut un changement systémique dans la vie politique du pays.

Les ‘marches’ dans le sillage du Wakashio et les débats qui s’ensuivirent ont démontré clairement cette volonté de changement. D’ailleurs, c’est ce qui explique l’engagement de plus en plus visible des jeunes dans la politique à Maurice. Or, pour beaucoup d’entre eux, cela passe par un rejet total de l’ensemble des partis traditionnels et des ‘dinosaures’ qui ont fossilisé la vie politique à l’île Maurice pour leurs propres intérêts.

Le discours de Paul Bérenger est aussi une réponse à cette critique et une tentative de positionner le MMM comme un agent clé du changement réclamé.

* Autre fait à noter, c’est le même message adressé aux délégués du MMM dimanche dernier par Paul Bérenger, Rajesh Bhagwan et Ajay Gunness à l’effet que le “MMM pou dans prochain gouvernement”… sans en dire plus. Est-ce pour rassurer les militants au regard de l’effritement de son électorat, ou quoi d’autre?

Évidemment. La dernière fois que le MMM a été au gouvernement, cela remonte aux années 2000-2005. Une des raisons majeures des défections au sein du parti, c’est justement ce désir de se sentir au pouvoir –avec les prébendes sonnantes qui y sont attachées.

Malheureusement, il n’y a plus beaucoup de place pour cet idéalisme qui prévalait dans les années 70 dans la société hyper-matérialiste de l’île Maurice d’aujourd’hui.

Il y a aussi dans ces affirmations le besoin de garder l’espoir parmi les militants coaltar et leur envoyer le signal que leurs luttes et sacrifices ne seront pas vains. 

* Pensez-vous qu’ils aient pu trouver la bonne formule pour se retrouver au pouvoir la prochaine fois?

Il faudra connaître tous les détails avant de se prononcer. En outre, nous sommes à deux ans des élections générales et dans un monde global aussi instable et imprévisible, qui peut prédire l’avenir?

Cela dit, le gouvernement actuel, malgré sa majorité confortable à l’assemblée nationale, ne dispose que d’une faible légitimité populaire, n’ayant été élu que par 37% des votants et un pourcentage encore plus faible de l’électorat, et cela dans le cadre d’une élection générale contestée.

De ce fait, l’opposition dans son ensemble est plus représentative de l’électorat. Mais elle n’arrive pas à se fédérer malgré la volonté de ses dirigeants.

Le défi majeur est en effet de trouver cette formule magique qui pourra créer une synergie dans leur électorat respectif et convaincre les indécis, qui constituent en fait la grosse majorité de l’électorat, comme l’ont révélé les derniers sondages d’opinion.

 * Autre fait intéressant, c’est le vote des 313 délégués (des 404 qui ont participé au vote) du Reform Party de Roshi Bhadain, samedi dernier, et qui ont réclamé que leur parti se présente seul aux prochaines élections. Ce qui augure une première cassure au niveau de l’alliance de l’Espoir, semble-t-il ?

 L’Entente de l’Espoir est exactement ce que son descriptif désigne : une entente et non une alliance, bien qu’elle aurait pu hypothétiquement évoluer dans cette direction.

Seulement, à la fois Roshi Bhadain et Nando Bodha n’ont jamais caché leurs ambitions premières ministérielles. De ce fait, leur engagement au sein de l’entente était sans doute de nature conjoncturelle. En outre, les sondages démontrent qu’il y a de la place pour l’émergence d’une nouvelle offre politique qui pourrait séduire cette très large section de l’électorat qui se sent éloignée des partis traditionnels.

Roshi Bhadain a du charisme, des capacités de leadership indéniable, et disons le franchement, l’étoffe d’un grand premier ministre. Il va sans doute relever le défi. Mais la route sera longue et ardue. Il aura surtout à être un bon stratège et il devra définir ses priorités en termes de contradictions primaires et secondaires au moment voulu. Vouloir courir trop vite ne mène à rien…

* Voyez-vous Nando Bodha également emboîter le pas à Roshi Bhadain dans les jours à venir, cela pour la même raison? C’est-à-dire que Bodha et Ramgoolam dans la même alliance, cela ferait trop de monde?

Difficile à dire. Nando Bodha semble moins impulsif et plus calculateur,surtout que la présence de Bodha dans une alliance Ptr-PMSD-MMM peut avoir une portée symbolique, et attirer une certaine partie de l’électorat du MSM.

* Par ailleurs, l’alliance gouvernementale n’a eu de cesse d’accumuler les scandales, et le PM est lui-même pris dans la situation délicate que nous connaissons. Parallèlement à cela, nous subissons de plein fouet les effets de l’inflation et de la crise économique, avec une baisse significative du niveau de vie. Mais PravindJugnauth ne semble pas forcément faiblir aux yeux d’une part importante de l’électorat. Comment expliquez-vous cela ?

Il faut relativiser ce constat. Le dernier sondage de Straconsult de mars 2022 avait en fait constaté une chute de popularité de l’ensemble des partis traditionnels bien que le MSM et Pravind Jugnauth avaient devancé Navin Ramgoolam et le Ptr dans l’opinion publique, surtout dans les régions rurales. Mais depuis, il y a eu une nette détérioration du pouvoir d’achat des mauriciens, le scandale de ‘sniffing’, les vidéos de tortures policières, etc…

Certains faits sont assez significatifs du déclin du soutien au gouvernement comme les huées récoltées par une ministre MSM au cours d’un concert de musique bollywoodienne… Cependant, il y a une constante: l’impopularité du gouvernement ne profite pas à l’opposition et à Navin Ramgoolam en particulier. Il est dans l’intérêt de ce dernier et des partis de l’opposition d’en étudier les raisons et d’y remédier rapidement, autant que peut se faire, s’ils veulent gagner les prochaines élections générales.

 * L’affaire de ‘survey’ ou de ‘sniffing’ n’a pas provoqué le tsunami qui devait balayer le gouvernement Jugnauth hors du pouvoir malgré sa gestion maladroite de cette affaire. Quelle lecture faites-vous de cela?

 L’affaire du ‘sniffing’ est d’une gravité sans précédent dansl’Histoire du pays car il y a des allégations de haute trahison et d’espionnage non seulement locales mais surtout internationales et cela dans un contexte où les graves appréhensions d’une partie de la population quant aux développements en cours à Agalega deviennent de plus en plus manifestes.

Et tout cela intervient dans un contexte international de plus en plus instable et volatile. Ce qui fait que les questions diplomatiques seront de plus en plus à l’avant-plan.

Or, en général, les Mauriciens aspirent à une vie tranquille, et ne voudraient pas être entraînés dans des conflits qui ne sontpas les leurs. C’est pour cela que le manque de transparence et cette opacité voulue par le pouvoir entourant ces questions d’une importance capitale est très anti-démocratique et extrêmement dangereuse. On ne peut pas jouer impunément avec la souveraineté et la sécurité nationale dans l’ombre.

Quant au tsunami annoncé, évidemment étant donné le verrouillage du système par le régime en place, difficile de voir comment cela aurait été traduit dans les faits institutionnellement. C’est le Premier ministre qui est directement mis en cause. Or, il dispose d’énormes leviers sur la presque totalité des institutions dites indépendantes.

Tsunami s’il y en a, cela ne pourrait être que dans l’opinion publique et ne se traduirait en fin de compte que dans l’isoloir du bureau de vote à travers un vote sanction massif.

* On ne voit pas la manifestation des forces de l’opposition du 12 août prochain pouvant provoquer cela non plus…

Dans le sillage de l’affaire Wakashio et de l’affaire Kistnen, il y a eu des manifestations contre le gouvernement d’une ampleur jamais égalée dans l’Histoire du pays. Quel a été le résultat direct? Rien! Malgré les slogans de BLD, le gouvernement est toujours au pouvoir.

Cependant, indirectement, il ne faut pas sous-estimer l’impact de ces manifestations sur l’opinion publique et sur l’érosion de la faible légitimité populaire du gouvernement. Avec la fin des restrictions sanitaires, elles peuvent être le prélude à d’autres actions similaires sur d’autres sujets.

* Dans ces conditions où les choses – en particulier le rapport de forces sur le plan électoral – ne sont pas très claires, concrétiser une alliance à deux ans et demides prochaines élections parait un peu trop hâtive, non? Navin Ramgoolam et Paul Bérenger en sont sûrement conscients…

Sommes-nous vraiment qu’à deux ans et demi des prochaines échéances électorales? Il ne faut pas oublier que les élections municipales sont long overdue. A un moment donné, on évoquait dans certains milieux le mois de septembre prochain.

Finalement, est-ce que toute cette agitation n’est en fait que le prélude à une entente pour les municipales entre les partis traditionnels de l’opposition ? La conjoncture politique s’y prête. Si cette entente se concrétise, quelle sera la réaction du gouvernement ? Y aura-t-il renvoi de ces élections et sous quel prétexte ?Et s’il y a des élections municipales, le sort de l’alliance de l’opposition en gestation dépendra du score obtenu.

A Maurice, les alliances politiques se font et se défont au gré des circonstances…

* Mais à bien voir, pensez-vous qu’une alliance PTr-MMM-PMSD représenterait un bloc capable de balayer le MSM aujourd’hui ?

En gros, il y a aujourd’hui trois forces en présence : le MSM et ses alliés, les partis traditionnels de l’opposition et les partis extra-parlementaires antisystèmes qui essaient de capitaliser sur la méfiance d’une bonne partie de l’électorat, surtout les jeunes, vis-à-vis des ‘dinosaures’ des partis traditionnels.

Si l’opposition traditionnelle arrive à trouver une entente avec les principaux meneurs des partis extra-parlementaires, les carottes sont cuites pour le gouvernement en place. Au cas contraire, nous nous retrouveronsdans une nouvelle lutte à trois, voire plus, qui ne pourrait que profiter au MSM et à ses alliés.

* Si on vous disait toutefois que l’option MSM n’est pas tout à fait à écarter du point de vue du leader du MMM malgré ses attaques contre l’alliance gouvernementale, que me répondrez-vous ?

Tout dépendra de l’objectif que s’est fixé le leader du MMM. Si c’est pour des gains politiques à court terme, l’option MSM n’est pas à écarter. Mais, dans le long et moyen termes, ce serait signer l’acte de décès du MMM tout en justifiant les défections tant décriées du passé.


Mauritius Times ePaper Friday 5 August 2022

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