Leadership : en temps de crise, mieux vaut servir les autres qu’être charismatique

Une étude révèle que le « servant leadership » permet une meilleure croissance des bénéfices en période de crise

Certains PDG ont réduit leur salaire dès le début de l’épidémie de Covid-19. Shutterstock

Le brutal hiatus provoqué par l’épidémie de la Covid-19 aura de profondes conséquences pour les entreprises. Passé le bouleversement des premières semaines avec le passage urgent et massif au télétravail, puis les ajustements incertains du retour au bureau, c’est désormais l’impact économique qui se profile : réorganisations, restructurations, et réduction globale de l’emploi anticipée par l’Organisation internationale du Travail. Dirigeants et managers ont donc à naviguer une situation empreinte d’une énorme anxiété.

Comment retrouver une dynamique positive dans ces circonstances ? La réponse traditionnelle reprend les codes du leadership charismatique. Énoncer une mission collective, une inspiration, en faire un objectif et appeler à la concentration des forces, c’est par exemple le sens du « nous sommes en guerre » du président de la République Emmanuel Macron, au moment de décréter l’état d’urgence face à l’épidémie.

Beaucoup de crises avant celles-ci ont fait émerger un leader apparemment naturel, visionnaire et souvent autoritaire, qui parvient à mobiliser les esprits et les cœurs au service de la mission qu’il a choisie. Les études dans ce domaine révèlent cependant qu’un autre type de leader peut se distinguer durant une période de crise.

Un leadership au service des collaborateurs

Cependant, depuis les années 1990, un courant de recherche se développe sur une forme alternative et contre-intuitive, le « servant leadership » (leadership serviteur). Les servant leaders se situent à l’opposé de la perspective charismatique. Leur priorité n’est pas la mission, mais les femmes et les hommes qui forment sa communauté, qu’elle soit politique ou, dans le cas qui nous occupe, professionnelle.

C’est en faisant passer les collaborateurs en premier que ce leadership induit des performances supérieures, tant au niveau de leurs équipes qu’à celui de l’entreprise dans son ensemble. Il apparaît aujourd’hui que cette forme de leadership pourrait être la plus efficace pour sortir des crises et construire la résilience des organisations.

Le servant leadership place le manager au service de ses équipes : les collaborateurs priment sur la mission. Les managers, titulaires officiels de l’autorité, l’utilisent pour favoriser l’initiative individuelle et collective. Ils ont une compréhension bienveillante de la dimension émotionnelle des relations au travail et font preuve d’empathie avec les collaborateurs confrontés à des difficultés même dans leur vie personnelle.

Les servant leaders font aussi preuve de compétence et d’intelligence, dont ils se servent pour aider leurs collaborateurs à résoudre les problèmes. Ils partagent enfin leur préoccupation pour l’environnement de l’entreprise, contribuant ainsi à donner du sens aux efforts demandés.

Une résilience face aux crises

Managers Bisounours, demanderez-vous ? Absolument pas. D’une part, l’Américain Robert Greenleaf, inventeur du terme, assignait une mission précise aux servant leaders :

« Qu’ils contribuent au développement personnel et à l’épanouissement de leurs collaborateurs, pour qu’eux-mêmes deviennent des servant leaders. »

D’autre part, l’étude que nous avons publiée récemment avec mes collègues Robert Liden, Dirk van Dierendonck et Gordon Cheung, montre que les servant leaders ne sont pas plus faibles que les autres, au contraire. Ce n’est pas en distribuant les largesses – salaires, bonus, avantages – qu’ils obtiennent la motivation de leurs collaborateurs. Le servant leadership se traduit en effet par une meilleure croissance des bénéfices à l’échelon de la business unit (unité commerciale).

Dans le contexte de la crise économique qui se profile après la crise sanitaire, cette étude apporte un argument supplémentaire en faveur du servant leadership.

La primauté du modèle charismatique en période de turbulence est régulièrement réaffirmée, le plus souvent à partir d’exemples historiques. Or notre étude s’est déroulée dans une entreprise – 55 magasins d’une même chaîne en région parisienne, avec 485 collaborateurs – qui traversait une sévère crise conjoncturelle.

Même dans ces circonstances, mieux les managers étaient appréciés par leur équipe sur l’échelle du servant leadership, meilleure était aussi leur appréciation sur leur niveau individuel de bien-être au travail dans toutes ses dimensions, et meilleures étaient les relations dans chaque équipe. C’est d’ailleurs la combinaison de l’épanouissement individuel et de la qualité des relations interpersonnelles qui expliquait la croissance des ventes et, à la suite, celle des bénéfices.

Moins spectaculaire, moins héroïque que le modèle charismatique, le servant leadership s’illustre par des décisions qui montrent que les managers partagent les peines de leurs équipes. Les PDG qui ont réduit leur salaire dès le début de l’épidémie, comme Benoît Coquard chez Legrand en France, et d’autres ailleurs en sont un exemple, surtout s’ils sont suivis par les actionnaires qui acceptent une réduction de dividendes, comme à Carrefour et Orange.

D’autres décisions concernent la relation de l’entreprise à la société au sens large : ainsi, certains dirigeants ont très tôt converti leurs usines vers la production de masques et de gels hydroalcooliques.

La période actuelle de sortie de crise constitue donc l’opportunité d’apporter un regard nouveau sur les qualités du manager à la lumière des résultats de la recherche. C’est probablement la clé d’un travail plus épanouissant et d’une résilience accrue pour les entreprises.

Vincent Giolito
Professeur, EM Lyon


* Published in print edition on 5 March 2021

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