« Le pays n’est pas en fête

Interview Avinaash I. Munohur, Politologue

Nous ne ressentons pas, comme en 2014, un sentiment optimiste par rapport à l’avenir »

‘L’île Maurice de l’économie sucrière n’est plus qu’un souvenir que les jeunes générations ne connaissent absolument pas »


Spécialiste des phénomènes politiques, Avinaash Munohur a été candidat du MMM aux dernières élections générales. Nous l’avons invité pour nous donner son opinion sur la sociologie politique locale et aussi les relations internationales dans le sillage des élections de 2019.


 Mauritius Times : Vous êtes un politologue et universitaire. Vous avez présenté votre doctorat sur le système politique mauricien, et vous venez de vous porter candidat pour la première fois. Comment s’est effectué ce passage de la théorie à la pratique? Une expérience fâcheuse ou enrichissante ?

Avinaash Munohur : Très enrichissante ! Je pense sincèrement que tout mon cheminement académique et de chercheur m’a mené vers ce moment. Je reprendrai d’ailleurs pour mon propre compte la fameuse maxime de Marx : les scientifiques ne font qu’interpréter le monde, alors que ce qui compte c’est de le changer. Et ce changement passe forcément par un engagement dans la politique active.

Mais je dois aussi vous avouer que ce passage n’a pas été sans ses confrontations pragmatiques et ses prises de conscience. En théorie, dans les systèmes de la pensée sociale, tout peut fonctionner parfaitement, mais la pratique est une chose qui relève d’un ensemble d’éléments sur lesquels nous n’avons en réalité que très peu de contrôle.

D’ailleurs, la plus grande leçon que je retiens de ces élections reste la déconnection profonde entre les attentes d’une grande partie de l’électorat avec ce que peuvent proposer les différents partis politiques dans leur programme – notamment les propositions centrées autour de la modernisation des institutions, de l’évolution de notre modèle de développement, des enjeux écologiques, etc.

Beaucoup de Mauriciens semblent uniquement pris dans la pragmatique de leur vie quotidienne sans forcément se rendre compte que ce quotidien peut radicalement changer si nous mettons en place certaines réformes économiques, sociales et institutionnelles.

Il ne s’agit pas ici d’un reproche, mais plutôt d’une prise de conscience que beaucoup de nos compatriotes semblent uniquement concentrés sur le court terme, voir l’immédiat. Ils ne veulent que des solutions immédiates à leurs problèmes alors que la politique devrait également être l’instrument du déploiement d’un projet de société dont la visée reste le long terme. Il y a là tout un lien à reconstruire et une approche pédagogique à adopter afin que les Mauriciens soient plus conscients de ces grands enjeux qui les concernent directement.

* Le contexte politique à Maurice est très complexe avec une multiplicité de facteurs, d’ordre à la fois social, économique, ethnique, démographique, etc. Qu’est-ce qui, à votre avis, a beaucoup pesé dans le choix de l’électorat ?

Une multiplicité de choses en réalité. Même s’il est un adversaire politique et que je combats politiquement son programme politique, il faut reconnaître que la stratégie de Pravind Jugnauth a été excellente. Cette dernière s’est déployée à plusieurs niveaux, et a ainsi su répondre à la multiplicité des perceptions et des jugements qui sont impliquées dans une société plurale. Par exemple, les annonces sur la pension de vieillesse, l’application du PRB ou encore les promotions au sein de la police lui ont assuré des votes clés.

Parallèlement à cela, il a su jouer de son opposition avec Navin Ramgoolam en adoptant une stratégie de communication le différenciant sur presque tous les points de ce dernier. Lorsque nous regardons les résultats de près, nous voyons que la victoire de la majorité gouvernementale se joue sur des marges infimes. C’est là que nous voyons que le PM a su viser de manière précise sur les franges de l’électorat qui lui garantiraient une victoire, sans se soucier aucunement des autres – il faut aussi le dire.

C’est là une conséquence du système ‘First Past The Post’ dans une lutte à trois blocs, avec une multiplication des petites formations : l’éclatement du vote fait que le parti qui vise le plus juste et qui accumule les groupes d’électeurs clés s’en sort avec une majorité parlementaire sûre sans forcément obtenir un gros score.

* Pensez-vous qu’on peut dessiner en quelques mots le profil de cet électorat et saisir ses attentes des hommes politiques ?

Il serait de la responsabilité de tout parti politique de produire un tel « profiling ». Encore une fois, si nous le faisons, je pense que nous serons confrontés à la multiplicité et à l’hétérogénéité des revendications et des attentes.

Et si nous voulons vraiment produire un portrait robot précis de l’électorat, nous serons confrontés à cette difficulté. Entre les impératifs de la culture de la représentation identitaire et ceux liés aux attentes économiques, sécuritaires, environnementales et sociales, nous serons déjà dans quelque chose d’extrêmement complexe. Si nous rajoutons à cela les perceptions et les attentes déterminées par les différentes classes sociales, les choses se compliquent encore plus, et nous nous rendrons compte que l’électorat mauricien est profondément schizophrène.

Plus sérieusement, je pense que nous pouvons assez facilement voir deux tendances : la première relève d’une expectative fondée dans des solutions à courts termes, voir immédiats, et la seconde dans quelque chose qui se déploie sur le plus long terme.

Sans vouloir trop schématiser, car nous devons également prendre conscience que ce genre d’exercice s’appuie sur beaucoup de clichés et d’a priori concernant l’électorat, nous voyons ces deux tendances se déployer dans deux groupes socio-économiques différents :

  • les classes moyennes, économiquement à l’aise, ont tendance à se projeter sur le long terme et souhaite la concrétisation des réformes d’envergure s’attaquant aux problèmes majeurs de notre pays (corruption, environnement, économie, sécurité, éducation etc.) ;
  • les classes populaires, pour ne pas dire les classes ouvrières, sont plus centrées sur une attente immédiate. Ces derniers sont les premières victimes de l’augmentation du coût de la vie, de la montée de l’insécurité ou encore de l’approfondissement de la précarité. Et ils recherchent donc des solutions immédiates à ces problèmes, même si ces solutions relèvent plus d’un placebo que d’une réelle solution structurelle.

Il n’y a aucun jugement moral à avoir à ce sujet. Chaque Mauricien est pris dans sa réalité et sa vie quotidienne, et vote en conséquence. Il appartient maintenant aux partis politiques de proposer des solutions qui adressent aussi bien le court terme et l’immédiat, tout en s’ancrant dans le long terme.

* Cette première expérience politique dans une circonscription mi-rurale, mi-urbaine à Curepipe-Midlands vous a-t-elle laissée l’impression que les deux grands partis politiques du pays et même les « petits partis » – le PTr et le MMM -, seraient en déphasage avec l’électorat de 2019 ?

Je pense que notre pays a profondément changé depuis le début des années 2000. Je ne cesse de le dire d’ailleurs. Nous sommes progressivement passés à un autre système économique, essentiellement lié à la haute financiarisation de l’économie globalisé, et l’île Maurice de l’économie sucrière n’est plus qu’un souvenir que les jeunes générations ne connaissent absolument pas.

Ce shift a ouvert d’autres espaces économiques, d’autres secteurs d’activités et, donc, de nouvelles formes du travail. Notre pays s’est également beaucoup ouvert sur le monde, la révolution numérique jouant un rôle clé dans cette ouverture, ce qui a eu pour effet qu’un grand nombre de Mauriciens sont maintenant connectés aux tendances mondiales.

Ceci a pour conséquence une évolution rapide des mœurs, des perceptions, des attentes et des revendications. Et je pense pouvoir affirmer, sans trop me tromper, que le PTr et le MMM – les deux grands partis se fondant sur les luttes d’émancipation à un moment où Maurice était encore une économie sucrière – sont restés enfermés dans ce moment.

Le PTr reste prisonnier de sa rhétorique autour des luttes pour l’indépendance, alors que le MMM, lui, reste ancré dans les luttes syndicales qui l’ont vu naître. Leurs idéologies respectives sont toujours d’actualité, forcément, car les revendications pour la justice sociale sont universelles et intempestives, mais leurs traductions concrètes et pragmatiques semblent aujourd’hui à bout de souffle.

Ceci produit le sentiment de déphasage que l’on peut ressentir. Pour dire les choses plus clairement, lorsque vous parlez à un jeune de 18 ans – un premier votant, aujourd’hui, celui-ci n’est absolument pas intéressé par les tribuns qui ont lutté pour notre indépendance ou par les syndicalistes qui ont fait plier le gros capital afin d’obtenir plus de droits pour les travailleurs.

Les combats de toute une génération de Mauriciens, née à partir de la fin des années 1980 grosso modo, ne sont plus ceux de leurs parents et/ou de leurs grands-parents. Là aussi, il y a un travail de modernisation à produire au niveau des appareillages idéologiques et conceptuels de ces partis.

* Nous avons rarement vu une élection aussi contestée à Maurice. Quelles leçons tirez-vous par rapport aux contestations et aux accusations d’irrégularités? N’est-ce pas là une simple réaction démesurée qu’engendre notre système électoral qui permet à un bloc de gouverner avec seulement 37% des voix exprimées?

Je ne parlerai pas des pétitions et des procédures en cours car elles relèvent des décisions de la justice. Je dirai seulement que, en tant que candidat – et je ne suis pas le seul qui vous dira cela, loin de là même –, nous avons beaucoup de questions auxquelles nous aimerions avoir des réponses et des éclaircissements.

Que la réaction soit démesurée, peut-être. Mais nous pouvons clairement constater que le pays n’est pas en fête. Nous ne ressentons pas, comme en 2014, un sentiment optimiste par rapport à l’avenir. Nous ne sentons pas un apaisement et une sérénité retrouvée dans notre pays.

Bien au contraire, nous sentons que beaucoup de Mauriciens sont crispés, angoissés et profondément choqués. Encore une fois, je ne dis pas qu’il y a eu maldonne ou fraude, mais il appartient à la commission électorale et au Gouvernement de nous rassurer, preuves à l’appui, du bien-fondé de la procédure électorale. Nous avons besoin de voir et d’être convaincu que les règles – sans mauvais jeu de mot – ont été respectées et que nous pouvons continuer à faire confiance en nos institutions.

Soyons honnêtes, beaucoup de nos compatriotes ne comprennent pas la raison pour laquelle ils n’ont pas pu voter alors que des étrangers ont eu ce droit. Encore une fois, il est de la responsabilité de la commission électorale et du Gouvernement de nous apporter des réponses claires et précises. Sans cet exercice, je crains que le doute qui s’est installé dans l’esprit de beaucoup de Mauriciens ne produise des effets fâcheux.

Par rapport au chiffre avancé, seulement 37% des voix exprimées, comme je l’ai dit plus tôt, il s’agit là d’une conséquence de notre système électoral. Dans un système de ‘First Past The Post with multi-member constituencies’, comme c’est le cas à Maurice, la multiplication des partis politiques fait naturellement baisser le taux requis pour être élu.

Dans une lutte à trois gros blocs, avec une multiplication des nouvelles formations, il n’est pas anormal qu’un gouvernement soit confortablement élu avec une minorité des voix exprimées – surtout s’ils savent viser les 3,5% qui font basculer les sièges de leur côté, comme a su le faire le MSM. Et ne nous méprenons pas à ce sujet, ces élections se sont jouées sur des marges aussi serrées que cela, ces 3,5% ramenant au minimum 20 sièges.

Pour moi, ce n’est pas ce point qui pose problème dans ces élections, il s’agit là de notre système. Les problèmes sont ailleurs, et nous avons d’autres questions à poser.

Peut-être qu’il est temps de questionner ce système qui ne représente clairement pas la volonté générale. Les questions autour de l’introduction d’une dose de proportionnelle doivent être discutées et débattues, et peut-être que l’Histoire nous enseignera un jour que les élections de 2019 furent celles qui poussèrent vers le changement de notre système. Mais nous sommes encore loin de là.

Clairement, le Gouvernement ne questionnera pas ce système car il en a tiré le maximum de bénéfices. Il appartient aux partis de l’opposition de se pencher sur cette question et de proposer une réforme qui soit en adéquation avec les attentes de la majorité des Mauriciens pour les prochaines élections.

* La performance du PTr dans les élections de 2019 avec 33,50% de votes recueillis représente une petite avancée par rapport à 2014, alors qu’en ce qui concerne le MMM, ce parti tombe encore plus bas avec ses 8 élus. Mais l’un et l’autre doivent se poser des questions en ce qui concerne leur avenir, leur leadership…Votre opinion ?

Étant moi-même un candidat du MMM, je ne vous répondrai que de mon point de vue, laissant le loisir aux membres du PTr de parler pour leur parti.

Encore une fois, les 8 élus ne représentent pas la force réelle du parti car le système FPTP ne traduit pas la proportion de la base dans le nombre de députés. Mais nous ne devons pas nous cacher derrière cet argument. Qu’il y ait eu, depuis une quinzaine d’années, une érosion de la base du MMM est une chose certaine.

J’ai d’ailleurs insisté sur une chose auprès de mes camarades après l’annonce des résultats : ne tombons pas dans les excuse faciles, concentrons toute notre énergie sur une autocritique qui nous permettra de nous reconstruire. Le chantier est vaste, comme il l’est également ailleurs, nous ne pouvons le nier.

Comme je vous l’ai dit plus tôt, notre pays a changé et la matrice qui guidait notre action politique doit être revue et modernisée. Je ne parle pas ici uniquement des questions idéologiques, mais également des questions organisationnelles et opérationnelles. Les deux dimensions fondamentales de la politique – le stratégique et le tactique – sont à revoir.

Ce n’est selon moi qu’à partir de ce moment que la question du leadership pourra être posée. Cela n’a aucun sens de juste changer de leader sans se poser les questions de fond. Cela relèverait d’un exercice de rebranding sans substance, sans contenu réel. Le changement de leadership est une question qui a été mise sur la table par Paul Bérenger lui-même d’ailleurs.

Mais elle est intimement liée à tout un ensemble de transitions, de modernisations, de reconstructions, de réinventions, de régénérations et de revitalisations du parti et de la base. C’est lorsque ces processus internes seront mis en mouvement que nous verrons émerger le prochain leader, pas avant.

Ce que je veux dire par là, c’est que – selon moi – un changement de leadership dans le MMM de 2019 ne relève pas d’un simple passage de témoin mais d’une transformation de l’appareil lui-même. Et d’une transformation qui soit en phase avec le shift socio-écologico-économique du tournant du début des années 2000. Tout autre mode de changement de leadership n’aura pas de sens et sera le témoignage que nous n’aurons pas su tirer les leçons de ces élections.

Concernant l’avenir, je suis personnellement très optimiste. Beaucoup de gens nous donnaient pour mort dans cette élection, et des expressions du type « le MMM va à sa tombe » ont été fièrement brandies par certains de nos adversaires.

Mais ce n’est pas ce que nous avons vu, bien au contraire. Je suis fière de dire haut et fort que nous avons vu émerger une nouvelle génération de politiciens au MMM lors de ces élections. Des jeunes qui sont compétents, talentueux, animés d’une réelle fibre patriotique – chose que nous n’avons pas vue depuis de nombreuses années –, et qui incarnent l’avenir et le renouveau.

Ces élections ont été, de ce point de vue, une grande victoire pour nous. D’ailleurs, il y a eu un certain engouement autour de cette jeunesse si je ne me trompe pas. Il nous appartient maintenant de prendre appui sur ce « breakthrough » et de rassembler autour de nous tous les Mauriciens – jeunes et moins jeunes – qui se reconnaissent dans les combats que nous souhaitons mener.

L’avenir se construit à partir de maintenant pour nous, et je suis plus que jamais convaincu que l’avenir de notre pays se conjuguera de nouveau avec le MMM, et beaucoup plus rapidement que certains ne le pensent.

* Après ces élections qui ont vu une opposition virulente entre deux premier-ministrables (n.b. deux individus issus d’une communauté et d’une caste précise), comment voyez-vous le processus de recomposition politique ?

Je dois vous avouer être profondément inquiet du nouvel ordre politique qui émerge à Maurice. Nous constatons que notre pays n’est pas à l’abri des tendances de la globalisation, qu’elles soient positives ou négatives d’ailleurs. Et ce sont ces dernières qui m’inquiètent. Je pense que la sphère politique mauricienne bascule peu à peu vers ce que nous observons aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Inde, au Brésil ou encore en Italie – et dans bien d’autres pays — : un glissement progressif vers un régime autoritaire.

J’insiste ici sur une distinction qui est extrêmement importante. Je parle bien d’un régime autoritaire et non pas totalitaire. Un régime autoritaire n’est fondamentalement pas incompatible avec les principes de la démocratie libérale. D’ailleurs Donald Trump, Boris Johnson, Narendra Modi et les autres politiciens du même acabit sont des ultra-libéraux, entièrement ouverts aux dérégulations économiques et sociales que produit le capitalisme néo-libéral aujourd’hui. Or, c’est exactement pour cela que nous basculons progressivement vers un modèle de régime autoritaire car ces dérégulations produisent de l’instabilité sociale, voire même, de forts potentiels de révolte et de soulèvement. Il s’agit donc de contrôler ces derniers.

Selon moi, Pravind Jugnauth est la version mauricienne de ces régimes, avec une tendance à l’autoritarisme. Il suffit d’ailleurs de voir son affection pour les grands chantiers et le développement fondé uniquement dans le grand capital pour en faire le constat. Il n’y a pas vraiment de place, voire même pas du tout, pour les micros et les petites entreprises, qui sont pourtant un vecteur important de l’ascenseur social, dans sa vision du développement.

Et ne parlons pas des questions de respect et de conservation de nos patrimoines écologiques et historiques. Tout semble être une question de capitalisation, un point c’est tout. Parallèlement à cette ouverture quai-totale à la logique du capital, nous voyons une volonté d’asseoir un système sécuritaire à travers un système de surveillance. Cette volonté de sécurité ne passe pas par le fait de trouver des solutions aux fléaux que sont le trafic de drogue ou la montée de la délinquance, mais bien plutôt dans la surveillance constante et le contrôle des comportements. Un projet comme Safe City s’inscrit directement dans cette volonté d’un contrôle de tous les lieux et de tous les instants.

Il y a également autre chose qui caractérise les régimes autoritaires : l’affiliation à une idéologie identitaire ou nationaliste. Lorsque l’on voit qu’un personnage comme Monsieur Dulthumun – qui ne cache pas ses affinités avec le BJP et son admiration pour le Hindutva – se déclare ouvertement pour le MSM, je pense qu’il devient facile de tirer les conclusions qui s’imposent.

Il y a là tout un domaine de réflexion politique à avoir pour les partis de l’opposition et il est urgent de développer des stratégies pour contrer cette tendance qui ne fera que s’approfondir.

* Justement, pensez-vous que nous sommes passés dans une ère post-idéologique à Maurice? Est-ce que les idéologies, fondées dans la question de la justice post-coloniale, sont devenues obsolètes pour notre avenir politique?

Je ne crois pas que nous sommes dans une ère post-idéologique. Cela relève d’ailleurs de l’idéologie elle-même de déclarer que nous sommes dans une ère post-idéologique. Mais la question de l’idéologie demande à être articulée différemment. Par exemple, lorsque nous parlons aujourd’hui de justice sociale, d’égalité, de progrès ou encore de développement, que voulons-nous dire précisément par ces termes ?

Comment articulons-nous ces concepts avec des propositions politiques qui répondent aux problèmes de la vie quotidienne des Mauriciens ? En d’autres termes, l’idéologie est absolument nécessaire en politique, c’est le moyen même de la croyance politique, mais l’idéologie doit prendre appui sur la pragmatique la plus absolue. Or, c’est ce lien qui est aujourd’hui brisé et qu’il faut reconstruire d’urgence.

Nous évoquions la question de la tendance à l’autoritarisme. Clairement, il me semble urgent de contrer cette tendance chez nous. Il y a là justement tout un travail idéologique à faire. Si nous avons un parti au pouvoir qui opère sur les principes énumérés ci-dessus, comment faisons-nous pour les combattre politiquement ?

C’est justement là que je perçois un espace politique extrêmement intéressant car la dialectique appelle en réalité à une recomposition de la gauche. Le PTr et le MMM sont les partis historiques de la gauche mauricienne, et face à l’ultra-libéralisme du MSM, comment proposons-nous de construire l’alternative politique – pour ne pas dire la résistance. Encore une fois, cette question doit absolument passer par une pragmatique absolue.

* Avec un soutien populaire de 37% et une opposition combinée de presque 56%, cela ne va pas être facile pour l’actuel Gouvernement de diriger le pays, dit-on. Comment voyez-vous les choses évoluer pour les prochaines cinq années?

Le Gouvernement détient une majorité confortable à l’Assemblée nationale, ce qui signifie qu’il a les moyens de durer. Néanmoins, l’opposition est solide et il lui appartiendra d’exercer son devoir avec la rigueur et la force requise par les enjeux qui nous guettent.

Ce n’est pas là que j’anticipe des soucis pour le pouvoir en place, mais plutôt dans les tendances de la rue. Nous savons que les Mauriciens ne descendent pas facilement dans la rue pour manifester – nous ne sommes résolument pas Français de ce point de vue. Mais ces derniers mois, nous avons également vu de petites manifestations, des expressions de colère de plus en plus visibles même.

Ces nouvelles visibilités me semblent intéressantes et il se pourrait bien qu’elles se multiplient. Nous devinons que le Gouvernement fera tout pour contrôler les individus qui participent à ces manifestations. Nous verrons alors si les Mauriciens se laisseront faire ou pas. Il en va de l’avenir même de notre pays et chaque citoyen a la responsabilité de sa conscience.

Mais il est trop tôt pour prédire ce qu’il adviendra. Observons les tendances économiques, sociales et sécuritaires… le recul économique, la baisse du pouvoir d’achat, l’érosion de la confiance dans nos institutions, le délabrement de la classe moyenne et le recul de notre modèle social continuent, alors les cinq prochaines années seront extrêmement difficiles pour le Gouvernement.


* Published in print edition on 22 November 2019

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