Le MMM est-il coincé ou saura-t-il rebondir ?

Saint-Louis Gate

By Aditya Narayan

Dans l’affaire Saint-Louis Gate, où le nom de Paul Bérenger est apparemment cité dans un document de la Banque africaine de développement (BAD), reçu par le Premier ministre, la stratégie du MMM nous rend perplexes. En effet, elle est déroutante.

« En attendant la fin de l’enquête de l’ICAC, laquelle peut durer un ou deux ans, les attaques contre lui de la part des partis au pouvoir continueront, relayées sans doute par la MBC. Bérenger est-il devenu un adepte de SSR, qui de son vivant n’avait jamais poursuivi ses adversaires en Cour malgré toutes leurs allégations frivoles, en tablant sur le fait que le temps lui donnera finalement raison? Truth is the daughter of time, not of authority”, avait écrit Francis Bacon quatre siècles de cela… »


Elle indique soit un refus de confronter directement les détracteurs du leader du MMM sur le plan juridique, soit un optimisme béat quant à la probabilité que l’enquête de l’ICAC le blanchisse faute de preuves, ou encore une incapacité de mesurer les risques politiques posés par la prétendue mention de son nom dans un document de la BAD comme allégué par le Premier ministre.

Personne ne sait à ce stade si le document de la BAD cité est une lettre, un résumé du rapport de la BAD sur l’affaire Saint-Louis ou une autre forme de communication (par exemple, un courriel) entre la BAD et le bureau du Premier ministre.

Personne ne le saura sans doute dans la mesure où le Premier ministre refuse de publier le dit document en invoquant l’argument qu’un accord de non-divulgation avec la BAD ne lui permet pas de le faire.

Si l’ex-ministre révoqué, qui est légiste réputé de surcroît, a qualifié le document de “farfelu”, on se pose des questions sur le contexte dans lequel son nom et celui du leader du MMM sont cités.

Document confidentiel

L’opposition conteste la crédibilité même du dit document. Le député Shakeel Mohamed, faisant état d’une correspondance avec la BAD, a déclaré au Parlement le 30 juin 2020 que le directeur de l’Integrity and Anti-Corruption Department de la BAD, M. Alan Bacarese, n’a pas confirmé avoir remis un document au Premier ministre. Le député a dit que la BAD l’a informé qu’elle ne pouvait partager un rapport confidentiel avec quiconque afin de ne pas porter préjudice à des tierces parties.

En réponse au PNQ du leader de l’Opposition le 30 juin 2020, le Premier ministre a déclaré ceci à l’Assemblée nationale: “On 29th of June we requested permission to quote the findings of the report of the Office of Integrity and Anti-Corruption in the National Assembly. But the ADB stated that we are not allowed to quote any part. I cannot reveal any details thereof.”

Or, le 26 juin 2020, s’adressant à la presse, le Premier ministre a choisi de citer seulement les noms de Collendavelloo et de Bérenger parmi tous ceux qui seraient mentionnés dans le document de la BAD.

On note que l’opposition, tous partis confondus, est solidaire avec le leader du MMM. Lorsque celui-ci a été expulsé du Parlement mardi, tous les députés de l’opposition ont fait un walk-out en signe de solidarité. Le MMM, le PTr et le PMSD sont unanimes à réclamer une commission d’enquête pour faire la lumière sur cette affaire. Peu importe que ce consensus au sein de l’opposition soit tactique ou stratégique, tous les partis d’opposition disent n’avoir pas confiance en l’ICAC, qui est chargée d’élucider l’affaire de corruption alléguée relativement au contrat du CEB.

Le leader du PMSD est allé plus loin, lors d’une conférence de presse, pour affirmer que seules deux institutions sont indépendantes à Maurice, notamment le Directeur des Poursuites Publiques (DPP) et le judiciaire. Non sans rappeler que le PMSD avait quitté l’Alliance Lepep en raision de son opposition au projet de création d’une Prosecution Commission qui aurait réduit les pouvoirs du DPP. Le PMSD avait alors compris les dangers d’un pouvoir sans garde-fous.

Recours légal

Aujourd’hui, le leader du MMM se voit sous un soupçon, justifié ou non. En attendant la fin de l’enquête de l’ICAC, aucune charge ne pèse contre lui. Mais politiquement, les partis dirigeants tentent de le clouer au pilori.

Cela nous rappelle la situation du leader du Ptr après les élections de 2014. Des charges furent logées contre Navin Ramgoolam dans 10 procès, dont 9 ont été rayés en Cour faute de preuves probantes. Il reste un seul procès en attente d’une décision de la Cour. Ramgoolam a monté une défense solide contre toutes les charges en faisant confiance à la justice.

Aussi Pravind Jugnauth a combattu la charge de conflit d’intérêts contre lui dans l’affaire Medpoint en allant jusqu’au Conseil Privé de la Reine, alors que l’ICAC avait entretemps changé de fusil d’épaule.

En revanche, le leader du MMM ne semble pas vouloir, à ce jour, choisir la voie légale pour se venger de l’attaque contre son honneur. Selon un quotidien du 30 juin, il a déclaré à une réunion du Bureau Politique de son parti “que les enquêteurs de l’ICAC finiront par trouver d’eux-mêmes qu’il n’y a aucun lien entre les protagonistes de cette affaire et lui.”

Sur quoi cet optimisme béat est-il fondé ? S’il s’estime innocent, il a encore plus de raisons de contester le prétendu document de la BAD en Cour en intentant un procès de diffamation contre ceux qui font peser le soupçon sur lui. Pour quelle raison refuse-t-il l’option légale ? Cela dépasse l’entendement.

En attendant la fin de l’enquête de l’ICAC, laquelle peut durer un ou deux ans, les attaques contre lui de la part des partis au pouvoir continueront, relayées sans doute par la MBC. Bérenger est-il devenu un adepte de SSR, qui de son vivant n’avait jamais poursuivi ses adversaires en Cour malgré toutes leurs allégations frivoles, en tablant sur le fait que le temps lui donnera finalement raison ? “Truth is the daughter of time, not of authority”, avait écrit Francis Bacon quatre siècles de cela.

Risques politiques

Il va de soi que le leader du MMM minimise les risques politiques de cette affaire, dont notamment l’amalgame ethnique entre lui et un autre protagoniste savamment distillé par des thuriféraires de la majorité. Sinon l’option légale aurait été annoncée en vue de mettre un bémol sur les allégations quotidiennes contre lui.

L’affirmation de Bérenger que l’ICAC ne décelera aucun lien entre les protagonistes de l’affaire et lui pourrait être fondée sur cette conscience innée de pouvoir rebondir de toute épreuve avec l’honneur intact. Il est vrai qu’il a subi des défaites politiques dans le passé, certaines plus amères que les autres. Mais finalement il a pu s’en sortir seul ou en alliance avec un autre parti avec la réputation d’un survivant avec une longue longévité politique.

Auparavant, tous les procès politiques que ses adversaires lui ont faits étaient liés à la politique économique qu’il avait pratiquée durant son passage au pouvoir ou étaient des procès d’intention disant qu’il voulait faire ceci ou cela. Cette fois-ci, la nature du défi est différente. On le vilipende, sur la base d’une apparente mention, telle que alléguée par le PM, de son nom dans un document confidentiel de la BAD, et non des moindres, mais dont on ignore le contexte précis ou le contenu exact.

Comment dissiper un soupçon émis à partir d’un document d’une institution internationale ? Le minimum que le leader du MMM puisse faire, c’est de demander à la BAD une copie du rapport qui l’incrimine. Toute personne qui s’estime lesée par les conclusions d’une enquête sur les pratiques de fraude ou de corruption de la firme danoise serait en droit de connaître la source des allégations, leur nature et leur contenu.

Dans notre Etat de droit, tout suspect a le droit de connaître les charges spécifiques qui pèsent sur lui, n’en déplaise aux procureurs politiques.


* Published in print edition on 3 July 2020

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