La taxe de 15% sur Netflix au centre d’une polémique
|Services en ligne
By Aditya Narayan
Le Gouvernement a introduit une nouvelle mesure fiscale afin d’imposer une taxe de 15% sur les abonnements aux services en ligne (Netflix, Amazon Prime, Google Drive, PlayStation Network, les services Cloud, la télévision en streaming, etc.) qui sont fournis par des sociétés étrangères. Cette proposition a soulevé une levée de boucliers chez les partis d’opposition et parmi les internautes qui y voient une charge supplémentaire sur les consommateurs en ces temps d’austérité économique.
Streaming – Photo – Getty Images
Pour mieux comprendre les implications financières et économiques de la nouvelle mesure, il convient de l’analyser dans le contexte de la politique fiscale du Gouvernement, des règles régissant les activités transfrontalières des sociétés internationales et des obligations des fournisseurs étrangers envers les Etats souverains.
Contexte fiscal
D’abord, voyons la politique fiscale.
La nouvelle mesure est formulée à l’article 70 du projet de loi des finances [The Finance (Miscellaneous Provisions) Bill (No. VII of 2020)] présenté par le ministre des Finances à l’Assemblée nationale, le 3 juillet 2020. En effet, la disposition 70 (e) du projet de loi modifie la loi sur la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour y ajouter une nouvelle section intitulée “Imposition de la TVA sur les services électroniques ou numériques”.
Cette nouvelle section définit le “service électronique ou numérique” comme tout service fourni par un fournisseur étranger sur Internet ou une plateforme électronique. Le fournisseur étranger est défini comme celui qui n’a pas d’établissement stable (permanent establishment) à Maurice et qui est résident à l’étranger. La nouvelle mesure exige que le fournisseur étranger prélève une taxe de 15% sur les services en ligne fournis à une personne à Maurice. Par exemple, si un abonnement à Netflix coûte Rs 500 par mois, la taxe mensuelle sera de Rs 75.
Après l’adoption du projet de loi, des règlements devront être promulgués pour amener le fournisseur étranger à s’inscrire auprès de la Mauritius Revenue Authority (MRA) comme vendeur afin qu’il puisse collecter la taxe de 15% sur le prix de l’abonnement payé par carte de crédit et remettre les taxes collectées à la MRA. Au minimum, on s’attend à ce que le fournisseur donne à la MRA une liste d’abonnés, le prix payé par abonné et le montant total des taxes récoltées. Dans sa base de données, le fournisseur sauvegardera sans doute les informations du consommateur telles que le numéro de la carte de crédit, le nom du client et l’addresse IP de l’appareil sur lequel le service en ligne est téléchargé. Est-ce que la MRA demandera accès à ces informations pour les besoins de vérification ? C’est une question pertinente à poser compte tenu de la confidentialité des renseignements personnels.
Le Gouvernement cherche désespérément de nouveaux revenus pour remplir ses caisses. Bien qu’il ait présenté un budget soi-disant équilibré pour 2020-21 (grâce à la contribution de Rs 60 milliards de la Banque centrale comptabilisée comme revenu au lieu d’un prêt), il veut toujours élargir l’assiette fiscale afin de récolter plus de revenus. Au début, il voulait récolter Rs 3,5 milliards de revenu supplémentaire d’une augmentation de la taxe de solidarité de 5% à 25% sur le revenu annuel du particulier excédant Rs 3 millions, avec un taux d’imposition marginale de 40%.
Face à la révolte des contribuables aisés, le Gouvernement a reculé pour limiter le taux d’imposition marginale de 40% à 10% du revenu net du contribuable, ce qui représente dès lors un manque à gagner de Rs 2 milliards au moins. Il s’est donc rabattu sur la TVA sur les services en ligne pour récupérer une partie du manque à gagner. Combien la nouvelle taxe rapportera-t-elle? C’est difficile de le dire en l’absence de données. On le saura à la fin de l’exercice 2020-21 après que les fournisseurs étrangers auront déposé leurs premières déclarations de taxe auprès de la MRA.
S’il est vrai que la nouvelle taxe frappe les nantis aussi bien que les moins lotis, il n’en demeure pas moins que c’est un coup dur pour les ménages à faible revenu qui veulent se brancher aux plateformes numériques de divertisssement (films, shows divers, musique, jeux vidéo, etc.). La MBC, de par la médiocrité de ses programmes, ne leur offre ni un divertissement de qualité ni des informations fiables bien qu’ils lui paient une redevance obligatoire de Rs 150 par mois.
C’est injuste de faire payer cette redevance aux ménages qui ne regardent pas la télévision locale. Ils auraient préféré économiser cette somme pour payer en partie l’abonnement à un bouquet satellitaire ou à un service en ligne. La colère des consommateurs est donc compréhensible. Par contre, ce qui est intriguant, c’est l’attitude des partis d’opposition. Ils avaient une position de principe contre la hausse proposée de la taxe de solidarité au nom de la fiscalité légère. On n’est pas sûr si leur opposition à la nouvelle taxe de 15% en est une de principe ou si c’est une position tactique compte tenu du fait que le Gouvernement ne fait pas preuve de transparence financière.
Assiette fiscale de la TVA
Etant donné les gaspillages de fonds relevés chaque année par le Bureau de l’Audit, couplés aux derniers scandales dans l’allocation des contrats d’approvisionnement en médicaments pour Rs 1,5 milliards, les contribuables ont bien des raisons de s’indigner de toute nouvelle taxe. Cependant, dans le long terme, une discipline financière et fiscale s’impose pour tirer le pays du marasme économique. A cet égard, si l’on veut éviter que le Gouvernement ne dilapide les fonds de la Banque centrale d’année en année pour financer ses largesses, il faudra bien accroître l’assiette fiscale, qu’elle soit directe (revenu imposable) ou indirecte (TVA), pour résorber le déficit budgétaire. Sinon il faudra soit comprimer les dépenses publiques, soit emprunter davantage pour les financer.
Abstraction faite du contexte inopportun dans lequel elle est introduite (austérité et redevance obligatoire à la MBC), la TVA sur les services en ligne n’est pas une anomalie en théorie. Dans certains pays développés, elle a été introduite afin de mettre sur un pied d’égalité les fournisseurs étrangers, qui sont pour la plupart américains, et les fournisseurs locaux de chaînes de radio-télévision et de services numériques. Pendant longtemps, les fournisseurs américains furent exemptés de la taxe de vente sur les services en ligne fournis aux citoyens de ces pays sous le prétexte qu’ils n’y avaient pas d’établissement stable. Cela leur permettait de faire une concurrence malsaine aux fournisseurs locaux, dont l’offre de services était frappée de taxe, et de voler une partie de leur clientèle.
Les fournisseurs locaux, eux, ont investi dans l’infrastructure de production et de transmission, et dans l’emploi d’un personnel qualifié et bien rémunéré. Les pays soucieux de préserver leur identité culturelle voient dans les services en ligne envahissants la présence de l’impérialisme culturel américain (production Hollywood ou Netflix). Ce sentiment est très fort dans la province francophone du Québec, au Canada, qui veut protéger sa culture distincte contre l’omniprésence des médias anglophones. Le Québec est l’un des premiers gouvernements sous-nationaux au Canada à avoir imposé une taxe de vente de 9,9% sur les services en ligne en provenance des Etats-Unis. Il y a donc dans ces pays une rationalité économique et culturelle derrière la taxe sur les services en ligne.
Digital Services Tax
Plus fondamentalement, cette rationalité fait partie d’une approche plus globale à la fiscalité qui devrait s’appliquer aux socétés de technologie “FAANG” (Facebook, Amazon, Apple, Netflix, Google) qui vendent des services et des logiciels en ligne sur des marchés extérieurs sans y avoir un établissement stable. Elles tirent des revenus substantiels de ces pays avec les abonnements aux services en ligne, mais elles ne paient pas d’impôt sur le revenu à leur gouvernement. L’OCDE étudie ce dossier depuis quelque temps et envisage l’introduction d’un impôt sur les revenus tirés de la vente des services numériques (Digital Services Tax – DST) par les fournisseurs en ligne.
Le raisonnement derrière la DST est simple et valable : même si les FAANG n’ont pas d’établissement stable dans tous les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), elles y font des ventes qui leur assurent des revenus qui auraient été imposables si elles y étaient présentes physiquement. Le concept d’établissement stable, comme défini dans la Convention fiscale de l’OCDE et utilisé pour les besoins de la fiscalité transfrontalière, est dépassé car il se limite à un lieu d’affaires fixe, ce qui exclut une présence virtuelle. La numérisation de la société a introduit des lieux d’affaires virtuels qui sont en dehors du champ d’application de la fiscalité nationale en raison de leur existence extraterritoriale.
Les Etats-Unis offrent de la résistance à une éventuelle DST. En attendant que l’OCDE trouve une formule d’impôt acceptable, la France, l’Italie, l’Espagne, le Royaume Uni et l’Autriche, entre autres, ont introduit une DST variant de 2% à 5% depuis janvier 2020. La France a suspendu sa DST de 3% jusqu’à décembre 2020 dans l’attente d’une décision de l’OCDE, et ce, après que les Etats-Unis ont menacé d’imposer des tarifs douaniers de 25% sur certains produits français exportés au marché américain à compter du 6 janvier 2021.
En attendant la mise en oeuvre de la DST par l’OCDE, la TVA sur les services en ligne permet aux pays qui l’ont introduite de quantifier la valeur commerciale des abonnements aux services en ligne et les revenus engrangés par les fournisseurs étrangers. Ces revenus seraient éventuellement imposables à l’avantage des pays qui fournissent des marchés à ces derniers.
* Published in print edition on 24 July 2020
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