“La Commission électorale ne dévoilera rien. C’est remettre toutes les élections passées en question”

Interview: Jack Bizlall

* ‘ Le Parti Travailliste doit se reconstruire… Quant aux adhérents du militantisme, ils ne peuvent se retrouver derrière le MMM’

* ‘Notre système électoral est plus monarchique que républicaine et, ainsi, plus dynastique qu’il ne l’était avant 1992’


Depuis les années 2000, les politologues ont constaté une baisse de confiance politique dans le monde. Cela étant dit, la confiance des citoyens est essentielle pour soutenir l’ensemble du système, incluant la tenue des élections libres et équitables ou free and fair. Jack Bizlall  milite depuis de longues années pour promouvoir un environnement politique juste et compétitif  avec des élections libres, pacifiques et régulières, dans le respect des normes démocratiques internationales. Suite aux anomalies décelées lors de l’exercice de recount, le syndicaliste nous livre ses impressions.


Mauritius Times : Faites-vous une lecture différente de la controverse et des nouvelles interrogations soulevées suivant l’exercice de ‘recount’ des voix de la circonscription no. 19 le mardi 1er février dernier? Les nouvelles anomalies découvertes lèvent-elles, selon vous, le couvercle sur des irrégularités pouvant être commises dans d’autres circonscriptions, ou faut-il attribuer tout cela à l’erreur humaine?

Jack Bizlall : Deux questions se posent.

La première concerne l’électoralisme des partis de l’opposition de provoquer de nouvelles élections dans la circonscription No 19. Élections partielles qui peuvent ouvrir les vannes à des élections générales avec un retour du tandem Bérenger et Ramgoolam.

C’est une stratégie électoraliste pour faire partir la Dynastie des Jugnauth du pouvoir. Le but visé, dans son objectif politique, est souhaitable, mais c’est une guerre entre des dynasties politiques que je récuse autant dans son existence que dans son essence.

La deuxième est d’une importance politique qui se place dans le cadre de la démocratie républicaine. A mon avis, notre système électoral est plus monarchique que républicaine et, ainsi, plus dynastique qu’il ne l’était avant 1992.

J’ai rencontré le Commissaire juste après les dernières élections pour lui parler des observations du Mouvement Premier Mai et de l’Observatoire Pour la Démocratie. La mobilité des électeurs entre les élections de 2014 et 2019 est inexplicable, et elle est en plus troublante quand la comparaison est faite entre les circonscriptions rurales et urbaines. J’ai été choqué de ce constat.

Le problème réel : c’est la confiance qui s’effrite en la commission électorale. Il faut régler ce problème. Le Commissaire a de grosses responsabilités à assumer. Il faut qu’il rencontre les partis politiques, et ce, rapidement.

Dans le passé, j’ai déposé devant un comité parlementaire présidé par Burty David au sujet de l’introduction du vote électronique. J’en étais contre et j’en avais parlé personnellement à David pour lui dire de mettre ce projet au frigo.

Ces derniers temps, on parle de vote par correspondance. Mais ce n’est pas pour l’instant, je crois. Il faut suivre ce qui s’est passé aux Etats-Unis lors des dernières élections présidentielles.

Rien ne remplace le système actuel parce qu’il repose sur un contrôle total à partir de l’enregistrement des électeurs jusqu’au comptage des votes. Je suis beaucoup plus en faveur de la fermeture des bureaux de vote à 18.00 heures et le comptage des bulletins tout de suite après. Les résultats doivent être connus le même soir.

* L’opinion des partis de l’opposition et des observateurs politiques ou même de la société civile sur de telles questions compte. Mais il faut se fier aux faits concrets – the evidence – pour tirer des conclusions objectives et définitives à propos de l’intégrité du processus électoral à Maurice ces dernières années, n’est-ce pas? La Electoral Supervisory Commission garde curieusement le silence, et il appartient donc à la Commission électorale de tout dévoiler…

La commission électorale ne dévoilera rien. C’est remettre toutes les élections passées en question. Le gouvernement, comme on l’a déjà fait, peut passer une loi à l’Assemblée nationale pour légaliser ces élections.

C’est accorder encore plus de pouvoir au régime en place pour imposer sa politique autocratique. Il faut être aveugle pour ne pas comprendre le danger que représente le régime des Jugnauth.

Je mets cependant les chercheurs de pouvoir en garde contre des actions politiques désespérées. Ramgoolam et Bérenger pensent sans doute que pour se retrouver au pouvoir, c’est maintenant ou jamais. Pourtant les deux, ils sont responsables de ce qui se passe dans notre pays. Ils ont vendu ce pays à une dynastie pouvoiriste.

Ils sont la cause et les effets de la trahison du Travaillisme comme du Militantisme. Point barre. Je fais une analogie avec le clavier de la machine électorale.

* Quoiqu’il en soit, il ne semble pas que les autres pétitions électorales auront quelque impact sur la survie de l’actuel gouvernement. Le Premier ministre a un contrôle absolu sur ses troupes, les institutions-clés du pays, comme la police, l’ICAC, etc. paraissent réticent à rock the boat et, en plus, il commande une majorité confortable au Parlement. Qu’en pensez-vous?

Vous ne soulevez que partiellement le problème – tout à fait évident – de l’accaparement de tous les pouvoirs politiques et de l’appareil d’État.

Je vais plus loin pour dire que tous les leviers économiques passent sous le contrôle de cette dynastie. Il suffit de voir ce qui est fait avec les nominations en cours depuis 2014.

Le plus marquant était la nomination de Navin Beekarry. On oublie son passé.

Soyons perspicaces. Si nous constatons que le régime contrôle tout, alors affaiblir le commissaire électoral, c’est le pousser à partir et être ainsi remplacé par un qui soit soumis à la dynastie. Il faut faire attention.

Être perspicace, cela implique que l’on milite pour une nouvelle constitution. Je constate que peu à peu les partis politiques souscrivent à ce projet.

Une publication faite et signée par Milan Meetarbhan, Joseph Tsang Mang Kin, Rajen Narsinghen, Jocelyn Chan Low, Alain Laridon et moi-même, sortira bientôt des presses.

L’Observatoire Pour La Démocratie compte prendre deux initiatives :

  • Mettre sur pied un Observatoire des Élections

Avec Catherine Boudet, on a déjà travaillé sur sa constitution, sa déontologie et son fonctionnement. On devait le lancer en 2019 mais le temps a fait défaut.

  • La publication d’un ouvrage sur tous les scandales à Maurice

On a complètement oublié l’affaire Medpoint comme tant d’autres scandales. La liste est longue. On a déjà répertorié et élaboré sur ces scandales dans un texte qui doit être publié dans le cadre des prochaines élections.

* Par ailleurs, faute de sondages réalisés de façon professionnelle et en toute objectivité, on n’est pas en mesure de saisir l’ensemble ou du moins une bonne partie des opinions des Mauriciens sur différentes questions concernant la politique, l’actuelle situation économique ou mêmes des politiques au pouvoir et ceux dans l’opposition. Qu’est-ce que vos contacts avec la base vous informent sous ces différents rapports ?

J’explique depuis des années l’émergence de la classe moyenne dans une société capitaliste qui désocialise le travail. Cette classe hétéroclite est en train de tout contrôler.

Ses agents sont au contrôle de toutes nos institutions formelles et informelles. Leurs pratiques politiques, ni de gauche, ni de droite, poussent aux populismes de toutes sortes.

Ils sont partout. Parlement, Judiciaire, Exécutif, Entreprises, Syndicats, ONGs, Médias…

Au niveau de la base, la plus grande des préoccupations est l’endettement. Je suis écœuré par ce que j’entends et ce que je vois par rapport à l’épidémie en cours ; écœuré par l’opportunisme des uns et des autres pour s’accaparer de tout ce qui se présente pour avoir de l’argent et pour se trouver dans le lit politique des gouvernants.

La classe moyenne est terrifiante ici comme ailleurs.

En France, l’extrême droite nationaliste, régalien, raciste avec des noms comme Reconquête ou Rassemblement national… autant insoumis que le titre populiste du Parti de Mélenchon. Les gauches reculent – les sociaux démocrates, les écologistes, les révolutionnaires ; la gauche recule ici comme ailleurs pour raison de l’incapacité de leurs dirigeants de sortir des classes sociales…

* Qu’en est-il des perspectives d’avenir?

Je suis débordé par la situation anarchique qui prévaut actuellement… les entreprises anarchiques secouées par des déclarations et des actions de gens qui se présentent comme des sauveurs alors qu’ils démantèlent tout ce qui a été construit.

Je suis en plein dans la rédaction d’une lettre pour restaurer le pouvoir d’achat, reconstruire les instances comme l’Employment Relations Tribunal et la Commission for conciliation and Mediation. Pourquoi ?

  • Pour protéger l’emploi contre des procédures disciplinaires anti-républicaines;
  • Pour protéger des ménages;
  • Pour combattre le surendettement contre l’implosion des fonds de pension, etc;
  • Pour établir des déontologies et appliquer les codes de conduite…

Je suis en action sur beaucoup de terrains : négociations syndicales, publications de livres soutenant la lutte syndicale, études théoriques et pratiques. Je m’occupe de beaucoup de publications ces temps-ci. Ma priorité sera une publication sur les salaires et sur le surendettement.

Vous allez être choqué: Je suis confronté à l’empressement des travailleurs. Dans beaucoup de secteurs, les travailleurs sont égoïstes et ils jugent que ce n’est pas convenable de protéger les secteurs les plus fragiles. Ils veulent tout et tout de suite.

Sur le terrain, il y a un certain nombre de syndicalistes cupides et mercenaires. Il y a des révolutionnaires qui sont à la solde des capitalistes. Il y a des avocats qui sont aussi des mercenaires…

La bataille sera rude. C’est dans ce cadre que les travailleurs doivent créer une radio net.

* Pensez-vous que ceux qui ont voté pour les différents partis de l’opposition perçoivent le projet d’alliance PTr-Entente de l’Espoir, toujours au stade de discussions au niveau des différents leaders, comme une alternative crédible et gagnante?

Cette alternative n’a pas de crédibilité avec Ramgoolam comme inspirateur entouré qu’il est de jouisseurs qui empêchent le changement à la tête de ce parti. Je suis désolé: il doit partir. Je lui ai écrit à ce sujet, le Parti Travailliste doit se reconstruire… Quant aux adhérents du militantisme, ils ne peuvent se retrouver derrière le MMM.

Mais le drame, c’est le journalisme qui est pratiqué, il n’est qu’évènementiel – c’est-à-dire il repose sur la pratique de privilégier l’évènement sans décrire et expliquer les actions politiques avec des prises de position par le journalisme d’investigation et d’opinion.

* Autre question qui touche la communauté des planteurs: la réforme de l’industrie sucrière telle que proposée par la Banque mondiale. Voilà une industrie qui subit des pertes annuelles de Rs 1,4 milliards mais dont la survie est assurée par l’injection de fonds publics de Rs 1,5 milliards par an, et qui pourrait être sauvée au bout d’une dizaine d’années par la mise en œuvre d’une série de mesures dont le retrait volontaire de 800 à 2000 employés, cela financé par les fonds publics. Faut-il sauver cette industrie?

Ce n’est pas sans raison que le nombre d’emplois baisse dans l’industrie sucrière : la production du sucre baisse pour cause de réduction de la superficie avec plantation de canne. Cette production va encore baisser. Mais on importe de plus en plus de sucre pour satisfaire nos exportations garanties et pour notre consommation locale. Il y a mutation et NON baisse dans les revenus.

Il y a une mutation dans les sources de revenus de l’industrie sucrière. Certains attendent d’énormes profits avec la construction des smart cities qui implantent l’apartheid social. Les banques s’impliquent de plus en plus dans les transactions financières à l’étranger. Analysez le revenu de la MCB, ses réserves et ses investissements indirects.

Le secteur hôtelier va passer par une phase de split and sell. On va traverser une phase d’investment swapping avec la privatisation directe et indirecte des entreprises et des activités étatiques.


* Published in print edition on 11 February 2022

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