L’Icône et les Tartuffe

Lettre de La Reunion

“Cachez-moi ce sein que je ne saurais voir,” a dit le faux dévot à Elmire qui, en baissant sa gorgère, lui tendait un piège mammaire afin de l’amener à trahir son hypocrisie morale. Aujourd’hui Nelson Mandela sert de gorgère symbolique pour voiler leur hypocrisie aux Tartuffe modernes. Madiba se meurt, Mandela est mort! Ils sont des milliers, à attendre cet instant fatidique pour verser une dernière larme de crocodile et pondre en mille et une paroles vaines et en formules creuses leurs panégyriques redondants à l’endroit de l’icône sud-africaine, heureux enfin d’être débarrassés de ce parangon de l’abnégation politique.

Obama-le-drone que d’aucuns grimaient en futur Mandela de Western, il y a cinq ans, n’a pas attendu que l’icône ferme définitivement les yeux pour trompeter le sien à Dakar, puis venir traîner ses oreilles à Pretoria alors que la décence eut commandé qu’il s’abstînt de s’y rendre pendant la sainte agonie. Parce que, au risque d’indigner, j’affirme que d’aucuns, puissants maîtres du monde et de la finance, attendent avec impatience qu’il disparaisse d’ici-bas pour se jeter sur sa patrie et la dépecer sans vergogne. Avec la complicité de ses successeurs qui eux aussi attendent pieusement et prient. Et déjà “volent en silence” selon la formule de feu notre ami Lucet Langénier.

Combien de bonnes âmes, de par le monde, connaissaient Mandela avant que, de Klerk, le dernier Président blanc du l’Afrique du Sud, ne l’extraie de la prison de Robben Island pour le faire accéder au pouvoir suprême, le révélant soudain comme le symbole de la lutte contre l’apartheid et l’homme de la dignité retrouvée des Noirs que ce système politique ségrégationniste réduisait au niveau de bêtes de somme parquées dans des ghettos appelés “townships” et “homelands”? Pas des millions comme aujourd’hui.

Pendant que le héros Xhosa dépérissait en prison tout un fouillant un trou un jour pour le reboucher le lendemain, combine étions-nous à La Réunion à le connaître? J’ai appris son existence et son combat tardivement, lors d’une Conférence mondiale de la Paix à Antananarivo sous Ramanantsoa; je ne sais même plus à quelle date. Peut-être en 1973. Peu importe! Quand je découvre l’existence de Madiba, cela fait plus de dix ans que déjà il creusait des trous pour le bonheur des Blancs sud-africains sous la férule de leurs leaders bien-aimés, les Verwoerd et autres Botha.

La Réunion aussi

Partie du monde occidental, La Réunion approuvait l’apartheid et entretenait des relations clandestines, puis officielles avec ses dirigeants sans jamais se soucier d’un Mandela qu’elle ignorait comme elle avait ignoré de Gaulle sous Pétain. Du moment qu’elle pouvait manger oranges, pommes et raisins, qu’importait que les sanguines Outspan eussent vraiment la couleur du sang! L’événement est vieux mais pas madérisé: qui se souvient encore de la triste aventure du sieur Gédéon Maléza (ou un patronyme du genre) en notre cher pays? Ce monsieur, titulaire d’un passeport suédois, débarque un jour à La Réunion pour une mission d’information privée auprès des personnalités recommandées. Je ne me souviens plus de l’année mais la date est sans importance. Il ne fait pas 24 heures dans l’île intense que le préfet, sur injonction de Debré, le déclare persona non grata, dangereux individu, menace pour la paix du monde et le fait expulser manu militari. Et le Martin d’Arène de braire à tue-tête dans son enclos du JIR à l’encontre du Gédéon dont il réclame la tête!

J’écris un papier en défense du pauvre Suédois déclarant que rien ne prouve qu’il est un visiteur dangereux, que même les RG et Kerig, le superflic de Michou-la-colère, n’avaient rien trouvé pour en motiver sérieusement l’expulsion et qu’il doit bénéficier d’un droit de visite à ses amis. Rien à foutre. Le Martin s’en prend de nouveau à moi qui “hihanne” que Maléza n’est pas de Gaulle à Londres! Conséquence, passeport suédois ou pas, Gédéon est viré de notre Eden. A la grande joie de tout un chacun zorey et indigène. Illettrés compris.

Pourquoi donc cette expulsion hâtive du paradis réunionnais? Parce que ce Suédois n’est pas un Scandinave d’origine contrôlée mais un Cafre sud-africain, membre de l’ANC, le parti de Nelson Mandela. Donc un ennemi public. Venant de France, il était venu faire un saut à Bourbon parce qu’il avait cru que la démocratie et l’hospitalité de cette grande nation, officiellement ennemie de l’apartheid, étaient extensibles jusqu’aux rivages de l’île. La démonstration fut faite : un passeport européen ne fera jamais un Blanc d’un Noir.

Mais la Réunion pro apartheid ne s’arrête pas là dans ses relations honteuses avec Pretoria. En plein boycott onusien de l’Afrique du Sud, elle accueille à Gillot et en missouk un avion militaire Shackleton de l’Etat sud-africain, venu en mission secrète dans l’île étudier une possibilité d’y faire atterrir les avions de la South Africain Airways (SAA), en route vers l’Australie, car ils sont interdits d’aéroports partout ailleurs dans la région. J’informe Le Monde et écris une protestation auprès de qui de droit à Paris. Réponse, silence, chétif insecte des cocotiers ! Et les avions de la SAA ont effectué par la suite quelques escales dans notre île avant de disparaître de notre ciel.

Il semble que Maurice (pas encore indépendante) leur a finalement offert une escale de complaisance à Plaisance, après les avoir bannis un certain temps en souvenir de Gandhi qui, lui-même, n’avait découvert les douceurs de l’apartheid qu’après qu’un employé blanc des chemins de fer sud-africains l’eut fait dégringoler de son wagon de première classe vers un autre de troisième, réservé aux Noirs. Il n’était pas encore Mahatma mais simple avocat à Durban.

Avant de clore la liste non exhaustive des coucheries péripatéticiennes de notre île avec Pretoria-la-Blanche, je dois évoquer le passage incognito, pour ne pas dire clandestin, d’un ministre sud-africain du tourisme déguisé en agent de voyages et venu en mission avec son staff auprès de la Chambre de Commerce étudier la possibilité d’ouvrir à Saint-Gilles un embryon de Sun City dans le style de Las Vegas, avec danseuses nues et casino à roulette et baccarat, ces sortes d’amuse-gueules étant interdits dans la puritaine République de la Ségrégation Raciale.

La mission accoucha d’une souris sous la forme d’un consulat, rue de la Compagnie des Indes à St Denis devant lequel un coup de pied au fondement d’un CRS lors d’une manifestation anti-apartheid fit la gloire d’Aliette Gauvin. Arrêtons-nous ici, comme a dit Caïn, même si nous n’avons pas de l’immonde atteint les bornes en suivant le fameux axe « Patelpreker » : Paris-Tel Aviv-Pretoria-Kerguelen qui finit en un éclair nucléaire vespéral judéo-blankie, vu et entendu à La Réunion mais nié par l’Occident quoique confirmé par le magazine Science et Vie.

Séisme post mortem

N’étant ni Pythie ni Cassandre, je ne prédis rien mais les futurologues patentés du G8 ont déjà fait trompeter par leurs hérauts que dès le décès de Mandela, l’Afrique du Sud sera saccagé par un gigantesque séisme racial et socio-économique qu’on peut résumer ainsi : « Hier, dès 17 heures les Noirs devaient quitter les villes et regagner à la hâte leurs bidonvilles pour faire place nette aux Blancs. Aujourd’hui, dès 17 heures, les Blancs se hâtent de fuir les villes envahies par les Noirs pour se mettre en sécurité dans leurs lotissements fortifiés. » Et ce ne sera pas tout. Certains y voient une Géhenne de sang, de larmes et de lamentations ; des pénates, des bureaux et des usines vite abandonnés : des avions pris d’assaut, l’exode et l’exil comme seuls moyens de sauver sa peau.

D’autres regrettent que de Klerk et sa clique, avant de libérer Mandela, n’aient pas magnifié l’apartheid en imposant une partition de l’Afrique du Sud avec la création d’un « Blankiestan » fortifié pour les Blancs englobant les provinces du Cap du Nord, de l’Est, l’Ouest et de l’Etat Libre d’Orange. Avec quelques « homelands » blancs au milieu des provinces dévolues à un Etat noir serti de barbelés… à la façon des colonies juives en Palestine. On fantasme comme on peut. Cependant qu’il est certain que les requins et vautours de la finance transnationale vont ravager le pays de Madiba sitôt les dernières louanges déclamées. Les valises bourrées d’espèces mortifères sont déjà bouclées, les passeports pourvus de visas ad hoc et les costumes ready to dress en attente sur leurs valets. Mais quand ce dernier voyage pour l’Olympe des héros ?Vive ce cher Nelson !


* Published in print edition on 8 August  2013

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