Interview : Shakuntala Boolell

Interview : Shakuntala Boolell


« L’éducation,  vue à travers le prisme culturel, comporte des failles importantes »

« Ce que la presse écrite expose doit intéresser une certaine section de la population… mais les autres citoyens ont d’autres chats à fouetter. Souvent, ils rigolent un bon coup pour se défouler. Ils savent bien que ce qui se dit aujourd’hui passe au second plan le lendemain… »


Cette semaine a été marquée par les résultats des examens de fin de cycle secondaire et l’annonce du classement des jeunes en fonction de leur performance académique aux examens de la HSC. Plusieurs jeunes, issus de collèges nationaux ou privés, ont fait la joie et la fierté de leur établissement. Notre invitée, éducatrice depuis de nombreuses années et aujourd’hui universitaire retraitée, Shakuntala Boolell, se penche sur les réformes enclenchées au sein du système éducatif mauricien en vue de promouvoir l’accès à l’Education pour tous…


Mauritius Times : Au gré des changements de régime, chaque ministre de l’Education présentera sa réforme spécifique comme ayant contribué à la démocratisation de l’enseignement, et au succès des ‘non-star Schools’ en termes de lauréats et de taux de réussite. Mais on se demande si c’est vraiment une réforme structurelle de l’éducation (Form I-V Schools v/s Form VI Schools) qui serait à la base de ce succès. Qu’en pensez-vous ?

Shakuntala Boolell : Il va de soi que chaque ministre de tutelle fera valoir ses réalisations. C’est un processus normal. Il faut remonter à l’époque de Sir Seewoosagur Ramgoolam dont la vision était de donner des « chances égales pour tous ». Donc, le système se démocratise depuis cette époque-là. L’éducation gratuite est « a boon to the population ».

Qu’on l’accepte ou non, c’est à partir de là que des familles ont commencé à réduire l’écart entre les instruits, privilégiés sur beaucoup de plans, et les gens ne sachant ni lire ni écrire. Le retard accusé par des communautés agricoles et ouvrières se rattrape au fil du temps avec l’augmentation progressive du taux de scolarisation des garçons et filles. Des écoles primaires sont construites dans plusieurs régions pour faciliter l’accès à l’éducation, avec pour finalité « l’éducation pour tous ».

Au fil des années, des réformes sont inévitables. Un système ou une institution ne doit pas se scléroser. Chaque ministre apporte sa pierre dans un esprit de « fairness » et aussi d’innovation. Il fallait songer aux réformes pour plusieurs raisons : le « rat race » qui creusait des écarts entre des quartiers et des écoles ; satisfaire les exigences des différentes classes sociales ; revoir les programmes et politiques pour les besoins de la société et le marché du travail. De plus, il était important d’étendre l’âge de la scolarisation pour tous à 16 ans. Par conséquent, plusieurs collèges ont été construits pour atteindre cet objectif.

Ainsi le succès de la démocratisation de l’éducation est, en partie, dû à certains collèges régionaux qui ont commencé à accueillir des enfants, à la fin de leur scolarisation au niveau primaire, ayant obtenu des « A » en CPE. Ces collèges régionaux orientent leurs élèves vers un programme défini.

Il fallait un encadrement pour les différentes catégories d’élèves. La formule « Form VI schools » n’a fait qu’attirer le lot des « 6 à 10 unités » dans certains collèges d’élite pour leur inculquer le même esprit de compétition un peu plus tardivement. A travers les « Form VI schools », on a voulu démontrer que cette formule représentait le seul moyen d’inciter les élèves à exploiter à fond leur potentiel. Mais cela n’a pas fonctionné pour diverses raisons.

* Certains responsables des collèges, publics et confessionnels, soutiennent que l’encadrement scolaire de la Form I à VI, aidant à créer un sens d’appartenance, favoriserait le succès des collégiens. Or, un bon nombre de lauréats de la cuvée 2012 du HSC ont rejoint les ‘Star Schools’ en Lower Six après cinq années d’études passées dans des collèges moins prestigieux. Votre opinion ?

Les responsables n’ont pas d’emprise sur la majorité des élèves. Soyons honnêtes. Qui peut obliger un élève à rester dans un établissement ? Encadrement scolaire, « peer group », sens d’appartenance, sont des clichés. Exception faite pour quelques établissements scolaires, le MGI, par exemple. Qu’est-ce qui compte pour l’élève avant tout ? Le jeune compte obtenir des « A plus » et le maximum de points. Eventuellement, il aspire à être sur la liste des lauréats.

Après les résultats de la SC (School Certificate), les élèves qui obtiennent 15 unités souhaitent à tout prix changer de collège, et ce, pas simplement pour obtenir les combinaisons des matières souhaitées en HSC (Higher School Certificate).

Mais ils comptent bien améliorer leurs chances et leur performance académique en changeant d’établissement scolaire ! Ceux et celles qui obtiennent 6 unités revendiquent — avec légitimité – le droit d’avoir une place dans un des « star schools ».

* Le succès des ‘non-Star Schools’ telles que Modern College, Forest Side SSS, Solférino SSS et Sir Raman Osman SSS cette année motivent beaucoup les responsables de ces collèges. Ils affichent une certaine fierté et c’est légitime. Mais ne faudrait-il pas aussi analyser la performance globale de ces collèges ?

Ce serait une étude intéressante. Nous comprendrions mieux les motivations des élèves, les interactions, la méthodologie… Et que dire du jeu des influences ? Apparemment, l’encadrement dans ces collèges subit moins de critiques qu’ailleurs en termes de travail fourni dans les classes. Comme la pression est moindre dans ces collèges, les compétences sont à évaluer différemment.

* Parmi les facteurs responsables du succès scolaire, il y a sans doute l’environnement scolaire, mais aussi l’encadrement familial et l’effort intensif et soutenu de l’élève. Tous ces éléments contribuent au succès de l’élève. Mais, en tant qu’éducatrice, estimez-vous qu’il en faut plus que ce que fournit le milieu scolaire et parental ? Des leçons particulières, par exemple ?

Une combinaison de tous les facteurs que vous avez mentionnés joue certainement un rôle dans la réussite des élèves. Mais pas à cent pour cent ! Sans les « leçons particulières », rien n’est joué à l’avance. C’est un apport décisif dans le progrès de l’élève qui arrive à peaufiner son travail personnel.

Qui pourrait démentir les propos qu’on entend habituellement sur l’absentéisme durant les 3 derniers mois, voire même 6 mois, avant les examens de la SC ou de la HSC ? Pour un bon nombre d’élèves, c’est bien mieux de rester chez soi pour réviser et suivre les cours particuliers les après-midis et pendant les week-ends. Dès maintenant – et on est au début de l’année – des élèves des « star schools » se plaignent du laxisme en classe. Ce sont les leçons qui servent de « booster ». Par ailleurs, je dois dire certains jeunes aspirent à devenir lauréats ou à obtenir une bourse d’étude. Ceux-là sont dans une logique de leçons particulières. Les familles ont un budget pour cela. Elèves et parents sont esclaves du système.

Du point de vue des enseignants, les débats sont de plus en plus rares. On accumule les notes, on se penche sur les devoirs écrits. Les lauréats, de leur propre aveu, disent abattre un gros travail au prix d’énormes sacrifices. Toujours est-il que les candidats mettent toutes les chances de leur coté en doublant la mise avec les leçons particulières. Il est rare, voire impossible, de rencontrer un lauréat qui a travaillé seul dans son coin.

Mais en tant qu’éducatrice, je mettrai l’accent sur le fait que les lauréats ou ceux qui obtiennent une bourse d’étude ne sont pas des êtres exceptionnels. Ils possèdent certaines qualités sur le plan académique, c’est certain. Mais sont-ils capables de discuter de politique, de leur patrimoine, d’une société d’abondance ou du gaspillage des ressources ? Ont-ils une personnalité bien épanouie ?

* Ces leçons particulières, tant décriées, vont demeurer un mal nécessaire… quelle que soit la réforme — profonde ou simplement structurelle?

Oui. Le mal est ancré dans les mentalités. Déjà, à l’école primaire, on songe à canaliser les ressources pour atteindre la perfection. Les leçons particulières ne sont plus une simple forme de rattrapage pour les matières qui occasionnent des difficultés d’assimilation de l’élève. Par exemple, il est extrêmement rare d’entendre les parents dire : « Mon enfant doit rattraper un retard en mathématiques ou telle autre matière. »

Maintenant le discours tenu par les parents en dit long sur le « shadow education system ». Il faut que l’élève soit parmi les meilleurs, qu’il développe l’esprit de compétition et qu’il ait la possibilité d’obtenir une bourse à la fin de son parcours scolaire.

Donc la réforme n’est que dans la « forme » alors que ce serait plutôt la culture qui réclame un changement ou une réforme… Dans quelle mesure les parents et les jeunes acceptent-ils de ne pas considérer le collège comme une machine à produire des lauréats ? Est-ce que c’est facile de faire évoluer les esprits chez nous ? Voilà une analyse à faire.

* L’écrivain Paul Tough a fait des études sur le parcours académique des étudiants américains des régions urbaines les plus pauvres dès leur plus jeune âge. Dans son ouvrage ‘How children succeed’ il soutient que c’est le caractère – incluant les traits tels que « resilience, self‑control, optimism and (Tough’s favourite) grit » – qui est le facteur déterminant du succès – « it helps young people absorb and act on criticism, overcome setbacks and meet frustration and obstacles with renewed determination. Those who manage to graduate from high school despite poverty and an absence of supportive role models have to have more reserves of character than their socially cushioned peers». Qu’en pensez-vous?

Paul Tough s’appuie sur le « background », l’encadrement et la lutte intérieure pour établir une différence entre les couches sociales. Jean-Paul Belmondo a lui aussi dit que « la meilleure école est la rue ».

Il y a une vérité dans leur perception des choses. Ceux qui ont eu un parcours sans épines ne sont pas forcément prêts à relever tous les défis. Combien sont ceux qui n’ont eu aucun modèle en face mais ils se sont adaptés aux circonstances et ont brillé professionnellement ? J’en connais parmi les jeunes. Avec de la patience, ces jeunes qui n’ont pas eu de « cocon familial » ont épuré leur langue, leur culture et ils « perform » admirablement bien.

* Au-delà de la performance académique de nos jeunes et un état d’esprit compétitif plus prononcé, semble-t-il, que les générations précédentes, quelle est votre opinion au sujet de la présente génération ? Pensez-vous que les jeunes soient animés par un état d’esprit plus critique ? Sont-ils plus solidaires ou plus égoïstes ?

La présente génération mise beaucoup sur la facilité. Sans le « spoon feeding » et le transport quotidien en voiture, par exemple, une grosse majorité des élèves dans les villes ne seront pas motivés pour apprendre. L’esprit critique fait défaut chez la majorité des jeunes en milieu scolaire. Ils ont besoin d’explications linéaires et les « model answers » leur donnent confiance.

Par ailleurs, l’égoïsme se généralise. Ils ne donnent pas leurs notes. Pire encore, ils ne donnent pas le nom de leur professeur de leçons particulières à leurs camarades de classe ! L’individualisme, qu’on reprochait aux sociétés occidentales, a fait un bond de géant chez nous.

* Au fait, qu’attendent-ils de notre société?

Tout. La société a une dette envers eux. C’est leur mentalité. Il faut combler toutes leurs attentes : leur demande de bourse, leur travail, ou leur promotion. Les efforts sont de plus en plus à sens unique. Ce sont les parents et les institutions qui doivent tout leur donner sans relâche. Mais je pose la question : A qui la faute ?

* La grande majorité des lauréats, qui ont répondu aux questions des journalistes de la MBC-TV sur les raisons de leur réussite, se sont exprimés en français. Est-ce que cela provoque de l’inquiétude chez vous ?

Loin de là. La langue d’expression culturelle de notre paysage est le français. On a beau dire que le créole est la langue de notre quotidien mais le français a aussi et toujours une place privilégiée. Le français n’est même plus la langue de l’élite, de la « bourgeoisie créole ou indo-mauricienne ». Où que l’on aille – dans le commerce, les banques, les centres communautaires – on entend des mots d’accueil en français. C’est l’usage et tout le monde y adhère sans aucun problème.

* Selon une étude effectuée par Education First – une compagnie internationale basée en Suisse -, auprès de 1,7 millions d’adultes sur les cinq continents, les pays « with poor English language skills have lower levels of trade, innovation and income ». Selon Michael Lu, senior vice president de Education First, “English is key to innovation and competitiveness.” Maurice aurait-elle pris une voie opposée ?

L’anglais est la langue la plus répandue dans le monde. Que l’on soit étonné ou non, même en Espagne et en Italie, pays si proches de la France et possédant des langues latines, il faut aussi s’exprimer en anglais ! C’est normal que chacun tente de s’approprier la langue anglaise à tout prix. En France, les familles sont nombreuses à opter pour des écoles bilingues ou privées. Elles ont raison d’encourager leurs enfants à l’ « exposure to English language ».

Notre pays a apporté certaines réformes sans donner un coup de balai aux acquis. L’anglais est l’outil indispensable pour toutes les filières — technologie, sciences pures, sciences humaines… Toutefois, il ne serait pas juste de dire que Maurice se dévie d’une politique qui nous ouvre les portes vers les pays anglophones et le monde en général.

* Le chômage redevient une source de préoccupation chez les jeunes et leurs parents. En tant qu’éducatrice, diriez-vous que le modèle actuel de notre système éducatif – du niveau primaire jusqu’au niveau tertiaire – est approprié pour satisfaire les besoins futurs de la République en termes de ressources humaines et d’orientation stratégique ou avons-nous besoin d’un nouveau modèle ?

Le chômage est une préoccupation générale. Parfois la conjoncture est bonne et parfois, c’est la crise. Voyez ce qui se passe en Grèce et en Espagne sans compter les licenciements en Grande Bretagne ou en France. Notre jeune République a amorti le taux de chômage en favorisant une politique de croissance ces dernières années. Mais c’est aussi vrai que, dans certains secteurs, l’embauche est devenue plus difficile. Pour autant, doit-on mettre toujours en cause l’éducation et le système éducatif en place ?

Notre système éducatif donne la chance aux enfants qui ont des compétences appropriées de choisir entre différentes filières : scientifique, technique ou autre. L’éducation, vue sous l’angle académique, fonctionne correctement mais l’éducation, vue à travers le prisme culturel, celle-ci comporte des failles importantes.

Le problème, c’est qu’il est difficile de convaincre les élèves de se tourner systématiquement vers les secteurs plus prometteurs, et moins fermés. Beaucoup sont têtus. Ils penchent soit pour la loi ou pour la médecine! Deux métiers qui trônent sur les lèvres! Deux secteurs saturés !

Pourquoi mépriser le domaine paramédical, par exemple ? Les métiers ne manquent pas. Pourquoi persister à croire qu’on a un meilleur statut en portant la robe noire ou la blouse blanche ? Voilà encore une culture, une croyance qu’il faut remettre en cause.

Des stratégies politiques ont été adoptées pour remédier à la situation. Le sport est plus ouvert. Des possibilités sont offertes aux jeunes qui souhaitent recevoir une formation poussée dans ce domaine et, éventuellement, accéder à un métier intéressant. Les secteurs hôteliers et aussi de la sécurité sont des avenues à exploiter. Mais combien de jeunes veulent-ils abandonner loi et médecine pour se tourner vers ces secteurs? Et que dire des parents qui ont des idées bien arrêtés sur deux ou trois métiers spécifiques ?

* Plusieurs diplômés issus des universités mauriciennes ne trouvent pas d’emploi dans le domaine recherché. Un surplus de médecins frappe à la porte des établissements de l’Etat. En tant qu’éducatrice, que pensez-vous de cette volonté affichée d’avoir « un diplômé par famille » ?

Le taux de chômeurs diplômés (médecins, avocats, enseignants) n’est pas alarmant à Maurice. Les experts admettent qu’il n’y a ni vague de licenciement ni crise localement . Des recrutements se poursuivront mais à petites doses.

Que les jeunes prennent le taureau par les cornes et travaillent en équipe! Les associations et collaborations sont une pratique courante en Europe et aux Etats-Unis. Les initiatives laissent à désirer chez les jeunes.

Ils recherchent sans cesse la solution de facilité – un job dans le gouvernement ! La dynastie – avec la reprise du travail de la famille. La démarche traditionnelle se poursuit. Ce que les aînés ont fait dans les années 70, 80, les jeunes le poursuivent sans véritable esprit d’innovation. L’esprit d’entrepreneurship n’est pas bien ancré dans le paysage mauricien. Pourtant, il y a des politiques en faveur de l’entrepreneurship.

La question d’un diplômé dans chaque famille est un choix personnel. On ne devrait quand même pas croire que le diplôme est l’unique passeport de la vie. Il faudrait avoir d’autres capacités pour trouver sa place dans la société.

Si on n’a pas une bonne élocution, si on n’a pas le savoir-faire et le savoir-être nécessaire, si on n’arrive pas à s’affirmer dans le cadre du travail, on est condamné à errer avec son diplôme. L’erreur est de croire qu’un diplôme offre un statut à la personne et, par conséquent, toutes les portes doivent s’ouvrir automatiquement pour elle. Ce n’est absolument pas vrai. Tout un travail sur la personnalité, par exemple, reste à faire lorsque la personne a un diplôme en bonne et due forme.

* Vous avez été élu en tête de liste lors des dernières élections municipales à Quatre Bornes. La campagne électorale a été sans doute une expérience enrichissante pour vous après tant d’années passées dans les salles de classe, n’est-ce pas ?

Une campagne électorale est vraiment autre chose. Une salle de classe est restreinte. Vous êtes maître à bord et vous prenez des initiatives pour faire bouger un groupe avec lequel vous vous familiarisez assez vite.

Une campagne électorale est vraiment une nouvelle expérience. Pendant cette campagne, j’étais – en quelque sorte – une aventurière. J’ai hésité avant de dire : « Oui, je me lance ! »

C’est Yatin Varma qui m’a vraiment encouragée et, un peu plus tard, Reza Isaac m’a donné des conseils. Puis les autres – Rajesh Jeetah, Nita Deerpalsingh, Ariane Oxenham – ont contribué à développer les contacts.

Si on s’imagine que c’est du « fun », on se trompe beaucoup. Je suis redevenue une élève pendant les trois semaines de campagne. J’ai eu à apprendre comment il faut « deal with different groups”, et comment intégrer ces groupes.

Expérience riche de par l’écoute, les interactions et les compétences démontrées au gré des circonstances. L’esprit d’équipe était déjà acquis d’autant que mes colistiers discutaient ouvertement et partageaient leur propre expérience. On formait une bonne équipe.

Ce qui était nouveau – et combien de leçons à tirer – c’était de comprendre le rôle des activistes et aussi le fait de sillonner les rues à toute heure. C’était une aventure avec autant de suspense que d’éventualités. Il fallait que je sois armée moralement !

* Je suppose que le contact du terrain vous a appris des choses que vous n’avez jamais connues ou rencontrées pendant les années passées à l’Université de Maurice. Qu’avez-vous appris donc par rapport à Maurice et ses hommes politiques, et le Mauricien lambda ?

Le contact sur le terrain n’est ni plus ni moins un genre de « field work ». On enquête sur la vie du quartier, on écoute les mécontentements, on se demande si on peut changer toutes les données en un tour de main.

Ce ne sont plus de grandes théories qu’on enseigne dans une université. Sans ce contact, il n’y a pas de politique. Je me rends compte, après coup, que les hommes et femmes politiques de proximité ont abattu un gros travail. Les gens aiment voir leurs candidats et ne veulent pas se contenter de photos et d’affiches. Du moment où vous vous êtes engagé, ce n’est pas possible de dire « it is a bitter pill to swallow ». Le contact, c’est un peu entrer dans les « parties privatives » et vivre en l’espace de quelque temps la vie de ces citoyens.

* Qu’est-ce qui interpelle les habitants de Quatre Bornes aujourd’hui ? Le chômage, l’insécurité, CT-Power, les ‘gagging orders’, Soornack… ?

Ce qui interpelle les gens de Quatre Bornes : les rues insalubres, les poubelles, le « noise pollution », le traffic jam, le bazar… Ils pensent à leur bien-être avant tout. Les autres « topics » sont probablement discutés en privé.

Ce que la presse écrite expose doit intéresser une certaine section de la population quatre-bornaise mais les autres citoyens ont d’autres chats à fouetter. Souvent, ils rigolent un bon coup pour se défouler. Ils savent bien que ce qui se dit aujourd’hui passe au second plan le lendemain pour laisser place à d’autres nouvelles et ainsi de suite. Les Quatre-Bornais ne sont pas dupes.

* Je suppose aussi qu’il vous a fallu tenir un discours différent à la Source qu’à Sodnac ?

Faire des discours est une habitude coutumière. A titre d’ancienne lecturer, je n’ai pas eu de mal à faire passer le message. Evidemment, il faut cibler son auditoire. A Sodnac et au morcellement St Jean je jonglais avec les mots pour capter l’attention.

Mais à Pellegrin, Lal Bahadur « Camp Poule », il faut rester terre à terre, se départir de la « peau intellectuelle » et être percutant avec des faits. Improviser est un « must » quand on bouge d’un quartier à l’autre. Le plus dur, c’est d’éviter des dérapages face aux questions du public. Et d’éviter le « cheap politics » ou même la « politique de salon. » Ce juste milieu, on l’apprend sur le terrain.

* Avez-vous constaté l’existence de plusieurs îles Maurice au sein de la République ?

Mon constat est comme suit : il y a différents quartiers, différents modes de vie et différentes attentes. Nos citoyens sont tous Mauriciens mais ils ne comprennent peut-être pas suffisamment le sens de l’appartenance à la nation.

Qu’est-ce qu’un leader ? Tous en sont conscients. Sans un leader, on devient handicapé. On ne sait pas à quelle branche s’accrocher. C’est plus l’appartenance au leader qui compte.

Mais qu’est-ce qu’une République ? La, des lacunes sont à combler. Du point de vue géopolitique, il n’y a pas plusieurs « îles Maurice » mais au plan socioculturel — croyances, égalité des chances — j’ai noté des disparités. Pas tant chez les jeunes votants que chez les générations des retraités. Après tout, Maurice est un petit pays. Comment et pourquoi le réduire encore en sous-territoires ?


* Published in print edition on 8 February 2013

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