« Le ‘Cabinet System’ n’existe plus ; c’est un mythe »

Interview: Rama Valayden

“Ce ne sera pas avant trois ans qu’on aura une élection partielle à Triolet pour le remplacement de Ramgoolam »
Ce qu’iI y avait sous le règne de Ramgoolam de 1976 jusqu’à 1982 n’était pas un ‘Cabinet System’. Ni celui sous Jugnauth après 1987 ou sous Ramgoolam à partir de 2010 »

Nous avons fait appel cette semaine à un juriste de formation, Me Rama Valayden, pour nous aider à mieux analyser les propositions d’amendements à notre Constitution, telles que celles-ci sont avancées par les deux leaders du PTr et du MMM respectivement. De quelle manière sont-elles avantageuses ou non pour assurer le bon fonctionnement de la République ? Quel serait l’impact sur la démocratie dans le court et moyen termes ? Quels en sont les risques?

Mauritius Times : En tant que juriste, Me Valayden, quelle appréciation faites-vous de la démarche déclarée par la nouvelle alliance PTr-MMM en vue d’apporter des amendements à notre Constitution et mettre en place une nouvelle ‘governance structure’ ?

Me Rama Valayden : La nouvelle alliance PTr-MMM essaye de se projeter comme une alliance moderniste qui va essayer de changer la structure de gouvernance qui a été la nôtre depuis l’indépendance dans le cadre d’une « Deuxième République ».

Mes appréciations personnelles sont les suivantes. D’abord et avant tout, nous ne savons pas à ce stade quelles sont les propositions réelles qui seront avancées à l’Assemblée nationale si jamais cette alliance parvient à remporter les élections. C’est une chose de faire des propositions à la veille des élections, mais venir avec des propositions en termes d’amendements constitutionnels et les faire accepter par le public ou même les membres de cette même alliance est une autre paire de manches.

Nous retenons, à ce stade, toutefois la proposition visant à assurer un certain partage de pouvoirs entre le Président de la République et le Premier ministre et un changement au niveau de la ‘governance structure’ qui sera plus rectangulaire dans l’avenir. Ceci soulève plusieurs questions. Au-delà de l’acceptation ou non par les ‘Civil Servants’ ou la population, on est en droit de se demander si ce nouveau mécanisme va fonctionner ? Disposons-nous des institutions, des hommes et des femmes pour faire fonctionner cette nouvelle proposition si jamais cette dernière est votée par l’Assemblée nationale ? Difficile de se prononcer puisque nous ne savons pas, à ce stade, comment aura lieu la démarcation entre les nouvelles prérogatives du Président de la République et celles du Premier ministre.

Tout changement de Constitution ou de projet d’amendement constitutionnel doit être pédagogique dans un premier temps afin d’expliquer aux gens pourquoi et comment ces changements vont influer sur leur vie quotidienne, sur l’espace démocratique au sein de la République, sur le ‘Welfare State’, etc. Ce sont autant de questions qui n’ont pas été adressées jusqu’ici.

Je le disais dans une interview précédemment à votre journal que l’idée véhiculée par les leaders du PTr et du MMM en faveur d’une nouvelle République ne me déplait pas, mais je me pose des questions quant à leurs motivations.

Est-ce que cette démarche est motivée par un souci en faveur de l’intérêt du pays… avec l’objectif de faire de Maurice une République phare en cette partie de l’océan Indien ? (Je vous signale en passant que c’est bien plus Bérenger qui utilise ce terme dont, je dois dire, je n’arrive pas à bien saisir le sens.)

Ou est-ce tout simplement l’œuvre de deux ‘seniors citizens’ qui souhaitent se donner une vie facile en cessant de se quereller et en partageant le pouvoir entre eux, quitte à ce que Maurice ne poursuive pas son chemin sur la voie du progrès.

On verra plus clair lorsque leur accord sera rendu public, mais je pense que d’ici les prochaines élections et la présentation du manifeste électoral de l’alliance PTr-MMM beaucoup d’eau va couler sous le pont et on verra des changements dans ce qu’ils disent aujourd’hui vouloir proposer…

* Diriez-vous, en vous basant sur ce qui a été annoncé publiquement par les deux leaders et sur la base de votre expérience ministérielle, que ces propositions vont être bénéfiques pour la stabilité du pays, pour le bon fonctionnement du gouvernement et que ces changements vont nous aider à accomplir des choses que l’actuel système ne permet pas ?

Voyons d’abord ce que nous avons actuellement : le ‘Cabinet System’ n’existe plus ; c’est un mythe. Ce qu’iI y avait sous le règne de Ramgoolam de 1976 jusqu’à 1982 n’était pas un ‘Cabinet System’. Ni celui sous Jugnauth après 1987 ou sous Ramgoolam à partir de 2010.

Ce qu’on a actuellement, c’est un groupe de personnes choisies par le Premier ministre et qui ne font qu’avaliser les décisions qui ont été prises par le Premier ministre lui-même. Il y a, à mon avis, au niveau du PMO aujourd’hui, une concentration de responsabilités en termes de portefeuilles ministériels.

Ce n’est pas le ministre de la Culture qui décide de la politique culturelle du gouvernement ; certains conseillers au niveau du bureau du Premier ministre décident à sa place. Même chose en ce qui concerne les Finances : ce n’est pas la vision d’un ministre des Finances ou celle du Cabinet ou d’un quelconque ‘policy paper’ qui est discutée collectivement pour façonner la politique économique du pays. C’est uniquement ce que décide le Premier ministre en consultation avec certaines personnes – fonctionnaires ou conseillers – qui opèrent en privé.

Je vous signale que les affaires financières ou même le budget ne sont pas discutés au niveau du conseil des ministres. Tous les ministres nommés depuis l’indépendance peuvent vous dire que les ministres eux-mêmes prennent connaissance des propositions budgétaires uniquement 30 minutes ou une heure avant la présentation du Budget à l’Assemblée nationale. C’est ainsi que les ministres ont été réduits à jouer le rôle de ‘tabla-wallahs’ qui vont applaudir uniquement pour des raisons de solidarité ministérielle…

* Vous voulez dire que le système en place est déjà presque du type présidentiel ou semi-présidentiel ?

C’est bien plus présidentiel, car au moins au niveau présidentiel, le Président dicte les grandes lignes et il appartient au Premier ministre d’implémenter la politique gouvernementale sur la base d’un manifeste sur lequel le Président est élu. A Maurice, c’est complètement différent, aujourd’hui l’agenda du Cabinet et l’ordre du jour de l’Assemblée nationale sont décidés par le Premier ministre. Ramgoolam contrôle tout et rien ne se passe sans que le Premier ministre ne soit au courant de tout.

Aroon Purie de ‘India Today’ le résume bien lorsqu’il écrit que toute personne qui est nommé Premier ministre devient aussitôt un ‘giant’ et les autres ministres des ‘pygmies’ ! Je pense que c’est la même situation qui prévaut à Maurice…

* Est-ce que c’est une question de style ou de manière de gouverner ? Se pourrait-il que le système favorise une telle situation ?

C’est un système qu’on a hérité à partir de 1967 avec l’accession du pays à l’indépendance ; il fallait avoir des ‘Civil Servants’ loyaux vis-à-vis du gouvernement du jour après le départ d’un certain nombre de hauts fonctionnaires pour l’Australie. Emigration encouragée par certains anti-patriotes mais aussi ceux qui sont partis parce qu’ils n’étaient pas confortables avec l’émergence d’une nouvelle section de la population qui allait prendre les rênes du pouvoir doù le souci durant cette période difficile, me semble-t-il, de rassembler, autour du Premier ministre et des ministres, des fonctionnaires loyaux vis-à-vis du gouvernement du jour.

On n’a pas, depuis, réinventé notre Civil Service et nos structures du pouvoir que nous ont légués les Anglais et on s’est retrouvé petit à petit avec un Premier ministre bien plus royaliste dans son approche de la gouvernance et avec des pouvoirs extrêmement forts. Il faut impérativement changer cela dans l’intérêt de la démocratie, mais je me demande si cela fait partie des motivations des deux leaders de cette alliance.

* Autant les changements qui sont proposés en vue d’un meilleur partage entre le Président de la République et le Premier ministre devraient être accueillis, n’est-ce pas ?

Pourquoi le Président doit-il avoir ces pouvoirs ? Ne doit-on pas plutôt revisiter le système du ‘Cabinet’, revoir les pouvoirs des ministres, des hauts fonctionnaires, etc., pour faire en sorte que les choses puissent être mises en pratique.

N’est-il pas temps d’étoffer les pouvoirs discrétionnaires de certains ministres pour qu’ils soient moins dépendants du Premier ministre ? On devrait aussi retourner le pouvoir de prise de décision à l’Assemblée nationale dans certains cas particuliers.

Est-ce qu’il ne faut pas aussi ‘empower’ davantage les ‘Select Committees’ pour que ces derniers puissent revoir les grandes politiques gouvernementales, par exemple, en matière de politique étrangère, de sécurité intérieure ou de politique économique ? Il faut, à mon humble avis, réfléchir sur ces questions-là au lieu de persister avec un système qui favorise la primauté d’un seul centre de pouvoir qui agit et devient au fil du temps comme le Roi-Soleil.

* Et qu’en est-il des deux centres du pouvoir qui vont émerger avec les propositions de Ramgoolam et de Bérenger ?

Je crois qu’il fallait accorder bien plus de pouvoirs à l’Assemblée nationale et aux ministres, et aussi revenir avec le système de ‘Cabinet’, de ‘checks and balances’, au lieu d’avoir un Président avec des pouvoirs accrus. Le Président de la République doit, à mon avis, être une personne qui symbolise l’unité nationale et qui demeure au-dessus de la mêlée politique. C’est quelqu’un vers lequel on pourra se tourner en cas de crise tant sociale que politique.

Or, que nous propose l’alliance PTr-MMM ? Un Président de la République qui s’impliquera dans le ‘day-to-day functioning’ du gouvernement, qui pourra présider le conseil des ministres… donc quelqu’un qui va se mouiller dans la chose politique et qui ne va pas ‘command respect and moral authority’ au niveau national.

Ce qu’on est en train de nous proposer, c’est un Président qui se mouillera avec le Premier ministre dans toutes les décisions par rapport à l’Exécutif, ce qui fait qu’à la fin de la journée, on aura un Président qui est non pas symbole de l’unité nationale mais un Président exécutif aux côtés d’un Premier ministre exécutif. On est en train, selon moi, de créer un système qui ne pourra pas marcher, sinon difficilement.

Par ailleurs, il y a la question de redevabilité : le Président de la République qui disposera de plus de pouvoirs par rapport aux nominations des hauts fonctionnaires sera-t-il redevable ? Si oui, envers qui ? Voilà ce que nous dit la Constitution sous la Section 30A par rapport aux “Privileges and immunities” du Président et du vice Président :

“(1)   Subject to section 64(5), no civil or criminal proceedings shall lie against the President or the Vice-President in respect of the performance by him of the functions of his office or in respect of any act done or purported to be done by him in the performance of those functions.”

Et, “(2) Subject to section 64(5), no process, warrant or summons shall be issued or executed against the President or the Vice-President during his term of office.”

C’est facile de comprendre ce que cela signifie : on ne pourra pas “challenge” par voie de “judicial review” les nominations effectuées par le Président de la Republique !

* Il y a un problème d’‘accountability’ alors ?

Tout à fait. Car on refusera ainsi l’accès à la justice aux Mauriciens. Comment va-t-on « challenge » le Président de la République ? C’est bien plus compliqué que ne le pensent Bérenger et Ramgoolam. Il se peut que leurs motivations soient bonnes, il se peut qu’ils soient tous deux conscients des pouvoirs excessifs qu’exerce le Premier ministre.

Toutefois, il faut se demander si c’est une bonne chose d’accorder ces pouvoirs au Président de la République. Ne fallait-il pas plutôt chercher à consolider le système de ‘checks and balances’ ou de partager certaines pouvoirs avec des institutions nouvellement créées ? Il ne faut pas avoir une idée binaire de Maurice, c’est-à-dire voir les choses en blanc et noir. Il faut aller plus loin et non pas s’inspirer de l’exemple du Cap Vert dont la Constitution n’a pas encore fait ses preuves. Les Constitutions font leurs preuves dans le temps et non pas en l’espace de deux ou trois jours.

* Certaines démocraties ont mis en place des Commissions de lois constitutionnelles constituées d’experts en la matière avant de procéder à des changements majeurs vis-à-vis de leurs structures de gouvernance. Pensez-vous qu’il fallait impérativement passer par cela avant de modifier notre Constitution ?

Tout changement constitutionnel de cette importance, c’est-à-dire lorsqu’on va changer les structures du pouvoir, l’accountability du pouvoir, et aussi redessiner les pouvoirs et les prérogatives, devrait passer non seulement par une Commission mais il faut au préalable écouter le peuple.

En écoutant le peuple, on l’amènera à participer dans la mise en place de cette Deuxième République. Il ne faut pas se presser ; alors que ce n’est pas une priorité pour Maurice. L’unité nationale reste une priorité ; ‘nation building’, la revalorisation de notre service civil, etc., voilà des priorités qui méritent notre attention. Je pense qu’on est en train de faire une grande erreur en agissant ainsi. Bérenger a parlé d’un ‘timeframe’ couvrant un mois ; je ne pense pas qu’on puisse le faire en si peu de temps.

* Qu’adviendra-t-il si l’alliance PTr-MMM obtient un vote massif lors des prochaines élections générales en faveur de leur programme gouvernemental incluant les propositions constitutionnelles qui seront connues et débattues publiquement avant la tenue des législatives ? Un vote massif en faveur de ces propositions fera fonction de référendum, n’est-ce pas ?

Ils auront un vote massif grâce au système de ‘First Past The Post’ et la force combinée de leurs électorats respectifs. Après un 60-0, il y a aura un vide, mais cela ne va pas empêcher les téméraires de venir de l’avant pour « challenge » leurs propositions en Cour suprême ou devant le ‘Judicial Committee of the Privy Council’. Ce qui provoquera une certaine paralysie et retard au niveau des changements qu’ils veulent apporter.

Tout cela risque de provoquer des guerres des nerfs au niveau gouvernemental avec l’un voulant devenir Premier ministre le plus vite possible et l’autre Président de la République avec ses pouvoirs additionnels. Les grandes réformes au niveau économique et de la relance de l’emploi seront retardées…

Oui, à une IIe République, mais il faut bien savoir à quel type de IIe République on fait référence, ce qu’on souhaite mettre en place avec un projet de loi bien ficelé. Or, il est clair que les propositions de l’alliance PTr-MMM seront contestées. Comment un juriste, quelqu’un qui croit en l’île Maurice, pourra – demain – accepter que les pouvoirs additionnels accordés au Président de la République ne pourront être contestés en cour ? Quand les gens comprendront qu’il y a un problème… je suis sûr que, même au niveau du PTr et du MMM, on va se poser des questions. S’ils ont pris autant de temps pour apporter un mini-amendement au niveau de la Constitution qui n’a pas changé grand-chose au niveau des élections, alors en ce qui concerne les propositions par rapport aux changements de structure de notre gouvernance, cela va prendre un minimum de trois ans… Donc, soutien massif de la population ou non lors des prochaines législatives, ce ne sera pas avant trois ans qu’on aura une élection partielle à Triolet pour le remplacement de Ramgoolam…

* Se pourrait-il que Ramgoolam soit en train de « take » Bérenger « for a ride » et que l’inverse soit également vrai ?

Les deux sont en train de « take the people for a ride », et chacun pense qu’il est plus intelligent que l’autre. Un historien anglais disait à l’époque à propos de Napoléon : “The first mistake we are making about Napoleon is that we take him to be a genius and he is not. The second mistake is that when we are not taking him to be a genius, we take him to be a fool, and fool he is not.”

Dans le cas présent, who is the genius and who is the fool ? Je vous laisse deviner…


* Published in print edition on 19 September 2014

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