« Veut-on assassiner notre démocratie ? »

Interview : Joseph Tsang Mang Kin


« Une réforme qui serait le résultat d’un accord entre deux chefs de parti, sans passer par une consultation électorale, serait perçu comme un cartel politique que l’Histoire jugera et condamnera !!! »

« Pourquoi cette obsession d’une majorité stable? Stabilité pour qui ? Pour le pays ou pour les partis qui s’accrochent au pouvoir? »

La réforme électorale prendrait-elle une autre tournure suite à la récente déclaration du Premier ministre ? Faudrait-il augmenter le nombre de députés à Maurice dans un contexte économique qui nous réserve peut-être encore bien des surprises ? Notre invité, homme politique et observateur des débats sur la réforme électorale, nous donne son avis et fait des propositions afin d’élargir le cadre démocratique et favoriser la démocratie participative.

Mauritius Times : Le Dr Navin Ramgoolam aurait l’intention de soumettre au Bureau politique du PTr ses propositions concernant la réforme électorale. Je ne sais pas si vous faites toujours partie de cette instance, sinon en tant qu’un ancien du Parti, que souhaiteriez-vous dire au Dr Navin Ramgoolam concernant les propositions de Paul Bérenger ?

D’abord, rassurez-vous, je ne suis plus membre du Bureau Politique, ce qui n’enlève nullement ma qualité de travailliste, fidèle aux idées, on ne dit plus idéologie, du parti. Je dois immédiatement souligner que la pensée travailliste n’a jamais été une pensée doctrinaire ou unique. Ce qui veut dire qu’elle a, en son sein, des opinions différentes, divergentes et parfois opposées. En ce qui me concerne, ma carrière et mes réalisations parlent pour moi. Plus important, j’ai à cœur la pensée et l’idéal de justice travailliste, héritage ancien de tribuns tels que Rozemont et SSR. Et je souhaite une continuité dans la pensée travailliste, le maintien du Welfare State, et la défense des plus faibles de notre société de plus en plus injuste. N’oublions pas que les faibles sont à la merci des effets de la mondialisation et aussi des instituions financières de plus en plus voraces.

Pour moi, la première considération dans cette affaire est le principe de démocratie et quand on est d’accord sur ce principe, il faut avoir recours à la consultation et aux discussions. Donc, il y a ici tout une question de méthodologie, car le message est aussi dans la méthode.

L’autre jour, en écoutant le débat sur Radio plus, j’ai entendu le Secrétaire général du MMM affirmer avec le plus grand sérieux que les propositions de son leader ont été approuvées par les membres du Comité. Cela m’a fait rigoler. C’est le monde à l’envers ! Que dis-je ? La démocratie en bas là-haut ! A quoi servent ces partis politiques s’ils ne viennent pas avec des réflexions issues de rencontres et de réflexions collectives ? La démocratie, c’est comme grimper une montagne, on va de bas en haut, après consultation et en partant de la base. Ici, ce serait la volonté du Prince. Qui dicte ses volontés aux petits d’en bas. Vous voyez un des membres du parti dire non à leur patron ? Aucun d’entre eux n’a cette tentation suicidaire sinon il ne serait pas à sa place, toujours aux côtés du Patron.

Oui, le leader du Parti travailliste a raison de soumettre ce que lui propose Bérenger aux membres de son parti. Il n’a rien à cacher ! Et sans hésiter, je ne cache pas que si je siégeais au bureau politique, j’aurais tout de suite jeté au panier des propositions aussi insultantes pour la démocratie.

* ‘62+20+8’ – est-ce, à votre avis, une formule qui répond aux critères énoncés par Rama Sithanen (c’est-à-dire un système électoral qui donne une majorité stable, qui soit équitable, accountable, etc.,) et qu’il faut à tout prix, selon ce dernier, tenir en ligne de compte dans le choix d’un nouveau système électoral ?

J’ai déjà dit et expliqué pourquoi les propositions de Sithanen étaient et sont toujours inacceptables. Les Mauriciens les ont rejetées tout comme les propositions du Professeur Carcassonne.

Regardez de près : ne voyez-vous pas là comme un non sequitur : la conclusion ne suit pas l’énoncé. Sithanen dit qu’il faut un système équitable et accountable et là, bien sûr, tout le monde est d’accord. Mais ce qu’il propose ne suit pas mais contredit ce qu’il énonce, car la proposition qu’il avance n’est ni équitable ni accountable.

Pourquoi cette obsession d’une majorité stable? Stabilité pour qui ? Pour le pays ou pour les partis qui s’accrochent au pouvoir ? Est-ce pour donner le confort à ceux-là qui veulent toujours garder le pouvoir, sans aucun risque démocratique.

C’est le risque de gagner ou de perdre les élections qui fait la beauté du système démocratique. On se met entre les mains du peuple qui seul alors décide du sort du parti. C’est cela la souveraineté nationale.

Et puis, il ne faut pas oublier que la stabilité se construit sur l’accord national et sur un programme accepté par la majorité des électeurs d’où l’importance du projet de société qui doit recevoir la bénédiction de la population.

Il y a stabilité par accord mais elle ne peut nullement être imposée par qui que ce soit.

* Navin Ramgoolam soutient que le nombre de 28 députés que souhaite ajouter Paul Bérenger aux 62 élus par le biais du FPTP est trop élevé. Il veut sans doute se prévenir du risque d’un basculement de la majorité en faveur du MMM avec l’apport de la proportionnelle et des 8 députés correctifs. Le risque existe-il vraiment ?

Navin Ramgoolam a raison. Le principe même d’amener au Parlement des gens désignés par le parti, entendez ici, par le Chef du parti est anti-démocratique, inique et fausse tous les principes de la consultation électorale.

Tout démocrate et tout électeur, j’oserai dire, quel que soit son parti, Travailliste ou MMM, vous dira que le nombre de 28 est simplement à rejeter. On ne peut pas permettre à un parti ou à n’importe quel chef de parti de fausser le jeu électoral.

Tout citoyen épris de justice ou de liberté vous dira que pour entrer au Parlement, il faut avoir été élu par le peuple. D’ailleurs, c’est pour cette raison que le Parti Travailliste s’était battu depuis le début pour donner à chaque citoyen le droit de vote.

Et si un leader ou un parti vont avoir le droit de designer des non-élus pour entrer au Parlement, c’est faire fi du principe d’un one man, one vote.

Avec la proposition de Bérenger, ce serait donner nos 900,000 votes ou presque à un seul homme pour mettre 20 protégés, copains ou copines au Parlement !!! Tant qu’on y est, pourquoi ne pas les nommer des Députés à vie?

Veut-on assassiner notre démocratie ? J’aimerai bien que chaque citoyen mauricien, en son âme et conscience, nous dise si c’est cela qu’il veut, pour lui-même et ses enfants ?

Demandez autour de vous : Tout un chacun vous dira qu’il acceptera seulement un système électoral qui admet au Parlement uniquement ceux-là qui ont pris le risque de se présenter à l’électorat et qui ont été démocratiquement élus par ce même électorat.

Personne n’a le droit de contredire ou de fausser la volonté populaire, par une quelconque combine politique.

* Il est évident que l’introduction de la proportionnelle va augmenter les chances électorales du MMM et va donc améliorer nettement sa représentation parlementaire – d’où la proposition de Paul Bérenger avec sa formule (62+20+8). Par contre, il n’est pas très clair ce que recherche le leader du PTr – sauf qu’il ne souhaite pas dissocier la réforme électorale d’un accord portant sur une alliance avec le MMM. Votre opinion ?

S’il est vrai que le MMM veut la proportionnelle seulement pour augmenter ses chances électorales, je dirai que c’est triste. Cela voudrait dire que pour ce parti, il s’agit seulement d’un jeu de pouvoir. On pourrait croire que ce parti ne penserait ni au peuple, ni aux électeurs ni au programme de développement qu’il faudrait pour Maurice.

Je ne veux pas faire des procès d’intention au MMM. Mais que ce parti vienne nous dire que cela n’est pas vrai et qu’il a un programme de justice sociale qu’il veut implémenter.

Quant au leader du Parti Travailliste, il marche sur la corde raide : s’il souhaite avoir les votes du MMM pour faire passer un quelconque projet de loi, il sait qu’il y a un prix à payer. Et le leader du MMM le sait aussi. Une partie à verser tout de suite et une autre, après, et c’est ce qui sera dur après, pour l’un et l’autre. Situation peu enviable pour les deux.

Une réforme qui serait le résultat d’un accord entre deux chefs de parti, sans passer par une consultation électorale (un référendum par exemple), ce ne serait pas un chapitre glorieux dans l’Histoire de Maurice, et encore moins dans l’Histoire des deux partis.

Ce serait perçu comme un cartel politique que l’Histoire jugera et condamnera !!! Je me souviendrai toujours de ce que SSR me disait alors que j’étais jeune diplomate et que je l’accompagnais dans ses nombreuses missions en Europe et en Afrique : « Dans tout ce que tu fais, pense aux conséquences dans les 20 prochaines années d’ici. »

Aucun des deux leaders ne pourra être fier d’avoir imposé une réforme dans le dos du peuple, si jamais ils décident d’agir de la sorte.

Si les consommateurs condamnent les cartels dans les affaires, les électeurs seraient-ils preneurs de cartels politiques ?

Donc je dis : cette réforme électorale est une affaire fort sérieuse et doit impliquer toute la population mauricienne. Les conséquences seront énormes pour le pays. Aujourd’hui et demain. Il faut penser à long terme.

Prenons le temps qu’il faut pour donner une bonne reforme électorale à la population mauricienne et que ce soit ce que les Mauriciens méritent le mieux. Il y a des pays, je pense à l’Inde, qui se sont donné plusieurs années pour rédiger leur Constitution. Il faudrait que nous mettions en place une Commission Nationale pour la Réforme Electorale et appeler tous les Mauriciens qui ont des idées ou des propositions à les soumettre à cette instance. Ensuite, cette Commission fera un rapport et des propositions seront soumises à un référendum. (Il faudrait légiférer pour que cela soit possible).

Il n’y a aucune raison de se précipiter, si on veut le bien de la nation. Rappelons-nous qu’une réforme électorale doit aider à la formation et à la consolidation de la nation mauricienne.

Et disons bien que nous allons donner à notre pays une Constitution qui sera là pour 5 ou 6 décennies.

* Tout comme le leader du MMM, il se pourrait que Navin Ramgoolam souhaite une meilleure représentation de son parti au Parlement en cas de défaite électorale… Qu’en pensez-vous ?

C’est un désir légitime de tout parti de vouloir obtenir la majorité au Parlement. Mais le même principe démocratique s’applique à tous, quelque soit le parti, et quel que soit le leader. La majorité ou la victoire devrait provenir de l’exercice électoral.

Par ailleurs, je n’ai pas entendu nos adversaires chanter victoire. Sinon pourquoi veulent-ils tellement cette alliance avec le Parti Travailliste ? Et puis, comment peut-on parler de défaite quand le combat n’a pas commencé ? Bien sûr, les temps sont difficiles, mais pas uniquement pour le Labour. Aujourd’hui, les électeurs sont beaucoup plus exigeants, moins manipulables qu’avant… Mais comme toujours et partout, la victoire est le résultat d’une série de décisions répondant à des critères précis, comme nous dit Sun Zi. Mais avant de se présenter devant l’électorat, il y a des décisions capitales à prendre. Il faut faire peau neuve, enlever les branches mortes. Il faut rappeler que l’idéal travailliste est encore et toujours vivant. Et surtout qu’il a sa place et un rôle à jouer dans l’univers de la mondialisation des injustices économiques et sociales.

* Qu’en est-il d’un ‘remake’ de 2005, c’est-à-dire une nouvelle victoire du PTr face à l’alliance MMM-MSM ? Est-ce ‘do-able’ ?

Oui, une victoire est toujours ‘do-able’ : la grande famille travailliste veut que ceux qui parlent en son nom, aient la culture et les convictions travaillistes. Ils doivent être sincères, faire preuve qu’ils sont de véritables travaillistes aujourd’hui, même s’il s’agit de conversions récentes. C’est le prix de la victoire. C’est même un secret de polichinelle.

Mais je voudrais pousser la réflexion plus loin. Vous voulez d’une victoire, je peux comprendre, mais le peuple mauricien voudrait savoir à quelles fins servirait cette victoire. Pour quoi faire ? Pour qui ? Auriez-vous un projet de société que vous souhaiteriez mettre en place et avez-vous besoin d’une victoire qui vous donnerait une majorité confortable au Parlement ? OK ?

Donc, il est grand temps que les différents partis, qui veulent tous cette grande victoire, communiquent leur projet de société à la nation mauricienne. Il y a aujourd’hui une nouvelle génération d’électeurs et d’électrices qui se demandent pourquoi ils devraient voter aux prochaines élections. Cette nouvelle jeunesse qui est éduquée, qui travaille et pense à l’avenir du pays ne semble pas disposée à tout gober. Elle est très bien renseignée, car elle a accès à l’internet sur les enjeux de la société actuelle dans un contexte de mondialisation. Je crois que les partis politiques ont intérêt à leur donner les réponses et les explications qu’elle demande. C’est surtout leur devoir de le faire.

* Il semblerait que le Dr Navin Ramgoolam serait favorable au projet portant sur la mise en place d’une Deuxième République, ce qui l’amènera à occuper les fonctions de Président de la République avec des pouvoirs accrus. Pour avoir travaillé avec le leader du PTr et avoir pu ainsi saisir sa personnalité et comprendre son style de gouvernance, pensez-vous que ce serait une bonne chose pour le pays et pour le Parti Travailliste?

Je l’ai écrit ici même et ailleurs et je l’ai dit à la radio : Oui ! Personnellement, je suis, comme tant d’autres citoyens, tout à fait d’accord pour une Deuxième République. La nomination du Président par le Parlement a fait son temps. Il ne doit plus être seulement choisi par un leader de Parti, ce qui le met à la merci d’un parti. Il faudrait que le Président de la République soit élu par toute la nation mauricienne. Je pense que tout démocrate sera d’accord à ce propos.

Or, c’est une question très sérieuse qu’on ne peut régler dans la précipitation ou traiter à la légère. Il faudra prendre le temps qu’il faut pour revoir la Constitution dans son ensemble et, aussi, la place du Président de la Deuxième République dans ce cadre. Il faut que ce soit une nouvelle étape dans la marche de la nation mauricienne.

Quant au choix de Navin Ramgoolam comme Président, pensez-vous qu’il soit juste de demander à un partisan s’il va voter pour le chef de son parti? C’est à la nation mauricienne de faire le choix le moment venu. J’ajouterai tout de suite qu’en tant que démocrate convaincu, j’aimerai bien voir Bérenger dans cette joute présidentielle.

* Qu’en est-il pour le Parti Travailliste ?

Je ne peux pas parler au nom du Parti Travailliste, mais je donne mon opinion comme un Travailliste. Et je dis que faire élire un Président par la nation mauricienne au lieu qu’il soit choisi par un seul homme ou par un parti semble être un exercice fort démocratique. Et je serai surpris que le Parti Travailliste ne soit pas d’accord avec le principe d’une Présidente ou d’un Président élu.

* Pour qu’un éventuel Président de la République puisse exercer ses pouvoirs, tels que c’est prévu dans le cadre d’une Deuxième République, il faudrait qu’il ait le soutien d’une majorité parlementaire, n’est-ce pas ? Pas question donc d’un partage 50:50 de tickets dans le cadre d’une alliance PTr-MMM ?

La Présidence de la République ne doit pas faire l’objet de marchandage. Ce serait non seulement honteux mais cela mettrait le Chef de l’Etat à la merci des combines politiques. Le Président de la République de Maurice doit être élu par le peuple entier. Un point, c’est tout.

* Au-delà de toutes ces questions d’intérêts partisans et qui sont débattues, de toute évidence, dans le cadre des négociations en vue d’une alliance électorale, on semble oublier la nécessité d’une grande réforme pour revoir la délimitation des circonscriptions et le financement électoral. Dommage, n’est-ce pas ?

Je l’ai déjà dit dans la presse et à la radio: je souhaite une réforme avec la mise en place de 70 ou 80 circonscriptions à siège unique. Chaque circonscription aura entre 11,000 et 12,000 électeurs. Les 11,000 ou plus d’électeurs auront à choisir un seul député.

Il n’y aura plus de circonscriptions avec 55,000 ou 25,000 électeurs, ce qui est injuste. On les met toutes sur le même pied d’égalité. On met ainsi fin au communalisme. Les leaders ne seront plus obligés de faire du dosage politique. Plus besoin de sièges réservés ou de best loser system. Plus besoin de parachuter des étrangers de la circonscription comme candidats pour des raisons communalistes.

Tous les coins du pays seront représentés par les 70 ou 80 circonscriptions: ce sera la vraie démocratie participative. Les électeurs seront responsabilisés ; ils devront choisir des députés compétents, honnêtes et sérieux, en tenant seulement compte de leurs qualités individuelles.

Plus besoin de millions pour les élections, ce qui ouvre la voie à la corruption. Pas de barrage (de 5% ou de 10%) aux petits partis ou aux individus qui veulent servir le pays. Tout le monde aura sa chance.

Dans ce nouveau système électoral, tout devient plus simple, plus démocratique, plus propre.

Comme tout le monde aura compris, on n’a pas besoin de grands professeurs, de docteurs ou de mathématiciens pour faire comprendre ce système à tous les Mauriciens, adultes et enfants.

Le Secrétaire général du MMM disait l’autre jour, à la radio, qu’il n’y a pas d’autres propositions que celle de son parti. En voilà une. Entendons ses commentaires et à la population mauricienne de jouer.


* Published in print edition on 5 October 2012

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