“Il faut avoir de la classe pour faire passer l’intérêt de son parti avant tout autre considération…”
|Interview Dan Maraye —
“Les résultats des élections générales de décembre 2014 devraient être un rappel sans équivoque à tout leader politique”
BAI: “Les torts sont partagés”
Les jours passent et se ressemblent : les leaders des partis politiques de l’île Maurice ont bien trop de difficultés à accepter de passer le flambeau du leadership aux moins jeunes. Sont-ils conscients des attentes de la population ?
Connaissent-ils les besoins de la nouvelle génération de Mauriciens ? Comprennent-ils les aspirations de ceux qui voudraient consolider la nation mauricienne en se débarrassant de certaines pratiques malsaines lors des élections ? Dan Maraye, observateur de la vie politique mauricienne, et ancien Gouverneur de la Banque de Maurice, nous en parle…
Mauritius Times : Il semblerait que l’actuel porte-parole du Parti travailliste se lasse d’être l’homme du consensus, et il a donc décidé de s’affirmer en tant que prochain leader du PTr. “Step down,” a-t-il réclamé de Navin Ramgoolam, pour qu’il puisse avoir les coudées franches en vue de ‘engineer the revival’ du parti. Cela soulève deux questions : Ramgoolam doit-il partir du fait que certains le considéraient comme étant devenu le « boulet au pied » du parti, ou demeure-t-il toujours et malgré tout le « best bet » du PTr en face du MSM et du MMM ?
Dan Maraye : Un « porte-parole » est une personne qui parle au nom d’une autre. Très souvent les porte-parole ne sont que des pantins, surtout en politique. Je pense que c’est dégradant qu’une personne d’une ancienneté telle qu’Arvin Boolell dans le Parti travailliste soit nommé porte-parole.
Pour sa propre image, il n’aurait pas dû accepter une telle humiliation. Apres la cuisante défaite aux élections de décembre 2014, tout bon leader qui se respecte et qui a l’intérêt du parti à cœur cède la place à quelqu’un d’autre. Certes, il faut avoir de la classe pour faire passer l’intérêt de son parti avant tout autre considération. Cela dit, je comprends mal la démarche d’Arvin Boollell étant donné que le Parti travailliste n’a pas tenu de congrès pendant les 3 dernières années. Beaucoup se posent des questions sur la légalité des instances décisionnelles du parti. Je pense que cela devrait être la priorité du parti.
* La deuxième question, au-delà des compétences et de la cote de popularité d’Arvind Boolell sur le plan national, parviendra-t-il à s’imposer auprès de l’électorat du PTr lui-même et réussir ce que Satcam Boolell n’a pu dans l’ombre de Sir Seewoosagur ?
C’est un fait indéniable : quand Sir Satcam Boolell avait cédé le fauteuil de leader à Navin urtout sur le plan de la bonne gouvernance, de l’honnêteté et deRamgoolam, le Parti travailliste était respecté de tous et avait laissé un track record honorable. Malheureusement tout nouveau leader du Parti travaillste héritera d’un parti de transfuges et d’un track record peu enviable s l’intégrité.
Donc le nouveau leader aura du pain sur la planche et s’il veut d’un ‘New Labour’ digne de ce nom, il doit éliminer les transfuges et certains notoires qui ont pris le parti en otage. L’avenir du Parti travailliste dépendra beaucoup de la qualité de ses membres et de l’entourage de son futur leader.
* ‘Tout parti politique, quel qu’il soit, a besoin d’un leader : quelqu’un qui rassemble, qui mobilise, qui galvanise, qui inspire et qui fait gagner les élections au parti…’ C’est Cader-Sayed Hossen qui nous le disait lors d’une récente interview. Il n’avait pas parlé d’un quelconque projet de société ni mis quelque emphase sur les qualités recherchées chez ce leader, mais il est évident que c’est la dernière partie de sa déclaration – la capacité de faire gagner les élections – qui serait, de son point de vue, primordiale. On pourrait mettre cela sur le compte du réalisme politique au regard des réalités mauriciennes, et cela s’applique autant pour le PTr que pour le MMM. Qu’en pensez-vous ?
Ceux prétendant diriger le pays devraient tirer beaucoup de leçons des résultats des élections de décembre 2014. C’est clair que nous avons un électorat éclairé et intelligent. Nous ne sommes plus en 1982, 1991, 1995 ou encore 2000. Les temps ont changé. La jeunesse de notre pays cherche un leader intègre pour lequel l’intérêt du pays transcende toute autre considération.
Choisir un leader ou encore concrétiser des alliances uniquement pour gagner les élections n’est ni réaliste ni souhaitable pour le bien du pays. Gagner les élections ne peut être une fin en soi. C’est peut-être cela que Navin Ramgoolam et Paul Bérenger avaient comme seul objectif dans leur alliance. Mais celle-ci a été rejetée par une grande majorité de nos compatriotes. Imaginez dans quelle cacophonie notre pays aurait été avec leur proposition de projet de deuxième République !
* Le réalisme politique dans le contexte très particulier de Maurice laisse donc très peu de chances aux autres prétendants au trône suprême, qu’il s’agisse de celui du MMM ou du PTr, sauf si la nouvelle Génération montante Twitter/Facebook fait la différence lors des prochaines législatives en affirmant qu’elle n’aura que faire de ces « réalités mauriciennes » et choisit de soutenir ceux ou celles qui, à ses yeux, seraient capables de répondre à ses aspirations.
Il faut réaliser que le communalisme scientifique que pratiquent certains leaders politiques appartient au passé. La nouvelle génération veut d’une nation mauricienne où chacun de nos compatriotes honnêtes puissent aspirer aux plus hautes fonctions, que ce soit dans un gouvernement ou dans le secteur privé.
* Les grands partis, surtout ceux qui ont connu une histoire et un passé glorieux, ne meurent jamais, dit-on. Le PTr a survécu 1982 grâce aussi à Satcam Boolell, dans un premier temps, et par la suite, à Navin Ramgoolam, mais l’électorat a choisi de « vote with their feet » en 2014, ce qui fait que ce parti tout comme le MMM se trouvent aujourd’hui au creux de la vague – on parle même ces temps-ci du « crépuscule » du MMM. Peuvent-ils revenir ?
Nous vivons aujourd’hui dans un monde qui ne peut compter que sur les gloires du passé tout en souhaitant que la population a la mémoire courte et oubliera tous les dégâts faits durant les années de gloire. Le MMM, aujourd’hui, a été démembré et représente trois corps différents notamment, le parti Libérateur d’Ivan Collendavelloo, le groupe d’Allan Ganoo et le groupe de Bérenger.
Le Parti travailliste est divisé en deux, peut-être même trois écoles de pensée tandis que son leader a été rejeté par l’électorat dans son propre fief. Certes, son bilan est peu honorable, voire désastreux. Il faut se mettre à l’évidence qu’il n’existe plus vraiment de grand parti politique qui peut prétendre remporter des élections générales seul. Toutefois, nous avons eu de très grands hommes et femmes politiques qui ont construit de grands partis politiques mais leurs successeurs indignes n’ont su respecter leurs vraies valeurs. Ainsi est arrivée leur décadence dont nous témoignons en 2015.
* Et que faites-vous, dans ces circonstances, du ML de Ivan Collendavelloo, et de la « troisième force » de Alan Ganoo ? Sont-ils capables de peser sur la politique mauricienne d’une manière significative et faire long feu ?
Le parti d’Ivan Collendavelloo a réussi un grand coup lors des dernières élections. Son avenir dépendra de la performance de ses ministres et des autres membres élus, aussi bien que de la performance de ses nominés. Quant à Alan Gannoo, tout dépendra de ce qu’il compte faire dans les semaines à venir. C’est vrai que certains élus et autres, autour de lui, sont des personnes valables.
* Il paraît que c’est Xavier Duval qui, potentiellement, a la possibilité de tirer le meilleur avantage de la nouvelle situation politique dans le pays dans le sillage du vote-sanction de l’électorat en décembre dernier et dans le sillage du « crépuscule » du MMM. Les « cinq sous » du PMSD, comme on le disait dans le temps, pèsent lourd sur l’échiquier ces temps-ci, du moins au sein de la nouvelle équipe au pouvoir depuis les dernières législatives : 11 parlementaires et 4 ministres – il fait même mieux que les ‘Liberaters’. Pas si mauvais que ça, non, pour un 60e anniversaire ?
L’expérience politique de Xavier Luc Duval est un atout certain et il a donné un nouveau souffle au PMSD. Il doit gérer les scandales, Air Mauritius, AML et Atol et, en 2019, l’électorat jugera la performance du PMSD à partir de l’état de ces institutions tombant sous sa responsabilité. Le respect des provisions de l’Equal Opportunities Act pèsera de tout son poids lors des prochaines élections générales.
* Un PMSD plus fort sera un atout pour le MSM de Pravind Jugnauth – ou même pour le PTr de Arvin Boolell ou de Navin Ramgoolam en 2019, n’est-ce pas ?
Malgré l’adage « one week is a long time in politics », 2019 n’est pas pour la semaine prochaine. Beaucoup d’eau passera sous le pont avant les prochaines élections générales.
* En attendant, les opposants du régime en place sont sûrement conscients qu’il reste un long chemin à parcourir. Même si le Budget de relance de Vishnu Lutchmeenaraidoo a été relégué au second plan, ‘courtesy’ à Dawood Rawat et l’affaire BAI principalement et aussi l’opération de nettoyage en cours dans différents secteurs, le gouvernement mais surtout le MSM qui a de grandes ambitions pour lui-même et son jeune leader, ne laissera pas passer cette opportunité inespérée qu’est la victoire de décembre 2014 pour asseoir ses assises solidement dans le monde politique, non ? Parviendra-t-il, selon vous, à réussir ce pari avec son style et ses méthodes de gestion des affaires de la République ?
Le gouvernement a un mandat de cinq ans et la population, en connaissance de cause, jugera si le gouvernement a tenu ses promesses compte tenu de la contribution des trois leaders des partis formant le gouvernement actuel. Les résultats des élections générales de décembre 2014 devraient être un rappel sans équivoque à tout leader politique. Apres l’expérience traumatisante de fils à papa que le pays a vécu sous le règne de Navin Ramgoolam, la population sera bien plus exigeante envers d’autres patronymes.
* En ce qui concerne l’affaire BAI elle-même, le principal suspect et tous ceux interrogés « under warning » au CCID jusqu’ici sont tous présumés innocents jusqu’à preuve du contraire. Mais plus les jours passent, plus cette affaire gagne en complexité et plus fait-on le constat de l’échec des autorités concernées de stopper ce qui semble paraître, à ce stade, des abus. On n’a toujours pas appris les leçons de la Caisse noire d’Air Mauritius, de la fraude MCB/NPF, et des autres affaires de Ponzi, etc, semble-t-il ?
C’est un fait qu’il y a eu des faux pas de part et d’autre. Les torts sont partagés. Dans le cas de la BAI et de la Bramer Bank, il fallait agir vite pour prévenir une catastrophe systémique dans notre secteur financier. L’affaire BAI/Bramer est bien plus compliqué que certains ne le pensent. Dans un cas d’une telle complexité, il faut s’attendre, malheureusement, à quelques faux pas. Toutefois il faut s’assurer que ces faux pas ne se répètent pas.
* On affirme qu’il y a un dénominateur commun dans plusieurs de ces affaires : l’omnipotence des autorités politiques, qui souvent paralyse ou même corrompt le système. Est-ce réellement le cas ?
A mon avis, à la source de ce problème, il y a une certaine gourmandise incontrôlée de la part de certains politiciens et autres décideurs des secteurs concernés et surtout l’impotence des instances régulatrices. Mahatma Gandhi n’avait-il pas dit : « The world has enough for everybody’s need; but not enough for everybody’s greed » ?
* Published in print edition on 8 May 2015
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