« Ramgoolam va garder tous les pouvoirs pour lui, laissant à Paul Bérenger le soin de remplir le rôle d’un ‘figurehead Prime Minister’ »

Interview: Anil Gayan

Deuxième République : « Cette question doit etre débattue par une grande ‘Constituent Assembly’ – qui soit ‘di passionate’ et nullement liée à la politique »

Qu’il s’agisse de la réforme constitutionnelle ou de la réforme électorale, les débats vont bon train mais les difficultés et les obstacles semblent aussi s’accumuler en cours de route pour les principaux protagonistes – le Premier ministre et le leader de l’Opposition.

Le peuple veut-il d’une réforme dans un sens ou dans l’autre ? Est-ce que les Mauriciens s’intéressent vraiment à la question de partage de pouvoirs entre ces deux hommes politiques ? Le débat porte-t-il vraiment sur ce qui intéresse les citoyens ordinaires ? Anil Gayan, avocat de profession, répond à nos questions.

Mauritius Times : Lors de sa conférence de presse lundi dernier, le Premier ministre a laissé entendre qu’il existe une alternative « compliquée mais possible » pour contourner la plainte constitutionnelle de Resistans ek Alternativ. Une alternative qui consisterait, semble-t-il, à amender la ‘Representation of the People Act’ par une majorité simple en vue de permettre à un candidat de ne pas déclarer son groupe ethnique tout en se disqualifiant d’un siège de Best Loser. En tant que légiste, pensez-vous que c’est faisable et qu’une telle candidature ne court pas le risque de contestation ?

Anil Gayan : Le problème constitutionnel va toujours se poser, parce que d’après le ‘First Schedule’ de notre Constitution, chaque candidat est tenu de déclarer la communauté à laquelle il appartient. Un simple amendement de la ‘Representation of the People Act’ ne suffira pas ; il faudra aussi amender « The Schedule to the Constitution » qui fait partie intégrante de cette Constitution. Ce n’est pas vraiment compliqué, c’est faisable ; mais il faut faire les deux à la fois.

A mon avis, le moyen le plus facile de contourner le problème consisterait à amender la ‘Representation of The People Act’ et aussi la Constitution, ce qui va permettre à un candidat qui le souhaite de ne pas déclarer son appartenance ethnique mais qui le rend inéligible à un siège de ‘Best Loser’.

* C’est une proposition qui fait que le ‘Best Loser’ est maintenu dans notre système électoral ?

Oui, le ‘Best Loser’ est maintenu mais ceux qui choisissent de ne pas déclarer leur groupe ethnique seront disqualifiés pour un siège de ‘Best Loser’. Je ne sais si cette proposition va recueillir un consensus parmi la classe politique qui semble rester figée par rapport à cette question de communauté. Or, Maurice étant ce qu’elle est, tout le monde s’identifie et est reconnu su la base de sa communauté. Qu’on le veuille ou non, c’est cela la réalité de Maurice. Qu’il s’agisse du candidat Meeah ou Aimée ou Bachoo, chacun sera reconnu sur la base de son appartenance ethnique soit en tant que Musulman ou Créole ou Hindou. En quoi cela pose-t-il problème? Est-ce qu’un amendement constitutionnel ou autre va effacer d’un trait de plume la notion d’appartenance ethnique dans la société mauricienne ?

Vous savez, tout cela est bon pour de grands débats intellectuels, mais dans la réalité quotidienne et aussi longtemps que les Mauriciens iront prier dans leur mosquée, temple, pagode ou église, l’identification sur la base de l’ethnicité sera maintenue. Donc, je ne vois pas comment cette démarche visant à permettre à un candidat de ne pas faire mention de son groupe ethnique va changer quoi que ce soit. Il faut certes une réforme électorale en vue d’assurer une meilleure représentation féminine au Parlement et aussi pour introduire une dose de proportionnelle dans notre système électoral…

* Mais que faites-vous du ‘ruling’ du Comité des droits de l’homme des Nations unies ? Le gouvernement mauricien est-il tenu d’appliquer les recommandations de ce Comité ?

Le ‘ruling’ n’est pas ‘binding’. Mais ce Comité dispose quand même d’une certaine influence en vue d’encourager des changements dans les législations des pays membres. Il faut savoir que ce que le Comité des droits de l’homme des Nations unies a considéré comme étant ‘objectionable’ est prévu par notre Constitution – la loi suprême de la République de Maurice. Le gouvernement pourra bien faire valoir que ce que recherche le Comité, c’est de changer notre Constitution !

* Si il n’y a rien de ‘binding’, le gouvernement a-t-elle une obligation morale d’apporter les changements réclamés ?

Chaque Etat qui adhère à un traité ou à une convention est tenu d’appliquer « in good faith » les dispositions de ce traité ou convention. Dans ce sens, le gouvernement est donc dans l’obligation d’agir en conformité avec ce que préconisent les Nations unies. Cette obligation est d’ordre moral, mais le gouvernement pourra en toute bonne foi affirmer qu’il a tout essayé mais, faute de consensus dans le pays, on ne pourra faire autrement que de maintenir le système. Les Nations unies vont prendre acte de cette déclaration, et cela sera la fin de l’histoire.

Même chose en ce qui concerne une telle affaire devant le ‘Privy Council’, car le Conseil privé de la Reine aura à prendre en considération la loi mauricienne et ce que prévoit notre Constitution. Le judiciaire est tenu de respecter et de faire respecter la loi, il ne peut pas travailler en dehors du cadre juridique.

* Si cette alternative « compliquée mais possible », selon le Premier ministre, est tout à fait faisable d’un point de vue constitutionnel et selon la procédure que vous préconisez, pensez-vous qu’il faudra malgré tout réformer notre système électoral ?

Oui, principalement pour deux raisons : pour améliorer la représentation féminine et introduire une dose de proportionnelle, mais aussi pour permettre à ceux qui ne le souhaitent pas de ne pas avoir à décliner leur appartenance communale pour poser leur candidature aux élections.

Par ailleurs, je constate que ni le PTr ni le MMM ne souhaitent aborder sérieusement cette question fondamentale qu’est le financement des partis politiques. Il nous faut à tout prix une loi sur cette question, et une réforme qui escamote le financement des partis politiques ne sera pas dans l’intérêt national. C’est le financement des partis politiques qui représente un problème majeur, notamment pour qu’on ait des élections qui soient ‘free and fair as well as credible’.

* Navin Ramgoolam soutient que la réforme électorale telle que proposée par son gouvernement va permettre au pays « de franchir une seconde étape après celle de l’indépendance ». Paul Bérenger, lui, avance que le MMM milite depuis déjà 30 ans en faveur de cette réforme. Les leaders des deux principaux partis du pays sont d’accord sur le principe de réforme et il n’y a que les modalités à régler. Quelle appréciation faites-vous des discussions entamées par ces deux leaders politiques?

D’après ce que nous rapporte la presse et à partir des déclarations de deux leaders eux-mêmes, nous avons été amené à comprendre que Ramgoolam et Bérenger se sont rencontrés pour des discussions sur la réforme électorale telle que proposée dans le ‘White Paper’. Or il semblerait qu’ils sont à discuter de tout – de la Deuxième République et d’alliance politique entre ces deux partis – sauf de la réforme elle-même. Comment est-ce que ces deux leaders peuvent-ils être crédibles aux yeux de la population quand ils disent se rencontrer pour discuter de A alors qu’ils discutent effectivement de B et C – cela derrière le dos des Mauriciens ?

* Il me semble qu’ils ont parlé d’un ‘package deal’, n’est-ce pas ?

De quel ‘package’ parle-t-on ? Avaient-ils annoncé dès le départ que ce ‘White Paper’ faisait partie d’un ‘package’ comprenant entre autre alliance et Deuxième République ? On l’aurait compris. Les deux se disent démocrates, mais se mettent à discuter des questions aussi fondamentales dans le dos de la population !

* Mais Navin Ramgoolam avait déjà annoncé lors de la présentation de son ‘White Paper’ qu’un ‘discussion paper’ par rapport à la Deuxième République allait suivre. Il avait aussi précisé que sans la mise en place d’une Deuxième République, il n’y aurait pas de réforme électorale. Et que tout projet de reforme devrait obtenir un mandat populaire lors des prochaines élections, alors que Paul Bérenger veut qu’on en finisse avec l’actuel système électoral et que la réforme soit appliquée aux prochaines élections…

Personnellement, je trouve que c’est difficile de suivre le raisonnement du Premier ministre – même si je suis d’accord, d’un point de vue démocratique, qu’une telle réforme doit obtenir l’aval de l’électorat. Alors qu’il disait auparavant que la réforme sera appliquée lors des prochaines élections, pas celles qui auront lieu cette année ou en 2015, voilà qu’il met un comité composé de Glover, Sithanen, et Ganoo pour aller vite avec cette réforme ! Which is which ?

Soit la réforme sera appliquée après les élections, donc il n’y avait nulle nécessité de travailler là-dessus maintenant et de proroger l’Assemblée nationale, soit il va effectivement présenter ce projet de loi très rapidement.

Il faut qu’il soit cohérent dans ses propos – surtout qu’il est le Premier ministre du pays. Or, je ne vois pas de cohérence dans ces propos.

* Mais rien ne dit que le projet de loi passera (même si le PTr et le MMM disposent tous deux de la majorité de ¾ requises pour faire voter un amendement constitutionnel) puisque certains élus travaillistes ne seraient pas, paraît-il, favorables à cette réforme et risqueraient de voter contre ou de s’abstenir. Donc, back to square one ?

D’accord, mais le fait demeure que le Premier ministre proroge l’Assemblée… parce qu’il va consacrer tout son temps en vue de finaliser la réforme électorale.

Et il n’a donné aucune indication pour nous informer du moment où il compte rappeler l’Assemblée. Pourquoi proroger l’Assemblée si la réforme ne sera pas appliquée aux prochaines élections ?

Certains pensent qu’il est possible que le projet de loi soit présenté prochainement. A quelle fin ? Pour que Bérenger puisse justifier son alliance avec les Travaillistes ?

C’est une mascarade : ils sont en train de prendre les Mauriciens pour des imbéciles. Bérenger a posé comme condition pour les prochaines sessions de « coze cozé » avec Ramgoolam que ce dernier présente un projet de loi sur la réforme !

Donc, Ramgoolam s’attelle à l’ébauche du projet de loi et va éventuellement présenter ce projet de loi qui sera ou ne sera pas voté…. c’est une véritable mascarade.

* Navin Ramgoolam affirme que la reforme électorale est « la priorité des priorités » pour le pays. Paul Bérenger et lui-même ont sans doute aussi des intérêts politiciens dans cette réforme. Quelles sont, selon vous, les motivations des leaders du PTr et du MMM ?

Navin Ramgoolam souhaite devenir Président de la République avec des pouvoirs comme ceux qu’exerce le Président français, et il ne va jamais tolérer – il sait que son électorat ne va pas non plus accepter que Paul Bérenger devienne Premier ministre avec des pouvoirs exécutifs.

* Pourquoi?

Je crois que le conservatisme hindou ne va pas accepter ce type de changement. Tout comme ces forces à l’intérieur du Parti travailliste qui sont contre le changement de quelque nature soit-il, puisqu’elles se disent : pourquoi changer ce qui a marché pour nous ? C’est comme la campagne de Coca Cola qui avait modifié la forme de sa bouteille, ce qui avait soulevé des protestations… so why change what has worked ?

On me dit qu’une campagne a déjà été déclenchée au niveau des régions rurales à l’effet que Ramgoolam ne va jamais céder le poste de Premier ministre avec ses pouvoirs exécutifs à Paul Bérenger. Et qu’il va garder tous les pouvoirs pour lui, laissant à Paul Bérenger le soin de remplir le rôle d’un ‘figurehead Prime Minister’. Cela semble exclure, à mon avis, un sursaut de la population contre ce type d’arrangement entre deux personnes selon leur convenance personnelle…

Personnellement, j’aurais souhaité qu’une réforme de cette envergure fasse l’objet d’un référendum avant d’être adopté.

* Pour le moment, il semblerait toutefois que Ramgoolam et Bérenger, qui, paraît-il, sont tombés d’accord sur le principe et sur la majeure partie des modalités, veulent aller vite. L’échiquier politique connaîtra, parconséquent, un chamboulement majeur. Comment va se présenter cet échiquier ?

On affirme que le PTr et le MMM sont deux grands partis… Savez-vous que le plus grand parti à Maurice, c’est le peuple. Allons laisser le peuple prendre sa décision. Si le peuple décide de soutenir le projet politique de Ramgoolam et de Bérenger, tant mieux pour eux.

Mais je suis certain qu’il y aura des forces dans le pays qui vont faire campagne afin que le peuple n’avalise pas ce type d’arrangement entre deux personnes. On verra bien…

Vous savez que tous les pays qui ont modifié leur Constitution, comme le Kenya par exemple, ont pris des années pour finaliser leurs projets de ‘constitutional reform’.

La participation populaire dans cet exercice est primordiale. D’ailleurs, on n’a jamais eu de référendum sur la question de réforme électorale/constitutionnelle à Maurice.

Suite aux ‘Constitutional Talks’ en 1965, on a fait passer la Constitution de Maurice par le biais d’un ‘Order in Council’. Bon, cela a tenu le coup et a bien marché pour Maurice, mais jamais le peuple n’a été consulté par la voie d’un référendum sur cette question.

Maintenant qu’on est à travailler sur une Constitution à la mauricienne, pourquoi ne pas rechercher l’opinion du peuple par la voie d’un référendum ? Le mieux aussi, c’est que la tâche de l’ébauche de cette Constitution revienne à une Commission élargie regroupant tous les représentants de la société mauricienne et assistés par des experts internationaux.

* Estimez-vous que notre système électoral – le FPTP – a fait son temps et qu’il faut introduire une dose de proportionnelle ?

Pourquoi ne pas faire comme en Afrique du sud où le système est entièrement basé sur la proportionnelle ? La représentation parlementaire est le reflet exact du poids électoral de chaque parti : avec 30% de votes recueillis, vous obtiendrez le même pourcentage de sièges, ainsi de suite.

* Un tel système pourrait encourager la prolifération des partis communaux ou même extrémistes, ne pensez-vous pas ?

Mais où est le mal ?

* We can live with that?

Of course, we can. Other countries are living with that. L’Italie, l’Allemagne, l’Inde, etc., sont en train de vivre avec différents types de partis – certains extrémistes, d’autres régionaux ou communaux… Pourquoi pas Maurice?

* Par ailleurs, il se pourrait que la question de Deuxième République soit plus importante que la réforme électorale elle-même surtout en ce qui concerne les pouvoirs des principaux dirigeants du pays, la durée des mandats, mais aussi d’autres questions telles que le financement des partis politiques, les institutions constitutionnelles…

Oui, mais il faut que toutes ces questions soient débattues par une grande ‘Constituent Assembly’ – qui soit ‘dispassionate’ et nullement liée à la politique – pas par deux personnes qui sont elles-mêmes concernées par cette question de partage de pouvoirs.

 


* Published in print edition on 16 May 2014

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